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Publié le 22 Février 2023

Concerto pour clavecin*, flûte, hautbois, clarinette, violon, et violoncelle (Manuel de Falla - Barcelone, 1926)
Pulcinella (Igor Stravinsky - Opéra de Paris, 1920 – réarrangement en suite, 1922)
El Retablo de Maese Pedro (Manuel de Falla - Version de concert à Sevilla, 23 mars 1923, et Version scénique à Paris - Hôtel de Polignac, le 25 juin 1923)

Représentation de concert du 18 février 2023
Teatro Real de Madrid

Maese Pedro Airam Hernández
Don Quijote José Antonio López
Trujamán Héctor López de Ayala Uribe

Direction musicale Pablo Heras-Casado
Mahler Chamber Orchestra
Claveciniste Benjamin Alard 

* Clave donado generosamente por Rafael Puyana al Archivo Manuel de Falla

 

Pour le centenaire de la création d’El Retablo de Maese Pedro’ (Les Tréteaux de Maître Pierre), le Teatro Real de Madrid présente, pour une seule soirée, un programme qui rend hommage à l’admiration du compositeur espagnol envers Igor Stravinsky, qu’il rencontra pour la première fois en France en 1916. 

Pablo Heras-Casado et le Mahler Chamber Orchestra

Pablo Heras-Casado et le Mahler Chamber Orchestra

En effet, après la Première Guerre mondiale, et dans un mouvement de prise de distance avec les influences nationalistes, Stravinsky développa une écriture néoclassique. Manuel de Falla fut lui aussi inspiré par ce style moins débordant et d’apparence plus rationnel auquel il se consacra dès qu’il s’installa à Grenade en 1920. 

Le programme de ce soir qui rapproche le ‘Concerto pour clavecin’, la suite ‘Pulcinella’ d’Igor Stranvinsky et ‘El Retablo de Maese Pedro’, tous trois composés après 1920, amène l’auditeur à se laisser imprégner par cette sensibilité musicale née dans l’entre Deux-Guerres.

Héctor López de Ayala Uribe (Trujamán) et Airam Hernández (Maese Pedro)

Héctor López de Ayala Uribe (Trujamán) et Airam Hernández (Maese Pedro)

Pour le 'Concerto pour clavecin, flûte, hautbois, clarinette, violon, et violoncelle', Pablo Heras-Casado a disposé les musiciens de façon à ce que le claveciniste soit placé à l’avant, auprès de lui, les 5 autres solistes étant disposés en cercle tout autour d’eux.

L’atmosphère est intime et détendue, et les sonorités pleines et chaleureuses font sentir la matière même des bois dans un esprit un peu ancien. Le très agréable délié du clavecin – instrument légué par Rafael Puyana (1931-2013), le dernier élève de Wanda Landowska, célèbre claveciniste que connut Manuel de Falla -, ne prend pas l’avantage et s’insère dans l’exécution d’ensemble dont la rythmique, d’apparence un peu mécanique et bien réglée, respire la joie de vivre, au lieu d’accentuer la sévérité des tempi.

Le hautboïste moscovite Andrey Godik se distingue aussi par la noblesse et la fluidité de son souffle.

Chiara Tonelli (Flûte), Andrey Godik (Hautbois) et Vicente Alberola Ferrando (Clarinette)

Chiara Tonelli (Flûte), Andrey Godik (Hautbois) et Vicente Alberola Ferrando (Clarinette)

On retrouve cette approche humble qui cultive le goût pour l'authenticité dans l’interprétation de la suite de ‘Pulcinella’, suite symphonique qu’arrangea Igo Stravinsky à partir de sa propre musique de ballet ‘Pulcinella’, elle même dérivée de la transposition de partitions de Pergolese (‘Il Flaminio’, ‘Lo frate ‘nnammorato’, ‘Luce degli occhi miei’, ‘Sinfonia for cello and basso’), de sonates de Domenico Gallo, du ‘concerto armonico n°2’ de Unico Wilhelm van Wassenaer, de suites pour clavecin de Carlo Monza, et même d’un air italien d’Alessandro Parisotti.

Pablo Heras-Casado fait corps avec les musiciens du Mahler Chamber Orchestra afin de dépeindre des lignes légères et heureuses, où la poésie rêveuse des bois – un second hautbois s’est substitué à la clarinette du concerto pour clavecin – et la clarté solaire des cuivres offrent les baumes les plus empreints de douceur.

José Antonio López (Don Quijote)

José Antonio López (Don Quijote)

Et en seconde partie, le clavecin de Benjamin Alard, délicat interprète de Bach, retrouve sa place au sein de l’orchestre pour jouer ‘El Retablo de Maese Pedro’, donné en version de concert comme lors de sa création à Séville le 23 mars 1923.

Le livret, offert gratuitement par le Teatro Real, reproduit en couleurs le programme de la création scénique parisienne qui eut lieu le 25 juin 1923 dans le salon musical de l’Hôtel de la Princesse Edmund de Polignac, situé aujourd’hui avenue Georges Mandel face à l’ancien appartement de Maria Callas.

A Paris, Henri Casadesus était le joueur de Harpe et de Luth, et Wanda Landowska, la claveciniste. Cette dernière écrivit d’ailleurs un très beau texte sur les éclairs rythmiques et le ruissellement flamboyant du ‘Roi des instruments’.

Pablo Heras-Casado

Pablo Heras-Casado

Ce petit opéra s’inspire des XXVe et XXVIe chapitres de la seconde partie du ‘Don Quichotte’ de Miguel Cervantes, et raconte l’histoire, à travers un théâtre de marionnettes, de la délivrance de Mélisandre détenue par les Maures d’Espagne à Sansueña (ancien nom de Saragosse).

En spectateur captivé, Don Quichotte, confondant théâtre et réalité, finit par détruire les marionnettes pour sauver sa dulcinée.

Le rôle du narrateur, Trujamán, est incarné par l’un des petits chanteurs de la JORCAM, Héctor López de Ayala Uribe, à la voix haute et agile très piquée, qui instille candeur et pureté, celui de Maese Pedro est chanté par Airam Hernández, ténor au timbre franc et clair, et celui de Don Quichotte est confié à José Antonio López, doté de colorations sombres et ambrées homogènes tout en restituant une caractérisation relativement sage.

José Antonio López, Héctor López de Ayala Uribe, Airam Hernández, et en arrière plan, Pablo Heras-Casado et Benjamin Alard

José Antonio López, Héctor López de Ayala Uribe, Airam Hernández, et en arrière plan, Pablo Heras-Casado et Benjamin Alard

Les tissures orchestrales sont un fin alliage de cordes et de patine cuivrée au raffinement enjôleur, des cadences palpitantes soutiennent l’articulation du chant, et, à défaut de représentation scénique, la vitalité expressive des musiciens participe à l’effervescence grisante insufflée par cette pièce qui ne dure qu'une demi-heure.

On ressort ainsi de ce concert avec un sentiment de plénitude souriante, et une compréhension plus approfondie des influences musicales qui traversent ces trois ouvrages. Par sa précision, son sens de l’équilibre serein et son élégance de geste, Pablo Heras-Casado démontre à nouveau la valeur qu’il représente pour le Teatro Real de Madrid.

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Publié le 2 Octobre 2022

L’Oiseau de feu, Petrouchka, Le Sacre du Printemps (Igor Stravinsky)
Concert du 30 septembre 2022
Théâtre des Champs-Elysées

L’Oiseau de feu (25 juin 1910, Opéra de Paris – Palais Garnier)
Petrouchka (13 juin 1911 – Théâtre du Châtelet)
Le Sacre du Printemps (29 mai 1913 – Théâtre des Champs-Elysées)

Direction musicale François-Xavier Roth
Les Siècles

En cette rentrée de saison 2022/2023, François-Xavier Roth est fortement présent dans l'actualité avec, d’abord, de splendides représentations des ‘Troyens’ d'Hector Berlioz données à l’Opéra de Cologne, puis la publication de la 'Quatrième symphonie' de Gustav Mahler, sa nomination à la tête de l' Orchestre symphonique de la SWR de Stuttgart en 2025, bientôt la direction de la nouvelle production de ‘Lohengrin’ de Richard Wagner au Bayerische Staatsoper, et, ce soir, l’interprétation des trois ballets d’Igor Stravinsky créés à Paris entre 1910 et 1913 qui marque son début de résidence au Théâtre des Champs-Elysées accompagné par son orchestre Les Siècles qui célèbrera ses 20 ans le 10 janvier prochain en jouant des œuvres françaises du XXe siècle.

François-Xavier Roth

François-Xavier Roth

Bien sûr, le fait d’enchainer ces trois chefs-d’œuvre pour conclure avec celui qui fut créé en ce lieu même, il y a près de 110 ans, est une manière de recréer un lien avec l’histoire musicale parisienne, et de mesurer l’évolution des mentalités sur tout ce temps où l’on est passé du scandale à l’enchantement obsédant.

Et ce qui frappe dans l’interprétation donnée par Les Siècles et leur directeur musical est comment leur lecture acérée entraîne l’auditeur dans une histoire où émergent une variété de plans sonores imbriqués les uns avec les autres, la finesse de crêpe des textures des cordes, la chaleur colorée et la rondeur lumineuse des bois, la profondeur de la structure musicale qui lui donne une énergie fortement tournée vers l’expression d’un théâtre intense et intime, et de superbes superpositions de rythmes qui deviennent parfaitement lisibles.

D’ailleurs, la direction de François-Xavier Roth traduit bien cette exigence de précision tenue d’un geste rigoureux comme s’il s’agissait de ne perdre aucun détail des éléments de vie de ces partitions.

L'orchestre Les Siècles

L'orchestre Les Siècles

D’où cette impression de s’être trouvé toute la soirée au cœur du processus de création des images sonores de ces trois musiques de ballet avec une présence captive qui se ressentait fortement dans l’audience. Une expérience qui n'est pas sans laisser un certain sentiment de mystère.

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Publié le 25 Mai 2022

Académie de l'Opéra d'État de Bavière
Concert du 23 mai 2022
Bayerische Staatsoper

Krzysztof Penderecki (1933 - 2020)
Concerto pour violoncelle et orchestre Nr. 2 (11 janvier 1983 - Philharmonie de Berlin)
Igor Stravinsky (1882 - 1971)
Petrouchka (13 juin 1911 - Théâtre du Châtelet)

Direction musicale Vladimir Jurowski
Violoncelle Jakob Spahn
Bayerisches Staatsorchester  

Pour le sixième et dernier concert de la saison de l'Académie du Bayerisches Staatsorchester, Vladimir Jurowski présente en première partie de soirée une œuvre de Krzysztof Penderecki, afin de préparer les esprits à l'ouverture du Festival d'opéras 2022 de Munich attendue le 27 juin prochain. En effet, ce jour là, le premier opéra du compositeur polonais, 'Die Teufel von Lundun', composé originellement pour la scène de Hambourg en 1969, sera révélé au public munichois dans une nouvelle production de Simon Stone.

Jakob Spahn

Jakob Spahn

La pièce choisie ce soir, 'Le concerto pour violoncelle et orchestre n°2', permet ainsi de se familiariser avec une écriture abstraite mais d'un grand polymorphisme de couleurs.

Après une longue introduction à l'œuvre de Penderecki qui montre combien Vladimir Jurowski est un orateur charismatique, c'est d'abord à un néoclassicisme surprenant qu'il nous convie pour entendre trois pièces basées sur la musique du film 'The Saragossa Manuscript'. S'apprécient ici aussi bien la dextérité filée de l'orchestre que le style pastiche de Penderecki - ce dernier se permet même une réminiscence du célèbre thème de la 9e symphonie de Beethoven -, et après ce moment d'identification du musicien à l'univers du cinéma, le concerto est interprété avec une clarté qui frappe d'emblée. 

Akademiekonzert - Vladimir Jurowski (Penderecki - Stravinsky) Bayerische Staatsoper

Car loin de privilégier un tranchant angoissant et des textures écorchées dignes des ambiances de thrillers les plus épouvantables, Vladimir Jurowski met en valeur le lustre et la chaleur naturelle de l'orchestre pour magnifier les dégradés lancinants et progressivement dissonants des violons, réaliser avec les ensembles de percussions et les bois des transitions d'une fascinante tonicité de geste et d'une souplesse allante, et fait ressortir la densité sombre et précieuse des cordes graves en nous entraînant fortement vers l'univers d'un autre compositeur, Dimitri Chostakovitch.

Jakob Spahn et Vladimir Jurowski

Jakob Spahn et Vladimir Jurowski

Et le violoncelle de Jakob Spahn, soliste du Bayerische Staatsorchester depuis une décennie, se fond dans l'ensemble orchestral en teintant ses incises d'une patine soyeuse non dénuée d'agressivité qui décrit un caractère à l'affût sans verser vers les déchirures de l'âme les plus violentes pour autant. Il en ressort une interprétation d'une très grande agilité et d'une respiration vivement pulsée où même les emportements des vents arrivent, à un moment donné, à évoquer un envol d'oiseaux sauvages d'un splendide vrombrissement naturaliste.

Akademiekonzert - Vladimir Jurowski (Penderecki - Stravinsky) Bayerische Staatsoper

C'est à se demander s'il n'y a pas à travers ce rendu sonore d'une impeccable plastique un intense désir de séduire l'auditoire afin qu'il appréhende prochainement au mieux un opéra dont le titre ténébreux pourrait d'avance l'impressionner.
Sur le même modèle de présentation, la seconde partie du programme est dédiée à Igor Stravinsky. Les Variations 'Aldous Huxley in memoriam', pièce de 5 minutes composée pour rendre hommage à l'écrivain britannique Aldous Huxley mort en novembre 1963, permettent de découvrir l'inventivité du compositeur dans l'emploi de techniques sérielles pour décrire des structures sonores étranges et futuristes.

Vladimir Jurowski

Vladimir Jurowski

Puis, le temps que l'orchestre retrouve son effectif maximal, c'est avec un sens du rythme chaloupé parfaitement bien réglé que Vladimir Jurowski entraîne les musiciens dans une course haletante, garant de l'excellente définition du son afin de faire de cette interprétation de 'Petrouchka' une démonstration de cohésion malgré les accélérations revigorantes et les cadences multiples des différentes sections d'instruments. Ce sentiment d'assurance dans la conduite d'une agitation joyeuse et foisonnante a véritablement une force qui induit aussi un fort sentiment de sérénité.

Akademiekonzert - Vladimir Jurowski (Penderecki - Stravinsky) Bayerische Staatsoper

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Publié le 23 Septembre 2016

Esa-Pekka Salonen - Philharmonia Orchestra
Concert du 22 septembre 2016
Théâtre des Champs-Elysées

Igor Stravinsky
Fanfare pour trois trompettes
Symphonies d’instruments à vent

Ludwig van Beethoven  
Symphonie n° 3 en mi bémol majeur « Héroïque »
Jean Sibelius
Symphonie n° 5 en mi bémol majeur

Direction musicale Esa-Pekka Salonen
Philharmonia Orchestra

 

C’est un magnifique programme, en apparence hétéroclite, qu’Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra nous offrent ce jeudi soir au Théâtre des Champs-Elysées, emporté par un ensemble de musiciens vifs et galvanisés par les fulgurances de leur chef.

Première image saisissante que de voir Esa-Pekka Salonen séparé de sa section de vents par un encerclement de chaises vides. Cette disposition aussi peu conventionnelle a cependant pour effet de renforcer ce qu’il y a d’inédit dans cette fanfare pétaradante aux impressions éclatantes.

Esa-Pekka Salonen

Esa-Pekka Salonen

S’en suit le déroulé des ‘symphonies d’instruments à vent’, puissantes et gorgées d’un son généreusement chaud, dont la force pulsante ancre l’instant dans une réalité intense et prenante.

Et une fois l’orchestre au complet pour interpréter la '3ième symphonie' de Beethoven, nous sommes pris par une lecture enthousiaste, presque vaillante, sans aucune lourdeur.

Tous ces timbres, portés par des lignes rebondies sous tension permanente, se colorent ainsi les uns les autres, au point de nous saisir d'une jeunesse d’esprit pure et chantante.

Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra - ‘symphonie d’instruments à vents’

Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra - ‘symphonie d’instruments à vents’

Mais la grande surprise de la soirée provient du fabuleux voyage de la '5ième symphonie' de Jean Sibelius, qui évoque les forêts et reliefs du Grand Nord.

Amples respirations de l’orchestre, tempi implacables, forte concentration et détermination des musiciens, merveilleuse transformation du déploiement symphonique en mélodies pastorales, comme si nous sortions d’un survol chaotique en montagne pour atterrir dans un paisible village, un envol vers des contrées imaginaires qu’il est rare de vivre dans une salle de concert.

Esa-Pekka Salonen

Esa-Pekka Salonen

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Publié le 16 Juillet 2016

Oedipe Rex / Symphonie de Psaumes (Igor Stravinsky)
Représentation du 15 juillet 2016
Grand Théâtre de Provence
Festival d'Aix-en-Provence

Oedipe Rex (1927)
Oedipe Joseph Kaiser
Jocaste Violeta Urmana
Créon / Tirésias / le Messager Sir Willard White
Le Berger Joshua Stewart
Antigone Pauline Chevillier
Ismène Laurel Jenkins
Choeur Orphei Drängar

Symphonie de Psaumes (1930)
Oedipe Joseph Kaiser
Choeurs Orphei Drängar, Gustaf Sjökvist Chamber Choir, Sofia Vokalensemble                                           Joseph Kaiser (Oedipe)

Direction Musicale Esa-Pekka Salonen
Mise en scène Peter Sellars (2010)
Philharmonia Orchestra

Composées à Nice quand Igor Stravinsky avait rejoint la Côte d'Azur dont le climat convenait mieux à la santé de sa femme, ces deux oeuvres vocales, un oratorio et une oeuvre religieuse, ont une étrange résonance ce soir après la minute de silence sollicitée par l'orchestre et Bernard Foccroulle, le directeur du festival.

'Oedipe Rex' est une oeuvre puissante, portée par une musique froidement magistrale, faite pour marquer les exprits. Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra en restituent toute la beauté glacée avec un sens de l'inéluctable sidérant.

Mais certaines sonorités ont aussi un charme plus ancien, telles celles des flûtes qui ramènent la musique à des évocations plus intimistes.

La communion de l'orchestre, car il s'agit bien de cela, avec le choeur d'hommes suédois 'Orphei Drängar' est une des plus belles invocations humaines jamais entendue à ce jour.

Esa-Pekka Salonen et Violeta Urmana

Esa-Pekka Salonen et Violeta Urmana

Une quarantaine de ténors, un peu moins de barytons et basses, la clarté - l'espérance - et les murmures plus sombres - les inquiétudes - forment un ensemble tendre et volontaire qui transcende l'idée même d'un peuple uni.

Les chanteurs sont habillés de toutes les nuances de bleu possibles, pieds et, parfois, chevilles nus, et sa gestuelle exprime superbement tous les états d'âmes changeants de ces hommes devant l'inconnu de leur destinée.
Cette beauté si poétique et suppliante est à elle seule le coeur palpitant de l'oeuvre.

Joseph Kaiser, en Oedipe, chante avec une simplicité qui ne met pas aussi bien en valeur le charme des inflexions que l'on aime chez lui dans les rôles de Lenski ('Eugène Onéguine') ou de Flamand ('Capriccio'), et c'est surtout Violeta Urmana qui impose une présence mémorable, bien que courte, en Jocaste.

Son timbre est toujours plus gorgé de noirceur et de gravité, ses aigus ont gagné en souplesse, plus ample en est l'émanation de sa noblesse.

Violeta Urmana (Jocaste) et Sir Willard White (Créon)

Violeta Urmana (Jocaste) et Sir Willard White (Créon)

Et Willard White, la sagesse blessée inquiétante et humaine, apparaît plus que jamais comme la valeur sûre qui fixe une autorité intemporelle indiscutable.

Enfin, Pauline Chevillier joue un rôle parfait de récitante, naturelle et éloquente, sans solennité trop sérieuse qui pourrait nous tenir à distance.

Dans la seconde partie, 'La symphonie de Psaumes', oeuvre écrite après le ralliement de Stravinsky à l'église orthodoxe russe, deux choeurs féminins, le Gustaf Sjökvist Chamber Choir et le Sofia Vokalensemble, se joignent au choeur d'hommes.

Les voix deviennent alors la métaphore de tout un peuple, la qualité des timbres et l'osmose dans laquelle ils s'épanouissent sont à nouveau sublimes d'unité, et ce voyage profond se déroule sur scène dans une tonalité vert clair apaisante.

Les choeurs Orphei Drängar, Gustaf Sjökvist Chamber Choir et Sofia Vokalensemble

Les choeurs Orphei Drängar, Gustaf Sjökvist Chamber Choir et Sofia Vokalensemble

Peter Sellars s'est, en effet, exclusivement concentré sur le travail gestuel des choeurs et le déplacement dans l'espace des chanteurs, ne crée aucun effet scénique autrement significatif que la volonté de construire une continuité entre les deux ouvrages, et ce minimalisme peut être aussi bien critiqué que compris comme la volonté de laisser le champ intégral aux choristes, ce qui bénéficie à l'écoute et l'imprégnation de ces chants si beaux et d'une écriture unique.

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Publié le 18 Août 2014

Le Sacre du Printemps (Igor Stravinsky)
Représentation du 15 août 2014
Gebläsehalle, Landschaftspark
Duisburg-Nord – Ruhrtriennale

Chorégraphie pour 40 machines
Conception Romeo Castellucci
Son Scott Gibbons

Orchestre MusicaAeterna
Direction Musicale Teodor Currentzis



Coproduction Manchester International Festival,
Opera de Perm, Halles de la Villette-Paris

 

Il y avait quelque chose de cérémoniel dans la démarche de se rendre à Duisburg pour assister à ce Sacre du Printemps présenté en ouverture de la Ruhrtriennale 2014, manifestation théâtrale et musicale créée en 2002 par Gerard Mortier après ses onze ans passés à la direction du Festival de Salzbourg.

Et l’idée de retrouver Teodor Currentzis avec son ensemble orchestral donnait une dimension supplémentaire à cet évènement, qui pouvait être perçu comme emblématique d’un  clin d'oeil salutaire au directeur flamand disparu au printemps de cette année.

Ce Sacre du Printemps a donc commencé avec une énorme déception, lorsque les enceintes situées sur les parois latérales de la Gebläsehalle soufflèrent une musique enregistrée, saillante et très détaillée, sans saturation, certes, mais qui nous priva de l’énergie vivante et directe de l’ensemble Musica Aeterna et de son chef.

Le Sacre du Printemps (Castellucci-Currentzis) Ruhrtriennale

Avec un tel arrière-goût de tromperie sur la marchandise – rien n’indiquait dans le programme l’utilisation d’un enregistrement -, il a fallu conserver son attention face à un spectacle déroutant.

Ce ne sont pas des danseurs que Romeo Castellucci convoqua pour sa chorégraphie, mais tout un système de machines pivotant et glissant sur les rails en surplomb de la scène, scène elle même séparée de la salle par un immense plexiglas hermétique.

De ces machines cylindriques, jaillirent des jets tournoyants de poussières, en torsades, en chevelures, au rythme de la violence saccadée qu'inspire la musique de Stravinsky.
Dans cette immense cage, ces formes rubanées, fascinantes par la précision de leur synchronisation avec les motifs du Sacre, furent progressivement substituées par le ballet de la machinerie, qui nous donna l’impression d’assister à un immense complexe spatial se posant dans un paysage lunaire totalement dévasté.
Des lumières rouges clignotaient, des formes lumineuses rebondies ressortaient du tapis de poussière, nous étions comme pris dans un univers post-apocalytique où apparurent, à la toute fin, des hommes en tenues de protection venus pour ramasser tous ces restes grisâtres.

Le Sacre du Printemps (Castellucci-Currentzis) Ruhrtriennale

Puis vint l’explication, à l’aide d’un texte projeté en avant-scène, que tout ce spectacle était une métaphore d’un sacrifice des temps modernes, une création conçue à partir de trente tonnes de farines animales – les cristaux d’hydroxyapatite constitutive des os - qui servent encore aujourd’hui d’engrais industriels.

Comment ne pas porter un regard encore plus triste sur notre monde, puisqu’il est ainsi renvoyé à ses nouveaux rites païens et son manque de grandeur ?

On peut aussi voir en ces cendres, suspendues dans l’atmosphère de la halle, un dernier hommage à Mortier, devenu référence et ancêtre dorénavant, ce qui ôte définitivement toute joie à ce Sacre du Printemps.

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Publié le 9 Avril 2014

Histoire du Soldat (Igor Stravinsky) &
El amor brujo (Manuel de Falla)
Représentation du 07 avril 2014
Opéra-Comique

L'Histoire du Soldat (1917)
Récitant, Johan Leysen
Le Soldat, Alexandre Steiger
Le Diable, Arnaud Simon

La Princesse Alexane Albert


El amor brujo (1915)
Candelas, Olivia Ruiz
Récitant, Johan Leysen


Direction musicale Marc Minkowski
Mise en scène Jacques Osinski
Chorégraphie Jean-Claude Gallotta

                                                                                Johan Leysen (Le Soldat) et Alexane Albert (La Princesse)

 Danseurs, Groupe Emile Dubois/ Centre chorégraphique national de Grenoble
Orchestre, Les Musiciens du Louvre Grenoble             
Coproduction, MC2 : Grenoble, Les Musiciens du Louvre Grenoble, Centre dramatique national des Alpes, Centre chorégraphique national de Grenoble, Opéra-Comique, Opéra de Lyon

Pour le centenaire de sa création à l’Opéra-Comique, en 1914, la salle Favart aurait pu programmer la Vida Breve, un drame lyrique que Manuel de Falla composa en 1905 à  Madrid sans pouvoir le mettre en scène.

C’est pourtant El amor brujo, composé en 1915, mais donné à Paris dix ans plus tard, qu’il est possible d’entendre ce soir, couplé à l’Histoire du Soldat d’Igor Stravinsky.

Danseurs de l'Histoire du Soldat

Danseurs de l'Histoire du Soldat

Le rapprochement de ces deux œuvres d’après la Première Guerre mondiale évoque alors la belle manière avec laquelle, le mois précédent, l’Opéra National de Paris avait réuni deux ballets d’après la Seconde Guerre mondiale, Fall River Legend et Mademoiselle Julie.

C’est d’abord à la troupe de danseurs et aux musiciens du Louvre que l’on doit l’enchantement de ce spectacle.

Dans la première partie, le soldat, Alexandre Steiger, vit son histoire dans les limites de son petit espace personnel, terrestre et cubique, mais ouvert, à l’extérieur duquel évolue tout ce qui peut constituer son imaginaire, les esprits, le diable, l’icône de la femme de sa vie, la voix du récitant.

Il est seul, et les danseurs font plus que dessiner simplement les variations des lignes musicales. Ils semblent tous comme raconter de petites histoires personnelles que le spectateur peut lui-même imaginer en les regardant interagir. Certaines expriment des souffrances, des tentatives expressives de débattements intérieurs, d’autres la joie de vivre, le plaisir de l’échange quand ils sont lancés dans de grands élans tournoyants et qu’ils repartent, calmement, main dans la main, avant de revenir. La légèreté de leur corps est comme signifiante, et jambes, bras et têtes vivent des dynamiques différentes et étourdissantes que l’on quitte d’attention, parfois, pour diriger le regard vers l’intimité de la fosse d’orchestre.

 

                                                                                          Olivia Ruiz (Candelas) et les Danseurs

Là, sous les flammettes chaleureuses, le petit groupe de musiciens fait face à Marc Minkowski et joue cette musique, en apparence si simple, où chaque instrument chante sa mélodie aux couleurs magnifiquement dispendieuses et dans un son formidablement présent et poétique.

Dans la seconde partie, cet orchestre, largement plus étoffé, est encore plus généreux de plénitude sonore, et son romantisme hispanique prononcé surprend un peu de la part d’un orchestre et d’un chef que l’on connait bien mieux dans le répertoire baroque et classique.

Johan Leysen (Le Soldat) et Alexane Albert (La Princesse)

Johan Leysen (Le Soldat) et Alexane Albert (La Princesse)

La chorégraphie, centrée sur le vécu intérieur de l’héroïne, stimule moins nos sentiments qu’en première partie, et Olivia Ruiz, impressionnante d’aplomb et de détermination, a contre elle sa jeunesse qui ne permet pas de faire entendre les fêlures du temps et de la voix que seule une chanteuse plus âgée pourrait restituer avec un pathétisme qui prend au cœur.

Néanmoins, le charme de cette soirée est préservé, et c’est déjà beaucoup.

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Publié le 30 Mai 2012

Philippe Jordan et Waltraud Meier
Concert du 23 mai 2012
Opéra Bastille

Claude Debussy Prélude à l'après-midi d'un faune
Hector Berlioz Les Nuits d’été
Igor Stravinsky Le Sacre du printemps

Bis Maurice Ravel Bolero

Mezzo soprano Waltraud Meier
Direction musicale Philippe Jordan
Orchestre de l’Opéra National de Paris

 

 

                                                           Waltraud Meier

Peut-être en hommage à Claude Debussy, le Prélude à l’après-midi d’un faune s'est substitué à Im Sommerwind, idylle pour grand orchestre d'Anton Webern, qui était prévu dans le programme d'origine.


Pourtant, ce poème contemplatif aurait idéalement évoqué l'osmose évidente qui lie dorénavant les musiciens de l'Opéra National de Paris et leur directeur musical, Philippe Jordan.

En effet, depuis les mouvements profondément voluptueux du Prélude, ondins, surlignés par la souplesse tout autant ondoyante et bien connue du chef, jusqu' aux éclats superbement colorés du Sacre du printemps, ce concert apparaît comme la démonstration d'une dynamique mature et prometteuse pour l'avenir, et l'on songe déjà à la prochaine reprise du Ring.

Quant à l'interprétation des Nuits d'été par Waltraud Meier, très éloignée de le finesse toute fraîche que des musiciennes comme Anne-Catherine Gillet ont récemment gravée, elle est le chant nocturne de la représentante la plus expressive de l'art théâtral wagnérien d'aujourd'hui, et c'est donc cette capacité à maîtriser de tels moyens pour en extraire le plus de délicatesse qui s'apprécie autant que les fragilités de son timbre.

Waltraud Meier

Waltraud Meier

 L'écriture de Berlioz en devient crépusculaire, et il s'agit ainsi d'admirer et de communier avec une immense artiste qui, d'un point de vue personnel, est en train de laisser une empreinte affective forte pour tout ce qu'elle apporte à l'art lyrique et à sa mise en scène.

Mené à la fois avec humour, poigne et un véritable déchainement sauvage dans les dernières minutes, le Bolero de Ravel vient avec surprise conclure cette soirée, où l’on aura finalement entendu trois musiques de ballets ancrées dans la mémoire parisienne.

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Publié le 25 Avril 2012

Le Rossignol et autres fables (Igor Stravinsky)
Représentation du 22 avril 2012
Opéra de Lyon
 

Petites pièces
Ragtime Orchestre de l’Opéra de Lyon
Trois pièces pour clarinette Jean-Michel Bertelli
Pribaoutki Svetlana Shilova
Deux poèmes de Constantin Balmont Elena Semenova
Berceuse du chat Svetlana Shilova
Quatre chants paysans russes Chœur de femmes de l’Opéra de Lyon

Renard
Ténors Marat Gali et Lothar Odinius
Barytons Nabil Sulinan et Ruslan Rozyev

Rossignol
Le Rossignol Anna Gorbachyova
La Cuisinière Elena Semenova
La Mort Svetlana Shilova
Le Pêcheur Lothar Odinius
Le Chambellan Nabil Sulinan
Le Bonze Michael Uloth
Trois envoyés japonais Philippe Maury, Didier Roussel, Paolo Stupenengo

  Marionnettistes-acrobates Andréanne Joubert, Noam Markus, Vincent Poliquin-Simms, Wellesley Robertson III, Martin Vaillancourt                             Anna Gorbachyova (Le Rossignol)
 
Mise en scène Robert Lepage
Direction musicale Aléjo Perez

 

Lorsque l’on entre dans l’Opéra de Lyon, on est tout d’abord frappé par l’omniprésence d’un noir oppressant, émanation de l’humeur austère de l’architecte ou bien conception excessivement solennelle de l’approche théâtrale qui s‘y déroule.

Heureusement, la vision du bassin en suspend au dessus de l’emplacement de la fosse d’orchestre, flanqué de deux balconnets avec au centre un piédestal pour le chef, présente une première image intime et bucolique inédite.
 

Une quinzaine de musiciens s’installent par la suite sur la scène et interprètent Ragtime, composition inspirée du Jazz qui apparaissait aux Etats-Unis au début du XXème siècle.
L’évocation est en total décalage avec le charme slave des fables qui vont suivre, mais en même temps, l’esprit à la fois populaire et délicat de cette ouverture respire tout autant de couleurs et de joie de vivre presque enfantine. Ce sera une constante de toute la première partie - une incroyable merveille visuelle en ombres chinoises.

Et Robert Lepage, bien entendu assisté par des concepteurs habilles et raffinés, recrée la forme des personnages et animaux héros des petites pièces, grâce à de talentueux animateurs situés sur un des balconnets de la scène.

                     Svetlana Shilova et Elena Semenova

Leurs mains s’entrelacent, s’animent, et une lampe transforment leurs gestes en perdrix, lièvres, serpents, fleurs, ces histoires prennent vie en noir sur un grand bandeau blanc déployé au dessus de l’orchestre.
On est complètement hypnotisé par ce spectacle irréel, et bercé par la tendre poésie d’Elena Semenova et Svetlana Shilova, puis du chœur de femmes, joyeuses paysannes russes toutes souriantes.

Entre chacune de ces pièces, la clarinette malicieuse de Jean-Michel Bertelli joue seule un court interlude, une belle mise en valeur de la vitalité légère de cet instrument.

Scène du Renard

Scène du Renard

Pour Le Renard, chanté par deux ténors et deux barytons aux couleurs vocales tout autant pittoresques, cinq acrobates - on découvrira leur impressionnante musculature au salut final - vêtus de masques finement ciselés recréent un saisissant jeu d’illusions avec leur corps intégral projeté depuis l’arrière de l’écran blanc.
C’est un étonnement permanent, et l’esprit même ne peut s’empêcher de déconstruire l’image pour comprendre comment elle a été formée.

Nul doute que cette féérie mériterait d’être offerte à une salle remplie exclusivement d’enfants, car elle réunit toutes les conditions pour que germent l’amour du chant, de la musique et, plus largement, du spectacle vivant dans le cœur de la jeunesse.

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Mais l’émerveillement n’est pas fini.
La seconde partie est dédiée au Rossignol, œuvre véritablement opératique composée d’après le conte Le Rossignol et l’Empereur de Chine d’Hans Christian Andersen.
L’orchestre, beaucoup plus important, est repoussé en arrière scène, un arbre repose sur un des balconnets et se penche sur l’eau du bassin qui sera le lieu principal de toute l’action.
Puis, les chanteurs et animateurs arrivent dans l’eau en poussant les embarcations guidées par des marionnettes expressives, finement détaillées, et toute l’histoire est ainsi racontée avec une poésie, une saturation de couleurs et un mélange magnifique de personnages réels et symboliques.

Le Pêcheur (Lothar Odinius)

Le Pêcheur (Lothar Odinius)

L’héroïne est évidemment Anna Gorbachyova, une interprète angélique au timbre boisé, mais également brillante colorature, joliment lumineuse et qui respire de désirs de vie.

La scénographie nocturne est superbe, avec des zones d’ombres et d’autres comme éclairées par la pleine Lune, les costumes du chœurs - la cour de l’Empereur - sont éblouissants, et tous ces chanteurs ont une belle homogénéité vocale et une projection adaptée à l‘intimité de la salle.

Peut être, un jour, le Théâtre des Champs Elysées, lieu lié intrinsèquement au génie de Stravinsky, aura-t-il l’occasion de l’accueillir.

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Du fait de l’absence de réflecteurs acoustiques, le détail des sonorités de l’orchestre, dirigé avec beaucoup de souplesse par Aléjo Perez, a paru un peu tassé dans la masse sonore, mais il faut vraiment chercher à se détacher de l’unité d’ensemble pour y faire attention.

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Publié le 23 Janvier 2012

Représentation du 21 janvier 2012 au Teatro Real de Madrid
Iolanta (Tchaïkovski)

Le Roi René Dmitry Ulianov
Robert Alexej Markov
Vaudémont Pavel Cernoch
Ibn-Hakia Willard White
Alméric Vasily Efimov
Bertrand Pavel Kudinov
Iolanta Ekaterina Scherbachenko
Marta Ekaterina Semenchuk
Brigitta Irina Churilova
Laura Letitia Singleton

Perséphone (Stravinski)

Eumolpe Paul Groves
Perséphone Dominique Blanc
Amrita Performing Arts, Cambodge
Perséphone Sam Sathya
Déméter Chumvan Sodhachivy
Pluton Khon Chansithyka
Mercure/Démophoon/Triptolème Nam Narim
Les petits chanteurs de la JORCAM

Direction musicale Teodor Currentzis
Mise en scène    Peter Sellars
Chœur et orchestre du Théâtre Royal de Madrid                 Sam Sathya (Perséphone)
Coproduction avec le Théâtre Bolshoi de Moscou

Le Teatro Real de Madrid (en haut, à gauche, l'éclat de Vénus veille sur le théâtre, et son  directeur...)

Le Teatro Real de Madrid (en haut, à gauche, l'éclat de Vénus veille sur le théâtre, et son directeur...)

 Pour qui est en quête de raretés représentées sous des formes subtiles et recherchées, le Teatro Real de Madrid est devenu une des destinations européennes privilégiées.
 Gerard Mortier et Peter Sellars ont ainsi eu l’idée de rapprocher sur scène deux œuvres, Iolanta de Tchaïkovski créée en 1892 au Théâtre Mariinsky de St Petersbourg et Perséphone de Stravinski créée en 1934 à l’Opéra de Paris, chacune abordant à sa manière le passage, à double sens, entre lumière et obscurité.

Ekaterina Scherbachenko (Iolanta)

Ekaterina Scherbachenko (Iolanta)

Le metteur en scène américain a imaginé un dispositif scénique unique, ouvert sur les coulisses latérales, constitué de quatre cadres de portes ornés de roches en improbable équilibre, derrière lesquels de grands panneaux de couleurs coulissent et alternent les ambiances lumineuses.

Et la communalité entre les deux pièces est renforcée par la robe bleue - signe de spiritualité et de virginité - identique des deux héroïnes, la présence du quatuor sur scène, ou bien le bâton d’aveugle.
 

Iolanta est l'histoire simple d'une jeune femme aimante qui ignore sa cécité sur laquelle son entourage porte le silence. Son amour réciproque pour Vaudémont, qui lui révèle la vérité, lui donne le désir de voir la lumière.
Les chanteurs sont tous fortement impliqués dans un jeu théâtral submergé par l'ombre, leurs visages en sortent pour révéler les expressions tristes et douloureuses, angoisses qui les attirent jusqu' à en être à terre.
Ekaterina Scherbachenko, la chevelure tressée de boucles dorées comme dans une peinture florentine, avait incarné une si bouleversante Tatiana dans  Eugène Onéguine à Garnier - la soprano du Bolshoi reprendra par ailleurs le rôle à Munich en mars prochain dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski -, que se mêlent des réminiscences émotionnelles à son chant toujours aussi clairement coloré et instinctif.
                                                                                                              Pavel Cernoch (Vaudémont)

Elle est accompagnée d’ Ekaterina Semenchuk, Irina Churilova et Letitia Singleton, toutes trois des compagnes et pleureuses formant un émouvant ensemble autour de l’héroïne .

La distribution révèle également pas moins de quatre très bons chanteurs russes, Vasily Efimov, Pavel Kudinov, Dmitry Ulianov, impressionnant dans le grand air implorateur ’Gaspot’ moj’ et Alexej Markov, héroïque Robert, rageur dans l’âme.

Mais le personnage dans lequel Peter Sellars investit le plus de lui-même est Vaudémont interprété par le jeune ténor tchèque Pavel Cernoch. Son allure en cuir moulant et les cheveux gominés qui évoquent un personnage androgyne, et donc écarté de la norme sociale comme Iolanta,  en rapproche leur condition humaine.

Et Willard White, idéal Ibn-Hakia, est l’image de la sagesse inquiétante, mais bienveillante.

Il fallait, toutefois, rendre le plus saisissant possible cet accès à la lumière. Gerard Mortier et Teodor Currentzis, le génial chef d’orchestre capable de tirer de ses musiciens des rutilances glacées, ont donc eu l’idée de rajouter au final une autre pièce de Tchaïkovski, L’hymne des chérubins, extraite de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome Op 41.

Ekaterina Scherbachenko (Iolanta) et Willard White (Ibn-Hakia)

Le chœur, d’une précision qui laisse bouche bée, est disposé tout autour des entrailles de la scène, les hommes face aux femmes, et leur chant est d’une telle élévation, d’une telle grâce spirituelle que l’on ne peut s’empêcher de regarder la salle entière stupéfaite et charmée, et qui vit une expérience sensorielle exceptionnelle.


Mais avant d’arriver à cet ensemble lumineux, Teodor Currentzis aura révélé des profondeurs dans l’ultime opéra intimiste de Tchaïkovski, des mouvements aux sombres résonnances de Don Carlo et de Tristan, confiés à un effectif étendu de basses et de violoncelles sublimes.

Teodor Currentzis

Teodor Currentzis

A l’inverse de Iolanta, Perséphone évoque la destinée de la fille de Déméter et Zeus, attirée par les plaintes des enfers, et son obscurité. Partagée entre Hadès et sa mère, la vie de la nymphe se transforme en un cycle au cours duquel elle s’engouffre vers le monde des morts pour, ensuite, se régénérer sur Terre.

 

La musique de Stravinski, fine et délicate mais pas aussi lyrique que celle de Tchaïkovski, laisse en revanche une place plus importante au chœur, car seul le rôle de Eulmope est chanté.
Paul Groves n’est peut être pas le ténor élégiaque adéquat, mais son engagement l’amène à exprimer de fragiles phrases poétiques quand il est seul en avant scène.
Autre artiste de confiance, Dominique Blanc est à la fois une récitante naturelle, un peu rêveuse, un peu sensuelle, mais surtout entière.
Dans cette seconde pièce qui renvoie à la structure classique du théâtre chanté grec, Peter Sellars a confié la chorégraphie à quatre artistes d’un centre d’art cambodgien, Sam Sathya (Perséphone), Chumvan Sodhachivy (Déméter) , Khon Chansithyka (Pluton) et Nam Narim (Mercure/Démophoon/Triptolème ), en tenues respectives bleue, jaune, rouge et grise.
                                                                                           Sam Sathya (Perséphone)

Cette chorégraphie introspective est un jeu harmonieux de positionnement des corps et de langage des mains mystérieux et raffinés. Même si le sens est politiquement marqué en associant Hadès au mal communiste que connut le Cambodge, l’ensemble reste suffisamment symbolique pour que le spectateur conserve sa propre lecture des gestes et des relations entre les personnages.

Dominique Blanc (Perséphone)

Dominique Blanc (Perséphone)

Et, à nouveau, l'ouvrage musical s’achève sur un ensemble choral merveilleux, les petits chanteurs de la JORCAM se joignent au chœur du Teatro Real pour incarner le renouvèlement de la vie, avec une fraîcheur magnifique, et offrir l’image d’espérance que Gerard Mortier souhaite nous laisser en cette période sur laquelle plane l’étrange sentiment d’une fin de monde.

Les petits chanteurs de la JORCAM

Les petits chanteurs de la JORCAM

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