Articles avec #bonnet tag

Publié le 13 Août 2023

Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart – 29 octobre 1787, Prague)
Représentation du 10 août 2023
Soirées lyriques de Sanxay

Don Giovanni Florian Sempey
Leporello Adrian Sampetrean
Donna Elvira Andreea Soare
Donna Anna Klara Kolonits
Don Ottavio Granit Musliu
Zerlina Charlotte Bonnet
Masetto et Le Commandeur Adrien Mathonat

Direction musicale Marc Leroy-Calatayud
Mise en scène Jean-Christophe Mast (2023)

                            Granit Musliu (Don Ottavio)

 

Après ‘La Flûte enchantée’ qui fut monté pour la première fois sur la scène du théâtre antique de Sanxay en août 2017, un second opéra de Mozart fait son entrée au répertoire des Soirées Lyriques de Sanxay, festival dominé jusqu’à présent par Verdi et Puccini qui ont occupé les 2/3 des représentations depuis l’an 2000.

‘Don Giovanni’ devient ainsi le 14e ouvrage lyrique à être proposé au public de la région Aquitaine, et le défi est grand ce soir à représenter en plein air cet ouvrage qui fut créé à Prague dans une salle d’un millier de places seulement, le Théâtre des États, et que les Chorégies d’Orange n’ont abordé pour la première fois qu’en 1996.

Florian Sempey (Don Giovanni) et Adrien Mathonat (Le Commandeur)

Florian Sempey (Don Giovanni) et Adrien Mathonat (Le Commandeur)

Pourtant, au déroulé de cette première représentation rien n’y paraît, bien au contraire, l’absorption des spectateurs par l’action scénique étant fortement palpable.

L’ouverture instrumentale permet de saisir d’emblée comment la musique de Mozart va sonner, et Marc Leroy-Calatayud induit un intimisme crépusculaire dont la fluidité du discours sera une constante tout au long du spectacle.
Des mouvements soyeux viennent alors charmer l’oreille.

Dans cette optique, la théâtralité est portée par la mise en scène et les artistes, et l’orchestre vient assouplir ce geste théâtral et lui donner une poétique qui bénéficie au magnétisme des chanteurs.
L’emploi d’un piano à la place du clavecin ajoute par ailleurs une rondeur cristalline et chaleureuse aux récitatifs.

Klara Kolonits (Donna Anna) et Florian Sempey (Don Giovanni)

Klara Kolonits (Donna Anna) et Florian Sempey (Don Giovanni)

Le dispositif scénique évoque entièrement les ténèbres, flanqué de deux pylônes noirs et d’un autel central qui servira de chambre ou d’alcôve mortuaire lors de la scène du cimetière.

Deux portes simples, surmontées toutes deux d’une ornementation en forme de cornes, permettent les entrées des protagonistes côté cour et côté jardin, et les éclairages allègent la noirceur des décors en leur donnant une teinte gris anthracite.

Jean-Christophe Mast habille de rouge le héros principal qui évoque ainsi le désir, le sang et donc la violence et la vie, ce qui le démarque de tous ses opposants, y compris son valet, habillés de noir pour les plus nobles jusqu’au gris clair pour le peuple paysan, tous les costumes étant somptueusement dessinés.

Florian Sempey (Don Giovanni)

Florian Sempey (Don Giovanni)

Un jeu d’acteur vif, dynamique et très sensible avec les personnages féminins donne beaucoup d’entrain aux situations sans verser dans la farce excessive, le spectateur ayant bien conscience d’assister à un drame que l’humour vient seulement alléger sans prendre le dessus pour autant. Une petite touche de fantaisie viendra même illuminer la scène champêtre au cours de laquelle des ballons de fête selon lâchés dans le ciel nocturne.

Et par bonheur, l’ensemble de la distribution sert excellemment l’ouvrage en offrant au public une musicalité très homogène et un chant affiné et coloré.

Adrian Sampetrean (Leporello)

Adrian Sampetrean (Leporello)

Après avoir assuré à Sanxay plusieurs rôles secondaires il y a une dizaine d’années, Florian Sempey se voit confier pour la troisième année consécutive un rôle de premier plan.

Il y eut Escamillo dans ‘Carmen’ en 2021, Figaro dans ‘Le Barbier de Séville’ en 2022, dorénavant c’est à une nouvelle prise de rôle qu’il se confronte, et son Don Giovanni lui va comme un gant. 

Vivacité vocale, noirceur de timbre naturellement fumé qu’il manie avec un impact d’une grande justesse, aucun effet trop appuyé, toutes ces qualités servent une aisance dont il imprègne ce personnage insaisissable, mais pourtant familier. Dans une mise en scène qui vise à faire circuler des flux d’acteurs/chanteurs dans un empressement vivifiant, sa prestance est maîtresse des lieux.

La scène et les gradins du Théâtre antique de Sanxay (10 août 2023)

La scène et les gradins du Théâtre antique de Sanxay (10 août 2023)

A ses côtés, Adrian Sampetrean fait montre de la même ardeur et dépeint un portrait élégant et très expressif, toujours un peu imprévisible, de Leporello. Son air du catalogue chanté devant un immense drapé représentant les différents pays européens brille par son agilité et son assurance.

Et les trois dames se distinguent par des profils vocaux et psychologiques bien distincts. 
La Donna Anna de Klara Kolonits a le timbre qui exprime le plus la maturité, voir un certain maternalisme, avec des effets corsés alliés à un filage des aigus très aisé.

Andreea Soare (Donna Elvira)

Andreea Soare (Donna Elvira)

Arrivant dans une charmante chaise à porteur, moyen de déplacement couramment utilisé par l’aristocratie en Espagne et même dans toute l’Europe au XVIIe siècle, Andreea Soare donne beaucoup de pénétrance à Donna Elvira, une subtilité que l’on retrouve autant dans la finesse des lignes vocales que les coloris des graves. 

Par ailleurs, son riche costume et son chapeau décoré d’une plume lui donnent une allure qui la place au même niveau que son séducteur de mari, ce qui traduit également une grande bienveillance générale de la part du metteur en scène vis-à-vis de tous les personnages du drame.

Andreea Soare (Donna Elvira)

Andreea Soare (Donna Elvira)

Et Charlotte Bonnet, qui fit ses débuts très appréciés à Sanxay en Frasquita (Carmen) en 2021, puis à l’opéra Bastille en Noémie (Cendrillon) en 2022, apporte une vitalité très naturelle à Zerlina avec une harmonieuse unité de la voix et aussi une plénitude de rayonnement fort enjôleuse. 

Elle semble dans un réel rapport de séduction avec le public, et son léger empressement dans la reprise de ‘Batti, Batti, o bel Masetto’ permettra d’apprécier la dextérité de Marc Leroy-Calatayud à réaligner l’orchestre tout en assurant la continuité musicale.

Charlotte Bonnet (Zerlina) et Adrien Mathonat (Masetto)

Charlotte Bonnet (Zerlina) et Adrien Mathonat (Masetto)

Elle est de plus associée au Masetto d’Adrien Mathonat, nouvel entrant à l’Académie de l’Opéra de Paris en septembre dernier qui fera fort impression deux mois plus tard lors du spectacle ‘Nocturne vidéo-en-chantée’ de Denis Guéguin (le vidéaste de Krzysztof Warlikowski) donné à l’amphithéâtre Bastille, doué d’une magnifique souplesse de timbre mais aussi d’une profonde noirceur qui le rapproche beaucoup plus de la stature du commandeur qu’il incarne également ce soir. 
Ce chanteur est à suivre absolument dans les années à venir.

Enfin, Granit Musliu donne du style et suffisamment d’épaisseur à Don Ottavio pour lui éviter l’effacement qui lui est souvent attribué.

Florian Sempey (Don Giovanni)

Florian Sempey (Don Giovanni)

Et rappelons le, tous ces artistes sont liés par une cohésion musicale et de manière d’être qui fait la valeur de cette représentation qui s’achève sur une impressionnante image d’une statue de commandeur évoquant la mort, suivie par la morale finale qui permet à chaque artiste de saluer le public alors que Don Giovanni réapparaît fugacement pour ordonner à Leporello de le suivre, signe que son emprise reste intacte.

Pari hautement remporté pour les Soirées Lyriques de Sanxay, auxquelles l’on souhaite que les représentants politiques qui financent ce festival absolument unique de par le lieu champêtre où il se déroule mesurent bien sa portée artistique et sociale.

Florian Sempey et Marc Leroy-Calatayud

Florian Sempey et Marc Leroy-Calatayud

Voir les commentaires

Publié le 27 Mars 2022

Cendrillon (Jules Massenet – 1899)
Représentations du 26 mars et 28 avril 2022
Opéra Bastille

Cendrillon Tara Erraught
Madame de la Haltière Daniela Barcellona
Le prince charmant Anna Stephany / Antoinette Dennefeld
La fée Kathleen Kim
Noémie Charlotte Bonnet
Dorothée Marion Lebègue
Pandolfe Lionel Lhote
Le roi Philippe Rouillon
Le Doyen de la faculté Cyrille Lovighi
Le Surintendant des plaisirs Olivier Ayault
Le Premier Ministre Vadim Artamonov
Six Esprits Corinne Talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne-Sophie Ducret, Sophie Van de Woestyne, Blandine Folio Peres

Mise en scène Mariame Clément (2022)
Direction musicale Carlo Rizzi                                     
Carlo Rizzi
Nouvelle production et entrée au répertoire
Diffusion sur France Musique le 07 mai 2022 à 20h

Le 25 mai 1887, un incendie détruisit pour la seconde fois la salle Favart de l’Opéra Comique au cours d’une représentation de ‘Mignon’ d’Ambroise Thomas

10 ans plus tard, le 07 décembre 1897, la nouvelle salle Favart, celle que nous connaissons aujourd’hui place Boieldieu, fut inaugurée et devint la résidence définitive de l’Opéra Comique où Albert Carré présentera de nombreuses créations majeures telles ‘Louise’ de Gustave Charpentier (1900), ‘Pelléas et Mélisande’ de Claude Debussy (1902), ‘Ariane et Barbe-Bleue’ de Paul Dukas (1907), ‘Macbeth’ d’Ernest Bloch (1910) ou bien ‘L’heure espagnole’ de Maurice Ravel (1911).

Tara Erraught (Cendrillon)

Tara Erraught (Cendrillon)

La toute première création à succès sur cette scène aura cependant lieu le 24 mai 1899 avec la version de ‘Cendrillon’ composée par Jules Massenet entre 1894 et 1896 d’après le conte de Charles Perrault, dans une mise en scène réalisée par le directeur lui-même, et qui atteindra sa cinquantième représentation sept mois plus tard.

Cendrillon - Massenet (Erraught - Stephany - Kim - Rizzi - Clément) Opéra de Paris

Moins connue que les autres chefs-d’œuvre de Massenet, ‘Werther’, ‘Manon’, ‘Thais’ ou ‘Don Quichotte’, cette œuvre lyrique est pourtant un ravissement pour les amoureux de finesse orchestrale et de poésie ornementale, tant sa composition recèle une inventivité d’entrelacs de thèmes qui évoqueront pour certains l’enjouement des ‘Maîtres chanteurs’ de Richard Wagner, puis, plus loin, une réminiscence romantique de ‘La Walkyrie’, ou bien une composition pastorale comme dans ‘Mireille’ de Charles Gounod, et même quelqu’un qui n’a pas un tel vécu lyrique sera continument charmé par le renouvellement incessant des mouvements de la musique.

Il n’y a nulle passion torride à aucun endroit dans cet ouvrage, mais plutôt des atmosphères charmeuses et rêveuses, ou bien de grands emportements volubiles, qui font de la scène Bastille un lieu magnifique pour mettre en valeur l’ampleur grandiose de cet opéra qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris.

Tara Erraught (Cendrillon), Charlotte Bonnet (Noémie), Marion Lebègue (Dorothée) et Daniela Barcellona (Madame de la Haltière)

Tara Erraught (Cendrillon), Charlotte Bonnet (Noémie), Marion Lebègue (Dorothée) et Daniela Barcellona (Madame de la Haltière)

A la direction musicale, Carlo Rizzi anime cette histoire avec un sens du relief généreusement coloré et un souffle narratif enthousiasmant comme s’il s’agissait d’une rencontre impétueuse entre une écriture orchestrale et le tempérament du chef. Les atmosphères diaphanes s’épanouissent merveilleusement, de fins liserés dansent littéralement le long du flot des cordes, et le geste sensuel du peintre se veut également passionné quitte à parfois rechercher une massivité explosive qui peut surprendre par moment. C’est une interprétation véritablement somptueuse qui est ainsi offerte aux auditeurs, infiniment supérieure au simple contenu du texte.

Tara Erraught (Cendrillon)

Tara Erraught (Cendrillon)

La mise en scène de Mariame Clément comporte des éléments qui rappellent l’époque parisienne de la création de ‘Cendrillon’, notamment de par la ressemblance entre le palais du Prince et la verrière du Grand Palais qui fut inauguré en 1900. Dans le premier acte, la cheminée originelle devient une complexe machinerie d’usine triste dont certains containers s’ouvrent astucieusement par effet de surprise à l’arrivée de la fée sous des lumières bleutées plus sensibles. 

Anna Stephany (Le Prince charmant)

Anna Stephany (Le Prince charmant)

Et les différentes scènes sont interconnectées par un petit cadre de théâtre d’ombres animées qui rappelle qu’il s’agit bien d’un conte raconté dans un cadre réaliste.
Mariame Clément arrive par ailleurs à se détacher avec beaucoup d’habileté de la naïveté fantaisiste du livret par sa mise en valeur des rapports sincères entre Le Prince et Cendrillon, d’une part, et Cendrillon et son père, d’autre part.

Anna Stephany (Le Prince charmant) et Tara Erraught (Cendrillon)

Anna Stephany (Le Prince charmant) et Tara Erraught (Cendrillon)

La scène du bal est effectivement une débauche de plantureuses robes roses, mais, en même temps qu’elle fait vivre avec beaucoup d’entrain le monde superficiel de cette cour, Mariame Clément réserve un modeste écrin à la découverte du jeune homme et de la jeune femme qui est traité ici comme une rencontre entre deux adolescents d’aujourd’hui avec le plus de naturel possible. 

Kathleen Kim (La fée)

Kathleen Kim (La fée)

Jouée sous forme de pantonyme, cette rencontre est d’un charme fou car on voit Cendrillon troquer ses pantoufles de vair pour des baskets, libérer sa chevelure pour partager une bonne bouteille de vin en toute convivialité, la plus belle image du bonheur, si bien que l’on peut s’imprégner de cette scène intime en faisant abstraction de toute l’agitation autour.

Et, plus loin, les sentiments d’amour lors des retrouvailles au troisième acte s’expriment dans les sous-sols monumentaux et défraîchis du palais – la machinerie hydraulique de la scène Bastille est utilisée au maximum de ses capacités -, et un cœur réaliste vient rappeler crûment la fragilité de la vie.

Tara Erraught (Cendrillon) et Anna Stephany (Le Prince charmant)

Tara Erraught (Cendrillon) et Anna Stephany (Le Prince charmant)

La distribution réunie, bien que majoritairement non francophone, fait honneur au lyrisme romantique et exalté de l’œuvre et donne une très forte présence humaine à tous les personnages.

Tara Erraught, timbre ample et souffle vigoureux, incarne une Cendrillon avec beaucoup de mélancolie tout en lui attachant une dignité bien affirmée de par le velouté d’un chant qui préserve un brillant homogène et rayonnant dans les aigus. Anna Stephany, le Prince, fait énormément penser à la vaillance ombrée de Sophie Koch dans sa jeunesse, avec des couleurs de voix nocturnes, une belle souplesse de ligne et un volontarisme tout aussi triomphant, malgré les états d’âme de son personnage. Les duos de ces deux magnifiques interprètes invitent ainsi constamment à la rêverie avec une sensibilité féminine irrésistible.

Lionel Lhote (Pandolfe) et Tara Erraught (Cendrillon)

Lionel Lhote (Pandolfe) et Tara Erraught (Cendrillon)

Et Lionel Lhote, très agréable et naturel en Pandolfe, révèle un caractère en flamme quand il congédie Madame de la Haltière et ses deux filles en ayant recourt à une tonitruance dans les aigus inattendue et très spectaculaire. Ce rendu du basculement psychologique du père de Cendrillon est d’une fulgurance absolument saisissante.

Daniela Barcellona est évidemment impayable en Madame de la Haltière, et Charlotte Bonnet et Marion Lebègue forment un duo de sœurs vif aux coloris bien assortis. Quant à la fée de Kathleen Kim, parfaitement à l’aise dans les aigus sidérants, elle renvoie plutôt l’image d’un être surnaturel et magique, mais pas forcément celui d’une femme complexe.

Mariame Clément

Mariame Clément

Tous les autres rôles plus courts s’insèrent dans cet ensemble avec le même dynamisme et les teintes vocales qui leurs sont propres, et le chœur de l’Opéra de Paris se révèle à nouveau impactant et à l’unisson pour défendre une des grandes réalisations musicales de la saison. 

Tara Erraught (Cendrillon) et Antoinette Dennefeld (Le Prince charmant)

Tara Erraught (Cendrillon) et Antoinette Dennefeld (Le Prince charmant)

Et pour la dernière représentation du 28 avril, Antoinette Dennefeld remplace Anna Stephany souffrante, et c'est une heureuse surprise, car la mezzo-soprano n'avait jusqu'à présent connu que des petits rôles sur la scène Bastille depuis 2016. Douée d'une coloration vocale au brillant net et projeté avec vigueur, son approche se révèle moins baudelairienne qu'Anna Stephany, mais il y a dans son rayonnement un éclat qui exhale la fureur de vivre, et qui fait penser un peu à la manière dont Karine Deshayes avait été découverte dans 'Rusalka' ou 'L'Affaire Makropoulos', il y a quinze à vingt ans de cela.

Antoinette Dennefeld

Antoinette Dennefeld

La fraicheur et la juvénilité d'Antoinette Dennefeld ne font que donner envie de la retrouver dans des interprétations de premier plan sur la scène nationale.

Voir les commentaires

Publié le 14 Août 2021

Carmen (Georges Bizet - 1875)
Représentation du 12 août 2021
Soirées Lyriques de Sanxay

Carmen Ketevan Kemoklidze
Micaëla Adriana Gonzalez
Don José Azer Zada
Escamillo Florian Sempey
Frasquita Charlotte Bonnet
Mercédès Ahlima Mhamdi
Zuniga Nika Guliashvili
Moralès Yoann Dubruque
Le Dancaïre Olivier Grand
Le Remendado Alfred Bironien

Direction Musicale Roberto Rizzi-Brignoli
Mise en scène Jean-Christophe Mast
Chorégraphie Carlos Ruiz                                           
Ketevan Kemoklidze (Carmen)

La 3eme production de Carmen aux Soirées Lyriques de Sanxay, après celles de 2001 et 2011, est probablement la plus aboutie, et confirme que le Festival a dorénavant atteint un seuil de maturité que la crise pandémique de 2020 n'a aucunement ébranlé, bien au contraire.

Ketevan Kemoklidze (Carmen)

Ketevan Kemoklidze (Carmen)

Au creux du sanctuaire gallo-romain découvert en 1881, abrité dans un méandre de la Vonne au milieu d'une nature bucolique, 2000 spectateurs ont le plaisir d'assister chaque soir, et pour 3 représentations, les 10, 12 et 14 août 2021, à un spectacle d'une indéniable cohérence musicale jusque dans la réalisation de sa mise en scène.

En effet, pour sa seconde apparition à Sanxay après Aida en 2019, Jean-Christophe Mast a conçu un décor unique centré, en arrière plan, sur une arche de style hispano-mauresque qui surplombe une estrade dotée d'un double escalier latéral.

A l'avant scène, un large cylindre tronqué est incrusté sur les planches afin de diriger par un mouvement pivotant sa surface vers le public, ou de créer un point de vue surélevé, ce qui permet de réaliser des changements de configurations scéniques fluides.

Vue panoramique du sanctuaire gallo-romain de Sanxay

Vue panoramique du sanctuaire gallo-romain de Sanxay

Cette recherche de fluidité se retrouve également à travers les entrées et sorties des nombreux figurants (13), choristes (65) et chœur d'enfants (20) pour lesquels un soin est accordé à leur disposition très picturale sur le plateau afin de créer une composition d'un bel équilibre visuel à chacune de leurs interventions. Et leurs costumes sont tous conçus dans une tonalité claire, longs drapés fins, colorés et légers pour les femmes, costumes militaires ou de ville aux teintes blanches et jaunes pour les hommes, hormis Escamillo qui apparaitra dans son riche ensemble rouge et noir de toréador au dernier acte.

Le jeu de scène de l'ensemble des artistes reste classique mais vivant, et on remarque qu'il est cadré de manière à ne pas rendre vulgaire les attitudes des cigarières, y compris Carmen, ni outrer la montée de la violence en Don José.

Bien qu'il s'agisse d'une histoire qui vire au drame, ce qui, de façon prémonitoire, est annoncé à travers les thèmes de l'ouverture et retranscrit sur scène par une danse fatale entre un danseur et une danseuse vêtus de noir, le spectacle préserve un caractère enjoué et bon enfant, sauf pour Don José et Micaela qui sont les deux seuls personnages qui souffrent de ne pas trouver leur place dans ce jeu social.

Ketevan Kemoklidze (Carmen) et les danseuses de Flamenco

Ketevan Kemoklidze (Carmen) et les danseuses de Flamenco

Et invité une première fois en 2011, le chorégraphe Carlos Ruiz est de retour pour insérer des pas de Baile Flamenco avec 6 de ses danseurs, 3 femmes et 3 hommes, sur "Les tringles des sistres tintaient" et l'ouverture du quatrième acte. Les jeux sonores des pieds sont très bien réglés sur le rythme de la musique, et les formes des arabesques sont fidèles à l'imaginaire oriental que l'on peut avoir de l'Espagne passée.

Florian Sempey (Escamillo)

Florian Sempey (Escamillo)

La distribution réunie ce soir ne comprend pas moins de trois chanteurs originaires du Caucase méridional. 
Ketevan Kemoklidze, qui reprendra le rôle à Palerme à la rentrée dans la mise en scène de Calixto Bieito, interprète Carmen avec une excellente attention au texte, précise dans les inflexions, et avec une grande variété de couleurs, que ce soit dans les accents haut-parlés, sagaces et très clairs, que dans les intonations sombres, avec des transitions qui préservent l'unité de la texture vocale.  

Elle adore jouer ce personnage, cela se voit, et créer ainsi une proximité immédiate avec l'auditeur. Et elle est aussi en relation très étroite avec l'ensemble des artistes, comme si elle se nourrissait surtout des échanges avec tout le monde plutôt que d'une mise en avant très détachée. 

Azer Zada (Don José) et Yoann Dubruque (Moralès)

Azer Zada (Don José) et Yoann Dubruque (Moralès)

Azer Zada, qui chantait dans Tosca ici même en 2018, incarne un Don José d'une sensible homogénéité de timbre et d'une très grande tendresse. Son personnage est poétique et introverti, ce qui insuffle une fine délicatesse à son air central "La Fleur que tu m'avais jetée", et reste intègre jusqu'à la scène finale, sans dislocation noire et vériste, au moment où le sang le mène à tuer Carmen.

Et sous les traits du lieutenant Zuniga, Nika Guliashvili fait inévitablement penser, avec sa noirceur brillante et chantante, à un Méphisto qui pourrait mal inspirer un Don José trop rêveur. Il est d'ailleurs bien mis en avant par sa présence naturelle.

Florian Sempey, à gauche en Moralès (2011), et à droite en Escamillo (2021)

Florian Sempey, à gauche en Moralès (2011), et à droite en Escamillo (2021)

Auprès d'eux, Florian Sempey, dès qu'il apparait sur scène, est comme l'enfant prodige de la région qui vient retrouver son public - il a débuté sa formation de chant à Libourne, puis intégré le Conservatoire national de Bordeaux en 2007 -.

Il incarnait Moralès ici même en 2011 - rôle qui est repris cette année avec belle tenue par Yoann Dubruque - au moment où il faisait partie de l'Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris, et se glisse dorénavant avec facilité dans la peau d'Escamillo, auquel il apporte une fougue et une jeunesse qui rendent le Toréador attachant. Souffle généreux, grain vocal chaleureux, il représente la vie au bonheur accompli à laquelle rien ne résiste. 

Adriana Gonzalez (Micaela)

Adriana Gonzalez (Micaela)

Adriana Gonzalez est aussi une artiste qui est passée par l'Atelier Lyrique, un peu plus récemment que Florian Sempey, entre 2014 et 2017. Elle succède à Asmik Grigorian, qui avait fait ses débuts en France en 2011 à cette occasion, pour interpréter une Micaela d'une musicalité naturelle qui exprime de vrais sentiments intimes.

Les subtiles vibrations lui donnent une touche mélancolique, ce qui ne manque pas de déclencher une intense ovation à la fin de "Je dis que rien ne m'épouvante".

Ahlima Mhamdi (Mercédès) et Charlotte Bonnet (Frasquita)

Ahlima Mhamdi (Mercédès) et Charlotte Bonnet (Frasquita)

Et les autres rôles s'insèrent avec la même fraicheur dans la scénographie, à l'image du duo entre Mercédès et Frasquita qui précède "Carreau, pique ... la mort!" où s'allient de manière complice la pétillance d'Ahlima Mhamdi et la spontanéité irrésistiblement démonstrative de Charlotte Bonnet. Et quelle intrépidité de la part de celle-ci!

Autour des solistes, les différents ensembles de chœurs hommes, femmes et enfants sont source d'harmonie et de grande clarté, et Roberto Rizzi-Brignoli, qui fait ses débuts à Sanxay, obtient une épatante limpidité de l'orchestre composé de plus de 60 musiciens. Il fait ressortir avec beaucoup de netteté les ornements des instruments, basson, cuivres, harpe, les fait chanter avec les solistes, donne de la brillances aux cordes, et entretien un influx musical souple auquel il ne déroge pas, même dans les attaques les plus théâtrales.

Ketevan Kemoklidze,  Roberto Rizzi-Brignoli et Adriana Gonzalez

Ketevan Kemoklidze, Roberto Rizzi-Brignoli et Adriana Gonzalez

Et en témoignage de la rencontre de la Terre qui croise au même moment le nuage de poussière laissé dans l'espace par la comète Swift-Tuttle en 1992, une magnifique perséide s'embrase dans le ciel, à droite de la scène, à l'instant où Don José et Carmen se retrouvent seuls après le grand défilé de la place de Séville.

Voir les commentaires