Publié le 21 Mars 2018
Benvenuto Cellini (Hector Berlioz)
Répétition générale du 14 mars et représentation du 20 mars 2018
Opéra Bastille
Benvenuto Cellini John Osborn
Giacomo Balducci Maurizio Muraro
Fieramosca Audun Iversen
Le Pape Clément VII Marco Spotti
Francesco Vincent Delhoume
Bernardino Luc Bertin-Hugault
Pompeo Rodolphe Briand
Cabaretier Se-Jin Hwang
Teresa Pretty Yende
Ascanio Michèle Losier
Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Terry Gilliam (2014) Pretty Yende (Teresa)
Production English National Opera, London, De Nationale Opera, Amsterdam, Teatro dell’opera di Roma
A l’instar de Don Carlos, Benvenuto Cellini appartient à ces œuvres créées à la salle Le Peletier de l’Opéra de Paris qui ne furent plus reprises pendant près d’un siècle une fois leurs premières années de représentation écoulées et dont il existe plusieurs versions.
La version originale dite Paris I est celle de la partition que remit Hector Berlioz à l'Opéra en février 1838 à l'entrée en répétitions. Cette partition fut cependant fortement modifiée aussi bien par la censure que par les artistes qui en redoutaient les complexités, si bien que ce fut une nouvelle version, dite Paris II, qui fut présentée à la première le 10 septembre 1838.
Un échec qui réduira le nombre de soirées à 4 au total. Benvenuto Cellini ne revint au Palais Garnier qu’en 1972, puis à l’Opéra Bastille en 1993.
Il y eut également une version remaniée par Franz Liszt avec l'assentiment de Berlioz, la version dite de Weimar, plus courte et plus sérieuse pour plaire au goût germanique, et qui, elle, connut le succès en mars, avril puis novembre 1852.
Pour bien prendre la mesure du souffle génial qui parcoure la musique du premier opéra achevé d’Hector Berlioz, il ne faut pas perdre de vue que le 10 septembre 1838, jour de création de ce chef-d’œuvre, Giuseppe Verdi n’a pas encore composé un seul opéra – Nabucco sera créé quatre ans plus tard -, Richard Wagner ne s’est fait connaître qu’avec Das Liebesverbot deux ans plus tôt, la même année que Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer, et Jacques Offenbach n’a seulement que 19 ans.
Comme on peut le comprendre aisément, Hector Berlioz est en avance d'au moins 30 ans sur son temps, musicalement parlant, et la sophistication inventive de son écriture mélodique semble se renouveler continuellement rien qu’à l’écoute de ce Benvenuto Cellini qui surprend tableau après tableau.
Philippe Jordan, s’il part de la version Paris I, insère cependant, comme à Amsterdam sous la direction de Mark Elder, la romance de Cellini et l’air d’Ascanio créés lors des répétitions qui conduisirent à la version Paris II (la censure avait substitué au Pape Clément VII un Cardinal dès cette version). L’air d’introduction de Balducci ‘Ne regardez jamais la Lune’ est conservé, mais la romance de Teresa ‘Ah ! que l’amour …’ est remplacée par l'air écrit pour la version Paris II ‘Entre l’amour et le devoir’.
Sous sa direction, la musique de Berlioz exhale l’évanescence poétique, la finesse délicate des motifs instrumentaux et le soyeux du tissu orchestral. Et c’est bien entendu autant dans l’ouverture qu’au soutien des airs chantés que cette magnificence s’illumine merveilleusement.
Et de ce talent esthétique résulte un lustre des couleurs majestueux qui, comme souvent chez Philippe Jordan, recouvre sa lecture d'une inspiration aristocratique tout en maintenant de la mesure à une rythmique frénétique jamais débridée.
De plus, tous les ensembles avec les chœurs, et celui des ciseleurs en particulier, sont d’un éclat pimpant d’autant plus que les choristes soignent nuances et vigueur dans un grand élan de vie pleinement réjouissant et rutilant.
Sur scène, Pretty Yende, artiste dorénavant attachée à chaque saison lyrique parisienne, ouvre le premier tableau sur ‘Entre l’amour et le devoir’ qu’elle chante en prenant plaisir à l’orner d’une telle guirlande de coloratures enchanteresses que l’on prendrait le personnage pour la source inspirante de l’Olympia que mettra en musique Jacques Offenbach quarante ans plus tard.
Le timbre est vibrant et plein d’accents ombrés et charmants qui rayonnent d’une joie éblouissante.
Son partenaire, John Osborn, qui comme Michèle Losier et Maurizio Muraro faisait partie de la distribution d’Amsterdam, pare Cellini d’une séduction rossinienne par sa légèreté et sa douceur qui supportent l’immensité de Bastille, portrait belcantiste que Michèle Losier complète avec une vaillance radieuse étincelante.
Et ces trois grands chanteurs préservent la bonne intelligibilité d’un texte complexe à défendre.
Quant à Maurizio Muraro, sa présence certes sonore et bonhomme ne détaille cependant pas avec la même finesse et clarté les contours d'un chant nettement plus épais.
Mais Audun Iversen insufle une verve superbe à Fieramosca sans tomber dans le surjeu, très fière incarnation pour ce baryton norvégien qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris.
Marco Spotti, lui, se régale à incarner Clément VII dans une tonalité faussement posée et pathétique pour, par la suite, en tirer des accents comiques et brosser un véritable personnage de comédie.
Et comme ce sont les Anglais qui ont toujours le mieux défendu Hector Berlioz, c’est donc la production d’un britannique, Terry Gilliam, qui fait un détour par la scène Bastille avec sa débauche de carnaval qui déborde même dans la salle au son intemporel du final de l’ouverture, moment magique inoubliable.
Les nombreuses scènes avec les artistes de cirques sont jubilatoires, triviales et parfois poétiques, l’extériorisation de la fascination homosexuelle du Pape pour le corps idéalisé de Persée est drôle et caricaturée comme dans une scène de la ‘Cage aux folles’, mais ni le metteur en scène ni Philippe Jordan n’arrivent à compenser le peu d’impact dramatique du dernier tableau, un inévitable arrêt dans le dénouement de l'action, qui poussa Liszt à totalement le réduire lors de la version allemande de 1852.
C’est en tout cas un spectacle vif et empli de surprises musicales, et une véritable ode à la jeunesse créative.