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Publié le 15 Octobre 2013

La Clémence de Titus (Wolfgang Amédée Mozart)

Représentation du 13 octobre 2013
Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Tito Kurt Streit
Vitellia Véronique Gens
Sesto Anna Bonitatibus
Annio Anna Grevelius
Servilia Simona Saturova
Publio Alex Esposito

Direction Musicale Ludovic Morlot
Mise en scène Ivo Van Hove

 

 

                                                                                                     Véronique Gens (Vitellia)

La Clémence de Titus est un opéra sur la désillusion et donc, la maturité. C’est d’ailleurs le dernier opéra de Mozart, et il est extraordinaire d’écouter une telle réflexion humaine sur la musique d’un homme qui n’avait que 35 ans.

Il s’agit d’un conflit entre existence sociale et vie privée, l’histoire de la vie d’un homme qui n’a pas voulu voir son entourage tel qu’il est et qui, pour ne pas se disloquer lui même, doit trouver un point de vue qui lui permette de poursuivre son chemin en se détachant de ses liens affectifs envers ceux qui ont cherché à en profiter, Vitellia et Sesto, pour mieux le trahir.

Véronique Gens (Vitellia) et Anna Bonitatibus (Sesto)

Véronique Gens (Vitellia) et Anna Bonitatibus (Sesto)

On voit ainsi se dérouler toute la logique qui pousse l’Empereur à renoncer au bonheur privé pour se consacrer aux tâches nécessaires au bon déroulement de la vie de la Cité, et donc œuvrer pour un bonheur collectif.

Dans sa mise en scène, Ivo Van Hove choisit un lieu unique, à la fois chambre privée et bureau de travail d’un homme qui pourrait être une personnalité au train de vie aisé vivant dans les beaux quartiers d’une grande ville. Le mobilier est soigné, et l’on pourrait se croire dans une mise en scène d’André Engel.

Mais l’art de Van Hove est de transformer les chanteurs en personnages totalement incarnés en les faisant vivre comme ils le feraient dans la vie de tous les jours. On a ainsi plus l’impression d’assister à un excellent théâtre en musique qu’à une simple interprétation musicale.
Aucun geste n’est laissé au hasard, les poses font sens et découvrent l’affectivité des rapports humains au-delà des rôles sociaux que chacun des protagonistes tient dans un premier temps.

Simona Saturova (Servilia) et Anna Grevelius (Annio)

Simona Saturova (Servilia) et Anna Grevelius (Annio)

Cette expressivité théâtrale trouve son point d’accomplissement lorsque Titus interroge Sesto afin de connaître son trouble après l’attentat manqué contre l’Empereur. On voit tout, la confiance de Titus en la fidélité de son ami, son désarroi seul sur son lit face à un cameraman qui projette son visage défait sur le grand écran qui domine la scène, puis les pensées qu’il rabâche seul devant son repas pour digérer la trahison en ignorant la présence même de celui qui l’a déçu. Il est un solitaire mal entouré.

Malgré tout, il garde de l’affection pour Sesto, car il en a perçu la faiblesse de caractère.

Cette seconde partie de l’opéra est, d'un point de vue dramaturgique et musical, plus réussie que la première.

Kurt Streit (Titus) et Anna Bonitatibus (Sesto)

Kurt Streit (Titus) et Anna Bonitatibus (Sesto)

Dès l’ouverture les sonorités manquent d’harmonie, et Ludovic Morlot se complait dans une direction austère, aride sans raffinement, qui privilégie uniquement l’atmosphère intime de la scène. C’est extrêmement frustrant à entendre d’autant plus que le chef, lui, semble porté par sa musique.

On retrouve heureusement une texture plus dense et un allant après l’entracte, ce qui replace la musique au premier plan du drame.

Toutes les voix, elles, ont une musicalité mozartienne très homogène, mais faiblement ornée, à l’exception, peut être, de Simona Saturova, elle qui fut Violetta en décembre dernier.

Kurt Streit (Titus)

Kurt Streit (Titus)

Véronique Gens est étonnamment décevante, pour ce jour de représentation, les passages intenses et véhéments étant escamotés, ce qui ne peut être du qu’à une faiblesse passagère. Elle n'en est pas moins une fascinante actrice qui fait penser à Madame de Merteuil (Les Liaisons dangereuses).

Anna Bonitatibus (Sexto) et Anna Grevelius (Annio) composent deux personnages touchants qui se correspondent très bien dans cette interprétation, et Alex Esposito est employé dans le rôle d’un Publio qui sur-joue un peu trop.

Kurt Streit, un des chanteurs phares de La Monnaie, porte sur lui un rôle dont, peut-être, d’aucun n’aurait imaginé cette aisance dans l’incarnation. Le Timbre est nasal, très souvent, mais nullement la tension ne se fait sentir dans son chant, et il a une régularité et, surtout, une superbe interprétation théâtrale très crédible, qui en font un magnifique personnage avec lequel on vibre en phase avec son vécu humain.

Anna Grevelius (Annio), Véronique Gens (Vitellia), Anna Bonitatibus (Sesto) et Simona Saturova (Servilia)

Anna Grevelius (Annio), Véronique Gens (Vitellia), Anna Bonitatibus (Sesto) et Simona Saturova (Servilia)

Autour de la scène, des sièges situés derrière les parois semi-réfléchissantes font apparaître le chœur, qui observe en public voyeur le drame et en juge de lui-même.

Son intervention avec l’orchestre, lors de la conclusion finale, est un beau moment d’espoir enjoué qui porte en lui une joie élégiaque.

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Publié le 22 Avril 2013

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 20 avril 2013
Vlaamse Opéra Gent

Amfortas Werner Van Mechelen
Gurnemanz Georg Zeppenfeld
Klingsor Robert Bork
Kundry Susan Maclean
Parsifal Zoran Todorovich
Titurel Jaco Huijpen

Mise en scène Tatjana Gürbaca

Direction musicale Eliahu Inbal
Symfonisch Orkest van de Vlaamse Opera
Koor & Kinderkoor van de Vlaamse Opera

                                                                                                          Robert Bork (Klingsor)

 

A Gand (ville natale de Charles Quint et, plus modestement, de Gerard Mortier) se trouve le Château des comtes de Flandre construit par le Comte Philippe d’Alsace lorsque qu'il revint de la seconde croisade (1180).

Il y invita le troubadour Chrétien de Troyes afin d’écrire, pour son fils, un roman d'initiation : "Perceval ou le conte du Graal".
La passage sur le Graal, d’une extrême beauté, est très court (25 vers sur 9000), et le livre est resté inachevé.

Susan Maclean (Kundry)

Susan Maclean (Kundry)

Une fois Perceval entré dans le château du roi Pescheor, un très beau cortège de jeunes filles et de jeunes hommes défile sous ses yeux (avec de magnifiques descriptions des robes, des visages ...) en portant trois symboles : une pierre, le Graal (sorte de coupe) et une lance dont coule du sang.
La beauté de cette vision émerveille tout le monde et est décrite avec beaucoup de sensualité.

Entendre ainsi le Parsifal de Richard Wagner à l’Opéra de Gand est une façon de revenir aux origines médiévales du roman, sur les lieux-mêmes de sa création, et d’y découvrir la nouvelle mise en scène de Tatjana Gürbaca.

Malgré une économie de moyens qui pourrait rebuter les amateurs de pures visions esthétiques, on peut voir dans son travail les signes de la décadence d’un monde dont le pessimisme dépasse le texte de l’œuvre.

Les trois actes sont développés dans la blancheur d’un espace circulaire sur lequel des stries ensanglantées se déversent dès l’ouverture, suivant le fil de la musique.

Werner Van Mechelen (Amfortas)

Werner Van Mechelen (Amfortas)

La tension théâtrale du premier acte repose en grande partie sur le long passage au cours duquel les chevaliers, des hommes en tenues d’aujourd’hui, lavent soigneusement des « Cygnes » transfigurés en jeunes garçons - un culte de la pureté de la jeunesse en laquelle la communauté voit peut-être de futurs héros - et s’extasient devant le sang versé qu’ils prennent sans doute, dans leur folie, pour un signe glorifiant de la présence du Christ.
Ces larmes de sang, qui coulent en dessinant des fissures comme des plaies qui s‘ouvrent indéfiniment, reflètent les plaintes indéfinissables de la musique.

Lors de l’apparition du Graal, l’enfant que porte Kundry en elle est donc accueilli dans un émerveillement béat, pour remplacer le « Cygne » que Parsifal a volontairement tué à son arrivée.

Puis, dans le monde crépusculaire, vieillissant et sordide où vit Klingsor, ne reste que sa relation tendue avec Kundry, et la jeunesse des filles fleurs. La venue de Parsifal pourrait lever un espoir, mais il refuse les avances d’une Kundry présentée comme une femme entière, maternelle. Il préfère verser le sang de sa lance en détruisant le magicien.

Susan Maclean (Kundry)

Susan Maclean (Kundry)

Le dernier acte, malheureusement trop longuement vide jusqu’à l’arrivée d’Amfortas, montre alors une communauté qui lui en veut à mort, car il implore la mise à mort de Titurel. Or, au premier acte, Tatjana Gürbaca identifiait Titurel à la communauté du Graal, en faisant chanter Jaco Huijpen en coulisse et mimer ses paroles par les chevaliers.


Amfortas est donc celui qui a compris dans quelle perdition est son monde, ne souhaite que sa perte, et est tué pour cela par Parsifal, être faible d’esprit et influençable. Kundry offre, dans un dernier geste de sacrifice, son sang à l’avidité maladive des chevaliers, avant de mourir. Puis, l'abruti de Parsifal peut s'armer et être glorifié comme un immense croisé combattant.
 

On peut critiquer cette façon de contourner les difficultés pour extraire de ce drame une vision qui approche le regard personnel de la régisseur sur notre époque, pourtant, il faut reconnaître qu’elle montre comment on peut lui donner une force, malgré les inévitables blancs et un matériau théâtral simple.

Pour soutenir cet ensemble, Eliahu Inbal décline une lecture mélancolique qui alterne de beaux instants de pureté et de finesse, et des enchaînements moins bien liés à la fin du second acte et au début du troisième acte. Il puise la force de l’orchestre dans la noirceur des cordes basses, les couleurs profondes et sombres des cuivres, et la poésie d’instruments délicats comme les hautbois. Les flûtes, elles, paraissent en décalage quand les effets de scintillements constellent la texture orchestrale.
 

                                                                 Zoran Todorovich (Parsifal) et Susan Maclean (Kundry)

 

Georg Zeppenfeld, en permanence aux commandes d‘un fauteuil roulant, livre un impressionnant Gurnemanz, volontaire et avec une énergie de vie poignante. Sa figure est dominante, sa voix très présente.

Il est le personnage le plus fascinant de la représentation avec Susan Maclean, elle qui fut Kundry l‘été dernier à Bayreuth. La mise en scène met en valeur la nature maternelle de celle-ci, ce qui lui convient magnifiquement, car elle peut renvoyer vers la salle le superbe galbe noir de sa voix, et la rondeur d‘un phrasé plein de tendresse.
Elle connait ses faiblesses quand elle doit tenir de puissants aigus, et limite donc au juste nécessaire l’émission dans cette tessiture tendue.

Zoran Todorovich a bien plus de mal à donner crédibilité à son personnage. Il n‘est pas bon comédien, est même exaspérant quand il use trop de ses bras et de ses mains pour ne rien dire, mais retrouve soudainement une unité saisissante à partir du moment où il se remémore violemment, au second acte, la faute d‘Amfortas. Là, il est enfin entier, grave, et plongé dans la prise de conscience.
Son chant est puissant, sincère et expressif dans les graves, mais trop prosaïque pour séduire, ce qui n’est pas contradictoire avec une mise en scène qui ne l’avantage pas.

Susan Maclean (Kundry) et Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)

Susan Maclean (Kundry) et Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)

L’humaine interprétation d’Amfortas par Werner Van Mechelen est un peu atténuée par la vision permanente du sang sur son torse. Il est pour autant très bien impliqué dans le rapport de force qui l’oppose au chœur des chevaliers, et tient surtout solidement les puissantes exhortations qu’impose son rôle.

Enfin, Robert Bork ravage la salle entière avec son Klingsor monstrueusement sonore, à créer des frissons d‘effroi comme on aime les ressentir.

Les chœurs sont puissants, autant les hommes que les femmes, mais il y a une fraicheur authentique à entendre les enfants se répondre depuis les hauteurs extrêmes des galeries du théâtre, des voix d‘une jeunesse fragile et spontanée naturellement élégiaque qui ne s‘oublient pas.

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Publié le 15 Avril 2013

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy)
Représentation du 14 avril 2013
Théâtre Royal de La Monnaie

Pelléas Stéphane Degout
Mélisande Monica Bacelli
Golaud Dietrich Henschel
Arkel Frode Olsen
Geneviève Sylvie Brunet-Grupposo
Yniold Valérie Gabail
Un médecin Patrick Bolleire
Un berger Alexandre Duhamel

Direction Musicale Ludovic Morlot
Mise en scène Pierre Audi (2008)
Scénographie Anish Kapoor

                                                                                                          Dietrich Henschel (Golaud)

 

Cette représentation de Pelléas et Mélisande, reprise dans la même scénographie qu’il y a quatre ans, permet de retrouver dans les rôles principaux les mêmes chanteurs réunis la première fois, bien que, blessée par une déchirure musculaire, Sandrine Piau n’ait pu être présente.

Mais c’est dans la fosse d’orchestre que le Théâtre Royal focalise le plus son attention, car le nouveau directeur musical permanent, Ludovic Morlot, y dirige pour la première fois un ouvrage lyrique.

Stéphane Degout (Pelléas)

Stéphane Degout (Pelléas)

Très attentif au rythme des chanteurs et à la profondeur du climat musical, le jeune chef nous emporte dans un univers dépressif en privilégiant des sonorités et des coloris ocres et austères qui évoquent très fortement ceux de Boris Godounov, dans la toute première version écrite par Modest Moussorgski.  
Les instruments à vents et de bois, flûtes, hautbois et bassons, prédominent, les cordes conjuguées dans les longs passages décrivent un fleuve noir effleuré pas de fins frissonnements, mais la texture perd de sa sensualité très sensiblement quand le drame s’intensifie.

L’impression sonore est donc très différente de ce que l’on a pu entendre à l’Opéra Bastille, aussi bien sous la direction de Sylvain Cambreling que Philippe Jordan, tous deux amenant la musique de Debussy vers l’ampleur orchestrale de Parsifal, l’autre chef-d’œuvre auquel on aime rapprocher Pelléas et Mélisande.

Monica Bacelli (Mélisande) et Dietrich Henschel (Golaud)

Monica Bacelli (Mélisande) et Dietrich Henschel (Golaud)

Cette interprétation musicale va de pair avec une mise en scène qui s’articule autour d'un décor symbolique, en forme de creux utérin, rouge sang, représentant les rondeurs intimes des intérieurs du Château de Golaud, ses obscurs passages souterrains, et son chemin de ronde dominant la scène.
L’ensemble ne peut empêcher d’éprouver un malaise lancinant face au malheur omniprésent que fait ressentir la froideur de la direction d’acteur, et cette représentation de Mélisande chauve, dépourvue de toute féminité.

Stéphane Degout (Pelléas)

Stéphane Degout (Pelléas)

On n’arrive à interpréter qu’au dernier acte les images, volontaires ou pas, auxquelles s’attache Pierre Audi, rapprochant le caractère oppressif de Golaud de celui de Barbe-Bleue, incarcérant ses femmes dans le sous-sol de sa demeure, et identifiant Mélisande à Rusalka, laquelle Pelléas transformera en femme à part entière.
Celle-ci retrouve ainsi sa longue chevelure après la perte de son amant, mais, entre temps, le metteur en scène aura eu bien du mal à manœuvrer avec le livret, rendant incompréhensible la scène du troisième acte où Mélisande admire ses cheveux, et cherchant un artifice pour lui faire saisir l’arme avec laquelle Golaud a tué Pelléas.
 

Reste la surprise des effets visuels quand les éclairages changent d’orientation, jouant avec le relief et les projections des ombres sur la structure ovoïde du décor, qui nous distraient encore plus du drame.

 

Paradoxalement, Stéphane Dégout est superbement mis en valeur par cette scénographie, non pas que son Pelléas y gagne en poésie, il semble plutôt détaché, mais parce qu’il est lui-même présenté en homme complexe d’ombres et de le lumières, mystérieux et vocalement très présent, et aussi intensément investi dans ses regards.
 

                                                                                         Stéphane Degout (Pelléas)

 

Monica Bacelli, distribuée en alternance avec Sandrine Piau, la remplace pour cette matinée. Sa voix est très différente, lyrique et sombre comme pourrait l’être celle de Manon Lescaut, avec une très bonne diction et un souffle fin, qui ne comble pas tout à fait l’attente de découvrir les fragilités de la jeune fille éperdue.

Toujours très engagé, Dietrich Henschel pousse loin la violence tourmentée de Golaud, sans mélancolie toutefois, à l’image de cette atmosphère dans laquelle le vérisme des gestes et des mots est trop insistant, Frode Olsen portant même Arkel vers des exclamations sonores qui sacrifient un peu trop les lignes de chant.

Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève)

Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève)

Sylvie Brunet-Grupposo n’a aucun mal a imposer d’entrée la dignité sage et dominante de Geneviève, et, comme Valérie Gabail ne rend pas suffisamment la frayeur intérieure d’Yniold, à force de trop d’agitation, Patrick Bolleire profite de son rôle très court pour rayonner les belles évocations de son timbre chaleureux.

A un moment, les éclairages bleutés et luminescents ont évoqué l'épure de Bob Wilson, mais c’est trop peu pour entraîner le spectateur dans cet univers déconcertant, auquel on pardonne difficilement d’aller contre la poésie sombre et le pouvoir inconscient de la musique.

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Publié le 28 Mars 2013

Roméo et Juliette (Charles Gounod)
Version de concert du 24 mars 2013

Palais des Beaux-Arts (Bruxelles)
Théâtre Royal de la Monnaie

Juliette           Nino Machaidze
Stéphano      Angélique Noldus
Gertrude       Carole Wilson
Roméo         John Osborn
Tybalt           Tansel Akzeybek
Benvolio       Stefan Cifolelli
Mercutio      Lionel Lhote
Pâris            Alexandre Duhamel
Grégorio      Nabil Suliman
Capulet        Paul Gay
Frère Laurent Jérôme Varnier
Duc de Vérone Patrick Bolleire
Manuela      Amalia Avilán
Pepita          Kinga Borowska
Angelo         Marc Coulon
Frère Jean    Pascal Macou

Direction musicale         Evelino Pidò                              Tansel Akseybek (Tybalt)
Direction des chœurs    Martino Faggiani                       

Bozar, ou le Palais des Beaux-Arts, possède une salle magnifique pour y représenter Roméo et Juliette en version de concert, car elle abrite, au fond de la scène, un orgue au son somptueux.
La cérémonie de mariage de Juliette et Pâris en est le meilleur instant pour profiter de cette richesse sonore.
Dans cet opéra, la musique de Charles Gounod prend des accents épiques, dès l’ouverture, et elle décrit le drame avec des effets virtuoses et des climats intemporels entre lesquels viennent se glisser des passages plus pompeux et triviaux.
 

Orchestre Symphonique et choeurs de la Monnaie, direction Evelino Pido

Orchestre Symphonique et choeurs de la Monnaie, direction Evelino Pido

En tout cas, son énergie théâtrale est nimbée d’un sentimentalisme délicat pour lequel Evelino Pidò n’est peut être pas le meilleur défenseur. Sa rythmique tonique est une force qui place l’orchestre en principal acteur dramatique, mais la tonalité légère et pastel de cette musique s’évanouit dans un premier temps, et ne réapparaît, avec tout son mystère, que lors de la scène nocturne du balcon, le premier grand moment d’inspiration et d’évasion vers les rêves.

On retrouve de très beaux moments quand les chœurs fusionnent avec la masse orchestrale créant ainsi une harmonie d’ensemble souple et forte à la fois. D’autres passages perdront en revanche toute la fragilité allante et fluide que l’on voudrait entendre.

Nino Machaidze (Juliette)

Nino Machaidze (Juliette)

Même si l’on peut trouver qu’un opéra donné sans un minimum de mise en espace réduit considérablement son pouvoir émotionnel, à moins que l’interprétation musicale ne soit exceptionnelle, c’est pourtant l’occasion de révéler des chanteurs, parfois peu ou pas assez connus.

Ce n’est évidemment pas le cas de la soprano géorgienne Nino Machaidze qui avait déjà chanté le rôle de Juliette à Salzbourg, en 2008, avec Rolando Villazon. Belle femme pleine d’énergie, elle ne peut à aucun moment faire croire à une Juliette adolescente et sensible. Lumineuse et spectaculaire dans les aigus, elle use avec une joie évidente du pouvoir rayonnant de sa voix, mais tous les sentiments complexes et noirs, désespérés de la vie, que l’on devrait ressentir quand elle s’exprime dans les tonalités plus graves sont négligés.

Lionel Lhote (Mercutio) et John Osborn (Roméo)

Lionel Lhote (Mercutio) et John Osborn (Roméo)

John Osborn, bien plus précis que sa partenaire quant à la diction stylisée qu’exige la poésie du texte, réussit à rendre à la fois l’innocente adolescence de Roméo et l’héroïsme vital sans la moindre défaillance. Mais, comme à son habitude, il donne cette impression de grande fierté, que l’on retrouve chez un chanteur wagnérien actuel, Simon O’Neill, qui s’oppose au romantisme noir et éperdu des personnages qu’il interprète. C’était déjà le cas pour Hoffmann (Offenbach), et, là aussi, le démonstratif l’emporte sur la sensibilité.

Plus dense et imposant que Paul Gay, père Capulet touchant mais écourtant tous les aigus,  Jérôme Varnier est un très beau Frère Laurent, humain mais inflexible, une voix un peu grisonnante qui rejette tout affect pour rester sur une ligne bienveillante.
 

Parmi les émouvantes surprises, Tansel Akzeybek dessine un Tybalt superbe d’éloquence avec une beauté tendre qui contraste avec le caractère de ce personnage que Shakespeare n’idéalise surement pas. Il conquière les cœurs, là où il devrait être perçu comme le pire des destructeurs.
On découvre une chanteuse souriante et charmante, Angélique Noldus, présente seulement pour quelques minutes dans le rôle de Stéphano, nous enchantant d’un timbre boisé plein d’éclat, inhabituellement baroque.

Lionel Lhote et Carole Wilson, respectivement Mercutio et Gertrude, se répondent sur scène par leur jovialité, mais l’on attend plus de juvénilité chez le premier, et plus de maternalisme chez la seconde.

                                                                                         Angélique Noldus (Stéphano)

Alors, quand l’unité du drame n’est pas vraiment là, ce sont tous ces moments éphémères de vérité et d’émerveillement qui font la joie que l'on garde en soi.

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Publié le 18 Mars 2013

La Dispute (Benoît Mernier - Marivaux)
Représentation du 16 mars 2013
Théâtre Royal de la Monnaie

Amour / Carise        Dominique Visse
Cupidon / Mesrou    Katelijne Verbeke
Le Prince                 Stéphane Degout
Hermiane                 Stéphanie d’Oustrac
Eglé                         Julie Mathevet
Adine                      Albane Carrère
Azor                       Cyrille Dubois
Mesrin                    Guillaume Andrieux

Direction musicale Patrick Davin
Mise en scène Karl-Ernst & Ursel Herrmann
Création Mondiale

                                                                                                           Stéphanie d'Oustrac (Hermiane)

La saison 2012/2013 est véritablement celle du Théâtre Royal de la Monnaie, tant l’institution belge semble être emportée par un élan créateur et innovateur qui paraît d’autant plus ahurissant que le statisme de sa voisine parisienne pèse lourdement.

En s’inspirant d’une pièce de Marivaux, enrichie d’extraits d’autres pièces afin de donner une plus grande importance à la relation du Prince et Hermiane, Benoît Mernier et Karl-Ernst & Ursel Herrmann ont eu à cœur de porter sur scène une œuvre totale qui met à nu le développement fragile des sentiments humains, mais aussi la façon dont-ils peuvent se défaire, se tordre, ou bien se détruire irréversiblement, par eux-mêmes, mais aussi par le fait du regard et des interventions hypocrites de la société dans laquelle nous vivons.

Julie Mathevet (Eglé) et Cyrille Dubois (Azor)

Julie Mathevet (Eglé) et Cyrille Dubois (Azor)

Le drame est construit comme une expérience menée, d’une part, par Amour et Cupidon, allégories des deux forces opposées du sentiments amoureux, et, d’autre part, par le Prince et Hermiane, figures du couple contemporain perverti, acteurs et voyeurs œuvrant à une entreprise de manipulation des sentiments.

Avec le goût et la tendresse humaine qu’on leur connait, Karl-Ernst & Ursel Herrmann ont construit un immense décor, une barrière de feuillages infranchissable derrière laquelle une pleine lune en éclaire le creux circulaire. Les deux jeunes femmes et deux jeunes hommes apparaissent l’un après l’autre, créant, au fur et à mesure, des liens sensibles et sensuels à la fois.

Le premier duo d’Eglé et Azor est décrit avec l’innocence d’une fraicheur entière, la dispute entre Eglé et Adine apparaît moins authentique, un peu trop sur-jouée, et les rapports de tendresse ambivalents d’Azor et Mesrin sont une surprise qui, en apparence, complexifient le tissu sentimental, mais font d’Azor, aussi à l’aise dans les bras d’un homme que dans les bras d’une femme, l’être le plus humain des quatre protagonistes.

Stéphane Degout (Le Prince) et Stéphanie d'Oustrac (Hermiane)

Stéphane Degout (Le Prince) et Stéphanie d'Oustrac (Hermiane)

D’ailleurs, Cyrille Dubois chante avec une souplesse et une poésie lunaire joyeuse et magnifique autant à l’écoute qu’au regard de ses gestes naturels. Il est celui qui se détache le plus évidemment. Les deux femmes, Julie Mathevet et Albane Carrère sont, elles, peu différenciées, même si la première apparaît plus naïve, et Guillaume Andrieux compose un Mesrin qui pourrait être vocalement plus marqué, et qui se montre très à l’aise dans son jeu qui oscille entre virilité, doute et incompréhension des sentiments.

Des deux grands chanteurs distribués pour interpréter le couple princier, Stéphanie d’Oustrac impose un personnage de feu, véhément et passionné, caressant ou tuant du regard son partenaire avec une extraordinaire allure de diva effarouchée, et une voix sublimement sombre, au timbre glamour unique.

Stéphane Degout chante lui aussi avec un charme de velours, s’implique entièrement dans le rôle du Prince, mais il n’a pas la nature d’un Don Juan cynique, ce qui le rend moins crédible dans ce rôle ci, plutôt superficiel, que dans ses grandes incarnations mélancoliques de Pelléas ou bien Wolfram.

Guillaume Andrieux (Mesrin) et Albane Carrère (Adine)

Guillaume Andrieux (Mesrin) et Albane Carrère (Adine)

Les deux personnalités surnaturelles, Cupidon et Amour, trouvent enfin en Dominique Visse et Katelijne Verbeke deux chanteurs et acteurs qui jouent avec un entrain et une complicité très agréables à voir, d’autant plus que le contre ténor s’amuse de ses intonations vocales de chat mielleux joliment humoristiques.

Patrick Davin, en chef discret, fait entendre tout ce que la partition de Benoît Mernier égraine en mystères, en entrelacements de solos de bois et de vents pris dans une gangue orchestrale sinueuse, parfois envoutante. Les coups de théâtres sont imprimés par les percussions avec une simplicité qui révèle une volonté permanente de ne pas laisser le climat orchestral dépasser la fragilité du discours vocal. Dans le duo princier, les sentiments abimés se retrouvent même dans les distorsions des cordes, un très bel exemple d’expressionisme musical.

Il arrive que l’on se détache du texte, de la scène, pour mieux y revenir, car ce qu'il se dit sur l’éphémère, les contradictions et la permanence du sentiment nous renvoie à nos propres expériences, ce qui fait le prix de ce spectacle introspectif certes, mais qui fouille, toutefois, sans approcher de trop près les profondeurs humaines.

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Publié le 30 Janvier 2013

Manon Lescaut (Puccini)
Représentation du 27 janvier 2013
Théâtre Royal de la Monnaie (Bruxelles)

Manon Lescaut Amanda Echalaz
Lescaut Lionel Lhote
Il Cavaliere Renato Des Grieux Hector Sandoval
Geronte de Ravoir Giovanni Furlanetto
Edmondo Julien Dran
Il Maestro di Ballo & Un Lampionaio Alexander Kravets
Un Sergente Guillaume Antoine
Un Musico Camille Merckx
L’Oste  Guillaume Antoine
Coro del Madrigale    Amalia Avilán, Anne-Fleur Inizian, Audrey Kessedjian, Julie Mossay

Direction Musicale Carlo Rizzi
Mise en scène Mariusz Trelinski

 

                                                                                                        Amanda Echalaz (Manon Lescaut)

En décembre dernier, pour les fêtes de Noël, la nouvelle production de La Traviata mise en scène par Andrea Breth avait suscité une polémique, car la seconde partie comportait une scène sensiblement dérangeante qui rappelait celle de l’orgie d’« Eyes Wide Shut ».

Au-delà du malaise personnel qu’elle créa, cette vision ne traduisait pas l’esprit de Verdi dénonciateur d’une haute société bourgeoise qui refuse à une femme, hypocritement, la liberté d’aimer, afin de protéger ses propres intérêts financiers.
Si l’on y ajoute une distribution dont seule Simona Saturova se distingua, nous n’avions pas là un spectacle pouvant avoir un impact intime fort.

Amanda Echalaz (Manon Lescaut)

Amanda Echalaz (Manon Lescaut)

Mais cela fait partie des risques pris par une Maison d’Opéra dynamique, et le Théâtre Royal de la Monnaie vient de se rattraper en présentant Manon Lescaut confiée, cette fois, à la direction scénique de Mariusz Trelinski, le directeur artistique du Grand Théâtre de Varsovie.

La scénographie est transposée dans un univers nocturne situé au centre d’un décor unique écrasé par un plafond bas, étouffant, de manière à créer une impression de claustrophobie.

Le soin accordé à la stylisation se lit avant que la musique ne commence, alors qu’un subtil liseré violacé éclaire et adoucit l’atmosphère depuis les pourtours de l‘espace central, au fond duquel défile la vue sur les lumières des immeubles d’une ville moderne, Paris, en pleine nuit.

Les étudiants et bourgeois du livret original deviennent des hommes et femmes affairés entre leur travail mécanisant et leur course effrénée à travers les transports suburbains de la capitale. On retrouvait déjà cette description froide de notre monde contemporain dans la mise en scène de Macbeth par Ivo van Hove à l’Opéra de Lyon, en octobre dernier, mais son concept ne s’était pas suffisamment développé au fil du drame.

Madrigal : en arrière plan, Amanda Echalaz (Manon Lescaut) et Lionel Lhote (Lescaut)

Madrigal : en arrière plan, Amanda Echalaz (Manon Lescaut) et Lionel Lhote (Lescaut)

Ici tout fait sens. DesGrieux est un de ces citoyens soumis à un rythme déshumanisant qui ne peut que tomber amoureux d’une créature éblouissante de vie, insaisissable et troublante par son comportement non conformiste.

Au début, Hector Sandoval paraît jouer très caricaturalement ce rôle d’homme trop fier et un peu idiot de son amour, mais, par la suite, le ténor mexicain s’empreint d’une profondeur blessée fort émouvante. Il soigne chaque mot afin de faire jaillir de son chant une lumière idéaliste, et cette poésie authentique portée par un souffle naturel lui donne une présence discrète qui s’amplifie au fur et à mesure, alors qu’il n’a pourtant pas d’atouts charismatiques immédiats. Son incarnation, entière, en devient humainement magnifique.

A l’apparition de Manon, Mariusz Trelinski l’entraîne dans un univers proxénète avec lequel elle prend plaisir à jouer, dont le frère est manifestement complice. Géronte de Ravoir se présente alors en consommateur avide et sans scrupule, affublé d’un costume blanc à la Al Capone.

Baryton brillant et sympathique, Lionel Lhote n’a aucun problème à imposer un Lescaut fort, avec un aplomb vocal certain, auquel Giovanni Furlanetto associe un timbre fortement nasal, mais une diction précise, qui restitue la vérité cynique de Géronte.

Amanda Echalaz (Manon Lescaut) et Hector Sandoval (Des Grieux)

Amanda Echalaz (Manon Lescaut) et Hector Sandoval (Des Grieux)

Summum d’une description feutrée où la femme est transformée en un produit de luxe, le madrigal, chanté par des interprètes féminines vêtues de couleurs dorées comme souvent Warlikowski les représente également dans ses opéras, est joué sous forme de numéro de cabaret langoureux, en avant-scène, ce qui lui donne un charme surprenant, une ode chantant l’insensibilité de la femme fatale à son soupirant.

Amanda Echalaz est complètement mystérieuse en Manon, en premier lieu parce nombre de changements de chevelures et d’habillements la transforment constamment, mais aussi parce qu’elle varie en continue couleurs et densité du timbre de voix, parfois s’écaillant dans les graves, ou s’allégeant finement dans ‘In quelle trine morbide’. L’impression d’impureté permanente, aussi liée à un faible tissage du legato, est alors compensée par la stabilité du souffle et le brillant des aigus, sans écorchure.

Toutefois, le parti pris de la mise en scène se focalise sur Des Grieux et son emprise phantasmatique, Manon n’étant plus qu’une image changeante. L’héroïne ne peut donc plus toucher aussi fortement, à la dernière scène notamment, puisqu’elle apparaît moins incarnée, moins souffrante.

Amanda Echalaz (Manon Lescaut)

Amanda Echalaz (Manon Lescaut)

Mariusz Trelinski poursuit sa vision avec des images très fortes. L’asservissement de femmes défilant, torturées et exposées comme des bêtes, en partance pour la Louisiane, laissées sous le regard de spectateurs tapis dans l’ombre sans esquisser le moindre geste pour leur porter secours, ouvre le troisième acte sur la scène la plus sombre de l’opéra.

Mais la suivante, au cours de laquelle se retrouvent Des Grieux et Manon, prend une ampleur cinématographique incroyable. 
La solitude et le désespoir du Chevalier y sont exprimés en le séparant de son amour inaccessible, lui appuyé seul contre un pilier de scène les deux mains accrochées à son téléphone, elle lui répondant derrière une paroi de verre, alors que se déroulent en arrière plan les lumières de la ville, comme un long travelling qui suit le rythme de la musique sans fin.

Nous sommes alors quelque part dans un univers aussi noir et étrange que ceux de David Lynch, Alfred Hitchcock ou Ridley Scott, sous l’influence d’une musique qui souligne le mystère d’une incommunicabilité humaine fondamentale.

Avant de voir et entendre, pour la première fois, le premier grand succès de Puccini, jamais il ne serait venu à l’idée que cette musique puisse être aussi évocatrice et moderne, sans doute plus que La Bohème ou Tosca.

Amanda Echalaz (Manon Lescaut) et Hector Sandoval (Des Grieux)

Amanda Echalaz (Manon Lescaut) et Hector Sandoval (Des Grieux)

Face à l’Orchestre de l’Opéra Royal de la Monnaie, Carlo Rizzi ne ménage pas beaucoup la partition pendant les deux premiers actes, entretenant de façon inexplicable une précipitation qui pousse les vents, et les flûtes en particulier, à des dérapages stridents inutiles. Il y a un écart constant entre l’image d’une gestuelle impliquée à cœur ouvert, et une raideur, presque brutale, qui n’engage pas l’orchestre à détailler la finesse de la partition, alors que les motifs devraient être caressés avec la douceur du velours d’une patte de chat.
Après l’entracte, la chaleur regagne la fosse, le lyrisme généreux également, et les deux derniers actes combinent superbement dramatisme orchestral, scénographie sombre, et variations des ambiances lumineuses selon les vagues ombreuses de la musique.

Avec une distribution réunissant à la fois un véritable caractère vocal et une vérité scénique saisissante, Mariusz Trelinski réussit à la fois à porter Manon Lescaut dans notre monde immédiat, et à révéler la puissance et l’intimisme d’une partition, pour ma part négligée.

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Publié le 20 Octobre 2012

Lulu (Alban Berg)
Représentation du 14 octobre 2012
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Lulu Barbara Hannigan
Gräfin Geschwitz Natascha Petrinsky
Eine Theatergarderobiere, Ein Gymnasiast,

                              Ein Groom Frances Bourne
Der Medizinalrat, Der Professor Gerard Lavalle
Der Maler, Der Neger Tom Randle
Dr Schön, Jack Dietrich Henschel
Alwa Charles Workman
Der Tierbändiger, Ein Athlet Ivan Ludlow
Schigolch Pavlo Hunka
Der Prinz, Der Kammerdiener, Der Marquis Robert Wörle
Der Theaterdirektor, Der Bankier Runi Brattaberg
Eine Fünfzehnjährige Anna Maistrau
Ihre Mutter Mireille Capelle
Die Kunstgewerblerin Beata Morawska
Der Journalist Benoît De Leersnyder
Ein Diener Charles Dekeyser
                                                                                         Charles Workman (Alwa)
Direction Musicale Paul Daniel
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Mise en scène Krzysztof Warlikowski 

Krzysztof Warlikowski est un metteur en scène capable de parler des femmes avec une profonde empathie, et de montrer comment leur mystère peut se heurter au manque de sensibilité de la nature humaine.
Il défend toujours naturellement, viscéralement et entièrement leur idéal, même si la pensée conventionnelle présente d‘elles, dans les textes choisis, une nature dangereuse ou coupable.

Tom Randle (Le Peintre) et Barbara Hannigan (Lulu)

Tom Randle (Le Peintre) et Barbara Hannigan (Lulu)

Ainsi, il ne s’attache pas à leur image sociale, qu’elle soit construite par elles-mêmes ou par l’imaginaire des autres, et met plutôt en lumière l’esthétique intérieure de leur être et la peine qui en est l’essence.

Que ce soit au théâtre ou à l’opéra, Iphigénie, Kundry, Alceste, Marilyn Monroe, Médée nous sont toujours apparues comme contraintes dans un milieu masculin dominant, et ce sont ces visions si éloignées des stéréotypes courants que l’on apprécie chez lui.

Dietrich Henschel (Doctor Schön) et Barbara Hannigan (Lulu)

Dietrich Henschel (Doctor Schön) et Barbara Hannigan (Lulu)

Il est, pour le spectateur, le regard perçant qui l’oblige à voir ce qui n’est pas directement visible, un regard non pas instantané, sinon le résultat d’une réflexion élaborée dans le temps.

Ce qu’il vient de faire à Bruxelles, pour la nouvelle production de Lulu, est un spectacle qui représente le meilleur de lui-même. Son travail de stylisation touche à la vérité des désirs humains tapis dans un univers de strass. Il n’effleure que furtivement les expressions vulgaires, et rapproche, au même instant sur scène, différentes lignes de temps, le présent et la jeunesse de Lulu.

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

La belle idée de Warlikowski est d’imaginer en elle un rêve de danseuse inaccompli, le cygne noir du Lac des Cygnes, Odile, l‘ange exterminateur tel que Schön la perçoit.
C’est une liberté interprétative que lui permet le livret par de nombreuses allusions à la danse et au Prince.
Il introduit ainsi un autre personnage de ce conte, Rothbart, la malédiction fatale qui fait peser sur la vie de Lulu la tentation possessive et fascinée des hommes pour elle.

Barbara Hannigan (Lulu) et un des danseurs

Barbara Hannigan (Lulu) et un des danseurs

Il suffit d'évoquer le caractère déployé par Rudolf Noureev dans sa version du ballet de Tchaïkovski , pour que ses formes bleu-vert d'oiseau de proie croisent, dans notre propre monde chimérique, les élans impulsifs de cette mystérieuse oeuvre du destin qui apparaît sur la scène.

Ce personnage noir, aux traits dissimulés sous un masque de paillettes étincelantes, survient avant que la musique ne commence, assis dans la grande loge de côté face à la scène. Il prend les traits du dompteur dans le prologue, puis personnifie ce désir obscur qui étreint la jeune femme depuis sa petite enfance tout au long de la pièce.

Ivan Ludlow (L'Athlète)

Ivan Ludlow (L'Athlète)

On peut ainsi voir les souvenirs de l’orphelinat d’où elle fut enlevée, en arrière plan d’une cage en verre qui expose les corps élancés des très jeunes danseuses et danseurs de ballet. L’image, avec ses reflets colorés rouge orangé rosacés par la lumière, peut simplement se voir dans toute sa grâce, même si l’intention est peut être provocatrice. Comment ne pas songer à une représentation de l'enfance manipulée et exposée pour satisfaire aux rêves du monde des adultes, la privant de bien précieux moments pendant lesquels elle aurait pu se consacrer à la connaissance et la contemplation du monde?

Elle succède par ailleurs à d’autres images plus brutales, les bêtes de foires, le suicide du peintre - sa violence étant atténuée par une visibilité qui tourne au voyeurisme - et la prison de Lulu.

Charles Workman (Alwa) et Barbara Hannigan (Lulu)

Charles Workman (Alwa) et Barbara Hannigan (Lulu)

La force théâtrale est cependant fortement concentrée sur le personnage de Lulu, rôle pour lequel Barbara Hannigan est une révélation scénique mémorable.
On peut citer des tableaux éphémères marquants comme le final du premier acte pour lequel une ballerine danse sur des pointes l’envol du cygne noir, dans le silence le plus total, accompagnant ainsi l’élan de Lulu vers la scène, ou bien le final du second acte où le songe d’Alwa devant les jambes de Lulu qui se séparent est fortement sexualisé.

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

La soprano canadienne joue de toutes les facettes de son corps, sensuel, souple et félin, il va sans dire, avec une aisance captivante au point d’en faire oublier tout ce qui se passe autour. La fascination de son entourage pour elle ne se comprend pas seulement par sa nature physique, mais surtout par la liberté totale qu’elle se donne, liberté qui se retrouve dans toutes les variations corporelles.

Son chant très clair rayonne une joie vitale enfantine, une joie qui est un surplus d’âme pour un personnage animalement équivoque.

Lulu (Hannigan-Workman-Daniel-Warlikowski) La Monnaie

Une telle énergie émane également de Dietrich Henschel, un Doctor Schön relativement jeune et tenace, le meilleur acteur de la distribution, mais les plus fortes impressions vocales proviennent d’Ivan Ludlow, l’Athlète, une large projection vocale profondément dominante en accord avec le physique coulé pour le rôle.

En fait, tous les rôles et toutes les voix sont parfaitement bien intégrés entre eux, même si aucun rôle masculin, à part peut-être Charles Workman qui est par nature un interprète pathétiquement humain - au sens réaliste du terme -, ne révèle une sensualité qui perce la dureté du langage vocal. 

Lulu (Hannigan-Workman-Daniel-Warlikowski) La Monnaie

Le rôle splendide de la Comtesse Gerschwitz , amoureuse folle de Lulu, est rendu avec une féminité magnifique qui en fragilise l’être, ce qui, même si Natascha Pétrinsky y met un peu trop de réserve au début, en élimine toute expression inquiétante, et ajoute une part de mystère féminin à ce portrait sensible.

Paul Daniel est un chef qui a l’habitude de travailler avec Krzysztof Warlikowski, et tous deux ont été récompensés pour leur interprétation de Macbeth dans ce même théâtre en 2010.

NNatascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

NNatascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

On reconnaît cette pâte dense aux coloris chambristes, un grand sens de la tension théâtrale, et l’univers de Lulu s’en trouve tout autant adouci de tonalités dominantes sur les dissonances.

Ce travail sur la concordance du flux musical, l’atmosphère lumineuse et le sens du geste fait toute la valeur de ce spectacle, mais il y a aussi les qualités humaines et intellectuelles du public de la Monnaie, public qui sait préserver un long silence après les dernières notes et l’extinction des lumières, puis accueillir très chaleureusement l’équipe intégrale, une attitude émouvante impensable dans les salles parisiennes.

Krzysztof Warlikowski entouré des jeunes danseurs, Charles Workman (Alwa), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

Krzysztof Warlikowski entouré des jeunes danseurs, Charles Workman (Alwa), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

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Publié le 12 Juin 2012

Il Trovatore (Giuseppe Verdi)
Représentation du 10 juin 2012
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Il Conte di Luna Scott Hendricks
Manrico Misha Didyk
Azucena Sylvie Brunet-Grupposo
Leonora Marina Poplavskaya
Ferrando Giovanni Furlanetto

Mise en scène Dmitri Tcherniakov
Direction musicale Marc Minkowski

 

 

                                                                                                   Scott Hendricks (Il Conte di Luna)

Chacun sait que si le Théâtre de la Monnaie a une telle renommée aujourd’hui, il la doit à Gerard Mortier. Il est donc naturel qu’une des salles lyriques majeures en Europe accueille, pour la première fois, le metteur en scène russe dont le directeur flamand fit découvrir à Paris le travail sur Eugène Onéguine en 2008, puis Macbeth en 2009.

Beaucoup, attirés de toutes parts, se sont ainsi déplacés pour cette première représentation, et l’on a même pu reconnaître, parmi le public, des membres de la direction de l’Opéra national de Paris.

L’intrigue du Trouvère est connue pour être particulièrement alambiquée, centrée sur une gitane, Azucena, qui enleva par le passé l’un des deux fils d’un vieux Comte, afin de venger sa mère condamnée au bûcher par lui. Elle éleva le jeune homme qui, au moment présent, va devenir l’opposant politique et le rival en amour de son frère, le Comte di Luna, sans en connaître pour autant les liens de parenté.

Sylvie Brunet-Grupposo (Azucena)

Sylvie Brunet-Grupposo (Azucena)

Dmitri Tcherniakov s’empare ainsi de ce sujet pour œuvrer à une des transpositions les plus risquées de sa part, car il se permet de supprimer tous les personnages secondaires en redistribuant leurs airs au chœur, à Azucena et Ferrando.

Son concept de huis clos familial - cinq personnes liées par un secret se réunissent pour le découvrir et le comprendre - se déroule dans un décor unique, l’espace intérieur d’une demeure flanqué, à gauche, des reflets miroirs d’un sombre et étroit couloir, et à droite, d’une pièce ouverte sur l’extérieur afin d’y respirer.

Quant aux voix d’outre-tombe du chœur vêtu en noir, elles ne s’élèvent plus que depuis le sous-sol, derrière l’orchestre, ou bien en arrière-scène.

L’action se resserre ainsi à l’essentiel, et c’est au spectateur, en fonction de son histoire et de sa propre sensibilité à ce type de situation familiale, d’entrer en empathie avec les états d’âme des protagonistes. Tcherniakov en montre leur mal-être, on boit et on fume souvent sur scène, les tensions grandissantes, chez le Comte particulièrement, et beaucoup de choses se racontent dans la première partie.

Cette atmosphère purement psychologique est difficile à investir, et c’est au cours de la seconde partie, quand les personnages se prennent au jeu et revivent leur passé dramatique avec séquestration et meurtres réels, que l’action devient visible et tendue.

 

Marina Poplavskaya (Leonore)

Mais peut-on croire que chacun de nous peut être amené à faire ressurgir ainsi les actes de ses ascendants? C'est sur ce point que repose toute la crédibilité de la démarche.

Comme on pouvait s'y attendre, les chanteurs sont totalement engagés dans ce climat lourd et sa promiscuité étouffante.

Trépignant et torturé, Scott Hendricks est un habitué des mises en scène exigeantes et sans fard. Il a non seulement les inflexions verdiennes rugissantes, mais aussi un très beau sens des nuances poétiques, même si, parfois, l'emballement théâtral en dépareille les couleurs. Et cette folie intérieure, qu'il fait vivre dans toute sa violence extérieure, a toujours quelque chose de très fort et viscéral.

Marina Poplavskaya a également un personnage complexe à interpréter, plutôt passive et malmenée au début, amoureuse de Manrico, puis déchirée, devant chanter "D’amor sull’ali rosee" au dernier acte face au mur et dos à la scène.

Ce que l'on entend dans le registre médium-grave est une magnifique plainte enrubannée de velours noir, suave, et des expressions plus atypiques dans les aigus, avec une tendance à privilégier la puissance aux piani subtils.

Misha Didyk (Manrico), Giovanni Furlanetto (Ferrando), Marina Poplavskaya (Leonore) et  Sylvie Brunet-Grupposo (Azucena)

Misha Didyk (Manrico), Giovanni Furlanetto (Ferrando), Marina Poplavskaya (Leonore) et Sylvie Brunet-Grupposo (Azucena)

Pas forcément attendue dans le rôle d'Azucena, Sylvie Brunet-Grupposo se révèle pourtant excellente actrice et surprenante, car elle la féminise fortement en éclaircissant et en allégeant son chant, alors que son récit du second acte manque néanmoins d'évocation hallucinée.

La déception provient en fait de Misha Didyk. Lors de son apparition, sa ritournelle dédiée à Léonore, entonnée depuis les coulisses, et l'étendue des couleurs fantomatiques de sa voix ont tout d'abord suscité une impression fantastique. Mais par la suite, l'absence d'italianité de ce ténor sombre aux accents fortement slaves retire beaucoup de séduction à son chant, et Manrico se retrouve être un homme solide, un peu rude, absolument pas pleurnichard, mais bien peu subtil.

Enfin, grâce à son rôle étendu qui lui assure une présence intégrale sur scène, Giovanni Furlanetto a surtout l'occasion de jouer le personnage de Ferrando sur la durée, dans une interprétation sans doute pas imposante mais agréable.

Très souvent, les expériences théâtrales à l'opéra impliquent un parti pris de la direction musicale pour infléchir l'harmonie et le rythme au climat de l'œuvre.

Dmitri Tcherniakov et Marc Minkowski

Dmitri Tcherniakov et Marc Minkowski

On n'attendait pas de Marc Minkowski un épanouissement stylistique dans la grande tradition italienne, avec des enchainements virevoltants dans les cabalettes et un son bien léché, sinon un sens du théâtre qu'on lui connaît bien.

La première chose qui frappe est la consistance du tissu orchestral, dense et mat comme l'ébène, l'écrasement du relief sonore, et la sagesse des cadences, assez étonnante pour un tel chef. Les couleurs de l'orchestre deviennent surtout très belles dans les mouvements amples, profonds, mais dans l'ensemble, une certaine lourdeur règne pendant toute la première partie.
Par la suite, c’est la dynamique des passages spectaculaires qui retient l'attention, souple et éclatante, et la poésie feutrée du grand air de Leonore.

La poésie, Dmitri Tcherniakov ne l’oublie pas non plus, comme cette magnifique image du Comte endormi à côté de Léonore, la chevelure ondoyante sur le sol.

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Publié le 15 Septembre 2011

Médée (Cherubini)
Représentation du 11 septembre 2011
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Médée Nadja Michael
Jason Kurt Streit
Néris Christianne Stotijn
Créon Vincent Le Texier
Dircé Hendrickje Van Kerckhove
Première servante Gaëlle Arquez
Deuxième servante Anne-Fleur Inizan

Direction Musicale Christophe Rousset
Les Talens Lyriques
Mise en scène et dialogues parlés de Krzysztof Warlikowski

 

                                                                                                  Nadja Michael (Médée)

En ouvrant la nouvelle saison de La Monnaie sur la vision personnelle de Médée par Krzysztof Warlikowski, Peter de Caluwe réaffirme son engagement pour les formes artistiques dont dépend le renouveau contemporain de l’art lyrique.
Cette mission est importante, car elle secoue les tendances conventionnelles et consensuelles qui caractérisent si souvent l’esprit de représentation des opéras.

A travers un tel personnage mythologique, le régisseur polonais aborde ainsi le thème de la dépendance affective vécue dans la phase de décomposition d’un couple moderne, et il décrit, sans la moindre édulcoration, la déformation intérieure de l’héroïne, autant que les restes d’attraction et de gêne de son ex-époux.

Hendrickje Van Kerckhove (Dircé) et Vincent Le Texier (Créon)

Hendrickje Van Kerckhove (Dircé) et Vincent Le Texier (Créon)

Nous sommes dans l’univers musical et cinématographique des années 1960, et des images de vie familiale tournées en super 8 sont projetées avant le spectacle et pendant l’entracte, alors que toute la salle résonne des tubes des Shocking blues ou des Suprêmes. On réentend même The Man I Love, air infiniment mélancolique qu’a utilisé pour Persona.Marilyn Krystian Lupa, le metteur en scène dont Warlikowski a été l’assistant. 
Il faut voir comment les personnes du public qui connurent cette époque se retrouvent enchantées par cette ambiance qui les ramène vers leur jeunesse.

L’ouverture sur le décor unique nous plonge dans un monde que l’on connaît bien, les parois souples et semi-réfléchissantes où la salle se mire, les néons, les jeux de lumières qui peuvent être autant feutrés que glacés, et l’inévitable salle d’eau avec son miroir.
Les femmes se livrent à des défilés de mode, tout en couleur, certaines imitant Marilyn Monroe, les hommes sont tout habillés de blanc et noir à l’identique, chacun est ainsi à sa place dans un rôle social bien défini.
 

Nadja Michael détonne donc lorsqu’elle apparaît en cuir noir, une multitude de tatouages sur les bras. Elle compose un personnage théâtral extrêmement fort, sophistiqué mais qui se met à nu par la suite, dans un délire violent et titubant. Ses fascinants yeux en amande sont le reflet du regard slave et perçant de Warlikowski, on peut imaginer à quel point ces deux êtres ont du bien s’entendre.

Vocalement, il s’agit d’un déchainement hors du commun fait de fulgurances, d’intonations masculines, et d’aigus saillants qui forment soudain, devant nos yeux, comme de puissantes dagues torsadées qui s’érigent aussi vite qu’elles se replient.

On y retrouve toute la douleur interne d’un amour propre atteint, libérant ainsi une énergie qui va devenir destructrice, d’abord contre elle-même, puis contre ses enfants.

 

Nadja Michael (Médée)

Les récitatifs ont été réécrits par Krzysztof Warlikowski dans un langage moderne et cru. On y retrouve les réminiscences de Médée se souvenant du corps de Jason, comme de son emprise psychique qui s’est immiscée, tel un poison, dans le corps de Dircé.

Dans la scène finale, Médée réapparait, le ventre bondé comme si elle était enceinte, mais elle ne laisse tomber qu’un reste minéral, une manière de matérialiser enfin sa libération de son mal profond.

Stylistiquement, si l’on est avant tout sensible à la finesse des harmonies, il faut reconnaître que la délicatesse du chant français se trouve en retrait, au profit d‘une peinture vocale intense et dense, que ce soit le Créon caverneux de Vincent Le Texier, étonnant dans son appropriation du rôle et sa folie disjonctée à la mort de Dircé, ou bien le flot noir et tremblant de Christianne Stotijn.

Tous ces artistes sont poussés à exprimer une vérité non pas purement vocale, mais aussi corporelle. Hendrickje Van Kerckhove brosse ainsi un portrait plaintif et fortement angoissé de la jeune fiancée, avec une émission haute et étroitement canalisée.
Endossant un rôle peu glorieux, la solide stature de Kurt Streit est aussi servie par des inflexions humaines et profondes qui laissent poindre des sentiments de culpabilité, des signes de mal être, car dans cette situation, les êtres restent liés par les angoisses chevillées au corps.

Kurt Streit (Jason) et Nadja Michael (Médée)

Kurt Streit (Jason) et Nadja Michael (Médée)

L’ampleur et l’engagement total des chœurs sont à l’unisson des Talens Lyriques, que Christophe Rousset tire quand même vers une violence sauvage dés l’ouverture, mais qu’il cadre par la suite dans un rythme bien cadencé, froid, d’où émergent de larges nappes sombres aux reflets violacés.

Un spectacle mis en scène par Krzysztof Warlikowski s’entend et se revoit plusieurs fois, et des choses passent même sans que l’on s’en aperçoive. C’est pourquoi, la reprise de Médée au Théâtre des Champs Elysées, la saison prochaine, sera un immanquable, tout comme sa nouvelle mise en scène de Lulu à la Monnaie.

Médée sera diffusée en accès libre pendant trois semaines sur le site de La Monnaie à partir du 23 septembre 2011. 

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Publié le 26 Juin 2011

Les Huguenots (Meyerbeer)
Représentation du 19 juin 2011
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Marguerite de Valois Marlis Petersen
Valentine Mireille Delunsch
Urbain Yulia Lezhneva
Raoul de Nangis Eric Cutler
Comte de Saint-Bris Philippe Rouillon
Comte de Nevers Jean-François Lapointe
De Retz Arnaud Rouillon
Marcel Jérôme Varnier
Cossé Xavier Rouillon

Direction Musicale Marc Minkowski
Mise en scène Olivier Py

                                                                                                           Eric Cutler (Raoul de Nangis)

Face à l’Opéra de Paris, le Théâtre de la Monnaie ne pèse qu’un sixième du budget et se permet pourtant d’offrir autant de soirées d’opéras que la moitié de la saison de ce grand temple parisien.

Le dynamisme de la direction artistique se distingue aussi bien par le choix des ouvrages, seule une petite moitié est dédiée au grand répertoire facilement accessible, que par la forme théâtrale qu’elle confie à des scénographes créatifs.
La force attractive de cette maison prend chaque année une ampleur internationale de plus en plus incontournable.

 Décor des Huguenots (mis en scène par Olivier Py) à la fin du deuxième acte.

Décor des Huguenots (mis en scène par Olivier Py) à la fin du deuxième acte.

Sous le regard d’Olivier Py, Les Huguenots apparaissent fortuitement comme la continuité de  Mathis der Maler, œuvre qu’il a mis en scène à l’automne dernier.
Les mêmes façades renaissance d’édifices épiscopaux, dispendieusement recouvertes d’or, la même distinction symbolique entre les Protestants vêtus d’un noir austère et les Catholiques habillés en blanc sous une cuirasse de métal doré, et la même identification du fanatisme de l’église romaine à l’idéologie national-socialiste allemande (au moyen de brassards blanc marqués d’une croix noire) constituent des lignes de forces esthétiques et didactiques frappantes.

Le grand tableau final, au cours duquel on voit sur deux niveaux le chœur tomber sous les coups claquants des croix maniées par un soldat en armure - il s’agit d’une figure allégorique issue du retable d’Issenheim, et qui fut précédemment utilisée à Bastille pour le chef d’œuvre d’Hindemith -, est une exposition forte et retenue des massacres religieux perpétués jusqu’à notre époque moderne.

Dans les deux premières parties, depuis le château de Chaumont-sur-Loire où réside le Comte de Nevers puis, quelques kilomètres plus au sud, au château de Chenonceau où vit en toute quiétude Marguerite de Valois, les fêtes dionysiaques et les scènes érotiques qui illustrent le « péché » tel que le reproche plus loin  Marcel, le valet de Raoul, à la Maison catholique, sont l’occasion de retrouver le goût impudique d’Olivier Py pour ces scènes. Il réussit bien mieux à magnifier la légèreté des pas et la douceur de peau des baigneuses, sous les lumières assombries d’ocre, que les corps masculins auxquels il n’accorde que peu de grâce.

 

Mireille Delunsch (Valentine)

Au nombre des réussites visuelles, parmi lesquelles se remarque le découpage architectural du décor des rues de Paris qui mue de façon dynamique dans les moments d’agitation populaire, se compte une vision très romantique lorsque Valentine apparaît la nuit à la fenêtre d’une tour qui prolonge l’extrémité des loges de la salle dans la scène. Elle semble n’être éclairée que par la lune. A cet instant, elle songe au moyen de prévenir Raoul du complot ourdi contre lui.

On sait que l’implication de Catherine de Médicis dans le massacre de la Saint-Barthelémy reste controversée, alors avec prudence, Olivier Py la fait assister de manière passive aux prises de décision, une main sur le cœur trahit même son émotion à l’instant irréversible.

Eric Cutler (Raoul de Nangis)

Eric Cutler (Raoul de Nangis)

Les Huguenots sont réputés difficiles à monter de par le niveau d’exigence qu’ils imposent aux chanteurs. L’intégralité de la distribution montre cependant qu’elle dispose de qualités vocales et expressives suffisamment nobles pour défendre une telle partition fleuve.

A l’ouverture, le charme et la maturité de Jean-François Lapointe, et son soin du langage,  projettent le Comte de Nevers dans le camp des bons, des hommes dont on sent que l’âme ne peut être totalement pervertie malgré l’entourage impétueux.
Il est le contraire de Philippe Rouillon qui hisse le Comte de Saint-Bris à la noire hauteur du Grand Inquisiteur imaginé par Verdi dans Don Carlos, mais avec un côté teigneux.
 

Sous les traits d‘un groom taquin, la très jeune Yulia Lezhneva interprète joliment, et avec clarté, les pages enjôleuses d’Urbain. Elle a encore toute une sensualité profonde à développer avec les années, comme en rayonne déjà Marlis Petersen, subtilement virtuose. Chaleureusement rêveuse, elle fait de Marguerite de Valois une femme vivante et humaine et déconnectée de la dangereuse réalité politique.

Du côté des Huguenots, Jérôme Varnier caractérise Marcel avec beaucoup d‘âme, car si son timbre n’est pas policé, il signe une individualité inhabituelle d’autant plus que la diction est impeccable, et son élocution marquante.

Cependant, Valentine et Raoul forment le pilier humain qui porte de bout en bout l’ouvrage.
On peut dire ce que l’on veut sur Mireille Delunsch, l’aigu pourrait être plus lissé, les graves plus timbrés, mais l’ampleur et la précision vocale sont bien là, et il y a en elle cette magie d’actrice, une mélancolie qui tressaille et s’abîme sur le visage.
Son jeu est si vivant, que le danger est de ne plus la quitter du regard, même lorsqu’elle n’est plus au centre de l’action.

Il ne doit pas y avoir beaucoup de chanteurs capables aujourd’hui de soutenir avec autant de prestance qu’Eric Cutler, le grand berger du  Roi Roger à l’Opéra Bastille à la toute fin du mandat de Gerard Mortier, le rôle omniprésent de Raoul.  Non seulement il ne manifeste aucune faille, on comprend nettement son français, mais sa vaillance peut se transformer en grâce jusqu’au dernier acte. Cet engagement total est la plus grande surprise de cette matinée.

Mireille Delunsch (Valentine)

Mireille Delunsch (Valentine)

Quand il s’agit de donner du souffle à une partition, Marc Minkowski entretient avec l’orchestre une tension bagarreuse qui peut l’amener à un peu négliger les plus fins détails, les écritures en dentelle. Son énergie, combinée à un chœur relativement peu bridé, n’est d’ailleurs pas loin de mener les grands ensembles au bord d’une cacophonie écrasante.

Mais la théâtralité prime, et la musique de Meyerbeer suit un courant plein d’allant issu de la même inspiration vitale qu’Offenbach, et surtout, Minkowski  révèle une exubérante exaltation romantique dans le grand duo d’amour « O ciel! Où courez vous? » dont il sublime l’intensité verdienne.  On est alors transporté dans le grand duo d’amour du Bal Masqué entre Amelia et Riccardo.

La Monnaie de Bruxelles avait achevé sa saison précédente avec  Macbeth, mis en scène par Krzysztof Warlikowski, reconnu comme le meilleur spectacle européen de l’année.
Avec Les Huguenots elle refait l’événement, et laisse de forts souvenirs avant la trêve estivale.

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