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Publié le 12 Avril 2022

Anna Bolena (Gaetano Donizetti – 1830)
Version de concert du 11 avril 2022
Théâtre des Champs-Élysées

Anne Boleyn Marina Rebeka
Jane Seymour Karine Deshayes 
Henri VIII Erwin Schrott
Lord Richard Percy Enea Scala
Lord Rochefort Matthieu Lécroart
Sir Hervey Raphaël Brémard
Smeaton Héloïse Mas

Direction musicale Maurizio Benini
Orchestre de chambre de Paris
Ensemble Lyrique Champagne-Ardenne

 

Le Théâtre des Champs-Élysées est la salle parisienne où la 'Trilogie Tudor' de Gaetano Donizetti, un ensemble de trois opéras consacrés à la célèbre maison royale de la renaissance anglaise, est représentée depuis les vingt dernières années à travers des versions de concert, ‘Roberto Devereux’ en septembre 2005, ‘Anna Bolena’ en novembre 2008 et ‘Maria Stuarda’ en décembre 2018, mais aussi en version scénique avec ‘Maria Stuarda’ en juin 2015, puis ‘Roberto Devereux’ en mars 2020 qui fut malheureusement annulé pour les raisons que nous connaissons tous.

Karine Deshayes (Jane Seymour) et Marina Rebeka (Anne Boleyn)

Karine Deshayes (Jane Seymour) et Marina Rebeka (Anne Boleyn)

Le retour du premier volet de cette fresque belcantiste, qui est aussi le premier épisode dans l’ordre chronologique historique puisqu’il se déroule en 1536 sous le règne d’Henri VIII, vient donc rivaliser avec le souvenir des spectateurs les plus fidèles qui purent assister à la précédente version entendue quatorze ans plus tôt quand Ermonela Jaho interprétait le rôle titre.

Coïncidence magnifique, la soprano albanaise vient d’incarner 'Thaïs' sur la même scène il y a seulement deux jours.

Ensemble Lyrique Champagne-Ardenne et Orchestre de chambre de Paris

Ensemble Lyrique Champagne-Ardenne et Orchestre de chambre de Paris

Si c’est avec ‘Anna Bolena’ que la maturité de Gaetano Donizetti s’est épanouie, elle le doit notamment à la liberté d’écriture qu’il s’est accordée et qui peut paraître pour certains passionnés comme la quintessence de l’art vocal qui façonne les grandes divas lyriques, tout en représentant pour d’autres une tentative d’atteindre des limites humaines extrêmes qui vont au-delà de l’entendement.

Et c’est véritablement cette impression qui est rendue ce soir avec cette crainte mêlée d’abasourdissement à voir et entendre ces artistes emportés par leur ivresse pour défendre une expression de sentiments outrancière tout en s’appuyant sur une excellente rigueur stylistique.

Erwin Schrott (Henri VIII)

Erwin Schrott (Henri VIII)

Dans le rôle de Jane Seymour, celle que le Roi Henri VIII aime dorénavant, Karine Deshayes insuffle un élan vital torrentiel avec des effets d’amplification qui caractérisent le naturel de sa voix prompte à s’extérioriser de façon foudroyante. Le timbre corsé est riche en couleurs fauves et reflets métalliques portés par des fulgurances intenses, et cette densité va aussi de pair avec un traitement subtil et réussi dans les allégements du phrasé que ce soit lors des échanges intimes avec le Roi ou avec Anne Boleyn. Quand on repense à son petit rôle du garçon cuisinier très remarqué dans ‘Rusalka’ lors de sa création à l’Opéra Bastille il y a tout juste vingt ans, quel chemin n’a t’elle pas parcouru !

Marina Rebeka (Anne Boleyn)

Marina Rebeka (Anne Boleyn)

Marina Rebeka s’inscrit dans un tempérament bien différent. La gestuelle est clairement plus conventionnelle et repliée sur une intériorité d’apparence froide, les inflexions de voix expriment un dramatisme charmant et discret, et sa technique lui permet des variations ornementales palpitantes et vertigineuses avec une brillance de cristal sculpté comme pour faire d’elle même une œuvre d’art provocatrice. L’émotionnel semble ainsi totalement sublimé dans un accomplissement esthétique qui pousse très loin la projection d’aigus spectaculaires superbement dardés.

Héloïse Mas (Smeaton)

Héloïse Mas (Smeaton)

Auprès de ces deux femmes excessives et à l’égo fort, Héloïse Mas incarne un page amoureux doué d’une magnifique noirceur langoureuse, une lente respiration de sentiments qui font de toutes ses interventions un cœur palpitant généreux et mélancolique qui apporte énormément de chaleur en contrepoint de tant d’exubérance.

Enea Scala (Lord Richard Percy)

Enea Scala (Lord Richard Percy)

Et l’un des personnages manipulés pour servir les intérêts d’Henri VIII, Lord Richard Percy, trouve en Enea Scala un esprit vaillant suffisamment audacieux pour aller chercher les aigus très haut, en suivant des arabesques très bien dessinées de manière nécessairement forcée. Il en découle une caractérisation fortement héroïque et écorchée mais sans noirceur, l’exact opposé de la figure de mâle dictatorial qu’impose Erwin Schrott avec ses résonances graves bien posées qui brosse un portrait d’Henri VIII serein dans sa construction d’une manigance redoutable pour sa femme. 

Beaucoup plus de douceur et de sagesse ressort alors du très beau Lord Rochefort chanté par Matthieu Lécroart, et, dans le rôle très court de Sir Hervey, Raphaël Brémard laisse transparaître sa bonhommie alors que l’ambiance est incisive entre les principaux protagonistes.

Karine Deshayes (Jane Seymour) et Marina Rebeka (Anne Boleyn)

Karine Deshayes (Jane Seymour) et Marina Rebeka (Anne Boleyn)

Entraîné par un Maurizio Benini pulsant et très attentif aux chanteurs, l’ Orchestre de chambre de Paris fait preuve d’une belle unité dans des coloris assez sombres dominés par les alliages de bois et de cordes où les cuivres se fondent discrètement, et l’ensemble Lyrique Champagne-Ardenne crée des instants d’élégie intemporelle qui s’immiscent très finement au tissu de l’orchestre, un bien précieux travail de soierie qui s'apprécie tout au long de la soirée.

Marina Rebeka (Anne Boleyn)

Marina Rebeka (Anne Boleyn)

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