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Publié le 12 Avril 2023

Nixon in China (John Adams – 22 octobre 1987, Houston)
Répétition générale du 20 mars, et représentations du 25 mars, 10 et 12 avril 2023
Opéra Bastille

Richard Nixon Thomas Hampson
Pat Nixon Renée Fleming
Zhou Enlai Xiaomeng Zhang
Mao-Zedong John Matthew Myers
Henry Kissinger Joshua Bloom
Chiang Ch'ing Kathleen Kim
Nancy Tang Yajie Zhang
Deuxième secrétaire de Mao Ning Liang
Troisième secrétaire de Mao Emmanuela Pascu

Direction musicale Gustavo Dudamel
Mise en scène Valentina Carrasco (2023)

Nouvelle production
Retransmission en direct le 07 avril sur la plateforme de l'Opéra de Paris, puis en différé sur Mezzo à partir du 14 avril, et sur France Musique le 29 avril à 20h.

L’entrée de ‘Nixon in China’ au répertoire de l’Opéra national de Paris, 11 ans après la production de Chen Shi-Zheng montée au Théâtre du Châtelet, et 31 ans après sa première française accueillie le 14 décembre 1991 par la MC93 de Bobigny, dans la production de Peter Sellars – qui est partie prenante dans la naissance de ce projet -, permet à la musique de John Adams d’enfin connaître les honneurs de la première scène lyrique française, en présence même du compositeur invité à cette occasion.

Renée Fleming (Pat Nixon)

Renée Fleming (Pat Nixon)

L’œuvre fut écrite 10 ans après la rencontre historique entre Richard Nixon et Mao Zedong à Pékin en 1972, et fut créée le 22 octobre 1987 au Houston Grand Opera.

Dans le contexte actuel de rivalité entre la Chine et l’Occident, elle aborde la question du rapprochement de cultures antagonistes, ce qui engendre une résonance bien particulière.

Xiaomeng Zhang (Zhou Enlai), Thomas Hampson (Richard Nixon) et Renée Fleming (Pat Nixon)

Xiaomeng Zhang (Zhou Enlai), Thomas Hampson (Richard Nixon) et Renée Fleming (Pat Nixon)

Cette nouvelle production permet également à Valentina Carrasco de faire ses débuts sur une scène où elle a précédemment collaboré avec La Fura dels Baus à l’occasion de ‘Il Trovatore’.

Avec un grand sens de l’humour ludique, la metteuse en scène argentine introduit nombre de références à des symboles aussi bien diplomatiques, patriotiques et culturels, mais elle se montre également critique en alimentant le déroulé de la rencontre de nombreuses références vidéographiques aux conflits politiques qui se sont soldés par des millions de morts.

Joshua Bloom (Henry Kissinger), Thomas Hampson (Richard Nixon), John Matthew Myers (Mao-Zedong), Xiaomeng Zhang (Zhou Enlai) et les trois secrétaires

Joshua Bloom (Henry Kissinger), Thomas Hampson (Richard Nixon), John Matthew Myers (Mao-Zedong), Xiaomeng Zhang (Zhou Enlai) et les trois secrétaires

L’ouverture débute sur une rencontre de ping-pong, menée au ralenti, entre deux sportifs, l’un en bleu, l’autre en rouge, en clin d’œil au voyage de jeunes pongistes américains qui arrivèrent le 10 avril 1971 en Chine pour une rencontre amicale, un an avant le voyage de Nixon.

C’est ensuite l’ensemble du chœur qui est transformé en équipe sportive, entouré de tables de ping-pong bleues, qui entonne le chant enflammé initial avant que n’atterrisse sous forme d’impressionnant aigle de métal aux yeux rougeoyants – un Pygargue, le symbole des États-Unis – l’avion du président américain.

Nixon in China (Hampson Fleming Dudamel Carrasco) Opéra de Paris

La première rencontre avec le premier ministre chinois est sobre et protocolaire, étayée par les clichés des photographes, et les discussions avec Mao-Zedong se poursuivent dans ses appartements remplis de bibliothèques, alors qu’en sous-sol des gardes brûlent des centaines de livres et torturent les dissidents. 

Nous somme en pleine révolution culturelle prolétarienne initiée en 1966, à un moment où Mao-Zedong est en train reprendre la main de façon sanglante et s’apprête à lancer une campagne critique contre la pensée humaniste de Confucius.

Kathleen Kim (Chiang Ch'ing) et Renée Fleming (Pat Nixon)

Kathleen Kim (Chiang Ch'ing) et Renée Fleming (Pat Nixon)

C’est donc la cécité du couple présidentiel invité qui est mise en exergue au cours de ce tableau dominé par la nature feutrée des échanges.

Puis, la scène du banquet est transformée en une compétition amicale de ping-pong que le camp chinois gagne haut la main, dans une effervescence joyeuse qui marque, en apparence, la fin des vaines hostilités entre la Chine et les États-Unis. 

Renée Fleming (Pat Nixon)

Renée Fleming (Pat Nixon)

Le deuxième acte est le plus dense car l’innovation et la richesse des références musicales s’épanouissent sans temps mort, mais aussi parce que Valentina Carrasco utilise une variété de langages poétiques, d’imageries de propagande et de visions documentaires qui se mélangent en soulignant avec une grande force toute l’ambivalence de la situation.

Après un amusant match de double au ping-pong rythmé par les oscillations musicales, la visite de Pat Nixon se déroule devant un défilé d’images cartonnées mettant en valeur le soin accordé au peuple, à son éducation et à sa prospérité grâce à l’élevage du cochon. Puis, les quelques éléments de décors déplaçables à la main sont recouverts de tentures verdoyantes, et, devant un magnifique rideau en balles de ping-pong évoquant une tempête de neige en suspens, la femme du président se livre à une rêverie hypnotique ‘This is prophetic!’ accompagnée par un immense dragon chinois rouge, symbole de la noblesse d'âme et du succès, avec lequel la relation devient même affective.

Renée Fleming (Pat Nixon)

Renée Fleming (Pat Nixon)

Ce grand moment de respiration inoubliable est cependant suivi par la représentation du ‘Détachement féminin rouge’, ballet révolutionnaire créé le 26 septembre 1964 au Ballet national de Chine  – le Palais Garnier accueillit une production de ce ballet en janvier 2009 -, où la violence de la scène de lynchage de la jeune chinoise va révéler la grande sensibilité de Pat Nixon

Nixon in China (Hampson Fleming Dudamel Carrasco) Opéra de Paris

A partir de cet instant, le langage de Valentina Carrasco s’appuie beaucoup plus fortement sur des images d’archives superposées à la rythmique dramatique de la musique qui dénoncent autant les exécutions chinoises que les bombardements militaires américains menés en Asie au tournant des années 1970.  Le fait que, dans l’opéra, Kissinger joue dans le ballet des rôles détestables, devient le véritable déclencheur de ce moment de confrontation à la réalité.

La caractérisation de Chiang Ch'ing maniant aussi bien le revolver que le ‘Petit livre rouge’ de Mao-Zedong est, elle aussi, sans aucun égard pour la femme du dirigeant chinois. La scène finale où elle apparaît posant telle une Vestale, livre, drapeau et châle rouges bien en main, mais dans une marée de sang, résume assez bien sa personnalité sanguinaire pervertie par une fascination mythologique détournée.

Kathleen Kim (Chiang Ch'ing)

Kathleen Kim (Chiang Ch'ing)

Le dernier acte s’ouvre soudainement sur la projection d’extraits du film ‘From Mao to Mozart’ réalisé en 1979 à l’occasion du voyage en Chine du violoniste américain Isaac Stern – qui est né à Kremenets, ville ukrainienne de nos jours – et qui présente, à travers le portrait d’un professeur de musique, ce qu’endurèrent ceux qui étaient soupçonnés de défendre l’art occidental.

La démarche fait beaucoup penser à celle adoptée par Krzysztof Warlikowski en mars 2008 au début du 3e acte de ‘Parsifal’ lorsqu’il utilisa un extrait du film de Roberto Rossellini ‘Allemagne année zéro’ pour critiquer les idéologies criminelles. Le public avait alors très mal réagi du fait que ni musique, ni bande son, ne soutenaient l’image.

Mais ce soir, malgré la longueur des extraits vidéo, les commentaires du film apportent une force à l’image que d’aucun n’osera reprocher.

Kathleen Kim (Chiang Ch'ing)

Kathleen Kim (Chiang Ch'ing)

Valentina Carrasco en reste cependant là pour l’analyse critique, et le dernier acte, très réflexif, se déroule dans un bleu nuit autour de tables de ping-pong disséminées dans tous les sens, et elle laisse le texte présenter les songes et les doutes de chaque protagoniste dans un atmosphère totalement surréaliste.

Il est rare de voir le travail d’un metteur en scène qui ne se limite pas au premier degré interprétatif de l’œuvre ne susciter aucune réaction négative lors d’une première représentation à l’Opéra de Paris, et pourtant, Valentina Carrasco réussit avec beaucoup d’intelligence à créer un consensus engagé autour de cette production qui est un véritable succès populaire comme chacun peut le constater en salle chaque soir.

Nixon in China (Hampson Fleming Dudamel Carrasco) Opéra de Paris

Bien entendu, la réalisation musicale est le pilier le plus important de cette entrée au répertoire, et la direction de Gustavo Dudamel fait honneur à la partition de John Adams, présent à l’opéra Bastille lors de la première représentation, en sachant créer des moments d’une très grande intimité tout en développant une complexité texturale qui fait beaucoup penser aux plus grandes orchestrations de Richard Strauss. Les cuivres sont utilisés avec des effets incisifs bien saillants, et les couleurs d’ensemble donnent beaucoup de lustre aux passages les plus spectaculaires.

Il est également fascinant de voir comment les deux pianos s’harmonisent avec les nappes orchestrales, de prendre la mesure des difficultés rythmiques à surmonter, et de sentir cette grande pureté qui se dégage dans la scène extatique de Pat Nixon, un moment de magie unique à vivre dans l’immensité de la scène Bastille.

Thomas Hampson (Richard Nixon) et Renée Fleming (Pat Nixon)

Thomas Hampson (Richard Nixon) et Renée Fleming (Pat Nixon)

Il y eut certes quelques effets de la sonorisation des chanteurs – une nécessité voulue par le compositeur - qui se sont fait entendre lors de la première, mais ils ont été mieux réglés par la suite. 

Thomas Hampson a conservé une présence vocale très appréciable qui se distingue par les couleurs très claires dans la tessiture aigüe ce qui contribue à donner une sensibilité rajeunie à son personnage qui est présenté ici de manière très sympathique. 

Ching-Lien Wu et le chœur de l'Opéra de Paris

Ching-Lien Wu et le chœur de l'Opéra de Paris

Il forme avec Renée Fleming un couple présidentiel très bien assorti, l’artiste américaine étant assez inhabituellement distribuée dans un rôle fort modeste qu’elle incarne avec une profondeur sans le moindre surjeu. Elle aime visiblement le côté rêveur de Pat Nixon, et l’on se surprend à retrouver les couleurs 'crème' qui ont fait sa renommée. La scène de jeu avec le Dragon rouge au second acte est un magnifique moment de laisser-aller à la poésie de l’enfance à laquelle elle s’adonne avec un très touchant sens de l’innocence retrouvée.

Gustavo Dudamel

Gustavo Dudamel

Le baryton chinois Xiaomeng Zhang offre au sombre ministre Zhou Enlai une très belle unité de timbre, mais aussi une tenue et une homogénéité austères qui donnent presque une image dépressive de cet homme complexe, mais qui résonnent aussi très bien avec ses dernières paroles, à la scène finale, où il s’interroge sur le bien fondé de toutes ses actions.

John Matthew Myers fait lui aussi ses débuts à l’Opéra de Paris, et Mao-Zedong prend sous ses traits une détermination assez vaillante soutenue par des qualités d’endurance très sollicitées, les aigus étant fermement soutenus sans que l’autoritarisme ne s’impose pour autant. Là aussi, un certain sentiment de jeunesse se dégage, en phase avec l’esprit surréaliste de l’ouvrage.

Renée Fleming, Gustavo Dudamel, Ching-Lien Wu, Valentina Carrasco et John Adams

Renée Fleming, Gustavo Dudamel, Ching-Lien Wu, Valentina Carrasco et John Adams

Kathleen Kim, que le public parisien a découvert en 2022 dans Cendrillon’ de Jules Massenet, réussit une réelle performance à incarner une femme, Chiang Ch'ing, qui est aux antipodes de ce qu’elle dégage habituellement. Ses couleurs vocales sont intégralement claires, mais elle vocalise avec une très grande précision, sait s’imposer dans une salle dont les dimensions ne lui sont pas forcément favorables, et elle s’imprègne d’une forme de mécanique militaire qui correspond bien à ce qu’incarne la femme de Mao.

Renée Fleming, Gustavo Dudamel, Ching-Lien Wu, Valentina Carrasco, John Adams et Thomas Hampson

Renée Fleming, Gustavo Dudamel, Ching-Lien Wu, Valentina Carrasco, John Adams et Thomas Hampson

Quant à Joshua Bloom, il se distingue principalement dans la scène du ballet où Henry Kissinger incarne plusieurs personnages du spectacles joués devant les Nixon, avec une vulgarité qui peut laisser penser qu’il y a peut-être une insinuation de la part de la metteuse en scène qui va au-delà de la simple représentation dans le spectacle.

Dans les rôles respectifs des trois secrétaires de Mao, Tang Yajie Zhang, Ning Liang, et Emmanuela Pascu forment un trio très bien phase et aux couleurs complémentaires, et le chœur, dirigé par Ching-Lien Wu, dont on reconnaît le visage parmi les personnages chinois représentés sur les estrades, fait montre d’une saisissante incisivité galvanique, mais aussi d’un style très épuré dans les moments contemplatifs.

Kathleen Kim, John Matthew Myers et Renée Fleming

Kathleen Kim, John Matthew Myers et Renée Fleming

Le magnétisme de ce spectacle est un jalon très important pour l’Opéra de Paris car il ouvre la porte à d’autres œuvres contemporaines écrites dans une veine lyrique séduisante tout en abordant des sujets de société actuels. Quand on sait que cet ouvrage a été programmé il y a plus de deux ans et qu’il se déroule au moment où le président français s’est rendu en Chine, impossible de ne pas être saisi par cette concordance des temps.

From Mao To Mozart: Isaac Stern In China (1979) - Documentaire intégral

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Publié le 29 Mars 2022

Concert pour la Paix 
Représentation du 27 mars 2022
Palais Garnier

Giuseppe Verdi
La forza del destino « Ouverture », « Pace, pace mio Dio » - Liudmyla Monastyrska
Macbeth « Patria oppressa » - Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris
Kyrylo Stetsenko
« Pisni moji » - Russell Braun, Piano Olga Dubynska
Serguei Rachmaninov
«Ne poy, Krasavitsa pri mne» - Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Piano Olga Dubynska
Claude Debussy 
"Clair de lune"Chorégraphie Alastair Marriott - Mathieu Ganio, Piano Elena Bonnay
Serguei Rachmaninov
« Polyubila ya na pechal' svoyu » - Emanuela Pascu, Piano Olga Dubynska
Taras Chevtchenko
« Reve ta Stohne Dnipr shirokyy » - John Daszak, Piano Olga Dubynska
Mykola Lyssenko
« Na pivnochi, na kruchi » - John Daszak, Russell Braun, Piano Olga Dubynska
Body and SoulChorégraphie Crystal PiteMusique Frédéric Chopin - Marion Barbeau, Simon Le Borgne
Modeste Moussorgski
« Prière des Streltsy » - Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris

Concert pour la Paix - dimanche 27 mars 2022 - Palais Garnier

Pietro Mascagni « Cavalleria rusticana » - Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris
Georges Bizet
« Carmen suite » - Chorégraphie Alberto Alonso - Alexander Stoyanov, Kateryna Kukhar
Richard Wagner
« Wesendonck Lieder No. 5, Träume » - Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Camille Saint-Saëns
La Mort du cygne - Chorégraphie Mikhael Fokine / Serge Lifar - Dorothée Gilbert, Violoncelliste Aurélien Sabouret, Piano Ryoko Hisayama
Vincenzo Bellini
« Casta Diva », Norma - Liudmyla Monastyrska
Le Parc musique Wolfgang Amadeus Mozart - Chorégraphie Angelin Preljocaj - Alice Renavand, Stéphane Bullion, Piano Jean-Yves Sebillotte
Giuseppe Verdi
Nabucco « Va pensiero » - Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris

Direction musicale Carlo Rizzi
Cheffe des chœurs Ching-Lien Wu

Après le Théâtre du Châtelet et la Salle Favart, le Palais Garnier présentait en ce dimanche soir un concert mêlant symphonies lyriques, airs d’opéras, mélodies russes et ukrainiennes, chœurs monumentaux et extraits de ballets.

Liudmyla Monastyrska - 'Pace, pace mio Dio' (La Force du destin)

Liudmyla Monastyrska - 'Pace, pace mio Dio' (La Force du destin)

En début de ce spectacle introspectif fortement évocateur et très bien conçu afin de restituer tous les sentiments en jeu envers les victimes de la guerre en Ukraine, l’énergie un peu rude de Carlo Rizzi avait quelque chose d’implacable pour l'ouverture de la ‘Force du destin’, et le « Pace, pace mio Dio » de Liudmyla Monastyrska, chanté avec un timbre d’airain ambré et ému, s’achevait même sur un splendide bras protecteur tendu vers le ciel.

Chœur de l'Opéra national de Paris - ‘Patria Oppressa’ (Macbeth)

Chœur de l'Opéra national de Paris - ‘Patria Oppressa’ (Macbeth)

D’une grande force tellurique, le ‘Patria Oppressa’ composé par Verdi pour la version parisienne de ‘Macbeth’ ne pouvait être alors plus juste, chant déploratif d’un peuple contre lequel un Roi cherchait à éliminer ses enfants.

Emanuela Pascu - 'Polyubila ya na pechal' svoyu' (Rachmaninov)

Emanuela Pascu - 'Polyubila ya na pechal' svoyu' (Rachmaninov)

Si le «Ne poy, Krasavitsa pri mne» de Rachmaninov interprété par Marie-Andrée Bouchard-Lesieur avec sobriété et une belle assurance, au son des accords terriblement sombres d’Olga Dubynska, était connu, les autres airs russes et ukrainiens étaient plutôt une découverte, qu’ils soient vécus avec le tranchant d’ivoire d’ Emanuela Pascu, ou la clarté puissante aux éclats très marquants de John Daszak.

 Mathieu Ganio - 'Clair de Lune'

Mathieu Ganio - 'Clair de Lune'

Puis, il y eut la solitude élancée de Mathieu Ganio au ‘Clair de Lune’, et le fameux duo de ‘Body and Soul’ dansé par Marion Barbeau et Simon Le Borgne en s’alliant avec finesse au texte énoncé.

Russell Braun et John Daszak - 'Na pivnochi, na kruchi Mykola' (Lyssenko)

Russell Braun et John Daszak - 'Na pivnochi, na kruchi Mykola' (Lyssenko)

Et la prière finale de ‘La Khovantchina’ que nous entendions encore sur la scène Bastille quelques jours avant l’agression russe s’est achevée dans un murmure tout en retenue. Mais aujourd’hui, c’est un peuple tourné vers l’avenir et vers la liberté qui est opprimé par le retour de l’ancienne Russie.

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur - ‘Traüme’ (Richard Wagner)

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur - ‘Traüme’ (Richard Wagner)

Ouvrant de façon plus conventionnelle sur l’intermezzo de ‘Cavalleria rusticana’ et un extrait de ‘Carmen suite’ – passage incarné par deux artistes de l’Opéra National d’Ukraine, Alexander Stoyanov et Kateryna Kukhar -, la présence centrale de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, offrant un ‘Traüme’ chanté avec orchestre sur une scène hantée par la pénombre, permettait l’épanouissement d’une intériorité profonde, avant que l’on ne retrouva les ondoyances immatérielles de Dorothée Gilbert dans le ‘Chant du Cygne’ et la fraîcheur d’Alice Renavand et Stéphane Bullion, tournoyant d’amour sur l’adagio du concerto pour piano n°23 de Mozart. Comme un appel à l’espérance, en fait.

Alice Renavand et Stéphane Bullion - Le Parc (Preljocaj)

Alice Renavand et Stéphane Bullion - Le Parc (Preljocaj)

Liudmyla Monastyrska s’est jointe enfin au Chœur, d’abord pour interpréter un ‘Casta Diva’ dans une tonalité très intériorisée, puis pour se fondre dans la solennité du chœur des esclaves de ‘Nabucco’.

Kateryna Kukhar, Olga Dubynska et Liudmyla Monastyrska

Kateryna Kukhar, Olga Dubynska et Liudmyla Monastyrska

La soirée avait pour finalité de réunir des fonds pour le collectif Alliance urgences en Ukraine, aussi modestes qu’ils soient au vu de la situation, véritablement dans un esprit réflexif et non démonstratif.

Kateryna Kukhar, Carlo Rizzi, Ching-Lien Wu, Olga Dubynska et Liudmyla Monastyrska

Kateryna Kukhar, Carlo Rizzi, Ching-Lien Wu, Olga Dubynska et Liudmyla Monastyrska

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Publié le 10 Mars 2022

A Quiet Place (Leonard Bernstein – 1983)
Livret Stephen Wadsworth - adaptation de 2013
Création mondiale de la nouvelle orchestration pour grand orchestre
Répétition générale du 04 mars et représentation du 09 mars 2022
Palais Garnier

Dede Claudia Boyle
François Frédéric Antoun
Junior Gordon Bintner
Sam Russell Braun
Funeral director Colin Judson
Bill Régis Mengus
Susie Hélène Schneiderman
Analyst Loïc Félix
Doc Jean-Luc Ballestra
Mrs Doc Emanuela Pascu
Mourners Soprano Marianne Croux
Mourners Alto Ramya Roy
Mourners Tenor Kiup Lee
Mourners Bass Niall Anderson
Dinah Johanna Wokalek

Direction musicale Kent Nagano                                 Johanna Wokalek (Dinah)
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2022)
Décors, Costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak
Collaboration artistique Claude Bardouil
Dramaturgie Miron Hakenbeck

Diffusion sur France Musique le 23 avril 2022 à 20h

L’entrée au répertoire de ‘A Quiet Place’, le dernier opéra de Leonard Bernstein, est un évènement pour l’Opéra national de Paris pour plusieurs raisons :

Claudia Boyle (Dede), Frédéric Antoun (François) et Gordon Bintner (Junior)

Claudia Boyle (Dede), Frédéric Antoun (François) et Gordon Bintner (Junior)

Premièrement, il s’agit du premier opéra d’un compositeur d’origine américaine qui soit joué sur la scène du Palais Garnier depuis son ouverture le 05 janvier 1875, et il s’agit du second opéra d’un compositeur d’origine américaine qu’ait accueilli l’institution au cours de son histoire depuis ’Porgy and Bess’ de Georg Gershwin donné sur la scène Bastille en décembre 1996 dans une production du Houston Grand Opera.

A Quiet Place (Boyle - Bintner -Nagano - Warlikowski) Opéra de Paris

Secondement, il s’agit d’une première en France. ‘A Quiet Place’ fut créé, fort à propos, au Houston Grand Opera le 17 juin 1983 dans une version en un acte, en seconde partie de son premier opéra ‘Trouble in Tahiti’ créé en 1952. 

Loïc Félix (Analyst) et Emanuela Pascu (Mrs Doc)

Loïc Félix (Analyst) et Emanuela Pascu (Mrs Doc)

Puis, Leonard Bernstein arrangea en 1984 une nouvelle version en trois actes de son opéra pour la Scala de Milan et Washington, moyennant quelques coupures et la suppression des personnages secondaires après la scène de l’enterrement, en y fondant sous forme de flash-back ‘Trouble in Tahiti’. Il l’améliora et le dirigea en 1986 à l’Opéra de Vienne. Un enregistrement de cette version est disponible aujourd’hui chez DG.

Claudia Boyle (Dede) et Danielle Gabou

Claudia Boyle (Dede) et Danielle Gabou

Kent Nagano collaborait déjà avec le compositeur à cette époque et trouvait, lui aussi, qu’une version de chambre de cet opéra correspondrait mieux à l’intimisme de la pièce. En 2013, le chef d’orchestre américain présenta au Konzerthaus de Berlin une version de chambre de ‘A Quiet Place’ orchestrée par Garth Edwin Sunderland pour 18 musiciens, qui revenait à la partition originale, sans l’insert de ‘Trouble in Tahiti’, et réintégrait les passages coupés en 1984, mais pas les personnages secondaires aux deux derniers actes. Cette version fut enregistrée pour Decca en 2018.

Et pour le Palais Garnier, Kent Nagano propose de faire découvrir au public parisien, en création mondiale, une nouvelle orchestration pour grand orchestre de cette version de 2013 afin de s’adapter aux dimensions de la salle de style Second Empire.

Colin Judson (Funeral director)

Colin Judson (Funeral director)

Enfin, troisièmement, Kent Nagano fait son grand retour sur la scène de l’Opéra national de Paris, 13 ans après avoir dirigé ‘Werther’ à l’Opéra Bastille. Il est l’un des chefs d’orchestre américains que Gerard Mortier avait pour habitude d’inviter régulièrement tout au long de son mandat de 2004 à 2009.

Hélène Schneiderman (Susie), Régis Mengus (Bill) et Claudia Boyle (Dede)

Hélène Schneiderman (Susie), Régis Mengus (Bill) et Claudia Boyle (Dede)

Et à grand chef d’orchestre grand metteur en scène, puisque c’est à Krzysztof Warlikowski qu’Alexander Neef a proposé de réaliser l’interprétation théâtrale de cet ouvrage qui traite de relations familiales abîmées, de non-dits, de la question de la bisexualité et du suicide qui éloignent cette famille des normes de bonheur bien établies de la société américaine des années 50-60.

Kent Nagano et Krzysztof Warlikowski se connaissent bien puisqu’ils ont collaboré ensemble en 2018 à Salzbourg pour la nouvelle production de ‘The Bassarids’ de Henze. Ils partagent le même goût pour les œuvres musicalement riches aux thèmes complexes, avec une véritable appétence pour la recherche et la réflexion sur leurs sens.

Johanna Wokalek (Dinah) et Gordon Bintner (Junior)

Johanna Wokalek (Dinah) et Gordon Bintner (Junior)

‘A Quiet Place’ débute par une superbe vidéographie en images de synthèse de Kamil Polak où l’on assiste aux dernières minutes de la vie de Dinah, perdue dans ses pensées au volant de son véhicule dont elle va perdre le contrôle. Malgré la violence de l’accident, le vidéaste préserve la grâce et la beauté de la victime pour faire de la mort un moment d’apaisement, comme l’évoquera Junior dans les dernières minutes de l’opéra.

La scène s’ouvre sur les funérailles qui se déroulent dans une sorte de salle de conférence aux teintes bleu-vert, une trentaine de sièges étant tournés vers la salle du Palais Garnier, un bar rose-fluo se tenant en arrière plan, avec le cercueil de Dinah disposé en position centrale.

Gordon Bintner (Junior)

Gordon Bintner (Junior)

Krzysztof Warlikowski rend extrêmement vivants tous les personnages secondaires qui animent de manière assez futile cette cérémonie. Colin Judson, le croque-mort au timbre clair et réaliste, Hélène Schneiderman, Susie pétillante aux couleurs vocales fantaisistes, Loïc Félix, psychiatre d’allure rigoriste, la somptueuse Emanuela Pascu associée à Jean-Luc Ballestra en couple Doc, et les pleureurs, installés côté cour, Marianne Croux, Ramya Roy, Kiup Lee et Niall Anderson, tous issus de l’Académie de l’Opéra.

Ce premier acte introduit, non sans violence dans les ragots que colportent cette petite communauté, la famille de Dinah. Des acteurs noirs, parmi lesquels la comédienne et chorégraphe Danielle Gabou qui tient le portrait de la victime comme pour rappeler aux invités pour qui ils sont présents, illustrent le positionnement des noirs dans cette société qui ne s’est pas encore totalement émancipée.

Gordon Bintner (Junior)

Gordon Bintner (Junior)

Kent Nagano se régale à induire dans la vivacité des interjections musicales et ses réminiscences mélodiques attendrissantes l’humanité piquante de cette grande scène sociale et chaotique qui frise l’hystérie.
Il y a même une grande similarité de texture vocale entre Frédéric Antoun (François) et Régis Mengus (Bill), dans des tons mats et austères bien que le premier soit ténor et le second baryton, et ce premier tableau révèle ceux qui étaient attachés à Dinah par un amour inabouti.

Russell Braun (Sam) et Claudia Boyle (Dede)

Russell Braun (Sam) et Claudia Boyle (Dede)

Deux chanteurs principaux présents ce soir, Claudia Boyle et Gordon Bintner, ont participé à l’enregistrement de 2018 et font, à cette occasion, leurs débuts à l’Opéra national de Paris. La soprano irlandaise est réjouissante de par son expressivité naturellement souple et sympathique qui respire l’optimisme, et de par la facilité avec laquelle elle parle en chantant avec un brillant qui fuse avec une grande netteté. 

Le baryton canadien est quant à lui absolument géant. Gordon Bintner est non seulement un immense acteur par la façon dont il s’approprie un personnage lunatique, drôle et irrévérencieux, mais aussi par sa grande largeur de voix, ferme et adaptable, et une chaleur doucereuse qui imposent un charisme éblouissant.

Gordon Bintner (Junior), Russell Braun (Sam) et Claudia Boyle (Dede)

Gordon Bintner (Junior), Russell Braun (Sam) et Claudia Boyle (Dede)

Dans le second acte, Krzysztof Warlikowski met en scène de manière très directe, côté jardin, la vie homosexuelle de Junior et sa relation en ménage par le passé avec François, tandis que côté cour, c’est l’intérieur aux couleurs vert malachite de l’appartement de ses parents qui est représenté où Sam, incarné par un Russell Braun désabusé, et Dede, cherchent à résoudre leurs problèmes en fouillant dans le passé des souvenirs de Dinah.

Claudia Boyle (Dede), Russell Braun (Sam) et Frédéric Antoun (François)

Claudia Boyle (Dede), Russell Braun (Sam) et Frédéric Antoun (François)

Comme un fantôme qui erre parmi eux, l’actrice allemande Johanna Wokalek joue avec nonchalance et mélancolie l’âme de Dinah en observant en silence comment son monde affectif réagit après sa disparition. Sa présence permet au spectateur de s’identifier aux sentiments d’un personnage disparu et de renforcer le lien émotionnel à cette histoire familiale.

Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak

Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak

Le troisième acte est véritablement le moment psychothérapeutique de cette histoire, et la résolution se joue à travers le jeu de tague que Krzysztof Warlikowski illustre par l’emploi d‘un revolver en plastique. Il s’agit de désamorcer les haines latentes. Malgré l’imbroglio émotionnel, le fait de voir que les liens entre le père et le fils, qui ne s’étaient plus vus pendant 20 ans, n’ont point perdu de force montre aussi ce qu’est la valeur de la vie, et en quoi il ne faut jamais perdre espoir dans les rapports humains.

Très belle idée aussi que de faire apparaître un petit garçon, Junior dans son enfance, qui regarde l’émission de Leonard Bernstein ‘Young People’s Concerts’ en 1958 à travers laquelle le compositeur explique aux téléspectateurs comment Tchaikovski réussit à transmettre ses émotions dans sa quatrième symphonie.

Kent Nagano

Kent Nagano

On comprend l’attachement de Kent Nagano à cette partition. Elle lui permet autant d’entrer dans un univers intimiste dynamisant en jouant sur la fragilité des sonorités ténues avec quelques instrumentistes, que de caresser des mélodies immédiatement tendres et harmonieuses, pour déployer aussi de grands ensembles richement orchestrés et luxuriants comme dans les grands opéras de Richard Strauss. Cet amour de magicien méticuleux pour l’orchestration est une autre dimension profonde de cette création française.

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