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Publié le 31 Août 2023

Les Troyens (Hector Berlioz – Théâtre Lyrique de Paris, le 04 novembre 1863)
Version de Concert du 29 août 2023
Opéra Royal de Versailles
Durée 5h20 avec deux entractes

Cassandre Alice Coote
Hécube Rebecca Evans
Ascagne Adèle Charvet
Didon Paula Murrihy
Anna Beth Taylor
Chorèbe et Sentinelle I Lionel Lhote
Narbal et Priam William Thomas
Helenus Graham Neal
Enée Michael Spyres
Panthée Ashley Riches
Ombre d’Hector et Sentinelle II Alex Rosen
Iopas et Hylas Laurence Kilsby
Un Soldat Sam Evans

Direction musicale Dinis Sousa
Mise en espace Tess Gibs                                                 
Beth Taylor (Anna)
Lumières Rick Fisher
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Monteverdi Choir

La Côte-Saint-André (22 et 23 août 2023), Festival de Salzbourg (26 août 2023), Philharmonie de Berlin (1 septembre 2023), Londres, BBC Proms (3 septembre 2023)

La tournée engagée par l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique et le Monteverdi Choir depuis La Côte-Saint-André, lieu de naissance d’Hector Berlioz, afin de représenter la grandeur des ‘Troyens’, est passée par le Festival de Salzbourg avant de s’arrêter à l’opéra de Versailles pour une seule soirée.

Paula Murrihy (Didon) et Michael Spyres (Enée)

Paula Murrihy (Didon) et Michael Spyres (Enée)

Il est fort à parier que, 20 ans après la série de représentations des 'Troyens' donnée par ce même ensemble sous la direction de Sir John Eliot Gardiner au Théâtre du Châtelet en octobre 2003 – on se souvient que la matinée du 26 octobre diffusée en direct sur France 2 et France 3 avait réuni 1 million de téléspectateurs -, qui fut un jalon important pour les jeunes carrières d’Anna Caterina Antonacci, Nicolas Testé, Stéphanie d’Oustrac et Ludovic Tézier Gregory Kunde célébrait déjà ses 25 ans de vie professionnelle en tant que ténor -, une partie du public venue ce soir n’a pas oublié ce point culminant d’une période fastueuse de la vie lyrique parisienne.

Décor historique peint par Pierre-Luc-Charles Ciceri (1837)

Décor historique peint par Pierre-Luc-Charles Ciceri (1837)

Les dimensions de la salle ne sont certes pas les mêmes, et l’orchestre occupe la majeure partie de la scène devant ce fastueux décor historique peint par Pierre-Luc-Charles Ciceri en 1837 qu’Hector Berlioz a peut-être connu lorsqu’il vint diriger une ' Fête musicale' en octobre 1848 en ce même lieu, mais chacun des spectateurs s’apprête à vivre un rapport d’un rare intimisme avec un ouvrage aussi monumental que celui des ‘Troyens’.

Paula Murrihy (Didon)

Paula Murrihy (Didon)

D’une frénésie initiale bouillonnante semblant conçue pour éveiller tous les sens de l’auditeur, la direction de Dinis Sousa met sous tension le drame et l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique avec une vivacité claquante qui, non seulement, gagne en souplesse tout au long de la soirée, mais aussi réussit à fondre des alliages de timbres orchestraux de toute beauté comme s’il s’agissait de créer une ornementation où l’on ne distinguerait plus bois et ors précieux.

C’est absolument étourdissant à voir et entendre, et même si l’on aimerait ressentir plus profondément les vibrations des cordes les plus sombres – mais l’acuité du discours prime, dans cette version, sur les grands effets romantiques -, cette fougue tire des traits de couleurs tranchants d’une telle netteté que le spectateur se sent littéralement happé par la finesse d’un dessin vif constamment changeant.

Alice Coote (Cassandre)

Alice Coote (Cassandre)

Les sonorités dites ‘anciennes’ des instruments apportent également une touche de rusticité très expressive - c’est fort notable pour les cors, par exemple -,  et cette énergie fantastique se canalise magnifiquement lorsque viennent les moments de poétiser avec une pulsation douce et bien rythmée les multiples airs et duos propices à l’évasion rêveuse. 

A ce solide ensemble qui semble prêt à tout engloutir, le Monteverdi Choir s’unit avec une superbe clarté de diction et un chant puissant et exalté verni d’un splendide travail sur les couleurs et les nuances par groupes de choristes qui renforce l’enchantement que procure ce spectacle très impressionnant.

Et bien qu’anecdotique de par son écriture originale, le chant des esclaves nubiennes est ici saisissant par sa richesse rythmique et de coloris si bien mis en valeur qui, pour quelques minutes, nous font changer de monde.

L'orchestre Révolutionnaire et Romantique et le Monteverdi Choir

L'orchestre Révolutionnaire et Romantique et le Monteverdi Choir

La distribution artistique réunie à cette occasion se démarque par l’excellente caractérisation et différentiation vocales de chacun des personnages tout en permettant de découvrir plusieurs jeunes talents qui seront à suivre dans les années à venir.

Peu connue dans le répertoire français qu’elle a pourtant beaucoup interprété il y a une dizaine d’années, la mezzo-soprano britannique Alice Coote s’impose d’emblée par le soin qu’elle accorde au phrasé grâce, probablement, à sa grande expérience du lied, ce qui rend le discours de Cassandre parfaitement intelligible. 

Elle dessine un portrait classique et de grande ampleur avec une variété d’impressions où se mélangent aigus d’un métal saillant et vibrations claires riches en teintes moirées, ce qui donne beaucoup d’intensité à son incarnation angoissée et névrosée.

Alex Rosen (L'ombre d'Hector)

Alex Rosen (L'ombre d'Hector)

Lionel Lhote lui oppose un Chorébe austère et sévère avec beaucoup plus de flou et de reflets sombres dans les expressions qui permettent plus difficilement de sentir le tempérament de son personnage.

Et c’est évidemment un grand plaisir de retrouver le velours exceptionnel de Michael Spyres qui fait vivre en Enée une belle noirceur aristocratique qu’il développe avec cet art rare de la transition tout en douceur vers des clartés plus solaires dont, toutefois, il modère le brillant plus qu’à l’accoutumée.

Beth Taylor (Anna) et Paula Murrihy (Didon)

Beth Taylor (Anna) et Paula Murrihy (Didon)

Il forme ainsi un très beau duo avec Paula Murrihy – la soprano irlandaise sera prochainement Le prince charmant dans ‘Cendrillon’ à l’opéra Bastille - qui fait vivre une Didon qui rayonne d’un grand plaisir à vivre, de la classe sans maniérisme, une fermeté vocale qui s’accorde avec une plasticité qui permet de laisser filer avec beaucoup d’aisance des langueurs amoureuses romantiques, dont on apprécie énormément la communion de timbre avec celui de Beth Taylor.

Cette dernière donne en effet une présence à Anna, la sœur de Didon, qui se rencontre rarement avec autant d’expansivité. Le grave a une forte personnalité qui se déploie ensuite très chaleureusement, et la mezzo-soprano écossaise renvoie un tel sourire et une telle sensibilité qu’elle donne à son rôle une importance qui la propulse au premier plan, un véritable bonheur pour chaque auditeur.

William Thomas (Narbal)

William Thomas (Narbal)

Et parmi les rôles secondaires, tous très bien mis en espace par Tess Gibs, on découvre une Adèle Charvet vaillante en Ascagne, un jeune et beau Narbal sous la noirceur funèbre de William Thomas, un impressionnant fantôme d’Hector auquel Alex Rosen apporte une densité à raviver les morts, et un jeune interprète qui a fait son entrée à l’Académie de l’Opéra de Paris en début de saison 2022-2023, Laurence Kilsby, doué d’un chant d’une très agréable clarté avec de la couleur dans le médium, et d’un goût pour le raffinement de geste qui donne de l’élégance à Iopas et Hylas.

Adèle Charvet, Laurence Kilsby, Paula Murrihy, Michael Spyres, Beth Taylor et William Thomas

Adèle Charvet, Laurence Kilsby, Paula Murrihy, Michael Spyres, Beth Taylor et William Thomas

Et tous ces artistes, y compris le chœur qui est amené à prendre de nombreuses attitudes symboliques pour exprimer les enjeux dramatiques, sont pris dans une direction d’acteur simple mais vivante dans un espace scénique très restreint, mais dont les multiples changements d’ambiances lumineuses réglés par Rick Fisher offrent de nombreuses mises en relief et de jeux d’ombres qui se détachent magnifiquement sur le décor du fond de scène.

Dinis Sousa, Paula Murrihy et Michael Spyres

Dinis Sousa, Paula Murrihy et Michael Spyres

De par l’apparente aisance avec laquelle Dinis Sousa a porté tout au long de la soirée une telle équipe sans la moindre faille et avec une telle vigueur, on attend avec joie de retrouver ce chef pour animer d’autres répertoires avec la même intensité.

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Publié le 13 Novembre 2022

Ariodante (Georg Friedrich Haendel – 1735)
Version de concert du 07 novembre 2022
Théâtre des Champs-Élysées

Ariodante Franco Fagioli
Ginevra Melissa Petit
Dalinda Sarah Gilford
Polinesso Luciana Mancini
Lurcanio Nicholas Phan
Le Roi d’Ecosse Alex Rosen

Direction musicale George Petrou
Il Pomo d’Oro

                                                  Melissa Petit (Ginevra)

 

Après ‘Giulio Cesare’ et ‘Alcina’, ‘Ariodante’ est l’opéra de Georg Friedrich Haendel le plus interprété depuis la production de Pier Luigi Pizzi créée à la Scala de Milan le 24 mars 1981, qui circula à Édimbourg (septembre 1982), Nancy (octobre 1983) et même Genève (février 1986).

Melissa Petit (Ginevra) et Franco Fagioli (Ariodante)

Melissa Petit (Ginevra) et Franco Fagioli (Ariodante)

Comme il s’agissait d’une coproduction de l’Opéra de Paris, Pierre Bergé et du Théâtre des Champs-Élysées, ce spectacle fit son entrée sur la scène parisienne de l’avenue Montaigne le 25 mars 1985, pour 5 représentations, sous la direction de Jean-Claude Malgoire.

Dès lors, le Théâtre des Champs-Élysées a accueilli une seconde production par Lukas Hemleb en mars 2007, avec Angelika Kirchschlager dans le rôle-titre et Christophe Rousset à la direction musicale, et pas moins de deux versions de concert données en mai 2011, avec Joyce DiDonato sous la direction d’Alan Curtis, puis en mai 2017 avec Alice Coote sous la direction d’Harry Bicket qui le dirigera également à l'Opéra de Paris en avril 2023.

Sarah Gilford (Dalinda)

Sarah Gilford (Dalinda)

La version de concert dirigée ce soir est cette fois confiée à George Petrou, directeur artistique du Festival Haendel International de Göttingen, qui a débuté cette tournée ‘Ariodante’ à Barcelone pour se poursuivre à Essen, Paris et La Coruña. 

Il est associé à dix-neuf musiciens de l’ensemble Il Pomo d’Oro qui jouent sur instruments d’époque avec une ravissante habileté à distiller des sonorités brillantes et raffinées sur un tempo qui engage à l’allégresse, malgré les noirceurs et tristesses de ce drame sentimental. 

Les musiciens d'Il Pomo d’Oro

Les musiciens d'Il Pomo d’Oro

Profiter de cette clarté musicale permet d’apprécier la délicatesse et la volupté de chaque instrument, tel le magnifique lamento sombre et mélancolique du basson (Katrin Lazar), et de créer une impression de sérénité qui saisit l’audience d’autant plus que la distribution réunie fait honneur à la nature belcantiste du chant haendélien.

Le chef d'orchestre veille ainsi à assurer la cohésion entre solistes et instrumentistes tout en insufflant tension, théâtralité et nuances dans un esprit de symbiose très réussi.

Luciana Mancini (Polinesso) et Sarah Gilford (Dalinda)

Luciana Mancini (Polinesso) et Sarah Gilford (Dalinda)

C’est dans une version pour contre-ténor que le second opéra d’Haendel inspiré par l’’Orlando Furioso’ de l’Arioste – le premier était ‘Orlando’ en 1733 – est chanté, et Franco Fagioli est éblouissant de virtuosité dans les airs purement dédiés à des exercices de grande agilité dont il préserve avec talent la suavité vocale qui naturellement se magnifie dans l’air central ‘Scherza infida’.

Se perd toutefois le charme trouble qui se manifeste lorsque ce rôle est confié à une mezzo-soprano, effet que l’on pourra cependant retrouver dans la prochaine production du Palais Garnier prévue au printemps prochain.

Melissa Petit, qui incarne la fille du Roi d’Écosse, se révèle être une partenaire parfaite de par sa dignité classique un peu austère dont le chant aux teintes ambrées prend aussi des accents d’urgence dramatique qui en font un grand personnage de tragédie. 

Nicholas Phan (Lurcanio)

Nicholas Phan (Lurcanio)

Sarah Gilford, elle, offre un portrait de Dalinda riant, lumineux et juvénile qui a énormément de fraîcheur, pouvant compter sur la pureté de sa voix aux lignes courbes et légères, comme une fleur s'épanouissant, ce qui crée un contraste saisissant avec le Polinesso intrigant et manipulateur que Luciana Mancini fait vivre avec un esprit acéré et charismatique, tout en affichant une aisance à traverser des airs véloces sans que cela ne dénature la texture brune, condensée et très homogène de son timbre de voix. 

Nicholas Phan, Alex Rosen, George Petrou et Franco Fagioli

Nicholas Phan, Alex Rosen, George Petrou et Franco Fagioli

Déjà présent en mai 2011 dans le rôle de Lurcanio, le frère d’Ariodante, Nicholas Phan est un très élégant interprète qui exprime les sentiments avec une subtile profondeur. C’est un ténor qui mêle clarté, maturité des couleurs et très grande souplesse qui lui permettent d’exprimer des élans passionnés très assurés dans les aigus, alliés à une langueur sensiblement mozartienne.

Enfin, Alex Rosen brosse un portrait du Le Roi d’Ecosse posé et réservé avec une belle tessiture qui dépeint gravité, noblesse et jeunesse, ce qui parachève avantageusement ce grand tableau de valeur, défendu par des artistes qui sont une découverte pour beaucoup de spectateurs comblés en ce lundi soir.

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