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Publié le 15 Septembre 2013

L'Affaire Makropoulos (Leos Janacek)
Répétition générale du 14 septembre 2013 et représentation du 16 septembre 2013
Opéra Bastille

Direction musicale Susanna Mälkki
Mise en scène Krzysztof Warlikowski

Emilia Marty Ricarda Merbeth
Albert Gregor Attila Kiss-B
Jaroslav Prus Vincent Le Texier
Vítek Andreas Conrad
Krista Andrea Hill
Janek Ladislav Elgr
Maître Kolenaty Jochen Schmeckenbecher
Hauk-Sendorf Ryland Davies

Production créée en avril/mai 2007 à l’Opéra Bastille
Coproduction avec le Teatro Real de Madrid           Marilyn Monroe (ouverture de Věc Makropulos)


Des quatre productions réalisées par Krzysztof Warlikowski sous la direction de Gerard Mortier, l’Affaire Makropoulos est celle qui a obtenu l’unanime reconnaissance de la part du public et de la critique.
Toute sa mise en scène joue sur l’ambivalence des désirs humains et de leurs rapports à l’instinct animal, lorsqu’ils prennent pour objet une artiste mythique. Et l’on retrouve dans tout le livret de cet opéra des allusions à ces émotions fondamentales.

Ricarda Merbeth (Emilia Marty) et Attila Kiss-B (Albert Gregor)

Ricarda Merbeth (Emilia Marty) et Attila Kiss-B (Albert Gregor)

On reconnait ainsi dans le travail de Warlikowski cette formidable capacité à construire un spectacle à partir d’une lecture extrêmement détaillée du texte, et d’une analyse profondément humaine de la nature des personnages.

Ainsi, dès l’ouverture de l’Affaire Makropoulos, la musique de Janacek s’empare d’un univers cinématographique où se mêlent des extraits de films du divorce de Marilyn Monroe avec Joe DiMaggio, de sa rencontre avec ses fans, et de King Kong, symbole animal du désir du mystère

féminin.

Par la suite, les trois actes nous font passer de la Marilyn de « The seven Year Itch » (Billy Wilder 1955) à  Rita Hayworth, quand elle jouait  dans « Gilda » (Charles Vidor 1946), pour conclure sur le dernier film inachevé de Marilyn, « Something’s got to give » (George Cukor 1962), et la scène de la piscine.

Les transitions sont assurées par des extraits de « Sunset Boulevard » (Billy Wilder 1950) qui projettent les fascinantes expressions de Gloria Swanson, dans le rôle d’une actrice résolument attachée à vivre éternellement ses heures de gloire.


                                                                                      Andrea Hill (Krista)

 

Ce contexte psychologique, fortement sensuel, est ainsi magnifiquement projeté vers le spectateur, ce qui le rend en prise avec l’oeuvre même s’il ne comprend pas tout de cette intrigue complexe.
Pour la résumer, nous sommes au XXième siècle alors qu’un procès oppose Ferdinand Mc Gregor et Jaroslav Prus, descendants de deux familles qui se disputent l’héritage du Baron Prus, homme qui vécut au début du XIXème siècle.

Vincent Le Texier (Jaroslav Prus)

Vincent Le Texier (Jaroslav Prus)

La célèbre et mystérieuse chanteuse Emilia Marty semble s’intéresser de près à cette affaire, et tout le monde, hommes et femmes, est attiré par elle, même Ferdinand et Krista.

L’histoire va révéler que si cette femme est aussi froide, et pourtant attirante, c’est parce qu’elle a bu un élixir de vie qui l’a rendu immortelle. Elle en a perdu aussi son goût de la vie.

Son intérêt pour ce procès, lui, vient de la liaison qu’elle eut dans le passé avec le baron Prus, quand elle se nommait Elina Makropoulos. Elle recherche les preuves écrites de cette relation pour réparer l‘injustice envers Mc Gregor, mais également pour retrouver le remède qui pourrait la rendre à nouveau mortelle.

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Depuis la dernière reprise, en 2009, la distribution est presque intégralement renouvelée.
Il n’est évidemment pas facile pour Ricarda Merbeth de succéder à Angela Denoke. Elle n’en a pas le glamour, et elle n’a jamais été une grande actrice.

Mais une fois passées les limites de l’incarnation de Marilyn Monroe, la soprano allemande trouve un moyen d’expression qui dessine d’une voix belle et troublante aux accents acides un portrait d’Emilia Marty hautain et un peu déjanté, ce qui souligne encore plus, par l’attraction que lui vouent les protagonistes, cette faculté que peut avoir l’être humain à s’éprendre d’un personnage qui méprise pourtant cet élan instinctif.

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Surprenante, elle l'est aussi par la formidable adaptation au rôle qu'elle a acquise depuis la dernière répétition, lapidaire dans le geste et clairement plus spontanée.

Toute la scène finale est un immense chant à la vie, et elle l'offre sans la moindre retenue. Sa voix, resplendissante, résonne toujours dans la tête plusieurs heures après la fin de la représentation.

Scène, orchestre et "Boulevard du Crépuscule" (ouverture du IIIeme acte de l'Affaire Makropoulos)

Scène, orchestre et "Boulevard du Crépuscule" (ouverture du IIIeme acte de l'Affaire Makropoulos)

Attila Kiss-B, en Ferdinand McGregor, paraît dans un premier temps assez banal. Mais, à partir du duo intime avec Emilia, le moment clé où le drame s’humanise, il gagne en force et en intensité pour devenir un personnage dont la présence puisse s’opposer à celle de Vincent Le Texier.
Car ce dernier a l’habitude de travailler avec Krzysztof Warlikowski, et cela se voit. Il joue un extraordinaire Jaroslav Prus, implacable avec ses partenaires, c’est véritablement une très grande incarnation théâtrale. Sa voix est en plus génialement expressive.

Vincent Le Texier (Jaroslav Prus) et Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Vincent Le Texier (Jaroslav Prus) et Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Tous les seconds rôles, sans exception, sont très bien tenus et, comme toujours avec Warlikowski, totalement crédibles scéniquement. Ils sont liés par la force du théâtre.

Ainsi, Andrea Hill est merveilleuse de pétillance, et d'une douceur tout charmante, en Krista. Elle est accompagnée dans son grand air d'entrée par un magnifique ensemble d'entrelacements de cordes qui vise les sentiments les plus nostalgiques du coeur.

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Car la direction musicale est une très grande interprétation de ce chef-d'oeuvre. Susanna Mälkki travaille les couleurs et l’homogénéité d’ensemble en laissant de l’épaisseur et de l’âpreté aux cordes sans négliger pour autant le lyrisme de la musique. Les flûtes jaillissent et surprennent à la manière des jets d’eau des geysers, les cuivres, d’une rondeur chaude, sont fondus dans la masse avec éclat, et, malgré la complexité orchestrale, il règne une harmonie vivante très surprenante à écouter. On dirait que l'énergie de la moindre phrase se communique aux motifs qui lui succèdent comme dans une sorte d'allant sans cesse renouvelé. Il y a de la tension, même dans les moments les plus intimes.

Vincent Le Texier, Susanna Mälkki et Ricarda Merbeth

Vincent Le Texier, Susanna Mälkki et Ricarda Merbeth

Alors, au delà du plaisir que l'on éprouve à retrouver Krzysztof Warlikowski à l'Opéra National de Paris, de nombreux signes laissent penser que cette saison débute sur une voie immuablement mêlée d'excellence, d'intelligence et de profondeur. Et il faut espérer que ce spectacle trouve un public curieux, désireux de sortir du conformisme toujours plus puissant, pour découvrir une oeuvre et une musique qui ne le laisse pas indifférent.

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