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Publié le 10 Février 2024

Beatrice di Tenda (Vincenzo Bellini – La Fenice de Venise, le 16 mars 1833)
Répétition générale du 03 février et représentations du 09 février et 07 mars 2024
Opéra Bastille

Beatrice di Tenda Tamara Wilson
Filippo Visconti Quinn Kelsey
Agnese del Maino Theresa Kronthaler
Orombello Pene Pati
Anichino Amitai Pati
Rizzardo del Maino Taesung Lee

Direction musicale Mark Wigglesworth
Mise en scène Peter Sellars (2024)

Nouvelle production et Entrée au répertoire
Coproduction avec le Gran Teatre del Liceu, Barcelone

Avec le soutien exceptionnel de Howard & Sarah D.Solomon Foundation - En hommage à Gerard Mortier
 

Retransmission en direct le jeudi 15 février 2024 sur la plateforme de l'Opéra national de Paris, Paris Opera Play
Diffusion sur France Musique le samedi 05 avril 2024 à 20h dans l'émission 'Samedi à l'opéra' présentée par Judith Chaine

Obsédé depuis 25 ans par ‘Beatrice di Tenda’, Peter Sellars a enfin l’occasion de monter l’avant-dernier opéra de Vincenzo Bellini composé pour Venise en 1833, deux ans avant ‘I Puritani’

Le compositeur cherchait à ouvrir le langage musical à travers cet ouvrage qui parle de la brutalité des dictatures, un sujet ô combien d’actualité.

L’œuvre connut sa première parisienne le 08 février 1841, au Théâtre des Italien installé à ce moment-là à la salle Ventadour, théâtre de 1500 places situé aujourd’hui à 500m du Palais Garnier, mais n’avait jamais été jouée jusqu’à présent à l’Opéra de Paris.

Quinn Kelsey (Filippo Visconti) et Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Quinn Kelsey (Filippo Visconti) et Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Le livret relate fidèlement les évènements tragiques qui amenèrent Béatrice Lascaris de Tende, épouse du duc de Milan, Filippo Maria Visconti, à être accusée d’adultère par ce dernier qui était en fait épris d’une autre femme. La jeune aristocrate sera alors emprisonnée, torturée et décapitée le 13 septembre 1418.

Raconter cette histoire dans un théâtre à vocation dramaturgique ne relève pas du simple amour pour le belcanto, mais de l'envie d'en montrer la valeur politique malgré une musique et un livret faiblement dramatiques. La volonté de Peter Sellars est d’en faire un manifeste contre la torture, celle-ci restant toujours pratiquée dans le monde, y compris dans certains pays développés, dans les situations où leur sécurité est engagée.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Il contextualise cette histoire à travers un décor unique stylisé qui représente un jardin à l’italienne composé de palissades labyrinthiques, d’arbres en forme de cônes et d’arbustes sphériques aux feuillages très finement dentelés qui permettent, par des éclairages intérieurs, de donner une coloration d’ensemble vert malachite, dont on peut soupçonner qu’elle est étudiée pour avoir une influence psychique sur le spectateur.

Les parois de la scène sont également recouvertes de panneaux réfléchissants qui élargissent l’espace naturel lorsque les lumières nocturnes sont en place.

Et en ouverture de seconde partie, les éclairages prennent une teinte rouge grenat afin de suggérer la violence de la scène de jugement qui va suivre, l’arrière scène représentant un environnement architectural froid et brutaliste par des effets de transparence complexes.

Une petite passerelle située latéralement en hauteur sur la droite permet d’isoler certaines scènes, dont le premier échange entre Agnese et Orombello, et de donner au chant un rayonnement plus stellaire.

Quinn Kelsey (Filippo Visconti)

Quinn Kelsey (Filippo Visconti)

Théâtralement, l’action reste minimaliste, mais les poses des artistes sont signifiantes et contrastées – l’ordonnancement des choristes se fait vers la scène, et non vers la salle, et malgré leur haine réciproque, Filippo et Beatrice se retrouvent pour un temps dans les bras l’un de l’autre  -, et il y a surtout une volonté de mettre en relief le sort de Beatrice et Orombello, dont rien n’est montré des actes de tortures qu’ils subissent, sinon, en avant scène, le résultat physique et réaliste des dégradations sur leurs corps.

L’horreur vient donc se confronter à la douce harmonie des lignes musicales afin de créer une dissonance de perceptions visuelle et auditive chez le spectateur.

Anecdotiquement, des figurants effectuent des gestes en apparence anodins, réglage d’une caméra de surveillance, coupe au sécateur des haies, nettoyage des parois, et enfin creusement dans le sol, gestes que n’importe quel quidam pourrait effectuer pour accompagner un acte de torture, jusqu’au nettoiement et enterrement des preuves.

Theresa Kronthaler (Agnese del Maino) et Pene Pati (Orombello)

Theresa Kronthaler (Agnese del Maino) et Pene Pati (Orombello)

Pour incarner la confrontation entre les deux aristocrates de Milan, ce sont deux artistes habitués à des rôles de compositeurs postérieurs à Bellini, de plus grandes capacités expressives, qui sont réunis.

Huit ans après ses débuts à Bastille en Rigoletto, Quinn Kelsey est de retour à Paris depuis la naissance de sa fille. Il fait vivre les torpeurs de Filippo avec un mélange séduisant d’inflexibilité et de velours malgré la monstruosité de son personnage.

C’est très troublant à entendre car, à l’écoute du baryton hawaïen, on ne peut s’empêcher de croire que ce Duc odieux pourrait se raviser. Mais non, la grande résonance humaine de son timbre de voix ne change rien à l’issue réservée à Beatrice.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Celle-ci est interprétée par Tamara Wilson qui était, il y a encore quelques mois, une impressionnante Turandot sur cette scène. Cette fois, les lignes belliniennes lui permettent d’exprimer une véritable sensibilité, d’éprouver des nuances piano, de maîtriser la finesse de ses aigus, mais aussi de laisser libre cours à des exaltations d’une grande intensité. 

Elle utilise son timbre vitraillé comme une lame qu’elle assouplit à volonté, tout en ayant une capacité à forger subitement une vrille d’une véritable pureté de glace à l’effet saisissant.

Le public en sera très impressionné et lui réservera, au final, un accueil dithyrambique.

Début de l'acte II : chœur des Demoiselles et Courtisans

Début de l'acte II : chœur des Demoiselles et Courtisans

Son amoureux, Orombello, est porté par un Pene Pati en pleine forme, magnifique de coulant vocal avec des teintes de couleur crème très variées, sombrement ambrées et parcellées d’éclats solaires, qui se mêlent à une sensualité de toute beauté. Son dernier soupir ‘Angiol di pace’, chanté depuis les coulisses, est d’ailleurs une merveille d’élégie. 

On retrouve ces mêmes qualités de flexibilité et de toucher chez son frère, Amitai Pati, qui fait vivre avec détermination le rôle plus court d’Anichino, l’ami d’Orombello.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda) et Pene Pati (Orombello)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda) et Pene Pati (Orombello)

Personnage trouble et triste qui tente de se raviser à la fin, Agnese del Maino trouve aussi à travers la voix de Theresa Kronthaler une fraîcheur aux lignes très maîtrisées avec de charmantes fluctuations de timbre, sa première mélodie étant un pur ravissement avant que ne se révèle la nature complotiste d’une femme trop jalouse.

Et Taesung Lee, ténor faisant partie du chœur, brille aussi en Rizzardo del Maino, style clair, franc et posé.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda) et Quinn Kelsey (Filippo Visconti)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda) et Quinn Kelsey (Filippo Visconti)

Un autre des grands plaisirs de la soirée est la cohésion du chœur scindé en deux parties équilibrées, féminine et masculine, qui se répondent à plusieurs reprises dans la scène sentencielle, avec un legato et une unité de style qui ne cherche pas l’effet trop forcé, et dieu sait si Ching-Lien Wu, la cheffe de chœur, peut avoir tendance à les massifier.

Dans ce répertoire, la touche est plus nuancée, et le positionnement des chœurs en frontal du haut du second balcon, lors de la seconde phase du jugement, permet d’entendre un bel effet de spatialisation d’ensemble bien réglé sur la direction du chef d’orchestre Mark Wigglesworth.

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Tamara Wilson (Beatrice di Tenda)

Ce dernier accorde constamment du soin à la fluidité des lignes et la clarté du tissu orchestral, les déliés des motifs solo étant toujours très mélodieux, mais il amortit moins les coups d’éclats de l’orchestration un peu trop dominés par les percussions.

Quinn Kelsey, Tamara Wilson, Pene Pati et Theresa Kronthaler

Quinn Kelsey, Tamara Wilson, Pene Pati et Theresa Kronthaler

Le très grand succès de cette première, donnée en l’absence de Peter Sellars retenu pour raison familiale - il ne reviendra qu'à la dernière représentation en spectateur -, mais qui était bien présent parmi le public à la dernière répétition avec son naturel enjoué qu’on lui connaît bien, s’est accompagné d’une vibrante ovation et de multiples rappels en hommage aux artistes et à une production qui cherche à sensibiliser sur l’essentiel sans surcharger inutilement.

Amitai Pati, Pene Pati, Tamara Wilson, Mark Wigglesworth, Ching-Lien Wu, Quinn Kelsey, Theresa Kronthaler et Taesung Lee

Amitai Pati, Pene Pati, Tamara Wilson, Mark Wigglesworth, Ching-Lien Wu, Quinn Kelsey, Theresa Kronthaler et Taesung Lee

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Publié le 10 Avril 2022

Thaïs (Jules Massenet – 1894)
Version de concert du 09 avril 2022
Théâtre des Champs-Élysées

Thaïs Ermonela Jaho
Athanaël Ludovic Tézier
Nicias Pene Pati
Palémon Guilhem Worms
Crobyle Cassandre Berthon
Myrtale Marielou Jacquard
Albine Marie Gautrot
Un serviteur Robert Jezierski

Direction musicale Pierre Bleuse
Orchestre National de France et Chœur de Radio France

Diffusion sur France Musique le 11 juin 2022 à 20h

                                               Ermonela Jaho (Thaïs)

 

Après ‘Manon’ donné en version de concert le 15 septembre 2021, le Théâtre des Champs-Élysées poursuit ce qui pourrait bien ressembler à un cycle Jules Massenet en présentant ce soir ‘Thaïs’, alors que sont déjà annoncés pour la saison prochaine deux autres ouvrages plus rares, ‘Hérodiade’ et ‘Grisélidis’. Et avec les représentations scéniques de ‘Cendrillon’ qui ont lieu au même moment à l’Opéra Bastille, les amoureux du compositeur français peuvent s’estimer comblés.

Ermonela Jaho (Thaïs)

Ermonela Jaho (Thaïs)

Créé au Palais Garnier le 16 mars 1894, mais remanié à plusieurs reprises pour aboutir à une version définitive le 13 avril 1898, ‘Thaïs’ est à ce jour le plus grand succès de Jules Massenet à l’Opéra de Paris où il fut joué plus de 650 fois jusqu’au milieu des années 1950. Le livret basé sur le roman éponyme d'Anatole France s’inspire de la légende de la pécheresse d’Égypte du même nom qui fut convertie par l’ermite Paphnuce, et dont on peut admirer un tableau de Philippe de Champaigne au Musée du Louvre ‘Paphnuce libérant Thaïs’ (1656).

‘Paphnuce libérant Thaïs’ de Philippe de Champaigne (1656) - © 2011 RMN-Grand Palais (Musée du Louvre)

‘Paphnuce libérant Thaïs’ de Philippe de Champaigne (1656) - © 2011 RMN-Grand Palais (Musée du Louvre)

Pour rendre justice à cette partition qui a repris de la vigueur au cours des années 2000 grâce à l’interprétation de Renée Fleming, la distribution réunie ce soir fait appel aux grands interprètes du répertoire français d’aujourd’hui que sont Ludovic Tézier (‘Werther’ et ‘Manon’ à l’Opéra Bastille, ‘Thaïs’ à l’Opéra de Monte Carlo et ‘Hamlet’ la saison prochaine à l’Opéra Bastille), Ermonela Jaho (‘Les Huguenots’ et ‘Faust’ à l’Opéra Bastille) et Pene Pati (éblouissant Roméo de ‘Roméo et Juliette’ de Charles Gounod à l’Opéra Comique’), garants d’une réussite qui repose aussi sur les qualités stylistiques de l’Orchestre National de France.

Pene Pati (Nicias) et Ludovic Tézier (Athanaël)

Pene Pati (Nicias) et Ludovic Tézier (Athanaël)

Avec son timbre âpre dont il creuse les effets caverneux de manière expansive, Guilhem Worms incarne un Palémon ambigu de par le contraste entre l’austérité vocale de son rôle et sa jeunesse d’âge, surtout quand il se tient auprès de Ludovic Tézier. Ce dernier est renforcé dans sa stature statique par le format qu'impose la version de concert avec partition, mais il donne beaucoup de conviction à ses sentiments profonds au fil de la représentation en extériorisant de plus en plus son chant sombre et minéral dont il révèle des clartés sévères quand il en accroît la puissance. 

Ludovic Tézier (Athanaël)

Ludovic Tézier (Athanaël)

Ermonela Jaho, elle, débute par un surjeu du caractère hautain et presque dédaigneux de Thaïs pour verser progressivement dans un dramatisme viscéral qui la rend si émouvante quand elle prolonge son vécu intérieur par une gestuelle ornementale impliquant tout son corps qui sied énormément à l’orientalisme raffiné de la musique. Et son chant est magnifiquement souple et délié avec une finesse spectaculaire quand ses aigus aux contours voilés et très agréablement vibrés se déploient à en serrer le cœur de plus d’un auditeur. Ce don émotionnel qu’elle a à faire vivre ses personnages en faisant ressortir les nœuds de l'âme les plus douloureux jusqu'à travers son regard est irrésistiblement attachant.

Marielou Jacquard, Cassandre Berthon, Marie Gautrot, Guilhem Worms, Pene Pati, Ludovic Tézier et Ermonela Jaho

Marielou Jacquard, Cassandre Berthon, Marie Gautrot, Guilhem Worms, Pene Pati, Ludovic Tézier et Ermonela Jaho

Quant à Pene Pati, sidérant de naturel et d’immédiateté dans le rendu du texte chanté, il a le rayonnement de la jeunesse, les charmes d’une diction parfaite et d’une clarté riante où tout paraît facile, ce qui valorise formidablement Nicias.

Tous les personnages qui entourent les chanteurs principaux sont également très bien rendus, qu’il s’agisse de l’Albine introvertie de Marie Gautrot ou des esclaves rayonnantes de Cassandre Berthon et Marielou Jacquard, et l’Orchestre National de France mené par un Pierre Bleuse enthousiaste et effronté donne du corps qui induit une grande proximité à la musique tout en réussissant à créer une unité harmonique qui dégage une lumière frémissante et une souplesse de mouvement dont on s’imprègne facilement. Et le souffle du chœur se fond dans cet ensemble avec un charme discret. 

Une interprétation de grande valeur dont le ravissement de tous est la récompense.

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Publié le 15 Décembre 2021

Roméo et Juliette (Charles Gounod – 1867)
Représentation du 13 décembre 2021
Opéra Comique – Salle Favart

Roméo Pene Pati
Juliette Perrine Madoeuf
Frère Laurent Patrick Bolleire
Mercutio Philippe-Nicolas Martin
Tybalt Yu Shao
Stéphano Adèle Charvet
Pâris Yoann Dubruque
Le Duc Geoffroy Buffière
Gertrude Marie Lenormand
Capulet Jérôme Boutillier

Direction musicale Laurent Campellone
Mise en scène Eric Ruf
Chœur Accentus - Orchestre de l'Opéra de Rouen-Normandie

C’est une soirée de tous les dangers comme on les aime à l’opéra que vient d’offrir Louis Langrée au public de l’Opéra Comique en convoquant deux artistes venus remplacer au pied levé les protagonistes des deux rôles titres que devaient incarner Jean-François Borras et Julie Fuchs, tous deux testés positifs au covid-19 à quelques heures de la première représentation de Roméo et Juliette. Impossible de ne pas penser à cette inoubliable matinée du 10 juillet 2005 où Inva Mula vint de la même manière se substituer à Angela Gheorghiu au Théâtre du Châtelet dans la Rondine, alors qu’elle chantait dans Les Contes d’Hoffmann à Orange la veille.

Perrine Madoeuf (Juliette) et Pene Pati (Roméo)

Perrine Madoeuf (Juliette) et Pene Pati (Roméo)

Ainsi, Pene Pati, qui chantait la veille Alfredo dans La Traviata à l’opéra d’Amsterdam, est arrivé à Paris le matin même pour répéter le rôle de Roméo, rejoint par Perrine Madoeuf qui venait de chanter le rôle de Juliette à l’opéra d’Estonie quatre jours auparavant.

Ce genre d’aléa met évidemment tout le monde sous tension, artistes, équipes de l’opéra, mais aussi les spectateurs qui se trouvent face à l’imprévu.

Extrait du programme de Roméo et Juliette lors de son retour à l'Opéra Comique le 10 septembre 1959

Extrait du programme de Roméo et Juliette lors de son retour à l'Opéra Comique le 10 septembre 1959

Roméo et Juliette fut créé au Théâtre Lyrique le 27 avril 1867, place du Châtelet, et remporta un immense succès (102 représentations en 8 mois). Puis, le 20 janvier 1873, il fit son entrée à l’Opéra Comique où il y sera joué pour 291 représentations avant qu’il n’entre au répertoire de l’Opéra de Paris dans une version remaniée avec ballet, le 28 novembre 1888, un peu plus d’un an après l’incendie de la seconde salle Favart.

Le Palais Garnier lui consacra plus de 600 représentations, puis Roméo et Juliette revint à l’Opéra Comique en septembre 1959 jusqu’en juillet 1994 (avec Roberto Alagna et Nucia Focile dans la production du Théâtre du Capitole). L’Opéra de Paris n’a plus joué ce titre depuis le 22 décembre 1985.

Pene Pati (Roméo)

Pene Pati (Roméo)

Cette nouvelle production n’en est pas tout à fait une car elle reprend les décors qu’avait conçu Eric Ruf pour le Roméo et Juliette de Shakespeare joué à la Comédie Française en 2015.

Dans un univers de vieux palais Renaissance blanc décrépi où murs et colonnes aux corniches effritées sont réagencés au fil des scènes, les éclairages créent des ombres (magnifique vision de Roméo se tenant dans l’ombre au moment de chanter «Ah !, Lève-toi soleil !») et des ambiances chaleureuses (la chambre de Juliette) ou froides (le tombeau dont les momies rappellent la scène finale d'Aida), ce qui brosse une histoire photosensible rien que par la scénographie.

Ce monde semble toutefois bien à l’étroit dans un tel espace restreint, mais la direction d’acteur classique est suffisamment expressive pour donner beaucoup de vérité à la relation entre les êtres, Roméo et Juliette en premier, mais aussi Mercutio et Roméo (bien que la version opératique la réduise fortement). Il y a aussi cette présence périlleuse et suicidaire de Juliette s’agrippant en haut d’une colonne lors de la scène du balcon, comme depuis la tour de Pelléas et Mélisande.

Perrine Madoeuf (Juliette)

Perrine Madoeuf (Juliette)

L’interprétation que fait Pene Pati de Roméo est de bout en bout phénoménale. Il a une fraîcheur de timbre éclatante et un souffle qui lui permet d’exprimer mille nuances. Cette clarté chantante si immédiatement séductrice par son naturel apparent a aussi ses reflets plus sombres et introvertis, et quand il ouvre sa voix progressivement puissante et enjôleuse, on ne peut s’empêcher de ressentir une forme d’émerveillement face à une telle expression de grâce humaine. Son phrasé est par ailleurs d’une parfaite limpidité.

Et son personnage est complexe, pas seulement rêveur, mais aussi joueur et manipulateur par des petits accents sauvages pour tenir Juliette, et sa rage intérieure lors du combat avec Tybalt est suffisamment saisissante malgré l’exiguïté de l’espace scénique.

Philippe-Nicolas Martin (Mercutio) et Pene Pati (Roméo)

Philippe-Nicolas Martin (Mercutio) et Pene Pati (Roméo)

Perrine Madoeuf est auprès de lui une Juliette de caractère, dramatique et sanguine, avec des aigus qui sont parfois un peu trop jetés soudainement. Sa voix ambrée dépeint une jeune femme au cœur intense et fortement volontaire, et cela se ressent au moment de la scène du poison.

De plus, la relation avec Roméo fonctionne très bien de par les jeux de regards et l’attention des gestes, et on peut même se demander si la situation exceptionnelle dans laquelle les deux artistes sont plongés ne rend pas leur jeu encore plus instinctif. 

Yu Shao (Tybalt) et Perrine Madoeuf (Juliette)

Yu Shao (Tybalt) et Perrine Madoeuf (Juliette)

Le Tybalt de Yu Shao est brillamment stylé. Timbre doux, diction impeccable, il rend le cousin de Juliette sensuellement fort agréable, mais on ressent aussi qu’il donne une image trop parfaite d’un être qui est quand même provocateur et noir intérieurement. A l’inverse, Philippe-Nicolas Martin brosse un portrait vif, précis et moderne de Mercutio, une maturité qui est ici renforcée chez un être qui a l’inconscience de la jeunesse. 

Et l’équipe artistique est riche d’un Frère Laurent débonnaire sous les traits de Patrick Bolleire, un Stéphano d’Adèle Charvet qui joue crânement et habilement de façon très assurée, une Gertrude bienveillante et lumineuse aux couleurs claires dans la voix de Marie Lenormand, un Capulet moins figé dans ses conventions quand il est incarné par Jérôme Boutillier, et un Duc tressaillant de Geoffroy Buffière.

Adèle Charvet (Stéphano)

Adèle Charvet (Stéphano)

Laurent Campellone, actuellement directeur général de l’Opéra de Tours, est à la tête des musiciens de l'Opéra de Rouen-Normandie et imprime d’emblée une grande célérité à l’orchestration, trépidante au point de ne pas laisser suffisamment de temps à l’épanouissement du son, ce qui évite clairement tout effet pompeux, tout en lui donnant beaucoup de moelleux. On sent là aussi que la musique de Gounod aurait besoin d’un espace plus large pour étendre sa majesté, mais c’est ici le sens du drame qui l’emporte où dominent la brillance, la densité orchestrale, les élans romantiques des cuivres qui sonnent magnifiquement dans la salle, et une puissance qui permet d’apprécier l’orfèvrerie musicale tout autant que les très belles qualités d’alliage de couleurs et de matières. Berlioz n'est plus très loin.

Pene Pati (Roméo) et Perrine Madoeuf (Juliette)

Pene Pati (Roméo) et Perrine Madoeuf (Juliette)

Le chœur Accentus, bien que masqué, forme une âme vitale qui s’interpénètre tout au long de l’intrigue de façon très étroite aux solistes, et après cette version qui revient à l’esprit de la création à l'Opéra Comique, la présence parmi le public de plusieurs grandes personnalités managériales de l’Opéra de Paris telles Alexander Neef, Martin Ajdari ou Brigitte Lefèvre, pourrait être vue comme un présage que la version grand opéra du drame shakespearien de Gounod fera peut-être bientôt son entrée sur la scène Bastille.

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Publié le 25 Octobre 2021

L’Elixir d’Amour (Gaetano Donizetti - 1832)
Représentations du 24 et 27 octobre 2021
Opéra Bastille

Adina Pretty Yende (le 24)
           Aleksandra Kurzak (le 27)
Nemorino Pene Pati
Belcore Simone Del Savio
Il Dottor Dulcamara Ambrogio Maestri
Giannetta Lucrezia Drei

Direction musicale Giampaolo Bisanti
Mise en scène Laurent Pelly (2006)

Coproduction Royal Opera House, Covent Garden, Londres

 

                                                            Pretty Yende (Adina)

 

 

Depuis son arrivée sur la scène de l’opéra Bastille le 30 mai 2006 à l'initiative de Gerard Mortier, la production de L’Élixir d’Amour par Laurent Pelly s’est hissée parmi les 10 opéras les plus représentés à l’Opéra de Paris depuis les 15 dernières années avec plus de 60 soirées programmées sur cette période. 

Il est difficile de prédire si elle conservera le même rythme à l’avenir car elle a sans doute profité de l’absence de production des Noces de Figaro de Mozart pendant tout ce temps là, lacune qui sera heureusement comblée cette saison par la production de Netia Jones.

Pene Pati (Nemorino)

Pene Pati (Nemorino)

Cette reprise comporte plusieurs distributions, et la seconde série permet de découvrir pour la première fois le ténor Pene Pati originaire des Îles Samoa de Polynésie. Et la qualité de timbre qu’il révèle dans l’immensité de Bastille est impressionnante. 

Dans cette production relocalisée dans l’Italie des années 50, il incarne un Nemorino habillé de manière très simple comme s’il n’avait aucun sou, et il se glisse dans la peau de ce jeune homme maladroit avec une aisance qui paraît sans limite. Gesticulations mécaniques mais avec une très agréable souplesse de corps, mimiques expressives même quand il ne chante pas, il joue la carte du grand benêt bondissant en manque affectif avec une facilité qui lui vaut un répondant enchanté de la part du public, mais aussi parce que sa voix est d’une suavité savoureuse, une italianité aux clartés chantantes mêlée à une tessiture de crème ambrée profondément enjôleuse.

Sa complainte «Una furtiva lagrima» devient inévitablement le point culminant du spectacle car il déploie à ce moment là une amplitude poétique hypnotique et merveilleuse.

Pretty Yende (Adina) - le 24 octobre

Pretty Yende (Adina) - le 24 octobre

Pour un soir, c’est Pretty Yende qui incarne Adina auprès de lui. La soprano sud-africaine prend beaucoup de plaisir à jouer la comédie de cette jeune femme sûre d’elle-même avec nombre de petits rires moqueurs de ci de là, et se permet parfois des variations coloratures qui démontrent son agilité vocale et le tempérament coquet de son personnage.

Son chant médium se fond un peu trop dans les sonorités de l’orchestre et de l’ouverture de la salle, mais ses aigus s’épanouissent dans un souffle vainqueur qu’elle aime fièrement brandir.

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Et pour un autre soir, le mercredi 27 octobre, c’est Aleksandra Kurzak qui fait vivre Adina auprès de Pene Pati, et la personnalité qu'elle découvre se révèle bien plus charnelle. Elle joue en effet sur une très belle association entre son timbre riche dans le médium, joliment chaloupé, qui la sensualise énormément, et son corps dont elle assume le pouvoir charmeur.

La projection de la voix est très homogène - alors que cette artiste sur-dynamitée bouge dans tous les sens - sans aller toutefois aussi loin que Pretty Yende dans le plaisir ornemental démonstratif, mais il en résulte un fort tempérament vivant et instinctivement très humain qui lui donne l'impression d'être encore plus spontanée et naturellement vraie.

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Lui aussi bon comédien, mais sans verser dans l’exagération clownesque, Simone Del Savio offre à Belcore une très belle tenue vocale, légère et homogène mais avec de l’impact, et son personnage gagne en ambiguïté avec des parts d’ombre qui font qu’il peut être pris au sérieux, alors qu’à l’opposé, Ambrogio Maestri impose une présence vocale écrasante en faisant du Dottor Dulcamara un charlatan d’une très grande sagesse.

Il a en effet dans son comportement une attitude en apparence loufoque qui le rend tout à fait crédible par cette sorte de clairvoyance masquée qu’il a sur les illusions du monde qui l’entoure. Cet aspect là est remarquablement bien joué!  

Simone Del Savio (Belcore)

Simone Del Savio (Belcore)

Son rôle est discret, mais Lucrezia Drei fait ressortir tout le naturel pétillant de Giannetta dans la seconde partie où les bottes de foin se sont ouvertes pour créer un espace plus intime autour de la fête de mariage.

Rideau de scène à la fin de l'acte I de l'Elixir d'amour

Rideau de scène à la fin de l'acte I de l'Elixir d'amour

Pour animer tout ce petit monde d’un instant, Giampaolo Bisanti joue la carte des couleurs orchestrales gorgées d’un son dense, tenues par un bon rythme sans qu'il ne cherche la vivacité à tout prix, sans doute pour préserver une ambiance chaleureuse qui mette à l’aise l’ensemble des artistes.

Et le chœur, personnage à part entière, est d’un excellent relief où l’harmonie et l’expressivité sont parties prenantes de cette histoire.

Pene Pati (Nemorino), Pretty Yende (Adina) et Simone Del Savio (Belcore)

Pene Pati (Nemorino), Pretty Yende (Adina) et Simone Del Savio (Belcore)

Les gags - comme la tant attendue course réjouissante du petit chien qui traverse de part en part à plusieurs reprises le plateau - et le jeu de scène sont toujours aussi bien réglés, ce qui en fait une des productions phares de la scène Bastille pour faire aimer l’opéra au plus grand nombre.

Pretty Yende (Adina) et Ambrogio Maestri (Il Dottor Dulcamara)

Pretty Yende (Adina) et Ambrogio Maestri (Il Dottor Dulcamara)

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