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Publié le 4 Juillet 2021

Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat (Amos Gitai)
Représentation du 01 juillet 2021
Théâtre de la Ville – Théâtre du Châtelet

Avec Sarah Adler, Natalie Dessay, Irène Jacob, Rachel Khan
Guillaume de Chassy, piano, Shani Diluka, piano, Bruno Maurice, accordéon, Alexey Kochetkov, violon, Louis Sclavis, clarinettes, saxophones
Chœur Accentus

Pièces ou extraits musicaux : Maurice Ravel (Kaddish), Benjamin Britten (War Requiem), Gustav Mahler (Das Lied der Erde), György Ligeti ( Lux Aeterna, Éjszaka-Reggel), Paul Hindemith (Kammerkonzert n° 1 op. 24), Jean-Sébastien Bach (Prélude en Do mineur BWV 847 et Prélude en Si mineur BWV 855A), Ernest Bloch (Schelomo), Alexey Kochetkov (Aurora), Henri Duparc (L’Invitation au voyage), Philip Glass (Mad Rush)

Natalie Dessay (à droite) - Photo Théâtre de la Ville

Natalie Dessay (à droite) - Photo Théâtre de la Ville

Washington, le 13 septembre 1993, le premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le chef de l’OLP Yasser Arafat échangent une poignée de main historique et font « le pari courageux que l’avenir sera meilleur que le passé ». Un premier accord entre Juifs et Palestiniens prévoit la fin de la lutte qui les oppose et le partage de la terre sainte.

Après une attaque contre une mosquée à Hébron et l’explosion d’un autobus piégé à Tel-Aviv en riposte à cette agression et plus d’une année de négociation, le parti travailliste enjoignit ses partisans à monter au créneau, et la soirée du 04 novembre 1995 débuta par un véritable triomphe avec un afflux de dizaine de milliers d’Israéliens vers la place des Roi d’Israël de Tel-Aviv. Elle s’acheva par l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un jeune extrémiste juif de 23 ans nommé Yigal Amir.

Scène de Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat - Photo Christophe Raynaud de Lage

Scène de Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat - Photo Christophe Raynaud de Lage

A l’occasion du triste anniversaire des 25 ans de cet évènement qui nous a éloigné le plus possible d’un accord et contribué à créer des fractures au sein même des relations individuelles à travers le monde entier, Amos Gitai a imaginé une fable pour remémorer le souvenir des circonstances de cette journée terrible.

Sur scène, quatre femmes, Sarah Adler, Irène Jacob, Rachel Khan et Natalie Dessay font revivre le témoignage de Leah Rabin, la veuve du premier ministre. La lecture est alliée à des extraits de films d’archives projetés en arrière-plan et des passages musicaux joués sur scène.

Pour l’amateur lyrique, les vocalises lumineuses de Natalie Dessay qui ouvrent la pièce créent un fascinant moment d’irréalité, puis le texte présente la personnalité d’ Yitzhak Rabin, son volontarisme, son parcours de soldat israélien, son mea-culpa nécessaire pour sa brutalité envers les Palestiniens au cours des premières années de guerre, son entente avec son rival Shimon Pérez, homme raffiné, puis son attitude combative au parlement quand il fallut défendre le plan de paix.

Yitzhak Rabin et Amos Gitai - Crédits : Amos Gitai

Yitzhak Rabin et Amos Gitai - Crédits : Amos Gitai

Au centre de la pièce, la montée de la violence de ses opposants, de la diabolisation de sa démarche et de la diffusion de la haine parmi le camp conservateur est montrée de façon effrayante, et la responsabilité de Benjamin Netanyahu est parfaitement bien suggérée en filigrane par quelques furtives images parfaitement bien insérées.

La lecture opérée par ces voix féminines incite cependant au calme, les extraits musicaux de Bach à Philip Glass créent une atmosphère recueillie sans plainte, et ce qui ressort de cette soirée d’un peu plus d’une heure et demi est le sentiment d’une veillée autour d’un acte central qui reste un lancinant traumatisme universel.

Sous des lumières ombrées, ce spectacle prend une tournure presque religieuse au final, le chœur Accentus chantant de dos, et dans la salle du Châtelet, sous les hauteurs incroyables de son arche de scène dorée, voir le public captivé par ce qui est remémoré donne aussi la possibilité à chacun de partager une question commune et de le montrer.

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Publié le 6 Octobre 2020

Exils intérieurs (Amos Gitaï - 2020)
Représentation du 05 octobre 2020
Théâtre de la ville – Les Abesses

Textes Thomas Mann, Rosa Luxemburg, Albert Camus, Antonio Gramsci, Else Lasker Schüler

Comédiens Natalie Dessay, Pippo Delbono, Jérôme Kircher, Markus Gertken, Hans-Peter Cloos
Musiciens Alexey Kochetkov violon, Bruno Maurice Accordéon, Philippe Cassard Piano

Mise en scène Amos Gitaï

 

                                                 Natalie Dessay

 

Une table de bureau allongée sur le devant de la scène, des lampes et des micros dont les ombres dessinent en arrière plan des impressions de paysages industriels crépusculaires, et le narrateur principal (Jérôme Kircher) s’installe à l’une de ses extrémités, rejoint par Markus Gertken, Hans-Peter Cloos et Pippo Delbono.

Natalie Dessay

Natalie Dessay

Un dialogue s’installe naturellement entre le narrateur, qui contextualise chaque intervention, et les personnalités de Thomas Mann et Herman Hesse, deux romanciers qui se tenaient en grande estime, ainsi qu’Antonio Gramsci.

Pendant 1h40, chacun lit des écrits qui expriment doutes et ressentis face à une situation politique qui s’apprête à dégénérer en Allemagne et en Italie au début du XXe siècle.

La théâtralité est donc d’abord dans la voix et dans l’art de la déclamation pour lequel Markus Gertken est particulièrement passionnant à entendre de par la délicatesse avec laquelle il dessine chaque expression en induisant un sens à travers la sonorité qu’il donne à chaque syllabe.

Markus Gertken

Markus Gertken

La Suisse est citée comme terre d’accueil de tous les révolutionnaires européens – et l’on pense à Richard Wagner après l’échec de la révolution de 1848 –, et les destins de Rosa Luxemburg,  militante polonaise socialiste et communiste, d’Else Lasker Schüler, poétesse juive allemande, et d’Antonio Gramsci, philosophe italien, replongent l’auditeur dans une période qui provoqua l’engagement et l’interrogation de nombre d’artistes.

Ces échanges, passant de la langue française à la langue allemande et italienne, exigent du spectateur un fort pouvoir de concentration, et afin de lui accorder des moments de respiration, des extraits de films d’Amos Gitaï sont projetés en arrière plan, de Tsili (2013) à Berlin Jérusalem (1989) en passant par Kippour (2000) et Terre promise (2004), qui créent donc un rapprochement entre le passé et le présent plus récent, avec en filigrane le même questionnement.

 Philippe Cassard, Pippo Delbono, Jérôme Kircher, Talia de Vries, Alexey Kochetkov, Natalie Dessay

Philippe Cassard, Pippo Delbono, Jérôme Kircher, Talia de Vries, Alexey Kochetkov, Natalie Dessay

Mais le plus beau est la présence de Natalie Dessay, actrice mais aussi chanteuse ce soir, qui intervient telle une muse inspiratrice que l’on écoute émerveillé interpréter les lancinantes vocalises de Serge Rachmaninov, des airs en allemand, ainsi que le poème de Baudelaire « l’invitation au voyage » sur la musique d’Henri Duparc. Épouse du baryton-basse Laurent Naouri, elle trouve dans le travail d’Amos Gitaï un écho à son attachement à la communauté juive, et donc une très belle façon d’exprimer une part d’elle même.

Et chacune de ses interventions sont fabuleuses, avec ce plaisir un brin nostalgique pour l'auditeur de retrouver une clarté et un piqué de timbre bien connus, et aussi une modestie dans la façon d’être sur scène fort touchante.

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Publié le 9 Septembre 2019

Letter to a friend in Gaza (Amos Gitaï)
Représentation du 07 septembre 2019 – durée 1h25
Théâtre de la Ville – Espace Cardin

Mise en scène & Scénographie Amos Gitaï 
Texte Makram KhouryAmos Gitaï
Avec Yael Abecassis, Clara Khoury 

Musique Alex Claude, Costumes Moïra Douguet
Les Musiciens Madeleine Pougatch chant 
                        Kioomars Musayyebi Santour
                        Bruno Maurice Accordéon
                        Louis Sclavis Clarinette

                                                          Clara Khoury

Sur scène, au centre face au public, Makram Khoury, né en 1945 dans une famille palestinienne chrétienne et plus jeune artiste arabe et premier Arabe à gagner le prix Israël, à sa droite, sa fille Clara Khoury, actrice arabe israélienne chrétienne, à sa gauche Yael Abecassis, actrice et modèle israélienne qui jouait le rôle de Rivka dans Kadosh (1999), puis, en seconde partie, dos au public, Amos Gitaï qui rejoint ces trois artistes chers.

Letter to a friend in Gaza (Amos Gitaï) - Théâtre de la Ville

Et autour de la table de bois étirée sur toute la largeur de la scène qui les réunit, trois musiciens recréent aussi bien l’ambiance musicale scintillante orientale du Santour, que des sonorités angoissantes de clarinette ou nostalgiques d’accordéon.

Enfin, en arrière-plan, des extraits du film d’Amos Gitaï Letter to a friend in Gaza ponctuent les lectures de lettres écrites entre Palestiniens et Israéliens, écrits inspirés de Lettre à un ami allemand d’Albert Camus (1945), mais également d'autres textes de poètes palestiniens ou israéliens (Mahmoud Darwich, Yizhar Smilansky, Emile Habibi, Amira Hass).

Makram Khoury  - Photo : Laura Stevens

Makram Khoury  - Photo : Laura Stevens

Les images parlent de la prise de Jérusalem par les Romains et de l’expulsion des Juifs de Palestine, des destructions de Gaza, de la violence de la colonisation et du mur de séparation, de la fierté et de la pudeur des mères palestiniennes d'aujourd’hui, même dans la douleur, du combat inégal entre les lanceurs de pierres palestiniens et les fantassins israéliens équipés d’électronique militaire, l’illustration absurde du combat de David contre Goliath en inversé.

Yael Abecassis - Photo : Laura Stevens

Yael Abecassis - Photo : Laura Stevens

Les textes, lus en langue originale, interrogent la conscience de chacun, focalisent les spectateurs sur les liens forts qui unissent des individualités des deux bords, afin de les sortir des schémas politiciens que relaye l’actualité; et chacun des acteurs est beau à voir.

La polyphonie complexe du Lux Aeterna de Ligeti pour 16 voix parle d’un rêve d’éternité et d'un désir d'harmonie.

L'ensemble des artistes - Photo : Catherine Schwab

L'ensemble des artistes - Photo : Catherine Schwab

Et tout le long de la pièce, la grâce sophistiquée et grave de Clara Khoury, le visage patriarcal, marqué par l’histoire et le combat, de Makram Khoury, le naturel introspectif d’Yael Abecassis et le mystère distancié d’Amos Gitaï imprègnent l’auditeur d’une humanité forte et ancrée dans le drame qui se joue au Moyen-Orient.

Puis, les mots laissent entendre que la vie finit par être plus forte que les tyrans, ce qui se révéla effectivement vrai pour la France face à l’Allemagne de la Seconde Guerre mondiale.

Diffusé le 04 septembre 2019, le film Letter to a friend in Gaza peut être revu sur Arte jusqu’au 01 novembre 2019.

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