Publié le 20 Octobre 2012

Lulu (Alban Berg)
Représentation du 14 octobre 2012
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Lulu Barbara Hannigan
Gräfin Geschwitz Natascha Petrinsky
Eine Theatergarderobiere, Ein Gymnasiast,

                              Ein Groom Frances Bourne
Der Medizinalrat, Der Professor Gerard Lavalle
Der Maler, Der Neger Tom Randle
Dr Schön, Jack Dietrich Henschel
Alwa Charles Workman
Der Tierbändiger, Ein Athlet Ivan Ludlow
Schigolch Pavlo Hunka
Der Prinz, Der Kammerdiener, Der Marquis Robert Wörle
Der Theaterdirektor, Der Bankier Runi Brattaberg
Eine Fünfzehnjährige Anna Maistrau
Ihre Mutter Mireille Capelle
Die Kunstgewerblerin Beata Morawska
Der Journalist Benoît De Leersnyder
Ein Diener Charles Dekeyser
                                                                                         Charles Workman (Alwa)
Direction Musicale Paul Daniel
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Mise en scène Krzysztof Warlikowski 

Krzysztof Warlikowski est un metteur en scène capable de parler des femmes avec une profonde empathie, et de montrer comment leur mystère peut se heurter au manque de sensibilité de la nature humaine.
Il défend toujours naturellement, viscéralement et entièrement leur idéal, même si la pensée conventionnelle présente d‘elles, dans les textes choisis, une nature dangereuse ou coupable.

Tom Randle (Le Peintre) et Barbara Hannigan (Lulu)

Tom Randle (Le Peintre) et Barbara Hannigan (Lulu)

Ainsi, il ne s’attache pas à leur image sociale, qu’elle soit construite par elles-mêmes ou par l’imaginaire des autres, et met plutôt en lumière l’esthétique intérieure de leur être et la peine qui en est l’essence.

Que ce soit au théâtre ou à l’opéra, Iphigénie, Kundry, Alceste, Marilyn Monroe, Médée nous sont toujours apparues comme contraintes dans un milieu masculin dominant, et ce sont ces visions si éloignées des stéréotypes courants que l’on apprécie chez lui.

Dietrich Henschel (Doctor Schön) et Barbara Hannigan (Lulu)

Dietrich Henschel (Doctor Schön) et Barbara Hannigan (Lulu)

Il est, pour le spectateur, le regard perçant qui l’oblige à voir ce qui n’est pas directement visible, un regard non pas instantané, sinon le résultat d’une réflexion élaborée dans le temps.

Ce qu’il vient de faire à Bruxelles, pour la nouvelle production de Lulu, est un spectacle qui représente le meilleur de lui-même. Son travail de stylisation touche à la vérité des désirs humains tapis dans un univers de strass. Il n’effleure que furtivement les expressions vulgaires, et rapproche, au même instant sur scène, différentes lignes de temps, le présent et la jeunesse de Lulu.

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

La belle idée de Warlikowski est d’imaginer en elle un rêve de danseuse inaccompli, le cygne noir du Lac des Cygnes, Odile, l‘ange exterminateur tel que Schön la perçoit.
C’est une liberté interprétative que lui permet le livret par de nombreuses allusions à la danse et au Prince.
Il introduit ainsi un autre personnage de ce conte, Rothbart, la malédiction fatale qui fait peser sur la vie de Lulu la tentation possessive et fascinée des hommes pour elle.

Barbara Hannigan (Lulu) et un des danseurs

Barbara Hannigan (Lulu) et un des danseurs

Il suffit d'évoquer le caractère déployé par Rudolf Noureev dans sa version du ballet de Tchaïkovski , pour que ses formes bleu-vert d'oiseau de proie croisent, dans notre propre monde chimérique, les élans impulsifs de cette mystérieuse oeuvre du destin qui apparaît sur la scène.

Ce personnage noir, aux traits dissimulés sous un masque de paillettes étincelantes, survient avant que la musique ne commence, assis dans la grande loge de côté face à la scène. Il prend les traits du dompteur dans le prologue, puis personnifie ce désir obscur qui étreint la jeune femme depuis sa petite enfance tout au long de la pièce.

Ivan Ludlow (L'Athlète)

Ivan Ludlow (L'Athlète)

On peut ainsi voir les souvenirs de l’orphelinat d’où elle fut enlevée, en arrière plan d’une cage en verre qui expose les corps élancés des très jeunes danseuses et danseurs de ballet. L’image, avec ses reflets colorés rouge orangé rosacés par la lumière, peut simplement se voir dans toute sa grâce, même si l’intention est peut être provocatrice. Comment ne pas songer à une représentation de l'enfance manipulée et exposée pour satisfaire aux rêves du monde des adultes, la privant de bien précieux moments pendant lesquels elle aurait pu se consacrer à la connaissance et la contemplation du monde?

Elle succède par ailleurs à d’autres images plus brutales, les bêtes de foires, le suicide du peintre - sa violence étant atténuée par une visibilité qui tourne au voyeurisme - et la prison de Lulu.

Charles Workman (Alwa) et Barbara Hannigan (Lulu)

Charles Workman (Alwa) et Barbara Hannigan (Lulu)

La force théâtrale est cependant fortement concentrée sur le personnage de Lulu, rôle pour lequel Barbara Hannigan est une révélation scénique mémorable.
On peut citer des tableaux éphémères marquants comme le final du premier acte pour lequel une ballerine danse sur des pointes l’envol du cygne noir, dans le silence le plus total, accompagnant ainsi l’élan de Lulu vers la scène, ou bien le final du second acte où le songe d’Alwa devant les jambes de Lulu qui se séparent est fortement sexualisé.

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

La soprano canadienne joue de toutes les facettes de son corps, sensuel, souple et félin, il va sans dire, avec une aisance captivante au point d’en faire oublier tout ce qui se passe autour. La fascination de son entourage pour elle ne se comprend pas seulement par sa nature physique, mais surtout par la liberté totale qu’elle se donne, liberté qui se retrouve dans toutes les variations corporelles.

Son chant très clair rayonne une joie vitale enfantine, une joie qui est un surplus d’âme pour un personnage animalement équivoque.

Lulu (Hannigan-Workman-Daniel-Warlikowski) La Monnaie

Une telle énergie émane également de Dietrich Henschel, un Doctor Schön relativement jeune et tenace, le meilleur acteur de la distribution, mais les plus fortes impressions vocales proviennent d’Ivan Ludlow, l’Athlète, une large projection vocale profondément dominante en accord avec le physique coulé pour le rôle.

En fait, tous les rôles et toutes les voix sont parfaitement bien intégrés entre eux, même si aucun rôle masculin, à part peut-être Charles Workman qui est par nature un interprète pathétiquement humain - au sens réaliste du terme -, ne révèle une sensualité qui perce la dureté du langage vocal. 

Lulu (Hannigan-Workman-Daniel-Warlikowski) La Monnaie

Le rôle splendide de la Comtesse Gerschwitz , amoureuse folle de Lulu, est rendu avec une féminité magnifique qui en fragilise l’être, ce qui, même si Natascha Pétrinsky y met un peu trop de réserve au début, en élimine toute expression inquiétante, et ajoute une part de mystère féminin à ce portrait sensible.

Paul Daniel est un chef qui a l’habitude de travailler avec Krzysztof Warlikowski, et tous deux ont été récompensés pour leur interprétation de Macbeth dans ce même théâtre en 2010.

NNatascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

NNatascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

On reconnaît cette pâte dense aux coloris chambristes, un grand sens de la tension théâtrale, et l’univers de Lulu s’en trouve tout autant adouci de tonalités dominantes sur les dissonances.

Ce travail sur la concordance du flux musical, l’atmosphère lumineuse et le sens du geste fait toute la valeur de ce spectacle, mais il y a aussi les qualités humaines et intellectuelles du public de la Monnaie, public qui sait préserver un long silence après les dernières notes et l’extinction des lumières, puis accueillir très chaleureusement l’équipe intégrale, une attitude émouvante impensable dans les salles parisiennes.

Krzysztof Warlikowski entouré des jeunes danseurs, Charles Workman (Alwa), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

Krzysztof Warlikowski entouré des jeunes danseurs, Charles Workman (Alwa), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

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Publié le 15 Octobre 2012

Tristan et Isolde (Richard Wagner)
Version concert du 13 octobre 2012
Salle Pleyel

Isolde Nina Stemme
Tristan Christian Franz
Le Roi Marke Peter Rose
Brangäne Sarah Connolly
Kurwenal Detlef Roth
Melot Richard Berkeley-Steele
Un jeune marin Pascal Bourgeois
Un berger Christophe Poncet
Un pilote Renaud Derrien

Orchestre Philharmonique de Radio France
Direction musicale Mikko Franck
Chœur d'hommes de Radio France

 

                                                                                          Sarah Connolly (Brangäne)

Bien que la salle Pleyel possède une acoustique réverbérée et une largeur d’espace favorable aux grandes étendues orchestrales des opéras de Wagner, la blancheur impersonnelle de ses parois anguleuses et sa configuration géométrique s’accommodent mal de l’univers infini de Tristan et Isolde.

Et les images hypnotiques de Bill Viola - filmées pour la mise en scène historique de Peter Sellars à l’Opéra National de Paris - ont marqué nombres d’entre nous d’une empreinte visuelle mystérieusement indélébile. Par conséquent, une version de concert ne peut avoir un impact aussi fort que si l’interprétation intègre le temps pour nous attirer dans les profondeurs de la musique.

C’est pourtant avec un fort sentiment que s’est achevé le premier acte de ce soir. La direction de Mikko Franck, sans temps mort, juxtaposait les lignes du discours dramatique tissées de coloris gris et boisés - lignes fortement contrastées par l’éclat claironnant des cuivres -, régénérant une force théâtrale galvanisante pour Nina Stemme.

Nina Stemme (Isolde)

Nina Stemme (Isolde)

Qui peut imaginer meilleure interprète de la Princesse d’Irlande, talentueuse au point de savoir faire vivre à la fois un tempérament enflammé et l‘aplomb d‘une grandeur d‘être superbe, tout cela avec une intensité foudroyante et un galbe vocal d’une noirceur de sang noble et sensuelle?

Même son partenaire, Christian Franz, nous a rappelé, pour un moment, la jeunesse resplendissante et immuable de Renée Kollo, gravée au disque sous la direction irréelle de Carlos Kleiber, et Sarah Connolly s’est trouvée elle même emportée au point de tenir égale véhémence face à Isolde.

Seulement, le flux orchestral ne s’est pas ralenti au second acte, et les ondes n’ont fait qu’esquisser une intériorité bien trop superficielle et peu modelée pour suggérer un début d’immersion vers les abysses dépressives du drame. Pire, le rythme ne s’est pas ralenti au troisième acte, et les imprécisions firent concurrence à bien des motifs à peine esquissés, pour s’effacer sous les suivants, entretenant, il est vrai, un influx vital entrainant.

Il y eut bien sûr une petite icône pour chaque acte, la fraîcheur de Pascal Bourgeois isolée au dessus des gradins de l’arrière scène, l’apparition surnaturelle de Sarah Connolly pendant la nuit d’amour, et la plainte du cor depuis le premier balcon en surplomb de l’orchestre, à chaque fois un instant en suspend.

Christian Franz (Tristan) et Nina Stemme (Isolde)

Christian Franz (Tristan) et Nina Stemme (Isolde)

Malgré sa vaillance, Christian Franz n’a pas le théâtre de Nina Stemme, et son corps oscille en usant que rarement des expressions des mains, si bien que peu de cette douleur tellurique interne est renvoyée vers la salle. Il a en revanche une simplicité touchante.

Il y eut aussi l’humanité engagée de Detlef Roth et la noblesse un peu indifférente de Peter Rose.
Le lyrisme engloutissant de Myung-Whun Chung aurait sans doute mieux convenu au relief et aux couleurs crépusculaires de Tristan et Isolde.

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Publié le 9 Octobre 2012

Boris Godounov (Modest Moussorgski)
Représentation du 30 septembre 2012
Teatro Real de Madrid

Boris Godounov Günther Groissböck
Fiodor Alexandra Kadurina
Yenia Alina Yarovaya
La nourrice de Yenia Margarita Nekrasova
Le prince Chuiski Stefan Margita
Andrei Chelkalov Yuri Nechaev
Pimen Dmitry Ulyanov
Gregory Michael König
Marina Mnishek Julia Gertseva
Rangoni Evgeny Nikitin
Varlaam Anatoli Kotscherga
Misaïl John Easterlin
La tavernière Pilar Vasquez
L’innocent Andrey Popov

Dramaturge Jan Vandenhouwe

Mise en scène Johan Simons
Direction musicale Harmut Haenchen

Pequeños Cantores de la Jorcam
Coro y Orquesta Titulares del Teatro Real              Yuri Nechaev (Andrei Chelkalov)

Dans un contexte de crise sociale et de réductions budgétaires dur et inquiétant, le mérite de Gerard Mortier et de ses équipes à maintenir les représentations de la nouvelle production du Teatro Real renforce notre estime à leur égard.

Des considérations autres que le simple remplissage des caisses les motivent, ce qui rend si nécessaire la reconnaissance pour de tels exemples, à notre époque en particulier.

Connaître et suivre le travail de ces personnes qui cherchent à faire avancer la pensée, malgré un conformisme et une pauvreté réflexive ambiante, donne du courage dans la vie.

Boris Godounov (Groissböck-Haenchen-Simons) Madrid

 “Le Real est un des théâtres les plus pauvres d’Europe” s’insurge Mortier dans les pages du journal généraliste El País (l’équivalent du journal Le Monde en France), mentionnant qu’il a du obtenir des costumes d’une ONG humanitaire pour tenir un objectif de coût très contraignant.

La Semaine d’après, il aborde la culture d’un point de vue plus général,  “Il faut en finir avec l‘idée que l‘art est un luxe”, pointant du doigt une crise qui est aussi une crise humaine, et pour laquelle l’art est autant un moyen de connaissance de soi que de compréhension du monde.

La programmation de Boris Godounov, réflexion sur le pouvoir et ses répercutions populaires, politiques, familiales et intimes, prend ainsi une résonance contemporaine qui dépasse le simple déroulé temporel de l’histoire russe.

La musique est prodigieusement colorée, les grands élans épiques, les implorations religieuses et les petites scènes de vie composent une fresque animée d’un courant profondément grave et identitaire, et, de cette magnifique structure, deux grandes descriptions fondent la puissance de l’œuvre, les tournoiements complexes de l’âme de Boris, et les invocations chorales du peuple, autant spirituelles qu’elles peuvent être viscérales.

Anatoli Kotcherga (Varlaam) et John Easterlin (Misail)

Anatoli Kotcherga (Varlaam) et John Easterlin (Misail)

Rappelons que depuis la version initiale de 1869, Modest Moussorgski a créé une version définitive, trois ans plus tard, ajoutant l’acte polonais, la scène de la révolte et quelques passages (chanson du canard, chanson des enfants, évocation du perroquet).

Mais il a aussi considérablement remanié la scène des appartements royaux au Kremlin et supprimé plusieurs récits de Pimène, la fin du prologue, et surtout le tableau sur la place de la cathédrale Saint Basile à Moscou.

Il s’agit de cette seconde version, achevée en 1872 mais représentée au Théâtre Mariinski seulement en janvier 1874, que le public madrilène découvre pour la première fois, réintégrant le tableau original de Saint Basile. Cet ajout permet à la fois de donner une importance inédite au chœur et d’approfondir le drame, car l’on y entend un peuple affamé qui commence à perdre la raison.

Alexandra Kadurina (Fiodor), Günther Groissböck (Boris Godounov) et Alina Yarovaya (Yenia)

Alexandra Kadurina (Fiodor), Günther Groissböck (Boris Godounov) et Alina Yarovaya (Yenia)

On a souvent injustement reproché à Mortier de privilégier le théâtre à la musique, il prouve encore aujourd’hui que la matière et les motifs orchestraux sont fondamentalement la structure centrale de ses spectacles. S’il a du réduire légèrement l’effectif du chœur à 82 chanteurs, au lieu d’une centaine d’artistes, les 16 premiers violons sont présents, et cela s’entend.

Harmut Haenchen, à qui l’on doit un Parsifal inoubliable à l’Opéra de Paris, cisèle des tissures amples et onduleuses, fascinantes par leurs mouvements dispersifs et leurs remous troubles soudainement jaillissants. On entend des effets frissonnants et glaçants, un flot envahissant et prenant qui met en avant le pouvoir des cordes et des archets à former des ondes musicales souples, et à en varier les couleurs.

En revanche, le chef d’orchestre semble avoir des réserves à insuffler une vitalité intense ainsi que des revirements violents  - à moins que cela ne soit un choix volontaire - qui pourraient créer un allant presque sanguin. Cela se ressent dans l’acte polonais, étonnamment atone à partir de l’arrivée des invités.

Michael König (Gregory) et Julia Gertseva (Marina Mnishek )

Michael König (Gregory) et Julia Gertseva (Marina Mnishek )

Autre protagoniste essentiel à la sombre destinée de cet opéra, le chœur du Teatro Real est renforcé par les petits chanteurs de la Jorcam, comme pour Iolanta, un ensemble qui atteint une force phénoménale dans le saisissant tableau de la place de la cathédrale Saint-Basile.

Ce passage pivot permet aux enfants d’enjouer de leur chant spontané la salle entière, mais on peut aussi y voir la volonté de Mortier de créer les occasions qui permettent aux tout jeunes de connaître une expérience musicale déterminante pour eux-mêmes, afin qu'ils l'emportent dans leur vie et la dissipe avec toute leur humanité vers leur entourage. Au cours du temps, la musique peut changer l’être et son rapport aux autres.

Pour en revenir au pouvoir du chœur, celui-ci a eu un peu de mal à se synchroniser en première partie autant avec lui-même qu’avec l’orchestre, puis, il a trouvé au fur et à mesure son unité pour affronter ce fameux quatrième acte.

Dmitry Ulyanov (Pimène)

Dmitry Ulyanov (Pimène)

Günther Groissböck est un chanteur qui ne possède pas l’ampleur vocale sombre et caverneuse caractéristique des basses russes. Il accorde cependant un soin à l’expression et à la crédibilité de son personnage moderne, et lui donne une présence naturellement humaine.
Sa confrontation avec Stefan Margita, le prince Chuiski, est son plus beau moment, car il est poussé dans ses retranchements par la puissance incisive du ténor slovaque, une froideur glaçante terriblement affirmée.

Dans la scène des appartements - une des plus fortes de Johan Simons dépeignant avec justesse l'impossible résistance d'une jeunesse inconsciente, celle de Fiodor, à résister au conditionnement adulte qui va  faire de lui un être stratège et dominateur - Alexandra Kadurina réalise un magnifique portrait plein de vie du jeune héritier, prolongé par le jeu que lui assigne le metteur en scène en l’isolant seule au dessus de l’orchestre, dans l’ombre, puis en réintégrant sa relation à ses proches, sa sœur en particulier (très sensible Alina Yarovaya dans sa tentative consolatrice).

Alexandra Kadurina (Fiodor) et Alina Yarovaya (Yenia)

Alexandra Kadurina (Fiodor) et Alina Yarovaya (Yenia)

On voulait une grande basse russe, Dmitry Ulyanov porte la haute stature attendue de Pimène, avec ses accents de métal et une résonnance sonore qui en font une voix d’une force surnaturelle.
Yuri Nechaev s’impose également dans la grande scène de la Douma, concentré de sévérité parfaitement maitrisé.

Anatoli Kotscherga fut un impressionnant Boris Godounov du temps de Mortier à Salzbourg, et, fidélité oblige, s’il ne peut plus être raisonnablement le Tsar, son sens de la comédie outrée lui permet d’être un Varlaam outrancier, drôle à suivre dans ses saouleries et ses mimiques comiques.

Deux rôles majeurs, très opposés, sont plus difficiles à apprécier sans ressentir une certaine gêne. Michael König est en permanence dans une posture désabusée et terne, y compris vocalement, si bien qu’aucun souffle un tant soit peu idéaliste n‘en émane.
Julia Gertseva en est le contraire, opulente et généreuse tant qu’elle ne déforme pas son émission dans les aigus, l’impression de volume prenant finalement le dessus sur la finesse vocale.

Günther Groissböck (Boris Godounov)

Günther Groissböck (Boris Godounov)

Johan Simons a choisi de situer le drame - les contraintes économiques se font cruellement sentir - dans un décor unique de la grande cour centrale d'un immeuble délabré.

Il montre un visage de la Russie d’aujourd’hui sombre, et rappelle fortement celui présenté par Dmitri Tcherniakov dans La Légende de la ville invisible de Kitège à Amsterdam en début d’année.

Dans les deux cas, un pouvoir autoritaire pousse le peuple vers l’anarchie et la révolte terroriste, cette dernière étant rendue avec une très grande force orchestrale et scénique à travers une marche décidée et mécanique saisissante.

Simons joue également sur les correspondances entre la froideur inquiétante des ombres laissées par les éclairages, comme lors de l’arrivée du garde sorti d'un interstice de la façade au début du prologue, et la noirceur des ondes ténébreuses de la musique de Moussorgski.

L'innocent (Andrey Popov) et les enfants (Petits Chanteurs de la Jorcam)

L'innocent (Andrey Popov) et les enfants (Petits Chanteurs de la Jorcam)

En fait, son portrait de la Russie où les valeurs religieuses se diluent dans l’alcool et la décadence ne tend qu’à montrer son incroyance en un pouvoir, même bureaucratique, apte à sauver le peuple.

On ne sort pas plus optimiste de ce spectacle, mais plutôt imprégné d’une beauté musicale triste, accentuée par une vision apocalyptique uniquement illuminée par la présence des enfants et leur espérance.

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Publié le 3 Octobre 2012

¡Ay, Amor!

El Amor Brujo - La Vida breve (Manuel de Falla)
Représentation du 29 septembre 2012
Teatro de la Zarzuela (Madrid)

El Amor Brujo (1915)
Gitaneria de Gregorio Martinez Sierra
Candelas (Cantaora) Esperanza Fernandez
Candelas (Bailaora) Natalia Ferrandiz

La Vida breve (1905)
Drama Lirico de Carlos Fernandez Shaw
Salud Maria Rodriguez
La Abuela Milagros Martin
Carmela Ruth Iniesta
Paco José Ferrero
Et Tio Sarvaor Enuque Vaquerizo

Orquestra de la Communidad de Madrid
Coro del Teatro Real de la Zarzuela
Direction musicale Guillermo Garcia Calvo

Mise en scène Herbert Wernicke
Production du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles (1995)     Natalia Ferrandiz (Candelas)

A la fin du XIXème siècle, l’engouement des Italiens pour les œuvres véristes engendrées par les concours d’opéras en un acte de l’éditeur Sonzogno eurent quelques réminiscences en Europe, et à Madrid en particulier.

Le 05 juillet 1904, la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando organisa un concours d’œuvres musicales espagnoles, dans un contexte d’exacerbation nationaliste et militaire troublant, parmi lesquelles l’émergence d’un opéra en un acte composé sur un livret inédit dans la langue castillane nourrissait tous les espoirs.

Extrait de l'appel à concours de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando (archives)

Extrait de l'appel à concours de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando (archives)

Le 13 novembre 1905, Manuel de Falla remporta à l’unanimité le premier prix du concours pour la composition de « La Vida breve », mais, ne pouvant la créer sur scène, il se rendit à Paris et fit la connaissance de plusieurs compositeurs, Claude Debussy, Paul Dukas et André Messager, ses plus précieux conseillers pour l’avenir.

Encouragé par un tel entourage, il révisa l’orchestration de son opéra, développa brillamment les danses, et l’adaptation française de Paul Millet lui permit de le présenter pour la première fois au Casino Municipal de Nice en 1913, puis à l’Opéra Comique, à Paris, en 1914.

Cependant, à cause de la Première Guerre Mondiale, Manuel de Falla revint à Madrid où il réussit à représenter « La Vida breve » au Teatro de la Zarzuela, le lieu de la représentation de ce soir. Cette salle, l’équivalent de la salle Favart à Paris, arbore une forme en fer à cheval élancée, aérée, chaleureuse et très agréable à vivre.

Reçu de participation pour l'oeuvre La Vida breve (Archive de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando)

Reçu de participation pour l'oeuvre La Vida breve (Archive de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando)

Comme la pièce ne dure qu’un peu plus d’une heure, le spectacle conçu par Herbert Wernicke, disparu depuis, associe en première partie une œuvre plus tardive, "El Amor Brujo", et tend à les unifier en faisant se rejoindre les douleurs respectives de Salud et Candelas.

Tout se déroule sur un large plateau circulaire, en bois, incliné vers l’orchestre, autour duquel un fond de ciel bleu luminescent crée un sentiment d’intimité poétique apaisant.
Soutenu par une musique riche en sonorités dorées et d’éclats de clarinettes, et évocatrice d’une Andalousie arabisante, "El Amor Brujo" exprime les déchirures d’une âme abandonnée de ses insouciances amoureuses.

Esperanza Fernandez (Candelas)

Esperanza Fernandez (Candelas)

L’interprétation d’Esperanza Fernandez est un cri écorché qui se libère avec une force pas simplement plaintive, mais avec dans la voix comme un espoir en quelque chose de supérieur qui puisse l’entendre, tendu vers le ciel.
La violence de ses expressions déformantes montrent également son incapacité à retrouver ce qui devait faire sa grâce auparavant, en contraste total avec la légèreté furtive de la danseuse, Natalia Ferrandiz.

En admirant les déroulés fuyants des gestes et des volants de robe, cette vision d’une vie de feu à la fois fière et emportée par le flot de la musique fascine naturellement, mais porte en elle, également, toute la tristesse d’un élan, et d’une jeunesse, qui a quitté la chanteuse.

Esperanza Fernandez et Natalia Ferrandiz

Esperanza Fernandez et Natalia Ferrandiz

Cette similitude entre chant et pleurs, et entre danse et bonheur, apparaît dès le prologue, à partir d’un extrait des Chants des Gitans de Séville ajouté par le metteur en scène. Il insère également des chants populaires dans la seconde partie, "La Vita breve".

Dans un premier temps, le début de cet opéra fait penser à l’univers mystérieux de Billy Budd. Le plateau est nu, uniquement percé, en arrière plan, d’un long lampadaire semblable à un mât, et la musique, alternant ondes marines, mouvements d’ombres dans le style de Moussorgski, et motifs orientalisants, se fond dans le chant du chœur, harmonieux et très épuré, invisible et surnaturel.

L’ensemble est d’une beauté pathétique magnifique.

Maria Rodriguez (Salud)

Maria Rodriguez (Salud)

L’histoire est simple, une femme, Salud, est trahie et abandonnée par son amant pour une autre femme plus jeune et plus riche, une description d’un drame humain identique à ce que vit Santuzza dans "Cavalleria Rusticana", l’œuvre emblématique du vérisme italien.

Même si Maria Rodriguez extériorise un chant intense, puissant et meurtri en s’éloignant sensiblement des lignes belcantistes, elle fait entendre ce supplément d’âme et de lumière moins flagrant dans les incarnations italiennes purement viscérales.
 

Herbert Wernicke aboutit à une scène où l’on reconnait sa croyance en la dimension universelle de l’amour, tout le fond de scène versant en une splendide nuit étoilée sous laquelle survient Candelas, en écho à l’"Amor brujo", pour chanter ses pleurs.

La scène suivante de danse au village est réalisée avec joie et une belle maîtrise esthétique, à l’identique de la musique qui nous remémore la danse espagnole écrite et idéalisée par Tchaïkovski pour Le Lac des Cygnes.

Nulle part qu’à Madrid, et dans un tel théâtre, ce grand moment de Flamenco ne pouvait être aussi intensément vécu, avec ces cadences de castagnettes fuyantes et ces sévillanes virevoltantes.

 

                 Danseuse et danseur de Flamenco

Tous les autres chanteurs ont un véritable caractère vocal, José Ferrero et ses intonations espagnoles chantantes, la force digne de Milagros Martin ou bien l’autorité entière d’Enuque Vaquerizo apportant un supplément de vérité brute sans artifice.

L‘ensemble est porté par l'Orchestre de la Commune de Madrid et Guillermo Garcia Calvo, complices et musiciens animés d'un courant vital évident, qui fait l’unité de ce spectacle si beau et essentiel.

Esperanza Fernandez (Candelas) chantant "Nana de Sevilla" (air de Federico Garcia Lorca) auprès de Maria Rodriguez (Salud)

Esperanza Fernandez (Candelas) chantant "Nana de Sevilla" (air de Federico Garcia Lorca) auprès de Maria Rodriguez (Salud)

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Publié le 2 Octobre 2012

Web : Free Opera streaming

(Lien direct sur les titres et sur les vidéos)

Parsifal (Bayreuther Festspiele)

Les Troyens (Royal Opera House) jusqu'au ? 2012

Pelléas et Mélisande (Festival de Verbier) jusqu'au ? 2012

Ariane à Naxos (Festival de Salzbourg) jusqu'au ? 2012

Le Couronnement de Poppée (Opéra de Lille) jusqu'au 12 avril 2014

La représentation de l'âme et du corps (Cité de la musique) jusqu'au 22 octobre 2012

La Finta Giardiniera (Festival d'Aix en Provence) jusqu'au 26 octobre 2012

Les Noces de Figaro (Festival d'Aix en Provence) jusqu'au 26 octobre 2012

Written on skin (Festival d'Aix en Provence) jusqu'au 29 octobre 2012

David et Jonathan  (Festival d'Aix en Provence) jusqu'au 02 novembre 2012

Farnace (Opéra de Strasbourg) jusqu'au 20 novembre 2012

Carmen (Opéra de Lyon) jusqu'au 27 décembre 2012

Phaeton   (Festival de Beaune) jusqu'au 27 janvier 2013


TV : Lyrique et Musique


Mardi 02 octobre 2012 sur France 2 à 00h30
Albert Herring (Benjamin Britten)
Avec Clayton, Gustafson, Palmer, Purves, Tynan, Esper, Greenan, Melrose...
Direction Equilbey, Mise en scène Brunel

Mercredi 03 octobre 2012 sur Arte à 22h30
Musique classique et Guerre Froide
Les musiciens en RDA. Documentaire de Thomas Zintl et Barbara Wunderlich

Dimanche 07 octobre 2012 sur Arte à 19h05
Caldara
Jaroussky, Concerto Köln

Lundi 08 octobre 2012 sur Arte à 00h05
Thanks to my eyes (Oscar Bianchi)
Avec Hagen Matzeit, Brian Bannatyne-Scott, Keren Motseri, Fflur Wyn, Anne Rotger, Antoine Rigot
Ensemble Modern dirigé par Franck Ollui


Mardi 09 octobre 2012 sur France 2 à 00h30
Rinaldo (Haendel)
Avec Cukrova, Plachetka, Fajtova, Martinik, Mihalcova
Direction Luks, Mise en scène Moaty

Dimanche 14 octobre 2012 sur Arte à 19h15
Gershwin, Piazzola
Feidman (Clarinette), Gershwin Quartet

Lundi 15 octobre 2012 sur Arte à 01h30
L'Orchestre baroque de Fribourg avec Kristian Bezuidenhout


Dimanche 21 octobre 2012 sur Arte à 14h30
Lalo. Repin (violon)
Philh. de Radio France, direction Chung

Mardi 23 octobre 2012 sur France 2 à 00h30
Messe en si (Bach)
Avec Engeltjes, Walker, Harvey
Akademie für Alte Musik Berlin Direction Reuss

Dimanche 28 octobre 2012 sur France 3 à 01h15
La Sonnanbula (Bellini)
Avec Natalie Dessay, Marie-Adeline Henry, Michele Pertusi, Cornelia Oncioiu, Javier Camarena, Nahuel Di Pierro.
Direction Evelino Pido, Mise en scène Marco Arturo Marelli

Dimanche 28 octobre 2012 sur Arte à 19h15
Mozart, Verdi, Strauss, Mahler
Avec Pape, Georghiu
World Orchestra for Peace, direction Valery Gergiev

Mardi 30 octobre 2012 sur France 2 à 00h30
Carmen (Bizet)
Avec Antonacci, Richards, Gillet, Cavallier
Direction Gardiner, Mise en scène Noble

Mercredi 31 octobre 2012 sur Arte à 22h30
George Solti, un Européen passionné.
Documentaire de Georg Wübbolt

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Rédigé par David

Publié dans #TV Lyrique

Publié le 23 Septembre 2012

Capriccio (Richard Strauss)
Représentations des 8 et 22 septembre 2012
Palais Garnier

La Comtesse Michaela Kaune
Le Comte Bo Skovhus
Flamand Joseph Kaiser
Olivier Adrian Eröd
La Roche Peter Rose
Clairon Michaela Schuster
Monsieur Taupe Ryland Davies
La chanteuse italienne Barbara Bargnesi
Le chanteur italien Manuel Nuñez Camelino
Le Majordome Jérôme Varnier

Mise en scène Robert Carsen (2004)
Direction musicale Philippe Jordan

                                                                                                                Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

 

Inévitablement, la seconde reprise de Capriccio fait ressurgir les souvenirs idéalisés des derniers jours de la direction d’Hugues Gall.

Le choix d’une œuvre abordant sur le plan philosophique la convergence des arts - le théâtre, la danse, la musique et la poésie - et la candeur du sentiment amoureux telles qu’elles se déclinent dans la création lyrique ne pouvaient que générer une immense impression de totalité, surtout lorsque des interprètes emblématiques de ce directeur, Renée Fleming, Franz Hawlata, Anne Sofie von Otter pour ne citer qu’eux, étaient réunis à l’occasion de cette ultime conversation en musique.

Adrian Eröd (Olivier), Peter Rose (La Roche) et Joseph Kaiser (Flamand)

Adrian Eröd (Olivier), Peter Rose (La Roche) et Joseph Kaiser (Flamand)

Une fois compris et dépassé le regard nostalgique sur cette époque, le spectacle qui ouvre la saison de 2012/2013 sous les ors du Palais Garnier apparaît comme un luxueux brillant lyrique qui conserve une part de son âme grâce à la présence de Michaela Kaune dans la grande scène finale, une apparition merveilleuse pour le spectateur qui la découvre pour la première fois après les deux levers de rideaux successifs, celui de la scène, puis celui du théâtre sur la scène.

Si le chant de la soprano allemande ne dispose pas de ce fil subtilement velouté qui lie les mots sous le souffle de Renée Fleming, tout est impeccablement déclamé au cours des longues digressions jusqu’à ce qu’elle devienne tragédienne, embellie par ses expressions qui révèlent des torpeurs tout en maintenant une ligne vocale finement épurée.
Réussir cela est indispensable pour donner grâce et vérité à ce mouvement final d’extériorisation.

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Elle ne domine pas crânement, sans doute, mais elle s’harmonise avec un ensemble de chanteurs qui ont tous des qualités qui les distinguent subtilement de façon à créer une troupe équilibrée qui se répond avec naturel.
Sous les traits de La Roche, Peter Rose impose une franchise de ton et une agréable homogénéité de timbre qui adoucit le caractère de ce directeur tiré vers une sensibilité humaine malgré ses soucis de gloire.

Les deux prétendants ont eux aussi leur petites particularités, Joseph Kaiser ayant surtout pour lui la poésie d’un timbre aux accents slaves quand il jette ses exclamations à cœur ouvert vers la Comtesse, mais également une souplesse feutrée dans la démarche théâtrale, alors qu'Adrian Eröd est le plus classique des Olivier, le parfait gentilhomme élevé aux bonnes manières, un chant mesuré, et taillé sur mesure, sans le moindre accroc.

Bov Skovhus s’est souvent fait remarquer pour ses emphases qui dramatisent à l’excès, mais avec sincérité, ses sentiments envers ses personnages de jeu, alors le Comte passe pour un instable incontrôlable avec lequel seule l’actrice Clairon peut rivaliser.

 Joseph Kaiser (Flamand)

 

Riche en contrastes, le timbre de Michaela Schuster peut être aussi clair que parcellé d’intonations sombres et d’irrégularités qu’elle dépasse par la sympathie de ses mimiques rarement dirigées vers les postures hautaines.
Avec elle et Peter Rose, la vision de Robert Carsen, tendue vers la comédie de Marivaux, trouve un liant qui dédramatise, une vitalité à la fois distanciée et susceptible amusante à regarder.

Le livret de Capriccio s’apprécie hors représentation, car en suivre les surtitres au cours de la scène ne peut que distraire, et empêcher même de laisser son imaginaire se construire au fil de la musique et des échanges entre chanteurs.

Michaela Schuster (Clairon)

Michaela Schuster (Clairon)

Robert Carsen ne s’est pas contenté de travailler l’animation du jeu scénique, et surtout les jeux de distances, de fuites et de rapprochements entre les protagonistes, il a également offert le cadre extraordinaire d’un avant scène dépouillé et, en arrière plan, une reproduction du foyer de la danse soutenu par des piliers torsadés qui reflètent son mobilier et la salle à travers ses miroirs dans une ambiance lumineuse dorée comme en fin de journée, la fin d’une époque.

Mais lorsque l’on sait avec quelle splendeur la conclusion est offerte au spectateur, on ne peut s’empêcher de vivre avec un certain empressement dans l’attente de ce moment crucial qui peut se lire sous plusieurs points de vue.

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Le plus évident est d’y voir l’apparition magique d’une pièce lyrique intemporelle devant laquelle s’effacent les fatigantes discussions sans fin du quotidien.
Plus profondément, on peut y trouver le reflet de ce que représente l’art lyrique, une projection en ombres et lumières de l’âme humaine lorsqu’elle n’est plus étouffée par la vie en société, ses convenances, ou ses propres contradictions.

Robert Carsen rajoute alors un dernier niveau en faisant disparaître brutalement les décors déplacés nonchalamment pas les techniciens de l’Opéra Garnier, pour laisser la scène vide avec en arrière plan, tout de même, le Foyer de la danse au creux duquel une danseuse achève son entraînement. Les illusions explosent, et l’auditeur peut toujours se demander ce que tout cela a changé.

Capriccio (Kaune-Rose-Kaiser-Eröd-Schuster-Jordan) Garnier

On avait quitté l’Opéra Bastille avec l’Arabella dirigée par Philippe Jordan, puis suivit les débuts du jeune directeur musical à Bayreuth pour la dernière reprise du Parsifal mis en scène par Stefan Herheim, et, infatigable, le revoici dirigeant en ouverture le testament  lyrique de Richard Strauss.

Si le sextuor à cordes initial semble trop rivaliser avec le confort doucereux des velours de Garnier, Philippe Jordan mène par la suite l’orchestre vers de majestueuses enveloppes - tout en souplesse.

Les textures des cordes prennent des couleurs surannées qui ont leur charme, mais sans les irisations chatoyantes qu’elles pourraient disperser, et les plus belles impressions musicales se lisent quand harpes et cuivres se mêlent au bois pour tendre vers une profonde liquidité reposante, un envahissement sonore qui ne nous quittera plus, on l’espère, pour un peu de temps.

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)

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Publié le 4 Septembre 2012

Der Schatzgräber (Franz Schreker)
Représentation du 01 septembre 2012
De Nederlandse Opera (Amsterdam)

Der König Tijl Faveyts
Die Königin Basja Chanowski
Der Kanzler/Der Schreiber Alasdair Elliott
Herold / Der Graf André Morsch
Der Magister/Der Schultheiss Kurt Gysen
Der Narr Graham Clark
Der Vogt Kay Stiefermann
Der Junker Mattijs van de Woerd
Elis Raymond Very
Der Wirt Andrew Greenan
Els Manuela Uhl
Albi Gordon Gietz
Ein Landsknecht Peter Arink
Erster Bürger Cato Fordham
Zweiter Bürger Richard Meijer
Mezzo Sopran Solo Marieke Reuten
Alt Solo Inez Hafkamp
Alt Solo Hiroko Mogaki                                                    Manuela Uhl (Els)

Mise en scène Ivo van Hove    
Direction musicale Marc Albrecht

Au cours de la première décennie de ce siècle, la réhabilitation scénique des œuvres d’un compositeur allemand dénigré par Hitler, Paul Hindemith, révéla sa richesse d’écriture musicale et littéraire. L’Opéra National de Paris lui a même dédié deux productions à l’esthétique magnifique pour Cardillac et Mathis Le Peintre.

Selon le même mouvement de renaissance sur les cendres du nazisme, la seconde décennie pourrait bien être celle d’un autre compositeur juif autrichien, Franz Schreker.
Cette saison, l’Opéra de Strasbourg redécouvre Der Ferne Klang, et il en sera de même, bientôt, pour Der Gezeichneten (Les Stigmatisés) à Paris, alors qu’Amsterdam ouvre la saison 2012/2013 avec Der Schatzgräber.

Kay Stiefermann (Der Vogt)

Kay Stiefermann (Der Vogt)

Le chercheur de trésor est un conte de fée centré sur le personnage d’Els, jeune femme qui a pu récupérer et conserver pour elle même les bijoux volés de la Reine.
Engagé par le Roi, un chanteur ambulant et joueur de luth, Elis, la rencontre, et l’histoire d’amour qui se noue entre eux deux se trouve contrariée par nombres d’embûches, nombres de prétendants, et par le rapport obsessionnel qu’entretient Els malgré tout avec les joyaux.

A travers sa mise en scène, Ivo van Hove décrit l’évolution intérieure d’Els en la présentant comme une adolescente rebelle, arborant une collection de crucifix provocateurs, et élevée de surcroît dans un milieu masculin grossier et dominateur.

Cette quête d’elle-même passe par le regard d’Elis, mais aussi par des phases de doute, de peur et de régression, ce que le régisseur exprime avec une justesse et une précision théâtrale rare à l’Opéra.
Et il a la chance de pouvoir travailler cette vision avec Manuela Uhl, une fabuleuse chanteuse dans un rôle qu‘elle s‘approprie entièrement.

Manuela Uhl (Els)

Manuela Uhl (Els)

Belle femme à l’allure naturelle, un caractère écorché mais les yeux perdus, ses expressions vocales raisonnent autant de douleur intense et lumineuse que de délicatesse, un art de la diction et de la vérité intérieure dont on ne décroche à aucun instant.
Cette vitalité se transmet aussi par l’éclat des couleurs et la profondeur d'émission qui en font le cœur rayonnant de toute la représentation.

Le décor repose sur un grand plan vertical, brisé vers l’intérieur de la scène, une disposition qui favorise encore plus la projection des voix dans une salle à l’acoustique intrinsèquement aérienne et enveloppante.

Raymond Very (Elis)

Raymond Very (Elis)

Abondamment utilisée, la vidéographie, reprenant la symbolique de la forêt que l’on discerne au second plan de la scénographie du premier acte, renvoie à l’histoire de la jeune femme, sa rupture avec ses origines, puis à ce grand moment d’unité avec elle-même qu’elle retrouve dans la scène d’amour du troisième acte, jusqu’à la naissance de la vie.  L’imagerie mélange amour physique et imaginaire cosmique avec un trop grand écart de niveau pour ne pas en sourire.

Ce troisième acte est d’un lyrisme étourdissant car l’on se trouve plongé dans le flot qui immerge les amants tels Tristan et Isolde, sans toutefois la noirceur qui caractérise l’état d’âme de ces derniers.

Manuela Uhl (Els) et Raymond Very (Elis)

Manuela Uhl (Els) et Raymond Very (Elis)

Ainsi, la musique de Schreker est un écoulement continu régénérant soulevé de grands mouvements épiques, lisibles quand ils soulignent le caractère oppressant des protagonistes masculins, et qui se recueille sur des instants poétiques très sensibles, d’où se délient les motifs d’instruments sur les frémissements des cordes.

Ces passages sollicitent les ressources de l’orchestre situées à gauche, plus proche du cœur, et c’est peut être pour cela que les moments intimes se jouent la plupart du temps de ce côté ci de la scène.

Marc Albrecht y engage une fougue et un sens de l’unité qui permettent ainsi de lier avec naturel toute les dimensions d’une musique immédiate d’accès, et où l’on pressent la récurrence de motifs, même s’ils n’ont pas la même accroche pénétrante et obsédante comme dans la musique de Wagner.

Manuela Uhl (Els)

Manuela Uhl (Els)

Bien que Manuela Uhl soit véritablement l’étoile de la soirée, la distribution ne comporte aucune faille et permet d’apprécier des caractères aussi différents que le Bouffon de Graham Clark d’une clarté mordante, voir cinglante, l’impressionnant Kay Stiefermann maître d’un personnage à la fois glacial et fascinant, l’élocution faussement suave d’Alasdair Elliott, remarquable par le poids écrasant de son regard menaçant, et, à contre courant de tous ces hommes profondément empreints de leur vanité sociale, Raymond Very livre une interprétation humaine d’Elis d’une très grande maturité, totalement axé sur l’empathie avec l’autre et d'une très belle sensibilité.

Ivo van Hove a tiré de ces artistes le meilleur d’eux-mêmes, montré dans son approche scénique et vidéographique la foi qu’il a en la vie, et ce sont ces images là qui rendent aussi fondamental un tel théâtre.

Le chœur, dans un rôle à la fois spectateur et consolateur, fut d’une unité impeccable.

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Publié le 1 Septembre 2012

TV : Lyrique et Musique

Dimanche 02 septembre 2012 sur Arte à 19h00
Beethoven, Mozart.
Avec Banse, Prohaska, Mingardo, Schmitt, Pape.
Orchestre du Festival de Lucerne, direction Abbado

Dimanche 09 septembre 2012 sur France 3 à 0h30
Don Giovanni (Mozart)
Avec Pisaroni, Samuil, Finley, Sherratt, Burden, Royale
Dir Jurowski, m.s Jonathan Kent

Dimanche 09 septembre 2012 sur Arte à 15H30
Darius le conquérant
Documentaire sur Darius Milhaud

Dimanche 09 septembre 2012 sur Arte à 19h00
Barber, Debussy
Avec Shaham (Violon), Orchestre de Paris, direction Conlon

Mardi 11 septembre 2012 sur France 2 à 0h30
Schéhérazade, Daphnis et Chloé
Ballet de Monte-Carlo, chorégraphie, Maillot.

Dimanche 16 septembre 2012 sur France 3 à 0h30
Rigoletto (Verdi)
Avec Domingo, Novikova, Raimondi, Grigolo
Dir Mehta, m.s Marco Bellocchio

Dimanche 16 septembre 2012 sur Arte à 19h00
Debussy
Orchestre National de Lille, direction Casadesus

Dimanche 16 septembre 2012 sur Arte à 23h35
Pierre Boulez, un certain parcours


Mardi 18 septembre 2012 sur France 2 à 0h30
Werther (Massenet)
Avec R.Villazon, L.Tézier, A.Vernhes, S.Graham.
Direction Kent Nagano, m.s. Jürgen Rose

Dimanche 23 septembre 2012 sur France 3 à 0h20
Beethoven, Chopin, Debussy, Schubert
Menahen Pressler (Piano)

Dimanche 23 septembre 2012 sur Arte à 19h00
Beethoven
Pires (Piano), Orchestre de Paris, direction Chailly

Mardi 25 septembre 2012 sur France 2 à 0h30
Spira mirabilis. Documentaire de Caillat

Dimanche 30 septembre 2012 sur France 3 à 0h15
Caligula
Ballet de l'Opéra National de Paris
Les Noces de Figaro (Festival d'Aix en Provence) jusqu'au 26 octobre 2012

 

Web : Free Opera streaming

(Lien direct sur les titres et sur les vidéos)

 Les Troyens (Royal Opera House) jusqu'au ? 2012

Pelléas et Mélisande (Festival de Verbier) jusqu'au ? 2012

Ariane à Naxos (Festival de Salzbourg) jusqu'au ? 2012

Parsifal (Théâtre des Champs Elysées) jusqu'au 9 septembre 2012
Passion (Théâtre de la Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 01 octobre 2012

Le Couronnement de Poppée (Opéra de Lille) jusqu'au 12 avril 2014

La représentation de l'âme et du corps (Cité de la musique) jusqu'au 22 octobre 2012

 La Finta Giardiniera (Festival d'Aix en Provence) jusqu'au 26 octobre 2012

 Written on skin (Festival d'Aix en Provence) jusqu'au 29 octobre 2012

 David et Jonathan  (Festival d'Aix en Provence) jusqu'au 02 novembre 2012

Farnace (Opéra de Strasbourg) jusqu'au 20 novembre 2012

 Carmen (Opéra de Lyon) jusqu'au 27 décembre 2012

 Phaeton   (Festival de Beaune) jusqu'au 27 janvier 2013

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Rédigé par David

Publié dans #TV Lyrique

Publié le 30 Août 2012

Des influences européennes au premier opéra russe (1735-1855)

Jusqu’en 1836, il y eut peu d’opéras russes remarquables.

1735 St Petersburg : La Tsarine Anna Ivanovna nomme le compositeur italien Francisco Araia comme Maître de Chapelle. Toutefois, seule sa dernière composition Tsefal i Prokris (1755), d’après Les Métamorphoses d’Ovide,  sera écrite en russe.

Plus tard, Catherine II de Russie voit dans l’Opéra un support pour la propagation des idées politiques et sociales.
Mais elle préserve cependant son admiration pour les œuvres françaises, italiennes et allemandes.

1779 Moscou : Le Meunier magicien, rusé et marieur de Mikhaïl Sokolovsky, créé au Théâtre Petrovsky, est un des tout premiers opéras russes.

1780 Moscou : La troupe du Bolchoï, fondée par le Prince Urusov et  l’entrepreneur anglais Michael Maddox, acquière le Théâtre Petrovsky, renommé Théâtre du Bolchoï.

A cette époque, nombres d’acteurs étaient des serfs. Cette pratique va disparaître en 1806.

1815 Dans l’euphorie de la défaite de Napoléon, Catterino Cavos, compositeur et chef d’orchestre italien, crée un opéra pour exalter le sentiment nationaliste à partir de l’histoire de Soussanine. Son opéra ne fait guerre impression, mais il va apparaître comme une étape décisive dans l’histoire de l’opéra russe.

Les débuts de l’Opéra russe datent effectivement d’une soirée bien précise :

1836 St Petersburg : Lors de la soirée du 09 décembre, Nicolas Ier et sa famille assistent à la création de l’opéra Ivan Soussanine de Mikhaïl Glinka. Ce soir là, Cavos en assure la direction.

Par la suite , Ivan Soussanine ouvrira chaque saison d’opéra à Moscou et St Petersburg jusqu’en 1913. Nicolas Ier suggère néanmoins un autre titre : Une vie pour le Tsar, nom sous lequel cet opéra est connu en occident aujourd’hui.
Mikhaïl Glinka ayant beaucoup voyagé en Europe et rencontré Donizetti, Bellini et Berlioz, les influences européennes se manifestent dans Une vie pour le Tsar. Mais il utilise aussi les échos musicaux de son enfance, les chants liturgiques orthodoxes, le son des cloches.
Il se réfère également à la littérature de son pays, Alexandre Pouchkine en particulier.

Malheureusement, Pouchkine meurt en 1837 et ne peut achever sa collaboration avec Glinka sur son second opéra Rousslan et Ludmilla.

1842 St Petersburg : Rousslan et Ludmilla est enfin créé au Bolchoï.
Désormais, la mention « d’après Pouchkine » va être apposée sur les livrets des œuvres de Moussorgski, Tchaïkovski, Rimski-Korsakov, Rachmaninov, Stravinsky etc.

Par la suite, Dargomyjski met en musique la langue russe selon le principe que la note doit exprimer le mot. Mais la forme de récitatif presque continu du Convive de Pierre, créé en 1872 bien après sa mort, ne peut captiver le public.


Le Groupe des Cinq et Tchaïkovski (1855-1910)

Entre 1856 et 1862, Mili Balakirev, pianiste et compositeur rassemble autour de lui un groupe de jeunes musiciens, le groupe des cinq. Trois d’entre eux sont officiers, un autre est chimiste.

1869 St Petersburg : William Ratcliff, l’opéra le plus connu de César Cui, un des membres du groupe des cinq, est représenté au Théâtre Marinskii. Bien que cet opéra ait beaucoup inspiré ses collègues, Moussorgski, Rimski-Korsakov, Borodine, les quinze ouvrages du compositeur disparaitront du répertoire.

1869 St Petersburg : La même année, Modest Moussorgski créé Boris Godounov au Théâtre Marinskii. D’abord rejetée, l’œuvre fortement révisée triomphe auprès du public en 1874. Elle comporte trois rôles splendides pour les basses.

Resté à l’écart du groupe des cinq, Piotr Ilitch Tchaïkovski voyage en Allemagne et en France, s’imprégnant de la musique de ce pays. Il composera 10 opéras et trois ballets. 

1879 Moscou : Création d’Eugène Onéguine, œuvre d’un très grand charme musical et d’une très grande force lyrique, la plus célèbre de Tchaïkovski.
Tchaïkovski triomphe 11 ans plus tard à St Petersburg avec La Dame de Pique. L’oeuvre annonce inconsciemment sa propre fin, et on y trouve la prophétie de Carmen qui l’avait tant marqué.
En 1893, huit jours après la création de la 6ème symphonie, il se donne la mort.
Plus que tout autre, il fit connaître la musique russe dans le monde.
 
1886 St Petersburg : Opéra Posthume de Moussorgski, La Khovantchina traite d’une période antérieure d’un siècle à Boris Godounov. Inachevé, Rimski-Korsakov en complète l’orchestration.

1890 St Petersburg :  Borodine a écrit les plus beaux quatuors à cordes. Le Prince Igor, œuvre massive comme Boris Godounov, est une réussite de bout en bout.

Rimski Korsakov a fait le plus pour ses collègues par son travail de correction et d’achèvement de leurs œuvres.
Il a composé en tout 14 opéras en illustrant différents genres historiques (La Pskovitaine, La Fiancée du Tsar) ou féériques (Sadko, La Légende de la ville de Kitège)

1909 Moscou : Le Coq d’Or, œuvre posthume de Rimski-Korsakov, est créé au théâtre Solodovnikov, théâtre privé créé en 1895 par Sawa Mamontov.
Cet industriel et philanthrope a créé sa propre compagnie sous le nom « Compagnie Mamontov ». Elle joue aussi bien à Nijni-Novgorod qu’à Moscou, et permet au public russe de découvrir les opéras contemporains, Aïda, Faust, que l’on ne pouvait pas voir dans les théâtres impériaux.

Il offrait également des occasions de carrière aux chanteurs nationaux, dont le plus illustre fut Fédor Chaliapine.
Enfin, il persuada de grands artistes de réaliser les décors des opéras contemporains, préfigurant ce que feront Léon Bakst et Alexandre Benois pour Serge de Diaghilev en Europe occidentale.

1897 Moscou : création du Théâtre d’art de Moscou par Vladimir Nemirovitch-Dantchenko et Constantin Stanislavski. Tout deux militaient en faveur d’un style de mise en scène et de jeu naturaliste.
Stanislavski demandait à ses acteurs de s’identifier totalement aux personnages qu’ils interprétaient. 
Avec l’avancée dans le siècle, le théâtre et l’opéra vont se nourrir mutuellement et les idées de Stanislavski vont avoir une influence qui dépassera largement les frontières de la Russie.


Le renouveau du théâtre musical russe (1910-1955)

1910 Opéra de Paris : un an après la création en France de la compagnie de danse, les Ballets russes, Serge de Diaghilev crée l’Oiseau de Feu sur la musique d‘Igor Stravinsky.
Quelque chose de nouveau apparaît dans le théâtre musical russe.
Diaghilev commande , en effet, les décors et les costumes auprès des meilleurs artistes, Picasso, Braque, Matisse …, et la musique aux compositeurs les plus originaux, Ravel, Debussy, Prokofiev, Strauss

1913 Théâtre des Champs Elysées (Paris) : la création du Sacre du printemps attire sur la tête d’Igor Stravinsky la fureur d’une génération élevée dans la tradition du siècle passé, une émeute qui sera pire que celle qui accompagna la création de Tannhäuser à l’Opéra de Paris.

1914 Opéra de Paris : Stravinsky crée Le Rossignol au cours de la saison organisée par Diaghilev.

1917 A l’époque de la révolution d’octobre, Stravinsky, Diaghilev et une bonne partie des danseurs étaient déjà passés à l’étranger. Grand pianiste, Serge Prokofiev voit la première de son opéra, Le joueur, annulée, et le public devra attendre 1929 pour l’entendre sur scène à la Monnaie de Bruxelles.
Prokofiev émigre aux Etats-Unis.

1921 Chicago : Prokofiev crée l’Amour des 3 Oranges, fondé sur un vieux canevas de la commedia dell’arte.

1923 Ettal (Haute Bavière) : Dans le calme des Alpes, Prokofiev compose L’Ange de Feu, œuvre violemment expressionniste qui ne sera jouée qu’en 1954 au Théâtre des Champs Elysées à Paris.

1930 Leningrad : Le Nez, opéra de Chostakovitch sur un livret satirique de Gogol suscite la controverse mais est accepté par la censure.

1934 Leningrad : Lady Macbeth de Mtsensk, œuvre d’un surréalisme flamboyant, est acclamé au Théâtre Maly, puis à Moscou, Cleveland, Philadelphie et New-York.

1936 Moscou : Staline assiste à Lady Macbeth de Mtsensk et condamne sans appel l’œuvre de Chostakovitch .

1946 Leningrad : quatre ans après sa composition, l’opéra en treize scènes de Prokofiev, Guerre et Paix, est créé au Théâtre Maly.

1948 Le Comité central du Parti Communiste publie une résolution critiquant la musique et les musiciens soviétiques. Les compositeurs sont contraints à l’autocritique, et doivent reconnaître publiquement leurs erreurs, un des moments les plus infâmes de l’histoire de la musique de notre siècle.

 1951 Venise : Igor Stravinsky crée The Rake’s Progress, œuvre néoclassique et extravagante.

 

Pour aller plus loin, revenir à la rubrique Histoire de l'Opéra

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Publié le 2 Août 2012

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 29 juillet 2012
Festival de Bayreuth

Amfortas        Detlef Roth
Titurel             Diógenes Randes
Gurnemanz     Kwangchul Youn
Parsifal           Burkhard Fritz
Klingsor         Thomas Jesatko
Kundry           Susan Maclean

Mise en scène Stefan Herheim
Décors            Heike Scheele
Lumières         Ulrich Niepel
Vidéo              Momme Hinrichs

Direction musicale    Philippe Jordan

Susan Maclean (Kundry) et trois étapes de la jeunesse allemande (hitlérienne, d'avant guerre et d'après guerre sous les traits d'Edmund)

Quatre ans après sa création, la conception historique et psychanalytique de Parsifal par le norvégien Stefan Herheim reste une des plus intelligentes productions du festival, accordée à une scénographie d’une très grande force visuelle.
Il faut être particulièrement attentif pour pouvoir saisir et traduire tous les symboles au premier coup d‘œil, d’autant plus que le premier acte est conçu comme le rêve d’un jeune aventurier décidé à quitter sa mère, Herzeleide, vu sous l’angle du lien qui attache les Allemands à leur mère patrie et à la religion, depuis le moyen âge jusqu’à l’Empire.

 La villa Wahnfried (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

La villa Wahnfried (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Un impressionnant décor reconstitue la villa Wahnfried, la maison où vécut Richard Wagner, à l’intérieur de laquelle Winifried Wagner accueillit plus tard Adolf Hitler.
En surplomb sur la cheminée, à gauche, un grand portrait de Germania - allégorie féminine et frondeuse de la nation allemande - domine la pièce et oriente le regard sur l’identité des protagonistes lorsqu’ils prennent la même allure d’une femme blessée au flanc, vision christique vêtue tout de blanc, qu’il s’agisse de Kundry, Amfortas, ou Parsifal au dernier acte.
La relation à cette femme est montrée sous un aspect douloureux et pénible.

Herheim fait à la fois plaisir à l’audience en représentant la procession du Graal selon un ancien rite orthodoxe lumineux et grandiose, mais ironise tout autant en teintant la coupe d’une couleur violacée factice.

Dans ce monde en apparence innocent et marqué par le symbole bienveillant du cygne, mais qui s’est emmuré, Parsifal apparaît comme un élément perturbateur, joueur, mais encore inconscient du mal sous-jacent qui s’est instillé dans la jeunesse allemande du début XXème.

Le second acte est axé sur la perversion de Klingsor et sur la puissance sexuelle tentatrice de Kundry, identifiée à Marlène Dietrich dans l’Ange Bleu selon le film de Josef von Sternberg.
Il s’agit de montrer ici comment le National Socialisme a instrumentalisé la sexualité des Allemands de manière à les rendre plus combattifs dans les années 30 et 40 (scène avec les infirmières).
Après avoir échoué à séduire Parsifal, Kundry réapparaît en mère nationale, dernière dispute qui atteint le point culminant de l’œuvre avec l’envahissement de la villa par les Nazis, jeunesse hitlérienne, drapeaux et croix gammées recouvrant tout l’espace dans une vision dramatique saisissante.
La destruction de ce monde par la lance du héros d’un blanc étincelant en préserve la pureté, quitte à donner un caractère kitch à cet objet autant symbolique que le Graal.

Kwangchul Youn (Gurnemanz) (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Kwangchul Youn (Gurnemanz) (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Le troisième acte ressemble beaucoup à ce que fit pour Paris Krzysztof Warlikowski en 2008.
L’ouverture sur l’ombre des ruines de la villa recoupe les images du film de Rossellini « Allemagne année zéro », les derniers symboles religieux combattants s’abattent (fin de l’ordre des templiers), et, après une spectaculaire désagrégation vidéographique du visage de Wagner dans un brouillard noir intensifiée par la marche menaçante et sinueuse qui précède l’arrivée du chœur installé dans un amphithéâtre, l’avènement d’une république démocratique devient l’issue politique durable d’une nouvelle nation basée sur les valeurs d’une famille recomposée. La nouvelle jeunesse allemande apparaît sous les traits d’Edmund (toujours « Allemagne année zéro » ), et Kundry reste en vie.

 La force de ce discours dramaturgique est de rester constamment lié à la musique, et de s’appuyer autant sur une exigeante direction d’acteurs que sur une occupation totale de l’espace scénique, dans toute sa profondeur de champ, et sur une utilisation des éclairages qui peuvent créer une lumière naturelle, ou bien des ambiances surnaturelles.

 Face à un tel engagement et à la prégnance du visuel, amplifiée par le noir total dans lequel est plongée la salle de par la disposition même de l‘orchestre totalement dissimulé sous la scène, on ne fait même plus attention aux limites d’une distribution convaincante, mais sans être exceptionnelle.
Burkhard Fritz incarne un Parsifal humble et très humain aux couleurs vocales plutôt sombres, Susan Maclean atteint très vite ses limites dans les aigus mais se rattrape par son expressivité dans la tessiture grave, et Kwangchul Youn commence sérieusement à fossiliser sa voix, ce qui augmente sa stature autoritaire d’homme du passé.

Susan Maclean (Kundry) et Philippe Jordan

Susan Maclean (Kundry) et Philippe Jordan

Bien que Klingsor soit très bien défendu par Thomas Jesatko, Detlef Roth devient le chanteur le plus marquant, car il imprime de sa voix claire une humanité complexe et tourmentée, et pourtant énergique, qui donne une vitalité nouvelle à Amfortas.

 Cette première représentation de Parsifal au Festival de Bayreuth 2012 est aussi une première pour le directeur musical de l’Opéra National de Paris, Philippe Jordan.
Son grand sens symphonique évanescent, qui donne des frissons dès l’ouverture, s’accomplit totalement au troisième acte, et même si l’on reconnait toujours cette forme de timidité face au sens théâtral, perceptible au premier acte, on l’oublie vite dans les grandes montées lumineuses, et aussi par la connaissance que l’on a du cœur sincère de cet homme exceptionnel.

Il y a bien sûr l’acoustique magnifique du Festspielhaus, mais également les qualités d’un chœur capable de donner une force et une unicité à son chant vocal qui nous touchent au plus profond de l’âme.

Pour revoir et réentendre ce spectacle, Arte diffusera en léger différé la troisième représentation prévue le 11 août 2012.

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