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Publié le 19 Novembre 2023

Turandot (Giacomo Puccini – La Scala de Milan, le 25 avril 1926)
Représentations du 08 et 15 novembre 2023
Opéra Bastille

Turandot Tamara Wilson
Liu Adriana González
Calaf Gregory Kunde
Timur Mika Kares
L’Empereur Altoum Carlo Bossi
Ping Florent Mbia
Pang Maciej Kwaśnikowski
Pong Nicholas Jones
Un Mandarin Guilhem Worms
Il Principe di Persia Hyun-Jong Roh
Due Ancelle Pranvera Lehnert Ciko, Izabella Wnorowska-Pluchart

Direction musicale Marco Armiliato                                    Marco Armiliato
Mise en scène Robert Wilson (2018)
Coproduction Canadian Opera Company de Toronto, Théâtre National de Lituanie, Houston Grand Opera, Teatro Real de Madrid

Diffusion en direct sur Paris Opera Play le 13 novembre 2023

Initialement présentée au Teatro Real de Madrid en décembre 2018, avec Gregory Kunde en Calaf certains soirs, la production de ‘Turandot’ de Robert Wilson est désormais bien ancrée au répertoire de l’Opéra National de Paris, ce qui lui permet, avec cette nouvelle reprise, de replacer l'ultime opéra de Puccini parmi les 35 titres les plus joués ces 50 dernières années sur la scène de l'institution.

Tamara Wilson (Turandot)

Tamara Wilson (Turandot)

Son univers bleu nuit délimité horizontalement et verticalement par des néons d’une blancheur luminescente fortement impressive, la symbolique du cœur cruel de la princesse, lune bleue glacée qui se cache sous sa robe impériale rouge sang, et qui finira par être transpercée à la toute fin, la stylisation des vêtements de tous les personnages, gardes, Prince de Perse, Empereur, cour impériale, et les maquillages des trois ministres, forment un ensemble au pouvoir hypnotique qui fonctionne très bien car l’action est rigoureusement contrôlée. De plus, cela évite les grands mouvements d’agitation inutiles que l’on retrouve dans les mises en scène plus traditionnelles à la Zeffirelli.

Hyun-Jong Roh (Le Prince de Perse)

Hyun-Jong Roh (Le Prince de Perse)

Contrairement à Gustavo Dudamel qui, il y a deux ans, avait poussé très loin l’expressionnisme musical en donnant une dimension presque straussienne à la musique de Puccini, Marco Armiliato revient à une interprétation, certes plus classique, mais avec autant d’éclat et une grande richesse d’ornementation et de raffinement dans les tissures les plus diaphanes possibles.

Il a un sens du spectaculaire et de la progressivité qui soutient solidement les chanteurs, et il surprend par la splendeur des effets théâtraux qu'il arrive à obtenir. 

Adriana González (Liu)

Adriana González (Liu)

Ce grand style n’évacue cependant aucune convention, comme celle d’interrompre le discours musical après les interventions de Liu ou de Calaf au troisième acte, ce qui pose toujours un dilemme, car si l’on sait que pour les artistes ces moments de pause sont importants, ils interrompent aussi un déroulement que des spectateurs estiment inadéquats d’un point de vue dramatique.

Tamara Wilson (Turandot)

Tamara Wilson (Turandot)

Mais comment ne pas applaudir à ces artistes qui placent le niveau interprétatif à un point aussi élevé ?

Après s’être fait connaître à Toulouse dans des opéras verdiens, ‘Il Trovatore’ en 2012, ‘I due Foscari’ en 2014 et ‘Ernani’ en 2017, Tamara Wilson fait enfin ses débuts à l’Opéra national de Paris, et ce qu’elle réalise sur la scène Bastille est sidérant de perfection, tenant ses lignes de chant avec une pureté de cristal, une incisivité sans faille, et une stabilité inébranlable. 

Certes, elle accroît la dimension glaciale de Turandot, mais de petits sourires de-ci de-là humanisent un peu ce portrait inflexible, et l’on reste également très impressionné par sa technique de gradation de l’ampleur vocale d’une parfaite progressivité, perfection qui s’aligne avec le sens du détail et la clarté architecturale de la mise en scène de Robert Wilson.

Gregory Kunde (Calaf) - Fin de l'air 'Nessum Dorma!'

Gregory Kunde (Calaf) - Fin de l'air 'Nessum Dorma!'

Gregory Kunde n’en est pas moins fabuleux, lui qui célébrera ses 70 ans le 24 février prochain.

Pouvant compter sur un timbre qui a du corps et dont il laisse parfois s’échapper des clartés séductrices quand il cherche à faire ressortir une certaine douceur de velours, il dégage une impression de puissance et de grand style qui s’épanouissent à travers un souffle long d’une ampleur irrésistible qu’il soutient avec une autorité bien affermie.

Par ailleurs, la vibration de sa ligne de chant est très agréable à l’écoute, et rien ne semble forcé.

On reste ainsi admiratif du début à la fin par tant d’éloquence, car la beauté de cette longévité, qui ne peut qu’être le fruit d’une grande intelligence de vie, inspire aussi l’auditeur par l’âme qu’elle suggère.

Adriana González (Liu) et Mika Kares (Timur)

Adriana González (Liu) et Mika Kares (Timur)

Et aux côtés de ces deux immenses statures, Adriana González affecte Liu d’une maturité de timbre qui s’appuie sur des noirceurs expressives, une plénitude dans la tessiture aiguë qui vibre avec aisance et file en suraigu pour s’évaporer en fines vibrations dans les airs.

Pour cette sensibilité très maîtrisée dont elle pare son personnage avec beaucoup de présence, le public lui réservera un accueil très chaleureux qu’elle partagera avec Mika Kares, dont la stature impressionnante se double d’une fascinante voix brumeuse qui accentue la tonalité pathétique de Timur.

Nicholas Jones (Pong) et Florent Mbia (Ping)

Nicholas Jones (Pong) et Florent Mbia (Ping)

A nouveau Empereur Altoum d’un art oratoire bien caractérisé, Carlo Bossi semble trouver l’équilibre parfait entre la nécessité de paraître sévère et l’expression d’une subtile affectation quand Turandot l’implore de ne pas la livrer à Calaf.

Et beaucoup d’aplomb émane également de Guilhem Worms qui offre un Mandarin dont la droite noirceur permet de bien faire ressentir l’atmosphère de terreur qui règne à la cour de Turandot.

Guilhem Worms (Un Mandarin)

Guilhem Worms (Un Mandarin)

Et afin de donner une dimension clownesque aux trois ministres, Ping, Pang et Pong, Robert Wilson leur a dessiné de superbes maquillages qui surlignent et modifient leurs regards en leur associant une mobilité chorégraphique qui les fait ressembler à des automates délirants, mais dont la gestuelle est directement inspirée par la mélodie virevoltante de la musique.

Florent Mbia (Ping), Gregory Kunde (Calaf), Maciej Kwaśnikowski (Pang) et Nicholas Jones (Pong)

Florent Mbia (Ping), Gregory Kunde (Calaf), Maciej Kwaśnikowski (Pang) et Nicholas Jones (Pong)

Les trois solistes réunis pour cette série de représentations font partie de la toute nouvelle troupe de l’Opéra de Paris.

Ainsi, Florent Mbia se distingue par la noirceur fumée bienveillante de son chant, Nicholas Jones par la clarté adoucie et un peu crémeuse du timbre de voix, et aussi par sa nette décontraction à dansoter, alors que Maciej Kwaśnikowski se montre d’un brillant plus piqué.

Impertinents, mais moins sarcastiques que dans d’autres interprétations, il se dégage d’eux une poésie amusante assez attachante.

Ching-Lien Wu et les Chœurs de l'Opéra de Paris

Ching-Lien Wu et les Chœurs de l'Opéra de Paris

Les qualités fortement impactantes des chœurs sont en outre bien équilibrées avec l’envergure orchestrale, ce qui contribue à l'excellence qui embrasse la totalité de ce spectacle, dont on sort galvanisé et émerveillé par un tel engagement de la part de tous les artistes.

Faire mieux lors d’une prochaine reprise sera un grand challenge!

Gregory Kunde (Calaf)

Gregory Kunde (Calaf)

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Publié le 4 Décembre 2022

Carmen (Georges Bizet – 1875)
Représentation du 30 novembre 2022
Opéra Bastille

Don José Michael Spyres
Escamillo Lucas Meachem
Le Dancaïre Marc Labonnette
Le Remendado Loïc Félix
Zuniga Alejandro Baliñas Vieites
Morales Tomasz Kumiega
Carmen Gaëlle Arquez
Micaela Adriana Gonzalez
Frasquita Andrea Cueva Molnar
Mercedes Adèle Charvet
Lillas Pastia Karim Belkhadra

Direction musicale Fabien Gabel
Mise en scène Calixto Bieito

Production du Festival Castell de Peralada (1999)

 

                                          Gaëlle Arquez (Carmen)

 

Seul opéra français à se glisser parmi les cinq œuvres les plus jouées de l’Opéra national de Paris depuis un demi-siècle, ‘Carmen’ est de retour sur la scène de l’opéra Bastille dans la production de Calixto Bieito avec laquelle le metteur en scène catalan se fit connaître au Festival Castell de Peralada en 1999. 

Gaëlle Arquez (Carmen)

Gaëlle Arquez (Carmen)

Ce spectacle est devenu une référence dans plusieurs grandes maisons lyriques, malgré la nature dépouillée du décor, de par la grande force théâtrale qu’il tire des différents caractères, présentés sans fard et animés dans une Espagne plus proche de nous où les hommes considèrent les femmes comme un enjeu de possession sexuelle, et de l’utilisation de multiples éclairages qui créent des atmosphères fortes en relation avec la rudesse des scènes. 

Dans les ambiances nocturnes règnent les brigands, s’y révèle parfois un peu de poésie, et la scène finale se déroule dans une aridité de sentiments désolante, très bien rendue par des lumières qui écrasent tout.

Scène des contrebandiers dans la montagne

Scène des contrebandiers dans la montagne

On retrouve avec joie l’allant des grands ensembles de chœur, et particulièrement ceux des enfants en début et fin d’ouvrage, bariolés de couleurs et électrisés par la musique. Le naturel laissé à cette vitalité bondissante est suffisant pour ravir les spectateurs, mais sert aussi à créer un fort contraste entre ce monde enfantin joyeux et celui des adultes contraint à la survie et soucieux du jeu social.

Michael Spyres (Don José)

Michael Spyres (Don José)

Pour cette reprise, c’est l’actuel directeur musical de l’Orchestre symphonique de Québec, Fabien Gabel, qui fait ses débuts dans la fosse comme chef d’orchestre. Il ne vient pas en terrain inconnu, puisqu’il y a joué à de nombreuses reprises en tant que musicien surnuméraire depuis l’âge de 16 ans, dans les pas de son père et de son grand-père qui y furent respectivement trompettiste et violoniste. Et il connaît la production, puisqu’il l’a déjà dirigé en mars 2015 à l’Opéra d’Oslo

Chœur d'enfants

Chœur d'enfants

Totalement engagée dans l'action dramatique, sa direction très inspirée et très bien rythmée exhale nombre de détails instrumentaux, fait briller les ensembles de cordes d’un splendide effet iridescent qui ajoute un supplément d’âme aux airs, duos et ensembles. Les noirceurs de la musique se gorgent aussi de vibrations profondes qui donnent de l’envergure aux passions humaines qu’elles soulignent.

Ce jeux d’équilibre entre ampleur orchestrale, maîtrise des nuances, soutien des solistes et coordination des jeunes choristes semble parfois proche du débordement, mais cela participe à la sensation d’extrême vitalité qui règne sur le plateau pour le plaisir de tous.

Gaëlle Arquez (Carmen)

Gaëlle Arquez (Carmen)

Avec une telle trame musicale que l’on n’entend pas toujours avec un tel lustre, les chanteurs sont portés au meilleur d’eux-mêmes, à commencer par Gaëlle Arquez. Sa Carmen est idéale de féminité indomptable, avec ce timbre chaud et brun sombre ennobli par la brillance des aigus, et elle développe une qualité de jeu très crédible qui montre l’essence dangereuse de la cigarière. 

C’est tout un art de la précision de diction, de subtiles nuances et de changements de coloration de voix qui est ainsi offert, ce qui permet d’entendre un portrait pénétrant qui s’épanouit avec un équilibre parfait sur cette grande scène Bastille.

Gaëlle Arquez (Carmen) et Michael Spyres (Don José)

Gaëlle Arquez (Carmen) et Michael Spyres (Don José)

Michael Spyres surprend par son approche qui ne place jamais Don José en situation d’homme sûr de lui, mais d’emblée en homme sensible et poétique qui va se trouver entraîné dans une passion qui finit par le disloquer. Il met en valeur la nature ouatée de sa voix pour faire ressentir la douceur d’âme initiale de son personnage, et il conduit cet anti-héros progressivement vers un état dépressif d’un pathétisme profondément poignant à la scène finale. A ce moment-là, il décrit un homme plus bas que terre.

Michael Spyres (Don José) et Adriana Gonzalez (Micaela)

Michael Spyres (Don José) et Adriana Gonzalez (Micaela)

C’est d’ailleurs dans les bras de Micaela que cette poésie atteint son paroxysme car il forme un duo magnifiquement allié avec Adriana Gonzalez, artiste lyrique qui est passée par l’Académie de l’Opéra national de Paris de 2014 à 2017. Dans la scène de la lettre, au premier acte, ils atteignent ensemble une niveau d’élégie sublime lorsqu’ils se souviennent de leur enfance, et lorsque la jeune navarraise intervient au camp des contrebandiers, la richesse et la vibrance du timbre de la mezzo-soprano sont totalement vouées à fortement romantiser le sentiment de désespérance avec un élan exalté saisissant.

L’effet est tel que le public lui en témoigne chaleureusement son émotion, car il y a aussi une expression de la foi très forte dans l’air ‘Je dis que rien ne m’épouvante’.

Lucas Meachem (Escamillo)

Lucas Meachem (Escamillo)

On se souvient de Lucas Meachem pour sa grande incarnation de ‘Billy Budd’ sur cette même scène au printemps 2010. Plus de 12 ans après, il y avait donc une certaine attente à le découvrir dans un rôle qui en est le parfait contraire. L’entrée de son Escamillo se révèle ainsi flamboyante, avec une belle prestance dans les aigus et une sensualité de timbre virile, même si parfois les intonations plus basses se discernent avec moins de netteté. Il donne une carrure, mais aussi une belle allure, à ce toréador très sûr de lui et sans muflerie.

Andrea Cueva Molnar (Frasquita)

Andrea Cueva Molnar (Frasquita)

Et tous les rôles secondaires ont quelque chose à dire et une personnalité à faire valoir. Les bohémiennes Mercedes et Frasquita sont très bien incarnées par Adèle Charvet et Andrea Cueva Molnar, et cette dernière, qui sort de l’Académie, ne manque pas de déployer toute l’intensité de sa voix de manière très démonstrative.

Et c’est encore un autre artiste en résidence à l’Académie, Alejandro Baliñas Vieites, qui se distingue dans le rôle de Zuniga par la qualité du timbre et son éloquence d’une très grande présence. Marc Labonnette (Le Dancaire) , Loïc Félix (Le Remendado) et Tomasz Kumiega (Morales) complètent heureusement la distribution, toujours dans un esprit de complicité exigeante avec leurs partenaires.

Les amateurs habitués des scènes lyriques pouvaient être tentés de penser qu’une reprise de ‘Carmen’ dévoilerait peu de surprises, l’excellent niveau interprétatif de ce spectacle démontre le contraire et il faut s’en réjouir.

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Publié le 14 Août 2021

Carmen (Georges Bizet - 1875)
Représentation du 12 août 2021
Soirées Lyriques de Sanxay

Carmen Ketevan Kemoklidze
Micaëla Adriana Gonzalez
Don José Azer Zada
Escamillo Florian Sempey
Frasquita Charlotte Bonnet
Mercédès Ahlima Mhamdi
Zuniga Nika Guliashvili
Moralès Yoann Dubruque
Le Dancaïre Olivier Grand
Le Remendado Alfred Bironien

Direction Musicale Roberto Rizzi-Brignoli
Mise en scène Jean-Christophe Mast
Chorégraphie Carlos Ruiz                                           
Ketevan Kemoklidze (Carmen)

La 3eme production de Carmen aux Soirées Lyriques de Sanxay, après celles de 2001 et 2011, est probablement la plus aboutie, et confirme que le Festival a dorénavant atteint un seuil de maturité que la crise pandémique de 2020 n'a aucunement ébranlé, bien au contraire.

Ketevan Kemoklidze (Carmen)

Ketevan Kemoklidze (Carmen)

Au creux du sanctuaire gallo-romain découvert en 1881, abrité dans un méandre de la Vonne au milieu d'une nature bucolique, 2000 spectateurs ont le plaisir d'assister chaque soir, et pour 3 représentations, les 10, 12 et 14 août 2021, à un spectacle d'une indéniable cohérence musicale jusque dans la réalisation de sa mise en scène.

En effet, pour sa seconde apparition à Sanxay après Aida en 2019, Jean-Christophe Mast a conçu un décor unique centré, en arrière plan, sur une arche de style hispano-mauresque qui surplombe une estrade dotée d'un double escalier latéral.

A l'avant scène, un large cylindre tronqué est incrusté sur les planches afin de diriger par un mouvement pivotant sa surface vers le public, ou de créer un point de vue surélevé, ce qui permet de réaliser des changements de configurations scéniques fluides.

Vue panoramique du sanctuaire gallo-romain de Sanxay

Vue panoramique du sanctuaire gallo-romain de Sanxay

Cette recherche de fluidité se retrouve également à travers les entrées et sorties des nombreux figurants (13), choristes (65) et chœur d'enfants (20) pour lesquels un soin est accordé à leur disposition très picturale sur le plateau afin de créer une composition d'un bel équilibre visuel à chacune de leurs interventions. Et leurs costumes sont tous conçus dans une tonalité claire, longs drapés fins, colorés et légers pour les femmes, costumes militaires ou de ville aux teintes blanches et jaunes pour les hommes, hormis Escamillo qui apparaitra dans son riche ensemble rouge et noir de toréador au dernier acte.

Le jeu de scène de l'ensemble des artistes reste classique mais vivant, et on remarque qu'il est cadré de manière à ne pas rendre vulgaire les attitudes des cigarières, y compris Carmen, ni outrer la montée de la violence en Don José.

Bien qu'il s'agisse d'une histoire qui vire au drame, ce qui, de façon prémonitoire, est annoncé à travers les thèmes de l'ouverture et retranscrit sur scène par une danse fatale entre un danseur et une danseuse vêtus de noir, le spectacle préserve un caractère enjoué et bon enfant, sauf pour Don José et Micaela qui sont les deux seuls personnages qui souffrent de ne pas trouver leur place dans ce jeu social.

Ketevan Kemoklidze (Carmen) et les danseuses de Flamenco

Ketevan Kemoklidze (Carmen) et les danseuses de Flamenco

Et invité une première fois en 2011, le chorégraphe Carlos Ruiz est de retour pour insérer des pas de Baile Flamenco avec 6 de ses danseurs, 3 femmes et 3 hommes, sur "Les tringles des sistres tintaient" et l'ouverture du quatrième acte. Les jeux sonores des pieds sont très bien réglés sur le rythme de la musique, et les formes des arabesques sont fidèles à l'imaginaire oriental que l'on peut avoir de l'Espagne passée.

Florian Sempey (Escamillo)

Florian Sempey (Escamillo)

La distribution réunie ce soir ne comprend pas moins de trois chanteurs originaires du Caucase méridional. 
Ketevan Kemoklidze, qui reprendra le rôle à Palerme à la rentrée dans la mise en scène de Calixto Bieito, interprète Carmen avec une excellente attention au texte, précise dans les inflexions, et avec une grande variété de couleurs, que ce soit dans les accents haut-parlés, sagaces et très clairs, que dans les intonations sombres, avec des transitions qui préservent l'unité de la texture vocale.  

Elle adore jouer ce personnage, cela se voit, et créer ainsi une proximité immédiate avec l'auditeur. Et elle est aussi en relation très étroite avec l'ensemble des artistes, comme si elle se nourrissait surtout des échanges avec tout le monde plutôt que d'une mise en avant très détachée. 

Azer Zada (Don José) et Yoann Dubruque (Moralès)

Azer Zada (Don José) et Yoann Dubruque (Moralès)

Azer Zada, qui chantait dans Tosca ici même en 2018, incarne un Don José d'une sensible homogénéité de timbre et d'une très grande tendresse. Son personnage est poétique et introverti, ce qui insuffle une fine délicatesse à son air central "La Fleur que tu m'avais jetée", et reste intègre jusqu'à la scène finale, sans dislocation noire et vériste, au moment où le sang le mène à tuer Carmen.

Et sous les traits du lieutenant Zuniga, Nika Guliashvili fait inévitablement penser, avec sa noirceur brillante et chantante, à un Méphisto qui pourrait mal inspirer un Don José trop rêveur. Il est d'ailleurs bien mis en avant par sa présence naturelle.

Florian Sempey, à gauche en Moralès (2011), et à droite en Escamillo (2021)

Florian Sempey, à gauche en Moralès (2011), et à droite en Escamillo (2021)

Auprès d'eux, Florian Sempey, dès qu'il apparait sur scène, est comme l'enfant prodige de la région qui vient retrouver son public - il a débuté sa formation de chant à Libourne, puis intégré le Conservatoire national de Bordeaux en 2007 -.

Il incarnait Moralès ici même en 2011 - rôle qui est repris cette année avec belle tenue par Yoann Dubruque - au moment où il faisait partie de l'Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris, et se glisse dorénavant avec facilité dans la peau d'Escamillo, auquel il apporte une fougue et une jeunesse qui rendent le Toréador attachant. Souffle généreux, grain vocal chaleureux, il représente la vie au bonheur accompli à laquelle rien ne résiste. 

Adriana Gonzalez (Micaela)

Adriana Gonzalez (Micaela)

Adriana Gonzalez est aussi une artiste qui est passée par l'Atelier Lyrique, un peu plus récemment que Florian Sempey, entre 2014 et 2017. Elle succède à Asmik Grigorian, qui avait fait ses débuts en France en 2011 à cette occasion, pour interpréter une Micaela d'une musicalité naturelle qui exprime de vrais sentiments intimes.

Les subtiles vibrations lui donnent une touche mélancolique, ce qui ne manque pas de déclencher une intense ovation à la fin de "Je dis que rien ne m'épouvante".

Ahlima Mhamdi (Mercédès) et Charlotte Bonnet (Frasquita)

Ahlima Mhamdi (Mercédès) et Charlotte Bonnet (Frasquita)

Et les autres rôles s'insèrent avec la même fraicheur dans la scénographie, à l'image du duo entre Mercédès et Frasquita qui précède "Carreau, pique ... la mort!" où s'allient de manière complice la pétillance d'Ahlima Mhamdi et la spontanéité irrésistiblement démonstrative de Charlotte Bonnet. Et quelle intrépidité de la part de celle-ci!

Autour des solistes, les différents ensembles de chœurs hommes, femmes et enfants sont source d'harmonie et de grande clarté, et Roberto Rizzi-Brignoli, qui fait ses débuts à Sanxay, obtient une épatante limpidité de l'orchestre composé de plus de 60 musiciens. Il fait ressortir avec beaucoup de netteté les ornements des instruments, basson, cuivres, harpe, les fait chanter avec les solistes, donne de la brillances aux cordes, et entretien un influx musical souple auquel il ne déroge pas, même dans les attaques les plus théâtrales.

Ketevan Kemoklidze,  Roberto Rizzi-Brignoli et Adriana Gonzalez

Ketevan Kemoklidze, Roberto Rizzi-Brignoli et Adriana Gonzalez

Et en témoignage de la rencontre de la Terre qui croise au même moment le nuage de poussière laissé dans l'espace par la comète Swift-Tuttle en 1992, une magnifique perséide s'embrase dans le ciel, à droite de la scène, à l'instant où Don José et Carmen se retrouvent seuls après le grand défilé de la place de Séville.

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