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Publié le 14 Mars 2017

Simon Boccanegra (Giuseppe Verdi)
Version de concert du 12 mars 2017
Théâtre des Champs-Elysées

Ludovic Tézier Simon Boccanegra
Amelia Grimaldi Sondra Radvanovsky
Jacopo FiescoVitalji Kowaljow
Gabriele Adorno Ramón Vargas
Paolo Albiani André Heyboer
Pietro Fabio Bonavita 

Direction musicale Pinchas Steinberg
Orchestre Philharmonique et Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo

                                   André Heyboer (Paolo Albiani)

1339, Simon Boccanegra, corsaire au service de Gênes, eut une fille illégitime avec Maria, fille de son ennemi Fiesco.
Mais l’enfant fut enlevée, et Maria retrouvée morte. Simon fut cependant élu Doge par le peuple avec le soutien du conspirateur Paolo Albiani.
Vingt-cinq ans plus tard, Simon Boccanegra se trouve pris dans une intrique complexe : Amelia Grimaldi (qui s’avèrera être la fille du Doge) et Gabriel Adorno s’aiment. Une conspiration redoutable est menée par Paolo Albiani pour pousser les Fieschi et Adorno à se révolter contre Simon, Paolo ne supportant pas que le Doge ne lui ait pas accordé la main d’Amélia.

Ludovic Tézier (Simon Boccanegra) et Vitalji Kowaljow (Jacopo Fiesco)

Ludovic Tézier (Simon Boccanegra) et Vitalji Kowaljow (Jacopo Fiesco)

En ce dimanche soir, il était possible de rester chez soi pour réécouter, par exemple, un de ces grands enregistrements historiques que chérissent les passionnés d’opéras, mais c’était sans compter le Théâtre des Champs-Elysées qui réussit à réunir une équipe artistique exceptionnelle pour interpréter l’un des opéras les plus sombres de Verdi, dans un style qui nous ramènerait presque aux temps des grands mythes de l’Art lyrique.

Sondra Radvanovsky (Amélia Grimaldi)

Sondra Radvanovsky (Amélia Grimaldi)

Pour sa première appropriation du rôle du Doge, Ludovic Tézier se révèle d’une stature inflexible, très concentré sur le dessin vocal d’une netteté qui allie maturité, ampleur et contrastes avec des accents verdiens saillants et tranchants. ‘Trop parfait’, aurait-on envie de dire, une telle tenue lui donne une allure tellement patricienne, qu’elle jure entièrement avec la nature de ce corsaire aux origines plébéiennes.

Il faudra attendre de le voir dans la version scénique prévue à l’opéra Bastille, d’ici 2 ou 3 ans, pour apprécier les dimensions théâtrales de son Simon Boccanegra.

Choeur de l'Opéra de Monte-Carlo

Choeur de l'Opéra de Monte-Carlo

A ses côtés, diva mélodramatique au grand cœur, Sondra Radvanovsky dépeint une Amélia d’une grande sensibilité mais également d’une puissance phénoménale. Elle est toujours parfaitement identifiable aux vibrations très particulières, mais régulières, de son timbre, et à cette noirceur pathétique et malheureuse qu’elle peut subitement transformer en de spectaculaires exclamations aiguës et enflammées qu’elle affine, par la suite, en splendides filets de voix ornementaux et délirants.

André Heyboer n’est pas une découverte puisqu’il a régulièrement pris des rôles secondaires à l’Opéra National de Paris depuis une dizaine d’années. Mais ce soir, la transfiguration de Paolo Albiani qu'il réalise, déterminé, le regard noir, les troubles perceptibles dans la voix, est un grand moment d’accaparation totale d’une âme en perdition.

Vitalji Kowaljow (Jacopo Fiesco)

Vitalji Kowaljow (Jacopo Fiesco)

Et la grande surprise survient sans aucun doute de l’incarnation glaçante de Jacopo Fiesco par la basse ukrainienne Vitalji Kowaljow, qui a toutes les dimensions impériales d’un Philippe II. L’urgence, le poids de la situation qui étrangle les émotions, la figure de l’autorité figée et conservatrice, tout s’entend dans une voix aux portes de l'outre-tombe qui sent la peur du pouvoir vacillant.

Quant à Ramón Vargas, toujours aussi latin d'expressions généreuses qui traduisent l’âme en peine de Gabriele Adorno, il arrive systématiquement, malgré la dissolution du spectre aigu, à faire entendre sa vibration traverser le souffle d’un chœur surpuissant.

Son rôle est moins important que ses principaux partenaires, néanmoins, Fabio Bonavita détaille les lignes apeurées qui permettent à Pietro d’exister, ce qui n’est habituellement pas flagrant.

Ramon Vargas (Gabriele Adorno)

Ramon Vargas (Gabriele Adorno)

Et ce cast formidablement investi, au point de nous interroger sur ce qui, dans notre perception, nous fait sentir, même de loin, que tous les chanteurs dépassent la simple réalisation d’un travail professionnel, est emporté par un orchestre survolté, éclatant de cuivres, énergique sans sacrifier à la rondeur du son, et Pinchas Steinberg, du haut de ses 72 ans, affiche encore et toujours la vivacité d’un adolescent éternel. 

On peut, certes, regretter la moindre étendue des langueurs évanescentes wagnériennes que recèle cette musique remaniée avant que Verdi ne reprenne l’architecture de Don Carlos, mais le punch de cette direction sort Simon Boccanegra de l’austérité qu’on lui attache traditionnellement, pour éclairer la violence des ambitions humaines.

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