Rufus Wainwright All Days Are Night : Songs for Lulu
Concert du 03 mai 2010 au Théâtre Mogador
Depuis ce soir d’octobre 2003 où ce jeune chanteur, tout juste trentenaire, avait pris possession du Batofar, péniche branchée flottante au pied de la Grande Bibliothèque de Paris, et touché ainsi le cœur d’un public encore restreint, le parcours de Rufus Wainwright est un jaillissement d’aventures artistiques qui pouvait faire craindre la dilution dans l’ivresse de la célébrité (Arte avait récemment diffusé sa reprise des Sonnets de Shakespeare avec le Berliner Ensemble, que malheureusement je n'ai pu enregistrer).
Le ténor pop baroque, qui confia lui même que l’Elektra de Strauss était tout aussi sublime sans ecstasy, a déjà réussi son pari de créer un opéra. Si le Metropolitan Opera de New York a finalement refusé de représenter « Prima Donna » à cause du livret en français, l’ouvrage a déjà été joué en Angleterre, et peut être devrait-il arriver à Paris prochainement.
La sensualité de sa voix caressante, qu’il aime laisser s’étirer pour faire passer ses messages les plus intimes, le piano seul en et le meilleur compagnon.
Alors, délaissant l’excès d’orchestration qui constitue habituellement une bonne moitié de ses compositions, la part extravertie de sa personnalité, Rufus consacre son nouvel album à douze airs purement mélodiques, besoin de recueillement qui prolonge la disparition récente de sa mère.
Mais l’exubérance est toujours là, et pour la mise en scène de la première partie du concert, dédiée à l’intégralité de Songs for Lulu, le chanteur se fait plus femme que jamais pour arriver théâtralement et lentement en robe noire (comme Erda dans la mise en scène de l’Or du Rhin à Bastille).
Et, seul, avec sa voix et un simple piano, le transport intérieur est d’autant plus miraculeux qu’il est émouvant de voir et entendre cette solitude s’exprimer d’aussi talentueuse manière. Qui ne souhaiterait pas savoir en faire autant ?
Il peut cependant paraître étrange que la plénitude repose sur une douce tristesse, how could someone so Bright love someone so blue?.
Les feux d’artifices t’appellent, extrait de Prima Donna, est un air en français conçu lors d’un court séjour à Montmartre avec sa mère, face à une vue extraordinaire sur Paris.
Le style musical est totalement inspiré du courant minimaliste similaire à celui de Philip Glass.
L'ensemble des textes sont d'ailleurs assez contemplatifs, se réfèrent souvent au ciel et aux astres, sans la provocation ou la critique qu'on a pu lui connaître, une façon de suspendre le temps tout simplement.
En seconde partie de soirée, Rufus Wainwright reprend les balades de ses précédents albums (Release the stars, Want Two, Want One …), toujours seul au piano, mais cette fois en autorisant les applaudissements et les photographies, dans une atmosphère de détente.
Parmi les anecdotes intimes et réflexions piquantes qu’il aime placer entre chaque air, on apprend que le public parisien n’est pas le meilleur, mais le plus beau.
Flatteur il est, car est beau celui qui sait être soi, comme il l'a si bien montré.
Site officiel de Rufus Wainwright