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Publié le 3 Août 2013

Der Ring des Nibelungen (Richard Wagner)
Bayreuther Festspiele 2013
Nouvelle production du bicentenaire de
la naissance de Richard Wagner

26 juillet - Das Rheingold
27 juillet - Die Walküre
29 juillet - Siegfried
31 juillet - Götterdämmerung

Direction Musicale Kirill Petrenko

Mise en scène Frank Castorf
Décors Aleksandar Denic
Costumes Adriana Braga Peretzki
Lumières Rainer Casper
Video Jens Crull, Andreas Deinert

                                                                                                 Catherine Forster (Brünnhilde - Die Walküre)

 

Wotan / Der Wanderer Wolfgang Koch                Siegmund Johan Botha
Fricka / Waltraute / 2. Norn Claudia Mahnke      Sieglinde Anja Kampe
Loge Norbert Ernst                                             Brünnhilde Catherine Forster
Alberich Martin Winkler                                     Hunding Franz-Josef Selig
Mime Burkhard Ulrich                                        Helmwige / 3. Norn Christiane Kohl
Fasolt Günther Groissböck                                 Ortlinde Dara Hobs
Fafner Sorin Coliban                                            Grimgerde Geneviève King
Freia Elisabeth Strid                                            Rossweisse Alexandra Petersamer
Erda / Schwertleite Nadine Weissmann               Gutrune / Gerhilde Allison Oakes
Donner Oleksandr Pushniak                               Woglinde / Waldvogel Mirella Hagen
Froh Lothar Odinius                                            Siegfried Lance Ryan
Flosshilde / 1.Norn Okka von Der Damerau       Hagen Attila Jun
Wellgunde / Siegrune Julia Rutigliano                  Gunther Alejandro Marco-Buhrmester


Depuis le Ring du centenaire du Festival de Bayreuth, galvanisé par la réalisation polémique de Patrice Chéreau en 1976, plusieurs productions lui ont succédé avec plus ou moins d’intérêt : il y eut celle de Peter Hall (1983), humaniste mais fort critiquée, puis la vision plus dramaturgique d’Harry Kupfer (1988), celle poétique d’Alfred Kirchner (1994), le concept fortement idéologique de Jürgen Flimm (2000) et les idées étranges de Tankred Dorst (2006).
 

En 2011, Eva Wagner-Pasquier et Katharina Wagner, les codirectrices du festival, choisirent, dans un premier temps, de confier la nouvelle mise en scène du Ring à Wim Venders
Mais, le cinéaste allemand ayant souhaité en faire le support d’un film en 3D et exigé des financements supplémentaires, c’est finalement Frank Castorf, le directeur artistique de la Volksbühne Berlin, qui a le privilège de proposer une nouvelle vision de ce cycle mythique, destiné à marquer le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner.

Le régisseur s’est expliqué sur son concept dans la presse, il utilise l’histoire de l’exploitation des richesses pétrolières et son impact sur la vie humaine pour l’imbriquer dans la mythologie des Nibelungen.

                                                                                           Martin Winkler (Alberich - Das Rheingold)

 

C’est un homme de théâtre, sa confrontation avec les conventions du monde de l’Opéra entretient donc une vive espérance.

Ainsi, la mise en scène est construite autour d’un immense décor complexe ouvert sur 360° et posé sur un large plateau tournant. Ce décor, totalement différent pour le prologue et chacune des trois journées, peut présenter deux à trois unités d’espace différentes, pour lesquelles les chanteurs et les spectateurs passent de l’un à l’autre avec une fluidité naturelle harmonisée sur le cour de la musique.

 


Das Rheingold

Sorin Coliban (Fafner) et Günther Groissböck (Fasolt)

Sorin Coliban (Fafner) et Günther Groissböck (Fasolt)

La transposition que Frank Castorf et son décorateur Aleksandar Denic ont imaginé pour Das Rheingold est quelque chose de totalement exceptionnel, non pas que ce petit motel bardé de néons multicolores et situé au bord d’une autoroute du Texas, avec, en contreforts, une station service et une piscine, soit renversant, mais parce que tous les chanteurs sont entraînés dans une série d’intriques de sexe, de règlements de compte, de scènes de famille et de coups montés, en jouant avec une crédibilité effarante.

C'est simple, il n'y a pas un seul temps mort au cours de ce long feuilleton à la « Dallas ».
 

Ils ont tous une gueule d’enfer, et il faut voir le visage hilarant d‘Erda, à la « Tonton flingueur », bousculant à son arrivée tout ce monde entassé dans la même chambre, pour leur faire comprendre qu’ils doivent arrêter leurs idioties devant ce qu’elle a à dire.

Des caméramen suivent les artistes afin d’en reconstruire le film sur l’écran situé au dessus du motel, ce qui capte considérablement l’attention de l’auditeur, mais permet de suivre l'action dans les endroits peu visibles depuis la salle.

Dans cet univers à la fois beau et sordide, les filles du Rhin et Freïa ressemblent à des pensionnaires de maisons closes, toutes à la disposition de Wotan ou de Loge, aux véritables airs de proxénètes.
                                                                                        Burkhard Ulrich (Mime)

 

Erda, elle, apparaît comme la meneuse de revue la plus expérimentée, et Nadine Weissmann lui offre une jeunesse que l’on retrouve dans son timbre.
Mirella Hagen,  Julia Rutigliano et Okka von Der Damerau  forment un trio rayonnant de fantaisie, et l’opulence vocale de cette dernière renforce la sensualité qui émane naturellement d’elle.

Wolfgang Koch (Wotan) et Nadine Weissmann (Erda)

Wolfgang Koch (Wotan) et Nadine Weissmann (Erda)

Acteur entièrement libéré, Martin Winkler s’abandonne aux vulgarités violentes d’Alberich en jouant sur des facettes qui n’excluent pas le comique sympathique. Son personnage est surtout dingue et impulsif, et il vit dans une sorte de caravane en métal dans laquelle Mime s’enfuit à la fin, non sans avoir dressé, auparavant, un drapeau arc-en-ciel, que certains peuvent interpréter comme un désir de prise de pouvoir, et la revendication d’une identité sexuelle peu compatible du petit milieu macho du motel.

Le Golden Motel (Das Rheingold)

Le Golden Motel (Das Rheingold)

Tous ces chanteurs sont vraiment très bons, le Loge de Norbert Ernst flirte avec un langage caressant,  Günther Groissböck joue de son apparence musclée au cœur tendre, Sorin Coliban est d’une puissante noirceur, et, seul le Wotan de Wolfgang Koch semble, dans ce prologue, en retrait.
La direction de Kirill Petrenko, elle, ne prend pas la mesure de toute la salle, sauf à la toute fin. Le son paraît encore trop confiné dans la fosse. Il y a cependant un allant et une belle fluidité qui apparaît comme un support subtil à la densité de l'action et à la vidéographie fortement utilisée pour ce volet le mieux dirigé scéniquement de cette tétralogie.


Die Walküre
 

Après le Texas, Die Walküre nous conduit à Bakou, dans la seconde partie du XIXème siècle, lorsque cette ville était sur le point de devenir un important centre d‘extraction pétrolière incorporé à l‘Empire russe.

Après l'intensité de la veille, les deux premiers actes paraissent décevants, car on retrouve un jeu classique, mais interprété dans un impressionnant décor de ville minière aux enchevêtrements de bois complexes, construit en forme de spirale, et qui monte vers une tour de guet d’où domine une étoile rouge, un symbole du communisme.
Il est d’ailleurs amusant de remarquer sa ressemblance avec l’étoile de la compagnie pétrolière Texaco.

Les costumes des personnages sont très intriguants, car ils montrent la volonté de l’équipe artistique de décrire un milieu peu connu, donnant ainsi l’envie d’en savoir plus par soi même sur l’histoire de cette ville.
                                                                                         Catherine Forster (Brünnhilde)

 

Wotan est un vieux juif qui lit la Pravda à ses heures perdues, ce qui peut se comprendre, la famille Rothschild ayant fait son apparition à Bakou en 1883 pour prendre le contrôle de la région.
Fricka est une princesse persane, Siegmund, Sieglinde et Hunding - belle prestance de Franz-Joseph Selig - semblent appartenir à une communauté orthodoxe.

Johan Botha (Siegmund) et Anja Kampe (Sieglinde)

Johan Botha (Siegmund) et Anja Kampe (Sieglinde)

Dans cet épisode, Claudia Manke est une splendide Fricka, aux graves d'argent et douée d’une intense présence dramatique.
Le duo fort Johan Botha-Anja Kampe est lui aussi dominant, bouillonnant d'énergie, mais il lui manque cependant une crédibilité émotionnelle, alors que Catherine Forster peine un peu avec les véhémences de Brunnhilde. Elle fait entendre des aigreurs qui rappellent celles de Deborah Vogt, ce qui lui vaudra d’être fraichement accueillie à la fin du deuxième acte.
 

C'est donc une totale surprise au dernier acte car, d'une part, l'action scénique reprend du tonus, mais, surtout, Catherine Forster interprète une Brünnhilde de lumière qui rappelle la jeunesse de l'Elisabeth de Tannhäuser. Wolfgang Koch devient lui aussi bouleversant, après un second acte pourtant atone scéniquement.

Ce dernier acte constitue d’ailleurs un tournant majeur pour la première journée, comme pour le Ring complet.

En premier lieu, la fin du second acte s’achève sur une explosion visible à partir de vieux films projetés sur le décor, qui narrent l’histoire des travailleurs de cette époque. C’est le moment historique de l’attaque de Bakou par les Bolchéviques (1920), encouragés par le cartel Rockefeller-Rothschild, celui-ci même qui favorisera l’accès de Lénine et de Staline au pouvoir de l’Union Soviétique.
                                                                                            Claudia Mahnke (Fricka)

 

Le meurtre de Siegmund est donc une métaphore de ces massacres dont Wotan est lui-même le commanditaire.

Au début du troisième acte, les bolchéviques ont achevé de prendre la ville minière. Les drapeaux rouges flottent, un brouillard rougeoyant entoure les bâtiments, le chaos règne et les Walkyries sont prises de panique.

Frank Castorf retrouve une direction d’acteur vivante grâce à cette scène, et l’on entrevoit Nadine Weissmann (Erda dans Das Rheingold) mais aussi Claudia Mahnke (Fricka) parmi les huit sœurs de Brünnhilde, raison pour laquelle elle ne seront que sept à venir saluer au rideau final.

Wolfgang Koch (Wotan) et Catherine Forster (Brünnhilde)

Wolfgang Koch (Wotan) et Catherine Forster (Brünnhilde)

Wotan et Brünnhilde ont d’ailleurs changé de costumes, et peuvent être vus comme des victimes orthodoxes. Mais sur ce point, le visuel est difficile à suivre.

Le fait le plus saisissant, surtout, est le changement sensible de dynamisme de la part de Kirill  Petrenko. Il élève enfin l'orchestre et la salle entière, l‘ampleur musicale rend l’atmosphère merveilleuse, et le duo de Wotan et Brünnhilde prend une dimension irréelle. Ce déploiement sonore inattendu, dirigé avec célérité et limpidité, n’est qu’un pas en avant vers les deux journées suivantes.

Décor acte III (Die Walküre)

Décor acte III (Die Walküre)

Catherine Forster reçoit, au rideau final, une ovation généreuse et magnifique, elle en touche le sol de la main comme un signe de chance, un bouleversement de situation très beau à voir.
Ce sera, sans doute, un des souvenirs marquants de ce premier cycle du Ring.

 

 

Siegfried

Lorsque le rideau se lève sur la seconde journée du Ring, les idéologies communistes sont passées.
Le décor ne comprend plus que deux faces grandioses, une copie du mémorial du Mont Rushmore représentant les sculptures des effigies d’Engels, Lénine, Staline et Mao, et, en face arrière, une copie de la gare d’Alexander Platz et de l‘horloge universelle Urania, telles qu’elles existent dans les années 80.

Décor du Mont Rushmore (Siegfried) au réveil de Brünnhilde

Décor du Mont Rushmore (Siegfried) au réveil de Brünnhilde

On retrouve la caravane avec laquelle Mime avait quitté le Texas; il y vit avec un homme à tout faire, l’ours qui, enchainé, cherche en se cultivant un moyen de libération.
Lorsque l’on découvre Siegfried sous les traits de Lance Ryan, l’impression immédiate est négative. Le personnage paraît sans âme, prêt à tout tenter, même le pire.

Le couple qu’il forme avec Burkhard Ulrich est particulièrement noir, car le ténor canadien a une voix large et puissante mais un timbre ingrat qui lui permettrait d’être Mime lui-même. 
Son partenaire allemand compose également un Mime terrible, et, lorsque l’on se souvient des interprétations de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke et Torsten Kerl à l’Opéra Bastille, cette saison, ces derniers nous réapparaissent, plus tendrement, comme des enfants de chœurs comparés aux deux interprètes monstrueux du jour.

Lance Ryan (Siegfried)

Lance Ryan (Siegfried)

Frank Castorf n’hésite pas à assombrir tous les caractères, et le malaise monte jusqu’à l’instant paroxysmique du meurtre de Fafner, homme tué par Siegfried sur Alexander Platz à coups de mitraillettes, comme étaient éliminés les derniers communistes sur ce même lieu.

Mime, lui, est liquidé dans son propre sang à coups de couteaux.

Si ce passage est d’une noirceur impressionnante, ce n’est pas uniquement à cause de la dureté de la mise en scène, de ses éclairages oppressants, mais aussi parce que Kirill Petrenko insuffle un souffle glaçant, remuant des traits grinçants et diaboliques au milieu d’un magma imprévisible.

Nadine Weissmann (Erda) et Wolfgang Koch (Wotan)

Nadine Weissmann (Erda) et Wolfgang Koch (Wotan)

Dès l’ouverture, la musique est vibrante; elle déroule des tourbillons dynamiques qui couvrent sans doute les dissonances et l’écoute de la complexité de la structure orchestrale, mais le chef possède à présent son Ring bien en main, et il ne le lâchera plus jusqu’au bout.

C’est sur Alexander Platz que Siegfried rencontre l’oiseau, sous les traits d’une danseuse de cabaret aux ailes paillettes de papillon; Mirella Hagen lui donne une couleur acide.
Siegfried ne trouve pas mieux que de la séduire avant d’accourir vers le rocher de Brünnhilde; il est déjà prêt à tomber dans les bras de toutes les femmes.

Alexander Platz (Siegfried)

Alexander Platz (Siegfried)

La rencontre entre Erda et Wotan n’en est pas moins sulfureuse, et Nadine Weissmann force les traits d’expressions véristes et disgracieuses pour cracher sa haine au visage de celui qui n’est plus rien pour personne.

Au réveil de Brünnhilde, sous le Mont Rushmore, Lance Ryan et Catherine Forster débutent un duo tendre, mais, lorsqu’ils se retrouvent sur Alexander Platz, leur exaltation atteint des outrances disproportionnées. Peut-être participent-ils au rejet voulu de tout romantisme dans cette scène finale qui nous laisse sur la vision burlesque de deux crocodiles égarés aux côtés des deux amants, et du toit triangulaire du restaurant de la Fernsehturm qui s‘érige fièrement.
Le spectateur ne doit pas croire à l’histoire d’amour naissante.


Götterdämmerung

Décor acte III (Götterdämmerung)

Décor acte III (Götterdämmerung)

Cette dernière journée de la tétralogie est la consécration absolue de Kirill Petrenko.
Le Crépuscule des Dieux est un achèvement incroyable de sa direction musicale, au point de surpasser l'intérêt pour la scène.
On y entend des enchainements complexes de motifs évanescents, puissamment dramatiques, des superpositions de lignes qui accélèrent les mouvements au bord de l‘emballement, tout cela à un rythme soutenu qui laissera tout le monde béat au sortir du théâtre.
Et l’on sent ce lien avec les personnes situées autour de soi qui accueillent ce monument de la musique magnifié dans une atmosphère surnaturelle. C’est d’une beauté inouïe surgie de nulle part.

Catherine Forster (Brünnhilde) et Claudia Mahnke (Waltraute)

Catherine Forster (Brünnhilde) et Claudia Mahnke (Waltraute)

Le lieu choisi pour illustrer la fin de ce monde est le décor désolé en briques rouges de l’usine pétrochimique de Schkopau, petite ville d’Allemagne proche de Halle et Leiptzig.
La signification de ce symbole est lourde, car ce bâtiment devint opérationnel sous le régime nazi, alors qu’une autre usine de ce type était construite à Auschwitz près d‘un camp de travail.

Après la guerre, elle passa sous le contrôle soviétique, s’orienta vers la production de biens en plastique ou à base d’élastomère, avant d’être reprise par une compagnie américaine après la chute du mur de Berlin.

Lance Ryan (Siegfried) et Allison Oakes (Gutrune)

Lance Ryan (Siegfried) et Allison Oakes (Gutrune)

Les voix des trois nornes, Okka von Der Damerau (Flosshilde dans Das Rheingold), Claudia Mahnke (Fricka et Waltraute) et Christiane Kohl, évoquent trois pythies dans tout l‘éclat de leur jeunesse, plutôt que trois sibylles sur lesquelles le temps a passé.
Les timbres des deux mezzo-soprano ont la même rondeur sombre, mais Christiane Kohl est sensiblement plus légère, avec une fragilité qui rappelle le timbre de la soprano française Anne-Catherine Gillet.

Alejandro Marco-Buhrmester (Gunther)

Alejandro Marco-Buhrmester (Gunther)

Devant la cage d’ascenseur, hors d’état de fonctionnement, elles tentent de voir l’avenir à partir de rituels sorciers, et ces images d’anciens rites africains réapparaitront, plus loin, sous forme de vidéographie.

La vie de Brünnhilde est montrée dans tout son ennui et toute sa médiocrité auprès de Siegfried. Lance Ryan, malheureusement, accuse un vibrato beaucoup plus ample qu’il y a deux jours, et, s’il ne peut émouvoir, il donne cependant l’impression d’un personnage braillard d’ivresse qui ne se contrôle plus.

Mirelle Hagen (Woglinde), Julia Rutigliano (Wellgunde) et Okka von Der Damerau (Flosshilde)

Mirelle Hagen (Woglinde), Julia Rutigliano (Wellgunde) et Okka von Der Damerau (Flosshilde)

En revanche, son incarnation scénique est toujours aussi décomplexée, sa légèreté avec les femmes, Gutrune et les trois filles du Rhin, dilue de plus en plus son caractère pour le rendre insignifiant, bien qu’il ait aussi une prestance romantique et violente qui le rende pathétique, son heure venue.

L’arrivée de Waltraute est encore un grand moment d’expressivité dramatique magnifiquement éclatant, comme Claudia Mahnke l’était déjà en Fricka, dans Die Walküre.

Dans les profondeurs de ce climat nocturne, Hagen et Gunther semblent issus du monde futuriste de Blade Runner, et les gros plans fantomatiques de leurs visages projetés sur la façade de l‘usine accentuent cette impression.

Alejandro Marco-Buhrmester est la réplique de Roy, sa  démarche est très souple, presque féminine, sa voix porte moins que ses partenaires, mais il a une vibration humaine bien particulière qui le tient à distance de toute froideur.

Attila Jun, grimé en punk, brosse un portrait assez minable de Hagen, et son manque de charisme vocal confine son rôle à un personnage subalterne, incapable de susciter le moindre effroi, ce qui sera une des raisons de la monotonie du second acte.

L’autre raison est due à Frank Castorf, qui semble n’avoir eu le temps de composer qu'une dramaturgie  classique dans cette partie, même si Siegfried, lui, ne l‘est pas du tout.

Les chœurs, hommes de main et buveurs, sont magnifiquement homogènes et brillants par ailleurs.
 

                                                                                        Lance Ryan (Siegfried)

 

Le dernier acte du Crépuscule des Dieux renoue avec la surprise et les atmosphères fortes.
Il y a la grande scène de la rencontre des filles du Rhin avec Siegfried, dans la belle limousine noire de Rheingold, une dernière illusion de jeunesse insouciante, puis, ce climat très contrasté fait d’ombres et de lumières rougeoyantes qui saisissent la tension visuelle du spectateur.

Catherine Forster (Brünnhilde)

Catherine Forster (Brünnhilde)

Le meurtre de Siegfried, à coups répétés de batte de baseball, n’épargne aucune violence, et c’est ensanglanté qu’il achève ses derniers mots dans une noirceur poignante qui évoque la destruction physique du jeune Skywalker de StarWars.

Ce Crépuscule des Dieux est vocalement celui des femmes. Allison Oakes est une Gutrune impulsive, très vive théâtralement, ce qui donne un caractère très fort à ce personnage souvent négligé. Catherine Forster est toujours aussi claire et puissante, variant les couleurs selon la tension des aigus, son point fort à défaut de graves résonnants qui pourraient mieux exprimer l’animalité de sa douleur humaine, et qui manquent dans la grande scène d’immolation finale. Son personnage n'en est pas moins grandiose, idéaliste et pur.

Décor acte III (Götterdämmerung)

Décor acte III (Götterdämmerung)

Dans ce dernier tableau, les dernières illusions tombent; Brünnhilde rend son anneau à Hagen, elle ne croit plus à l’amour, et lui, désabusé, reste tétanisé devant le feu, son rêve de pouvoir ne valant plus rien devant la puissance fatale d’un monde gouverné depuis la façade néoclassique de Wall Street.

Jens Crull (Video), Rainer Casper (Lumières), Andreas Deinert (Video), Frank Castorf (Metteur en scène), Kirill Petrenko (Directeur musical), un acteur (Rôle muet), Adriana Braga Peretzki (Costumes) et Aleksandar Denic (Décors)

Jens Crull (Video), Rainer Casper (Lumières), Andreas Deinert (Video), Frank Castorf (Metteur en scène), Kirill Petrenko (Directeur musical), un acteur (Rôle muet), Adriana Braga Peretzki (Costumes) et Aleksandar Denic (Décors)

Il fallait attendre la fin de Götterdämmerung pour voir Frank Castorf et toute son équipe venir saluer stoïquement, et avec un peu de provocation, une salle au comportement ambigu. Pendant vingt minutes, en effet, ce fut un concert de sifflets et de bouh! couvert d’applaudissements, de bravo également, les spectateurs se tenant pourtant entièrement debout.

L'Orchestre du Festival de Bayreuth

L'Orchestre du Festival de Bayreuth

Mais ce Ring violemment réaliste a plu, malgré son évacuation du sacré et de l'amour, suscité questions et réflexions, montré que les désirs humains, le goût du meurtre, le déclin civilisationnel et ses responsables ne concernent pas spécifiquement l'Allemagne, et laissé le souvenir de réminiscences orchestrales fantastiques inoubliables.

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Publié le 23 Mai 2013

Der Ring des Nibelungen - Götterdämmerung (Richard Wagner)
Répétition générale du 18 mai 2013
Opéra Bastille

Siegfried Torsten Kerl
Gunther Evgeny Nikitin
Hagen Hans-Peter König
Alberich Peter Sidom
Gutrune, Dritte Norn Edith Haller
Zweite Norn, Waltraute Sophie Koch
Brünnhilde Petra Lang
Erste Norn, Flosshilde Wiebke Lehmkuhl
Woglinde Caroline Stein
Wellgunde Louise Callinan

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer (2011)

                                                                                                        Petra Lang (Brünnhilde)


La mise en scène du Ring par Günter Krämer n’a eu aucun soutien de la critique française, à cause, principalement, de son esthétisme d’ensemble qui séduit rarement l’œil, alors qu’à New York et Milan, Robert Le Page et Guy Cassiers ont tout misé sur la vidéo et la machinerie en privilégiant le grand spectacle pour grands enfants.

Pourtant, ces deux dernières réalisations ne comportent qu’un traitement de surface raffiné, clinquant, alors que le concept du régisseur allemand cherche à raccrocher le sens de l’œuvre et la psychologie des personnages à l’évolution de la société germanique du XXième siècle.

Peter Sidom (Alberich) et le jeune Hagen

Peter Sidom (Alberich) et le jeune Hagen

Cette réflexion sur le fond semble n’avoir intéressé personne, alors que toutes les villes d’Allemagne relevées depuis la seconde guerre mondiale en portent toujours les traces des pertes et des destructions, et des vides qu’elles ont conservés.

Dans le Crépuscule des Dieux, Günter Krämer, avec un sens de la dérision bienveillant, décrit comment l’humanité que recherchait Brünnhilde s’est incarnée dans un bonheur bourgeois et innocent, avec Siegfried, à l’ère industrielle. Tous deux font de la barque le long du Rhin, sur fond d’un paysage portuaire noyé dans les lueurs du crépuscule, alors que les trois nornes, trois femmes séductrices, annoncent une fin proche. Siegfried apparaît déjà, et ce sera une constante tout le long du drame, comme quelqu’un d’influençable, l’image d’une faiblesse qu’il payera de sa vie.

Wiebke Lehmkuhl, Sophie Koch, Edith Haller (les trois nornes)

Wiebke Lehmkuhl, Sophie Koch, Edith Haller (les trois nornes)

En remontant le Rhin, le héros arrive dans le sud de l’Allemagne, à Munich, capitale de la Bavière, là où, dans une brasserie, Adolf Hitler réalisa un premier coup d’état. Le palais des Gibichungen est donc cet univers faussement festif où germent les intrigues de prises de pouvoir.

Gunther et Gutrune s’apparentent à un médiocre couple bourgeois de province arriviste, en quête de renommée, et Hagen, dans son fauteuil roulant, assoie sa stature d’homme froidement calculateur qui prépare la guerre.
Siegfried se laisse abuser par l’alcool, Torsten Kerl génialement drôle, et oublie Brünnhilde.

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Elle est rejointe, plus tard, dans ses appartements, par sa sœur Waltraute, vêtue telle Sainte Jeanne des Abattoirs, militante qui croit encore possible de sauver l’homme d’une société qui va à sa perte. Elle représente un des derniers sursauts d’idéal, les marches du Walhalla se perçoivent encore un peu dans l’ombre du fond de scène, avant la catastrophe du second acte.
Cette référence à Brecht est également appuyée par le feu, projeté sur une grande structure en forme de porte métallique, qui peut évoquer celui dans lequel disparurent les ouvrages rebelles.

La seconde partie est une référence évidente à l’embrigadement nazi et à une scène présente dans le film Le tambour (Volker Schlöndorff – 1979), qui montre un rassemblement en musique et la ferveur national-socialiste qui agite des petits drapeaux en croix gammées.

Hans Peter König (Hagen) et Edith Haller (Gutrune)

Hans Peter König (Hagen) et Edith Haller (Gutrune)

Le décor, avec guirlandes et cocardes multicolores en avant-scène, découvre par la suite une estrade avec les guerriers, aux couleurs des SA,  qui chantent sur une marche militaire, et qui se transforment, par une astucieuse variation d’éclairage, en de simples villageois aimant les chansons à boire. Cette manière de montrer les deux visages de ces gens, en suivant le changement de tonalité de la musique, est une idée saisissante par l’effet de surprise qu’elle crée. Les petits drapeaux agités ne portent pas de symboles nazis, mais des grappes de raisins.

Par rapport à la création, il y a deux ans, cet acte est aussi d’une plus grande intensité théâtrale, avec un renforcement de la tension entre les chanteurs amenés à jouer à fond le drame.

Sophie Koch (Waltraute)

Sophie Koch (Waltraute)

Le dernier acte ouvre avec Siegfried vu de dos, marqué par une croix noire à double signification. Elle désigne évidemment son point faible, mais, en exécutant un geste d’allégeance, celui-ci symbolise aussi le ralliement des sectes religieuses, voire de la Franc-maçonnerie, à la politique d’Hitler dans les années 30. Fin d’un autre idéal spirituel.

Le meurtre de Siegfried par Hagen apparaît comme celui d’un homme instrumentalisé et qui n’aura rien compris de sa vie aux enjeux politiques.

La structure métallique, omniprésente, est ensuite utilisée pour montrer la montée impressionnante de Siegfried au Walhalla, impressionnante avant tout par la force de la direction musicale, et la mort de Brünnhilde, pour laquelle le metteur en scène n’a pas la meilleure idée en plaquant son ombre sur ce grand écran, ni en représentant les héros éliminés comme dans un jeu vidéo.
Quant au final, au lieu que ne se sublime l’amour entre Siegfried et Brünnhilde, ne reste, en avant plan, que l’Or du Rhin, la richesse matérielle.

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Petra Lang (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Dans cette mise en scène qui raconte ainsi l’évolution de la société allemande, le symbolisme un peu rustre des décors est compensé par un excellent travail du jeu d’acteur, plus resserré qu’à la création.

Tous les artistes sont fortement liés dramatiquement. Torsten Kerl n’est pas un Siegfried assez rayonnant pour la salle de l’Opéra Bastille, cela a été suffisamment dit, mais son personnage absurde est d’une crédibilité très attachante. Vocalement, c’est la souplesse des variations entre sa tessiture aigue et la noirceur de ses intonations graves que l’on retient le mieux.

Après avoir entendu son interprétation de Brünnhilde, peut-on croire que Petra Lang soit mezzo-soprano? Son aisance à s’incarner dans les aigus lancés à cœur ouvert, vibrant, alors que l’on ne l’entend plus quand elle se replie sur des graves imaginaires, donne l’impression qu’un fragment de caractère ne s’exprime pas. L’actrice est rebelle, superbement impulsive, ne manque donc qu’une richesse de couleurs qui pourrait rendre son air final plus noir et pathétique.

Torsten Kerl (Siegfried)

Torsten Kerl (Siegfried)

Magnifique Hagen, il faut entendre au moins une fois son appel tétanisant au deuxième acte pour rester impressionné à vie par Hans-Peter König. Il est l’image même de l’autorité qui n’existe que par une énergie interne phénoménale.
Peter Sidom est toujours un génial Alberich, tortueux et torturé, Sophie Koch, regards désespérés et abattus, impose une présence scénique en laquelle s’exprime un art de la déclamation morbide fascinant, et Evgeny Nikitin transforme presque le médiocre Gunther en un double de Wotan, redoutable et sans scrupule.

Elle a un rôle plus secondaire, mais Edith Haller fait don à Gutrune d’une belle voix dorée et d’un tempérament déchiré.
Par ailleurs, elle est accompagnée par Sophie Koch et Wiebke Lehmkuhl dans le trio d’ouverture des trois nornes, chacune faisant entendre un chant bien timbré, sensuel et enveloppant quand Philippe Jordan réussit aussi bien à lever les magnifiques tissures évanescentes de la musique.

Petra Lang (Brünnhilde)

Petra Lang (Brünnhilde)

Tout l’art du directeur musical est de savoir créer une atmosphère irréelle et fragile d’une extrême finesse, et de modeler la chaleur sensuelle du corps des instruments à vents, qu’ils soient de cuivre ou de bois. Les leçons de Bayreuth sont apprises, alors le volume de l’orchestre prend de l’ampleur, les cors deviennent plus agressifs, mais pas toujours, et quelques passages, l’ouverture du second acte, se complaisent dans des effets inconsistants, là où la noirceur de la musique devraient être plus appuyée. Mais le voyage n’en est pas moins extraordinaire.

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Publié le 18 Février 2013

Der Ring des Nibelungen

Die Walküre (Richard Wagner)
Représentation du 17 février 2013
Opéra Bastille

Siegmund Stuart Skelton
Sieglinde Martina Serafin
Hunding Günther Groissböck
Brünnhilde Alwyn Mellor
Wotan Egils Silins
Fricka Sophie Koch

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer

 

 

                                                                                                     Martina Serafin (Sieglinde)

Depuis deux semaines, le Ring fait son retour sur la scène de l’opéra Bastille pour une série de représentations qui s’étireront tout le long de la saison restante, avant une reprise du cycle complet sur dix jours au début de l’été prochain.

A l’écoute et au regard de l’Or du Rhin, Philippe Jordan et l’orchestre ont manifestement déployé une beauté de son fluide, fine et rutilante, sans clinquant, avec néanmoins un excès de souplesse qui atténue la dynamique théâtrale de la musique. Par ailleurs, Günter Krämer a sérieusement repris et approfondi le jeu d’acteur, afin de créer un ensemble d’interactions humaines plus vivantes.

Scène d'ouverture

Scène d'ouverture

La première représentation de La Walkyrie confirme que l’orientation du travail musical fait la part belle à la métaphysique de la partition, et l'on sent que Philippe Jordan est en quête d'une ineffable forme de stylisation qui étire à l'extrême des sons évoquant les lueurs immatérielles de l'Orient, s'éloignant de plus en plus des interprétations vigoureuses et tranchantes que privilégient de nombreux chefs plus spectaculaires, et les plus fanatiques des Wagnériens.

Tout le premier acte est ainsi conçu sur une très fine toile tissée d’ondulations, comme si les murmures des cordes venaient s’infiltrer à travers les interstices du cœur. Dès l’ouverture, on entend même des irisations parcourir en surface ce flux évanescent qui nous plonge progressivement dans l’univers lent et impalpable de Tristan et Isolde.


Stuart Skelton et Martina Serafin forment un couple d’une beauté expressive dont on ne sait que dire tant ils sont si magnifiquement accordés. Siegmund sombre et tourmenté, le ténor australien évoque surtout Tristan, un homme sauvage et impulsif au cœur infiniment tendre.

Son chant surprend par sa profondeur de souffle, ses accents brisés qui font tout ce que l’on peut aimer chez un héros qui ne manifeste aucune vaillance déplacée, alors que Günter Krämer l'amène à se blottir au creux de Sieglinde, pour mieux montrer la détresse infligée par son passé.

 

                                                                                     Günther Groissböck (Hunding)

Et Martina Sérafin, belle et fascinante par sa manière de suivre en frayeur la souplesse de la musique, et de jouer des mouvements et des reflets mystérieux de sa longue chevelure brune, est encore plus féminine par son art du chant déclamé et son timbre affirmé mais touchant de fragilité et d’incertitude. Elle a une légère faiblesse sur la tessiture aigue, animale quand elle doit exprimer la force de ses sentiments les plus violents, sans que cela n’ôte quoi que ce soit au charme de son caractère bouleversant.

Entouré par ces deux êtres de légende, Günther Groissböck accentue les expressions monstrueuses de Hunding, poussé par une scénographie qui le transforme en un misérable chef de Gestapo rêvant de bouleverser l’ordre des choses.

Stuart Skelton (Siegmund) et Martina Serafin (Sieglinde)

Stuart Skelton (Siegmund) et Martina Serafin (Sieglinde)

Günter Krämer offre d’ailleurs un beau tableau d’ouverture en montrant dans un premier temps ces hommes montant les marches du Walhalla pour assassiner, certes, les héros nus, mais qui laissent ensuite les corps abattus sans vie se renverser et se magnifier sous les éclairages en clair-obscur, et prendre le caractère homoérotique envoûtant des peintures du Caravage.

Le metteur en scène allemand a aussi totalement repenser la première journée du Ring en la débarrassant de ses matériaux superflus, de manière à assurer une meilleure cohérence visuelle en explicitant plus clairement, par exemple, l'origine des corps que lavent les Walkyries au dernier acte, ou, en repensant le final pour qu’il y ait une continuité naturelle avec le second volet, Siegfried.

La tonalité d’ensemble devient plus nocturne, et grâce à quelques éclairages bien disposés et une réflexion plus fouillée sur les gestes des chanteurs, qu'ils soient aussi violents que réconfortants, on devient plus sensible à ce qu’il se joue sur scène. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de penser que d’autres régisseurs auraient fait aussi bien sans que cela ne coûte autant à la direction artistique de l'Opéra de Paris.

 Sophie Koch (Fricka) et Egils Silins (Wotan)

Sophie Koch (Fricka) et Egils Silins (Wotan)

Dans le second acte, on découvre un Philippe Jordan encore plus surprenant, car ses choix d’accentuations se portent maintenant sur la noirceur du discours, et sur l’extériorisation d’accords menaçants qui prennent au cœur quand Wotan livre son récit à Brünnhilde. On n’écoute pas seulement ce que chante magnifiquement Egils Silins, avec un timbre granuleux et homogène qui brosse un portrait solide de ce dieu inflexible, mais surtout ce que l’orchestre révèle de ses ombres, du magma névrotique dont il n’arrive pas à s’extraire. Toute sa personnalité est racontée par des musiciens qui ne doivent même pas se rendre compte du formidable gouffre qu’ils nous décrivent prodigieusement.

Alwyn Mellor (Brünnhilde)

Alwyn Mellor (Brünnhilde)

Toujours aussi noble d’allure, droite et fière, et plus approximative quand elle déclame ses intonations graves, Sophie Koch tient tête à Egils Silins en évitant tout mélodramatisme, quitte à se réfugier dans une froideur qui rend Fricka moins authentique, mais d‘une tenue sans faille.

On retrouve alors cette lenteur excessivement sensuelle et étrange au retour de Stuart Skelton et Martina Serafin, tous les deux formant ce cœur humain éternellement magnifique à revoir pour ses interactions fluides et naturelles, et à réentendre pour son chant si prenant.

Et, même à la mort de Siegmund, la musique fait entendre les plus tendres sentiments paternels de Wotan, quand il se penche sur le corps de son fils, alors que Fricka le rejoint pour vérifier la réalisation de l’acte qu’elle a si ardemment exigé.

Egils Silins (Wotan) et Sophie Koch (Fricka)

Egils Silins (Wotan) et Sophie Koch (Fricka)

Criant un peu fort lors de son arrivée, Alwyn Mellor se joue d'un timbre complexe à maitriser, celui ci pouvant très vite prendre des couleurs prématurément usées. C’est son expressivité et sa présence qui lui permettent de jouer de tant d’irrégularités et de libérer une énergie maternelle, à contre pied de l’image monumentale que l’on peut avoir de Brünnhilde.

Après un bref tableau du verger d’amour dépourvu de toutes ses feuilles, conséquence de la mort de Siegmund, la Chevauchée des Walkyries nettoyant les corps nus des héros morts au combat prend un aspect plus macabre qu’il y a deux ans. On distingue toutefois que toutes les voix ne forment pas un ensemble homogène.

Martina Serafin (Sieglinde) et  Stuart Skelton (Siegmund)

Martina Serafin (Sieglinde) et Stuart Skelton (Siegmund)

Philippe Jordan tire un grand éclat de l’orchestre, sans démesure, mais se concentre surtout sur l’intimité du discours pendant le long échange entre Wotan et sa fille, avec toujours ce sens de la lenteur merveilleuse sous laquelle finit par se noyer la salle entière, envahie intégralement par les fumées et les lueurs rougeoyantes du brasier final.

Loin de la dimension épique et nerveuse que l’on pourrait aimer retrouver, il s’agit cette fois d’une des plus sombres interprétations de l’ouvrage qui laisse augurer d'un futur Tristan et Isolde irréel, lors de la saison prochaine vraisemblablement.

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Publié le 29 Mars 2012

La Walkyrie (Richard Wagner)
Représentation du 25 mars 2012
Bayerische Staatsoper (München)

Siegmund Klaus Florian Vogt
Hunding Ain Anger
Wotan Thomas Johann Mayer
Sieglinde Anja Kampe
Brünnhilde Katarina Dalayman
Fricka Sophie Koch
Helmwige Erika Wueschner
Gerhilde Danielle Halbwachs
Ortlinde Golda Schultz
Waltraute Heike Grötzinger
Grimgerde Okka von der Damerau
Siegrune Roswitha C. Müller
Roßweiße Alexandra Petersamer
Schwertleite Anaïk Morel

Mise en scène Andreas Kriegenburg
Direction musicale Kent Nagano                                     Sophie Koch (Fricka)

Parmi les grands théâtres engagés dans le représentation du Ring en hommage au bicentenaire de la naissance de Richard Wagner (1813), le Bayerische Staatsoper présente le prologue et les trois journées de janvier à juin, pour conclure sur une série de deux cycles au cours du festival d’été 2012.

La mise en scène d’Andreas Kriegenburg est une épure lisible qui illustre les différents lieux et éléments de l’œuvre - le Chêne, le grand bureau aristocratique du Walhalla, les guerriers empalés sur le champs de bataille - sans surprise, mais avec une animation des caractères minutieusement fouillée.

Klaus Florian Vogt (Siegmund) et Anja Kampe (Sieglinde)

Klaus Florian Vogt (Siegmund) et Anja Kampe (Sieglinde)

Seules deux scènes soulèvent quelques étonnements, la présence d’infirmières dans la demeure de Hunding nettoyant les corps des blessés selon la même idée que Krämer à Bastille, et les pas violents de femmes en deuil et en transe avant que les Walkyries n’entament leur chevauchée.

Mais avec des éclairages recherchés - belle ambiance nocturne de lueurs bleu-clair quand Brünnhilde vient avertir Siegmund de sa mort prochaine-, et des jeux d’ouvertures et de resserrements des grands plans verticaux, latéraux et horizontaux du théâtre, Andreas Kriegenburg crée des impressions de grands espaces et de vide, et des scènes intimes oppressées par un destin imparable.

Il suffit alors d’un jeu d’acteur significativement expressif, au plus proche des sentiments et des nombreuses situations conflictuelles, pour que le drame prenne une dimension humaine et émotionnelle captivante. La dispute de Fricka et Wotan brisant des verres de rage, la chorégraphie guerrière de Brünnhilde accueillant son père, Sieglinde prise de folie dans les bras d’un Siegmund désemparé, rappellent à quel point l’opéra est passionnant quand il est la vie.

Katarina Dalayman (Brünnhilde)

Katarina Dalayman (Brünnhilde)

Et avec une telle énergie emportée par un orchestre pris, en course libre, dans un flot d’entrelacements de timbres grisants, et une des meilleures, sinon la meilleure, distributions wagnériennes de notre époque, il y a une émotion particulière à entendre dans de telles conditions, au cœur de sa région d‘origine et au sentiment partagé avec le public, une interprétation à marquer d’une pierre blanche.

La veille, Ain Anger était le Comte Gremin dans la reprise d’ Eugène Onéguine, il devient maintenant le grand Hunding pour cette matinée, avec une excellente articulation mordante, et un tempérament plus affable, on va dire, que n’inspire le guerrier habituellement.

Après l’envolée de l’ouverture orageuse, où l’on voit Siegmund bataillant dans une sombre forêt germanique, sa rencontre avec Sieglinde est toujours le premier moment fort de la première journée du Ring.

Klaus Florian Vogt (Siegmund)

Klaus Florian Vogt (Siegmund)

Mais peu imaginaient entendre une incarnation de leur duo d’amour aussi bouleversante.
La douceur rayonnante de Klaus Florian Vogt est, dans un premier temps, trop angélique pour restituer la complexité psychologique et la hargne de lutteur du fils de Wotan.
Cependant, il a une telle manière de sublimer la tendresse amoureuse de la jeunesse - quel timbre haut placé et toujours aussi puissant!-, et une telle pureté de sentiments, qu’il atteint ce point culminant de beauté indescriptible qui force à se libérer d’émotions si profondément retenues.

Anja Kampe s‘empare du rôle de Sieglinde pour en faire un personnage entier, un feu de passion exacerbé et incontrôlé qui lui donne une densité et une vitalité sensationnelles. Cette présence s’appuie tout autant sur une voix riche d’harmoniques des graves les plus noirs aux aigus superbement projetés, et une nature d’écorchée que même l’attachement de Siegmund ne peut que difficilement calmer.
Et même Brünnhilde, au début IIIème acte, paraît un modèle de sagesse à côté d’elle.

Katarina Dalayman (Brünnhilde) et Thomas Johann Mayer (Wotan)

Katarina Dalayman (Brünnhilde) et Thomas Johann Mayer (Wotan)

Il faut dire que si Andreas Kriegenburg présente la Walkyrie, au cours de la fantastique ouverture du second acte emportée dans un souffle de timbales galopantes et galvanisantes, comme une jeune déesse admirative des qualités guerrières de son père Wotan, elle en devient très vite l’égale en maturité.

Katarina Dalayman, plus en forme que jamais, lance ses aigus puissants et claquants, quoique mieux maîtrisés que l’année dernière à Bastille, et affiche une solidité infaillible, un éclat de bronze splendide qui impose une stature de femme consciente d‘être la seule à ne pas s’enfermer mentalement.

De toutes ses interventions, son grand dialogue avec  Wotan au dernier acte est un modèle d’échanges d’une profondeur due autant à son talentueux aboutissement théâtral qu’à la vision du metteur en scène.

Et il faut dire que Thomas Johann Mayer, découvert il y a deux ans dans la Walkyrie sous la direction de Philippe Jordan, est déjà un des plus impressionnants Wotan de sa génération. Son impact vocal semble s’être accru, mais surtout, il dessine comme personne un père tourmenté et d’une humanité, malgré la carrure combattante de fauve qu’il arbore, avec une vérité expressive implacable.


                                                    

Katarina Dalayman (Brünnhilde) et Thomas Johann Mayer (Wotan) 

Sa confrontation avec Fricka est un autre grand moment de théâtre, poussé dans ses derniers retranchements par une femme qui est la droiture même, et dont elle s’amuse.
Sophie Koch est parfaite dans ce rôle, car elle a un peu de cette froideur moqueuse et distante qui installe la déesse dans une posture de juge moral dominante.

 Plus encore, la couleur de ses graves mats, quand elle n’oublie pas de les soutenir intensément, se projette frontalement avec une autorité hautaine et aristocratique telle, qu’elle ne joue donc plus avec les sentiments compassés susceptibles de se créer à son égard.

Katarina Dalayman (Brünnhilde)

Katarina Dalayman (Brünnhilde)

Et si l’on reste émerveillé par cette réunion magnifique de grands chanteurs, on en admire tout autant l’énergie inépuisable des huit Walkyries.

Après les adieux de Wotan à Brünnhilde, la scène d'immolation est rendue dans une très belle sobriété, de jeunes filles forment un cercle autour du rocher en portant un serpent sur leur dos qui s'enflamme, tandis que le feu se propage en se projetant par effet vidéographique sur le fond de scène. Il n'en faut pas plus pour illustrer la dignité surnaturelle de ce dernier instant.

Katarina Dalayman (Brünnhilde) et Thomas Johann Mayer (Wotan)

Katarina Dalayman (Brünnhilde) et Thomas Johann Mayer (Wotan)

Quand il est arrivé pour saluer sur scène, Kent Nagano a été accueilli par un tonnerre extraordinaire d’applaudissements et de trépignements électriques.
Comment ne pouvait-il pas en être autrement ?  L’orchestre filait dans un courant animé de reliefs sonores frénétiques, une agilité fuyante et tendue en urgence, des soulèvements de textures boisées frémissantes, un tumulte de timbales endiablées, et d’amples nappes de cuivres magnifiquement patinées.

Klaus Florian Vogt (Siegmund), Anja Kampe (Sieglinde) et Ain Anger (Hunding)

Klaus Florian Vogt (Siegmund), Anja Kampe (Sieglinde) et Ain Anger (Hunding)

On en sort abasourdi par une telle expérience intense et rare.
Une référence artistique inoubliable.

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Publié le 22 Décembre 2011

Norma (Vincenzo Bellini)
Version de concert du 20 décembre 2011
Salle Pleyel

Norma Edita Gruberova
Adalgisa Sophie Koch
Pollione Massimo Giordano
Oroveso Wojtek Smilek
Clotilde Maite Maruri Garcia
Flavio Paul Cremazi

Direction Andriy Yurkevytch
Orchestre de Nice                                                                           Sophie Koch et Edita Gruberova

On sait qu’il existe des fanatiques du suraigu qui courent à travers l’Europe pour entendre Edita Gruberova. Beaucoup se sont donc précipités à la salle Pleyel pour en profiter, ou même découvrir pour la première fois la nature de ce phénomène vocal.   

Cela se fait nécessairement au dépend de l’esprit de l’ouvrage, car la confrontation scénique de cette artiste - à la veille de célébrer ses 65 ans - prend une dimension de défi au temps qui dépasse tout autre enjeu.

Ce que l’on a entendu, ce soir, est un rayonnement magnifiquement lumineux d’aigus profilés comme des pointes d’acier nettes, exempt de tout signe de faiblesse humaine, et dissipé dans tout l’espace en jouant sur l’énergie libérée par de soudaines torsions du corps.

Les variations d’intensité sont les plus spectaculaires lorsque les sons deviennent effilés jusqu’à l’inaudible, avant que les fluctuations ne raniment un filet de voix dont le souffle était resté ininterrompu.

 

 

Edita Gruberova (Norma)

 

Tout est chanté dans cette tessiture élevée, alors que la profondeur pathétique de Norma se réalise surtout dans un médium qui permet normalement de varier les expressions dramatiques. Il en résulte donc un portrait principalement fier de la prêtresse, que l’orgueil tient à distance des signes intérieurs de troubles et de douleurs. La soprano use ainsi fréquemment d’un artifice théâtral efficace qui consiste à provoquer des effets sauvages et laids dans les graves pour marquer son affectation.
 

Erigée en femme noble et investie d’un immuable recueillement, on retrouve le timbre d’airain avec lequel Sophie Koch a rendu sa Vénus inoubliable en octobre dernier, Adalgisa y gagne surtout l’interprétation d’une grande personnalité.
Mais la souplesse du chant bellinien et la poésie de l’italien posent des difficultés à l’art du chant allemand de la mezzo-soprano, ce qui limite, là aussi, les qualités poignantes de ses airs.

Un peu trop penché sur sa partition, Massimo Giordano ne réhausse pas son manque de charisme scénique. Cependant, son style sincère et chantant a de quoi toucher, quitte à faire de Pollione un sombre rêveur. En Oroveso, Wojtek Smilek se contente d’apporter une présence sonore appréciable.

 

                                                                                                         Sophie Koch (Adalgisa)

Si l’on peut reconnaitre à la direction de Andriy Yurkevytch une énergie et un liant qui tiennent la distance sur des tempi rapides, le manque de modération des cuivres et percussions devient très vite fatigant, alors que la théâtralité ne perdrait rien à reposer sur la fougue des cordes et des bois principalement.
D’ailleurs, les grands moments largo sont très chaleureusement menés, on retrouve même les prémices et la profondeur du romantisme wagnérien, mais la finesse de l’écriture musicale, qui exige moins d’épaisseur et plus de légèreté de la part des violons, n’est que peu traduite.

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Publié le 6 Octobre 2011

Tannhäuser (Richard Wagner)
Répétition générale du 03 octobre et représentations du 09, 12, 17, 23, 29 octobre 2011
Opéra Bastille

Tannhäuser Christopher Ventris
Elisabeth Nina Stemme
Venus Sophie Koch
Wolfram Stéphane Degout
Hermann Christof Fischesser
Walther Stanislas de Barbeyrac
Biterolf Tomasz Konieczny
 
Direction Musicale Sir Mark Elder
Mise en scène Robert Carsen (2007)

 

                                                                                                   Stéphane Degout (Wolfram)

Alors que l’Opéra de Paris vient de nous offrir un de ses fours les plus mémorables à travers la nouvelle production de Faust, la reprise de la mise en scène de Tannhäuser imaginée par Robert Carsen nous permet de retrouver un travail qui réussit à la fois à se libérer d'une interprétation textuelle et de presque tous les symboles religieux, tout en respectant le cœur du conflit entre sensualité et spiritualité, à conserver une ligne esthétique charnelle mais dénuée de toute trivialité, et à trouver une issue sublimée en tournant le final en hommage aux œuvres érotiques des grands artistes peintres.

Cette approche, réalisée avec intelligence, lisibilité et cohérence, peut néanmoins décevoir l'auditeur qui ne retrouve plus le thème de l'amour impossible inhérent à nombres d’œuvres lyriques.

On admire toujours autant l’atmosphère rougeoyante de la grande scène du Vénusberg, dans l’espace resserré de l’atelier de Tannhäuser, et les lents passages de Vénus entre ombres et lumières, harmonieusement liés à la musique.

Sophie Koch (Vénus) et Christopher Ventris (Tannhäuser)

Sophie Koch (Vénus) et Christopher Ventris (Tannhäuser)

Sophie Koch se fait entièrement déesse, tragique et sensuelle, une voix impériale aux accents sauvages mais aussi émouvante, à laquelle elle allie élégance du mouvement et vérité subtile de l’expression théâtrale.

Moins fluide dans ses déplacements, Nina Stemme est naturellement saisissante par l’ampleur de sa voix, la qualité d’une tessiture portée par un souffle long et puissant, et une noirceur qui révèle toute sa profondeur lorsque Elisabeth invoque la mort au troisième acte.
La soprano suédoise possède en réalité les énormes moyens d’une Isolde ou d’une Elektra, ce qui paraît un peu surdimensionné à l’égard d’un rôle qui rayonne de jeunesse et d’idéalisme.

Les quelques faiblesses de la répétition se sont évanouies, ce qui permet de voir à quel point Christopher Ventris incarne un Tannhäuser avec une rage de vivre que l’on ressent dans la clarté mordante de sa voix, avec cet indéfinissable sentiment de tristesse d’âme. Il s'agit ici d'un engagement scénique total et impressionnant.

Surprenant dans son apparence d’humble intellectuel, Stéphane Degout est un Wolfram d’une humaine évidence, il déroule « O du mein holder Abendstern » superbement, chanté sans affectation naïvement rêveuse, mais le plus sincèrement possible, le timbre légèrement duveteux.

Tous les autres interprètes, Christof Fischesser, Stanislas de Barbeyrac, Tomasz Konieczny sont parfaitement distribués, si bien que l’on ne peut que constater que l’ensemble de la distribution rivalise, et même surpasse, celle de 2007.

A défaut d'effets de style remarquables, la direction de Sir Mark Elder privilégie la délicatesse des moments intimes, s'imprègne même d'une énergie théâtrale enthousiasmante lors de la répétition, mais ne couvre pas les voix pour autant.

               

                                                                                    Nina Stemme (Elisabeth)

Et puis soudain, lors de la représentation du 17, l'orchestre retrouve une vigueur et un magnifique sens des ondes wagnériennes, auxquels la salle entière répondra par un salut à coeur sans retenue.

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Publié le 3 Juin 2011

Der Ring des Nibelungen -

Götterdämmerung (Wagner)
Répétition générale du 30 mai 2011 et

Représentations du 12 & 18 juin 2011 Opéra Bastille

Siegfried Torsten Kerl
Gunther Iain Paterson
Hagen Hans-Peter König
Alberich Peter Sidom
Gutrune, Dritte Norn Christiane Libor
Waltraute Sophie Koch
Brünnhilde Brigitte Pinter / Katarina Dalayman
Erste Norn, Flosshilde Nicole Piccolomini
Woglinde Caroline Stein
Zweite Norn, Wellgunde Daniela Sindram

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer

 

                                                                  Hans-Peter König (Hagen) et Peter Sidom (Alberich)

Synopsis

La prédiction
Siegfried et Brunnhilde se séparent après s’être échangés l’anneau et le cheval Grane.
Pendant ce temps, le destin s’assombrit pour Wotan. Il a ordonné à ses guerriers d’amonceler autour du Walhalla le bois du Frêne Universel, maintenant mort, avec lequel fut taillée sa lance. Les trois Nornes prédisent l’incendie de la résidence divine.

Le filtre d’oubli
En suivant le Rhin, Siegfried arrive au palais des Gibichungen. Il est accueilli par Gunther et son demi-frère Hagen qui garde le vœux secret de recouvrir l’anneau pour son père, Alberich. Il a auparavant déjà proposé une alliance qui assurera la gloire du royaume : le mariage de Gunther avec Brünnhilde et de Gutrune, sa sœur, avec Siegfried. Il remet alors un filtre à Gutrune qui a le pouvoir de faire oublier l’amour de toute femme. Siegfried le boit, s’éprend de son hôte, et fait serment d’amitié avec Gunther en lui promettant de conquérir pour lui la vierge du roc.

La trahison
Pendant ce temps, Brünnhilde voit arriver une de ses sœur, Waltraute, qui lui suggère de se débarrasser de l’anneau. Elle refuse. Siegfried survient sous les traits de Gunther (grâce au heaume magique), lui arrache l’anneau, et la garde pendant la nuit.
Cette même nuit, Alberich vient exhorter son fils à rester loyal à sa mission.
Au matin, le couple retourne au palais.  Brünnhilde comprend la trahison, mais Siegfried jure d’être innocent et, dans un accès de désespoir, la vierge voue la lance de Hagen à la destruction du héros. Gunther se laisse convaincre de la nécessité de tuer Siegfried. Brünnhilde révèle alors que le dos est la partie vulnérable de son corps.

La mort de Siegfried
Le lendemain, une partie de chasse a été arrangée. Siegfried rencontre les ondines qui le préviennent de sa mort prochaine, mais il refuse de leur remettre l’anneau. Plus tard, il est rejoint par ses hôtes. Hagen lui fait boire un breuvage qui ranime sa mémoire et son récit du réveil de la vierge exacerbe le sentiment de trahison de Gunther. Hagen plante la lance dans le dos de Siegfried.

Le sacrifice de Brunnhilde
Au retour de la procession funèbre au palais, Gunther et Hagen se disputent l’anneau et ce dernier tue son frère. Au moment de s’emparer de l’anneau, Brünnhilde apparaît : les Filles du Rhin l’on instruite de toute la vérité. Elle commande aux vassaux de dresser un bûcher sur lequel elle s’immolera et annonce la fin du Walhalla. Puis elle plonge dans le bûcher avec Grane. Les flammes envahissent le palais, le consument , le Rhin déborde, éteignant le feu. Hagen se jette à l’eau pour récupérer l’anneau et se noie. Les survivants regardent avec crainte et émerveillement le Walhalla qui brûle avec les dieux.

Les trois Nornes

Les trois Nornes

A la fin de la seconde journée du Ring, nous avions laissé Brünnhilde et Siegfried au pied du Walhalla, alors que Wotan, considérablement affaibli, tentait d’en gravir les marches avec l’aide des héros.

Lorsqu’il réapparaît au début de cette dernière journée, le jeune couple vient tout juste de se marier, image amusante et décalée qui s’appuie sur le stéréotype de la balade amoureuse en barque.

Günter Krämer la superpose à l’ouverture qui, d’une part, montre la transmission du désir de pouvoir d’Alberich à son jeune fils Hagen - il s’agit d’une scène mystérieuse dont le sens ne se dévoile totalement que plus loin, en parfaite symétrie de la programmation manquée de Siegfried par Mime, le frère d’Alberich -, et, d’autre part, installe une atmosphère crépusculaire et hypnotique, esthétiquement réussie, au cours de laquelle les trois Nornes, non plus de vieilles femmes sinon de troublantes prostituées tout en noir, ou bien des femmes chics et snobs, tentent de percevoir en vain l’avenir, sur fond d’horizon flou où se dessinent les ombres d’un port industriel. Le lien avec le dernier acte de Siegfried, où Wotan quittait Erda en mettant le feu à sa bibliothèque, n'est pas évident.

Le grand miroir, que le metteur en scène avait employé lors des trois premiers volets, n’est plus utilisé, mais le cadre noir d’un grand écran vidéo vertical et transparent devient la pièce maîtresse de toute la scénographie. La technologie moderne prend une part plus importante.

Brigitte Pinter (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Brigitte Pinter (Brünnhilde) et Torsten Kerl (Siegfried)

Pendant qu’elles rappellent les faits à l’origine du déclin du monde, Christiane Libor, Nicole Piccolomini et Daniela Sindram confèrent au chant des trois filles d’Erda une invocation plaintive et forte.

Après la remontée du Rhin, et la métamorphose astucieuse des Nornes en Filles du Rhin, les choses se gâtent au palais des Gibichungen, car nous tombons chez les ploucs, dans un village de dégénérés duquel Gunther et Gutrune aspirent à s‘évader.

Le très mauvais goût visuel, bien qu’assumé, passe difficilement même s’il accentue la différence sociale entre les deux humains et les deux descendants de Wotan. La scène est en fait tirée des Damnés (Visconti), La Nuit des Longs Couteaux, ce qui revient à assimiler les aspirations des Gibichungen à celles des SA (on peut également remarquer que les corps nus et ensanglantés des héros au troisième acte de la Walkyrie sont inspirés de la même scène). Le manque d'idée se fait cependant ressentir jusqu'à l'arrivée de Siegfried.

Les filles du Rhin

Les filles du Rhin

Malgré quelques traits de brutalité, le serment par le sang, le personnage de Siegfried est toujours aussi inconscient et sympathique, son refus du pouvoir est clair, il aime les femmes et souhaite simplement être heureux. Torsten Kerl en est un interprète très tendre et musical, il respire l’optimisme, joue avec toujours autant de naturel, volontairement à contre-pied d’un glorieux vainqueur héroïque.

Installé dans un fauteuil roulant afin de justifier la présence pesante de la malédiction d’Alberich - Peter Sidom engage tout son être dans une incarnation noire, vulgaire et ignominieuse du nain, et manipule lui-même en permanence le siège de son fils-,  Hans-Peter König, qui était il y a encore si peu Hunding dans la Walkyrie du Metropolitan Opera, fait de Hagen un personnage impressionnant, mais également digne par la belle homogénéité d’un souffle puissant, sombre et aéré.

Sophie Koch (Waltraute)

Sophie Koch (Waltraute)

Même s’il ne cherche pas à résoudre scéniquement les détails du livret qui lui paraissent secondaires, les cordes des Nornes, le cheval Grane, Günter Krämer aboutit à une scène saisissante lorsque Siegfried, sous les traits de Gunther, vient enlever Brünnhilde, seule dans son appartement bourgeois (idée qui n'est plus nouvelle).
En faisant intervenir les deux hommes, il mélange l’action du Walsung et les désirs les plus profonds du Gibichung, ce qui accentue l’empathie du spectateur pour la Walkyrie tant ce qu’elle subit est repoussant.

Auparavant, Sophie Koch est intervenue sous les traits de Waltraute. L’impact émotionnel de son affliction vibrante et l’harmonie de ses lignes percutantes font oublier le bonnet qui masque inutilement sa chevelure (référence à Sainte Jeanne des Abattoirs, milicienne et religieuse?).

Leur rôle est ingrat, certes, mais Iain Paterson et Christiane Libor - interpréte sidérante Des Fées au Châtelet- restituent fidèlement leurs traits de caractères respectifs, lui médiocre intellectuel sans charisme, elle femme étriquée par son éducation, sincèrement éprise de Siegfried.

Toute cette première partie est musicalement marquée par une épaisseur nouvelle au regard des épisodes précédents. Philippe Jordan crée un somptueux relief aux arêtes vives, et donne une ampleur inédite et théâtrale aux cuivres sans forcément affiner les couleurs des cordes.

Torsten Kerl (Siegfried)

 

On peut néanmoins regretter qu’il ne marque pas plus les relances, les soudaines accélérations qui entraînent vers l’avant, régénérant ainsi un courant stimulant.

Mais ces réserves disparaissent au second acte. L’ouverture est d’une mobilité et d’une limpidité fascinantes, les violons frémissent, et l’intensité atteint des sommets quand le chœur éclatant entre en scène. Par un jeu de lumière subtil, l’apparence des hommes appelés par Hagen vire de la posture militaire et dure des SA, prêts à se lancer à la conquête du monde, à celle d’anodins villageois bons vivants qui peuplent en réalité le Gibichungen. A nouveau, le pouvoir d’induction d’un leader sur la masse est stigmatisé.

Hans-Peter König (Hagen) et les vassaux

Hans-Peter König (Hagen) et les vassaux

On pouvait penser que Brigitte Pinter, sollicitée au dernier moment pour remplacer Katarina Dalayman lors de la répétition, allait limiter son implication. Elle débute effectivement avec prudence, et pourtant, son incarnation se pose dans la durée.

Elle a une voix qui exprime une variété d’états d’âme, on a l’impression qu’elle est parfois à bout de souffle, puis soudainement, les aigus percent, et donc, tout ce mélange de faiblesse, de courage, d’humaine profondeur et d'endurance la rendent tragiquement émouvante.

On ne peut alors qu'être heureux de la chance qui lui a permis d'assurer le rôle de Brünnhilde à la troisième représentation. La gravité de ses expressions fut encore plus bouleversante.

Reprenant le rôle de Brünnhilde lors des représentations suivantes, Katarina Dalayman développe un personnage de femme impulsive, fière, avec une solide homogénéïté vocale et de soudains grands éclats de stupeur. La fragilité et la complexité émotionnelle intérieures ne sont pourtant pas autant extériorisées.

 Brigitte Pinter (Brünnhilde) : scène finale

Brigitte Pinter (Brünnhilde) : scène finale

La réussite musicale se prolonge au troisième acte, la marche funèbre est d’une ampleur superbement dramatique - Philippe Jordan sait qu’il porte, à ce moment précis, chaque spectateur à la rencontre grandiose de la mort-, mais cette fois, les effets vidéographiques sont mis à contribution.

 

Les images de l'ascension de Siegfried, sous des éclairages lunaires, puis blafards, et celles de Brünnhilde sous les flammes - l’invocation de Brigitte Pinter, habillée et coiffée telle que l’était Waltraud Meier, devant le mur de feu, ne peut être un simple hasard.-, sont à rapprocher de celles plus travaillées de Bill Viola pour Tristan et Isolde, comme un clin d’œil admiratif.

L'image du jeu vidéo illustre un thème qui parcoure toute cette tétralogie : 'Malheur aux peuples qui ont besoin de héros (Brecht)'.
Nous avons pu constater qu'à chaque occasion Günter Krämer met en scène des hommes menés par des leaders. Par ailleurs, dans le premier acte de  Siegfried, Mime fait l'éducation de Siegfried devant le film de Fritz Lang.

Quelque part, Siegfried est une image du citoyen lambda, manipulable, inconscient des enjeux politiques mais avançant lui même dans sa réussite sociale, et Krämer met en garde le spectateur.

Était-il nécessaire d’insister pour autant sur la marque, une croix noire, dans le dos de Siegfried, à moins qu’il ne s’agisse d' évoquer l'Ordre Teutonique, et la perversion des dérives sectaires quand Hagen exécute son geste fatal ?

Le massacre d'Alberich, par les filles du Rhin/Nornes, signe en revanche un dernier acte de libération féministe, avant que ne subsistent les derniers débris de l’Or du Rhin et sa malédiction, la grande structure noire, le pendant du Monolithe de 2001 L'Odyssée de l'Espace.

Le Crépuscule des Dieux (Jordan - Krämer) à l'Opéra Bastille

Dans la conception de Günter Krämer, les scènes du Ring sont comme une illustration de la société allemande moderne, et des leçons personnelles qu'il en tire. Il est même fort probable que l'origine de certains symboles ne se révèlera qu'avec le temps, en connaissance de la culture germanique.

Tout n'est donc pas en première lecture immédiat, mais cela est incontestablement réfléchi.

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Publié le 11 Décembre 2010

Ariane à Naxos (Richard Strauss) 
Répétition générale du 09 décembre 2010
Opéra Bastille

Le Majordome Franz Mazura
Le Maître de musique Martin Ganther
Le Compositeur Sophie Koch
Le Ténor (Bacchus) Stefan Vinke
Un Maître à danser Xavier Mas
Zerbinette Jane Archibald
La Primadonna (Ariane) Ricarda Merbeth
Arlequin Edwin Crossley-Mercer
Naïade Elena Tsallagova
Driade Diana Axentii
Echo Yun Jung Choi

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Laurent Pelly                                        Sophie Koch (Le compositeur)

Pour celles et ceux qui se souviennent des soirées de décembre à Garnier, à la fin de l’année 2003,  au cours desquelles tous les regards restaient fascinés par Natalie Dessay lorsqu’elle venait  déranger celle que Thésée avait abandonnée à ses pensées les plus noires,  Ariane à Naxos, livrée à la légèreté de Laurent Pelly, trouve sa place parmi les spectacles de divertissements à l‘approche de l’hiver. 

Ariane à Naxos (Koch -Merbeth -Archibald msc Pelly) Bastille

Mais avec ses aspects ironiques, l’ouvrage est une impertinente analyse des vicissitudes de l’âme humaine sous l’emprise du sentiment amoureux.

Alors qu’Ariane se complait dans une vie accordée à son idéal d’amour, et dont la dépendance la fait sombrer lorsque la trahison survient, Zerbinette se démarque d’elle, non pas qu’elle manque de profondeur, mais tout simplement parce qu’en femme totalement consciente, elle est toute en éveil dans son rapport à la vie.

Elle est la voix dont Ariane a besoin pour se libérer d’une âme encline à l’attacher à l’être aimé. 

Ricarda Merbeth (Ariane)

Ricarda Merbeth (Ariane)

Les images qu’utilise Laurent Pelly partent de l’architecture délabrée d’un hôtel, qui n’est autre que le squelette de la demeure dans laquelle se prépare l’opéra pendant le prologue, et dont on pense bien qu’elles sont là pour suggérer les ravages mentaux auxquels Ariane est soumise. Le décalage est complet lorsque surgissent Zerbinette et ses comparses, accoutrés en touristes des tropiques, traversant parfois la scène en d’éphémères traits de vie, procédé cher au metteur en scène.

La rencontre finale avec Bacchus, peint en or, et au pied duquel Ariane se prosterne de joie en en faisant des tonnes alors que la lumière ne cible plus qu'elle même, est tristement attendrissante, car l’on pourrait penser que la jeune femme s‘est reprise, alors que toute cette extase exagérée laisse présager la rechute prochaine.

Ariane à Naxos (Koch -Merbeth -Archibald msc Pelly) Bastille

Le souvenir de sa forte et sensible Sieglinde subsiste, Ricarda Merbeth se fond à présent dans la peau d’une femme entière, terrienne dans sa gestuelle corporelle, au portrait clivé par des états d’âmes où s’entrecroisent rage, sourires hallucinatoires et désespoirs, et coloré d’un timbre à la fois charnel et nébuleux.

A l‘inverse, les longues lignes aristocratiques que dessine le fin physique de Jane Archibald sont toutefois encore un peu raides pour Zerbinette, la souplesse même de la vie, traits que l’on retrouve uniquement dans les vocalises les plus aigues, les rondeurs musicales étant bien souvent généreuses par ailleurs. 

 Jane Archibald (Zerbinette)

Jane Archibald (Zerbinette)

Et le festival vocal se poursuit avec les nymphes bienveillantes, Elena Tsallagova, Diana Axentii, Yun Jung Choi, toutes trois lumineuses, harmonieusement accordées, et chaleureusement réconfortantes.

Surgi des ombres de la scène, plaintif, mais suffisamment puissant pour soutenir les fortissimo de l‘orchestre sans sacrifier la moindre musicalité, le bien gentil Bacchus de Stefan Vinke s’épanche avec compassion sur Ariane, sans révéler par quel mystère il arrive à quitter la scène à reculons sans heurter le moindre obstacle.

Et ceci n’est que la confirmation d’une intuition apparue dès le prologue, ouvert sur la vision involontairement farceuse d'une pluie de neige cotonneuse, le lendemain d’une journée chaotique mémorable en région parisienne, intuition du soin avec lequel les qualités vocales des chanteurs ont été assorties. 

Ricarda Merbeth (Ariane)

Ricarda Merbeth (Ariane)

Alors que les arrières plans lumineux de ce tableau, compensés par les ombres que les colonnes impriment, préparent l’imaginaire du spectateur, les accents à la fois chantants et mordants de Franz Mazura, la présence captivante de Martin Ganther, et surtout la clarté adolescente avec laquelle Sophie Koch rajeunit son personnage, pour ne délivrer ses noirceurs dramatiques qu’à la toute fin, se laissent guider par la main confiante de Philippe Jordan.

Malgré l’effectif réduit, il tire de l’orchestre un volume sonore gonflé aux dimensions de la salle, réalise des merveilles de fusion entre cuivres et cordes, fait entendre les motifs les plus ronds, les fragiles courants des vibrations d’archers dans les passages symphoniques, détails piqués qui se perdent parfois dans les récitatifs.

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Publié le 28 Mars 2010

Orchestre de l’Opéra National de Paris
Concert du 26 mars 2010 au Palais Garnier

Felix Mendelssohn Meeresstille und glückliche Fart (Mer calme et heureux voyage), op. 27
Ouverture en ré majeur

Ernest Chausson Poème de l’amour et de la mer, op. 19
La Fleur des eaux
Interlude
La Mort de l’amour

Benjamin Britten Four Sea Interludes, op.33 A
Dawn
Sunday Morning

Moolight
Storm

Claude Debussy La Mer, trois esquisses symphoniques
De L’aube à midi sur la mer
Jeux de vagues
Dialogue du vent et de la mer

Sophie Koch Mezzo-soprano
Philippe Jordan Direction musicale

 

Hautement symbolique, le concert de ce soir l’est pour deux raisons : il réunit deux artistes qu’affectionne Nicolas Joel, Philippe Jordan et Sophie Koch, et se construit sur le thème de la Mer, milieu d’ondes vivantes et symphoniques pour lequel on sent que le nouveau directeur de l’Opéra de Paris nourrit une forte sensibilité.

D’où ce goût pour Massenet (la reprise de Werther était dédiée à Sophie Koch) et Wagner (Le Ring est confié à Philippe Jordan), univers marin depuis le Vaisseau Fantôme jusqu’à Tristan.

Concert Philippe Jordan Sophie Koch Opéra National de Paris

Pour l’occasion, des panneaux latéraux et des réflecteurs supérieurs en bois parent la scène de l’Opéra Garnier, l’acoustique est sous contrôle.

Nous sommes dès lors en famille, et il n’y a pas plus significative image que de voir le chef d’orchestre à proximité de la mezzo-soprano face à Philippe Fénelon (le compositeur du Faust de Lenau ,et plus récemment de la Cerisaie), installé au centre du balcon, sous la surveillance paternelle de Nicolas Joel, placé au premier rang de la première loge de face.
En astronomie, on parlerait d‘ « alignement remarquable ».

Le style musical, très homogène, avec lequel dirige Philippe Jordan propage une vitalité faite de tonalités immaculées et d’une tonicité virile, spectaculaire dans le « Storm » de Britten.

Visiblement le chef s’amuse, mène l’orchestre avec hauteur et la même élégance de geste que de son, mais ce sens de la pureté maintient une distance avec les profondeurs romantiques prêtes à surgir.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

C’est grâce au talentueux violoncelliste que Le poème de l’amour et de la mer, débordant de mélodrame, peut prendre une dimension pathétique.

Sophie Koch dégage suffisamment de vagues de tristesse pour palier à un affaiblissement vocal temporaire entre deux représentations de l’Or du Rhin.

Présence et subtiles couleurs obscures ne lui font que peu défaut, la clarté du texte un peu plus car sa voix est essentiellement dramatique.

A l’arrière plan, le timbalier mesure très discrètement la tension des membranes même pendant l’exécution musicale. Il est d’ailleurs un net contributeur à cette impression d’énergie sans lourdeur.

Philippe Jordan avait commencé avec « Mer calme et heureux voyage » joyeux et léger, alors qu’il embrasse La Mer de Debussy avec une ampleur plus contenue.

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Publié le 14 Mars 2010

Der Ring des Nibelungen - Das Rheingold (Wagner)

Représentation du 13 mars 2010
Opéra Bastille

Wotan Falk Struckmann
Fricka Sopkie Koch
Loge Kim Begley
Alberich Peter Sidhom
Mime Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Fasolt Iain Paterson
Fafner Günther Groissböck
Freia Ann Petersen
Erda Qiu Lin Zhang
Donner Samuel Youn
Froh Marcel Reijans
Woglinde Caroline Stein
Wellgunde Daniela Sindram
Flosshilde Nicole Piccolomini

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer

 

Synopsis

Le pacte des géants
Wotan, souverain des dieux, règne sur les géants, les hommes et les nains Nibelungen. Gardien des pactes gravés sur la hampe de sa lance, il a violé un contrat : pour rétribuer les géants Fafner et Fasolt qui lui ont construit le Walhalla, résidence des dieux, il leur a promis la déesse Freia. Mais une fois le Walhalla bâti, désireux de garder Freia dispensatrice aux dieux des pommes de l’éternelle jeunesse, il revient sur sa parole et offre un autre paiement. Les géants acceptent de recevoir le trésor d’Alberich le Nibelung.

Le pouvoir de l’anneau
Alberich a volé l’or gardé par les trois ondines du Rhin ; il en a forgé un anneau qui donne à celui qui le porte, à condition de renoncer à l’amour, la maîtrise du monde. Wotan n’a nulle intention de renoncer à l’amour, mais il veut l’anneau (outre le trésor) et le prend de force à Alberich avec la complicité de Loge, le dieu du Feu.
Le nain lance sur l’anneau une malédiction redoutable.

La malédiction de l’anneau
Wotan remet le trésor aux géants, mais garderait l’anneau si la sage déesse Erda , mère des trois Nornes fileuses du destin, ne l’avertissait du danger que constitue l’anneau, ainsi que de la fin approchante des dieux. Il remet l’anneau aux géants, et la malédiction d’Alberich fait aussitôt son effet : pour avoir la plus grande partie du trésor, Fafner tue son frère Fasolt et s’approprie la totalité. Puis il va entasser le trésor dans une grotte des profondeurs de la forêt et pour le garder se transforme en un monstrueux dragon, grâce au heaume magique forgé par Mime, le frère d’Alberich.
Alors que les dieux entrent dans leur nouvelle demeure, Wotan  songe à la race de demi-dieux qu’il prépare pour vaincre le Nibelung.

L’Or du Rhin (Philippe Jordan-Günter Krämer) à Bastille

Le premier volet du Ring, dans la vision de Günter Krämer, se regarde comme une bande dessinée au gros trait, dont les ambiances lumineuses constituent l’élément le plus impressionnant.

Le metteur en scène ne cherche pas à révolutionner la lecture philosophique du livret, mais à en proposer une vision très claire, exempte de symboles mythologiques et magiques, et décomplexée dans la représentation factice des dieux (on finit par s’habituer à leurs bustes fabriqués).

La première scène d’Alberich et les filles du Rhin, dont les robes évoquent autant le corps écaillé des sirènes que l’éclat des prostituées de luxe, semble comme un prolongement de celle des filles fleurs telles que Warlikowski les avait représentées dans Parsifal en 2008.

Ce premier tableau, avec ces bras rouges et ondoyants, est une bonne illustration du travail de Krämer pour restituer le désir sexuel en jeu, tout en s’appuyant sur la dynamique des éléments musicaux.

Sophie Koch (Fricka)

Sophie Koch (Fricka)

Tout au long de l’ouvrage, l’on est assez admiratif devant son pragmatisme dans la gestion des enchaînements visuels (les cordes qui retiennent Alberich sont également celles qui retiennent plus loin en otage Freia, la Terre fertile dont l‘avenir est en jeu, et celles qui tirent l’arc-en-ciel du Walhalla), l’utilisation des éléments fantastiques pour appuyer sa vision (la transformation d’Alberich, en serpent et en crapaud, souligne le niveau d’aliénation du peuple Nibelung), quitte à assumer les lourdeurs de la représentation des luttes de classes (les géants devenant des travailleurs en guérilla contre leur patron).

Avec ce même sens de la continuité, l’arrivée d’Erda est pressentie dès la transition vers la quatrième scène, mais son impact théâtral est moindre que l’arrivée des géants à la seconde scène, alors que son enjeu est plus fort.

Le thème de la malédiction d’Albérich est également moins marquant.

En revanche, la transformation finale du Walhalla en monumental escalier, d’où surgit la jeune hitlérienne que Wotan prépare à lancer contre le Nibelung, se réalise dans une illusion visuelle inoubliable.

Enfin, le travail théâtral, dont bénéficient le plus Alberich et Loge, cherche à rendre visible les forces qui animent les protagonistes (la haine de Mime qui le pousse à révéler à Loge où se cache Albérich transformé en crapaud).
Certains auront même remarqué comment Krämer résout une faiblesse du livret de Wagner, en laissant Wotan s’emparer d’une dernière pomme avant de suivre Loge.
Comment expliquer sinon qu’il ne soit pas plus affaibli lorsque qu‘il entame sa descente dans les mines?

Kim Begley (Loge)

Kim Begley (Loge)

Sous la direction de Philippe Jordan, l’orchestre de l’Opéra National de Paris porte une merveilleuse vision musicale fine et agile (il faut entendre la grâce du motif de l‘amour lorsque Fasolt rêve de la beauté de la femme), plus évocatrice des nébulosités célestes que des remous pervers et agressifs du Nibelung. Cette atténuation dramatique est relative, surtout que la théâtralité est visuelle.

Sur scène, l’implication de l’ensemble des chanteurs est captivante, clownesque et manipulateur Loge de Kim Begley, acéré Alberich de Peter Sidhom sans état d’âme quand il s’agit de se plier à la vulgarité de son personnage, et émouvante noirceur de Qiu Lin Zhang à l'apparition d'Erda.

A l’autorité un peu brute de Falk Struckmann répond la voix la plus noble du plateau en Sophie Koch, et les deux géants, Iain Paterson et Günther Groissböck, se distinguent plus visuellement que vocalement.

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke laisse présager, dans Siegfried, un Mime très revanchard.

Rien de vocalement monstrueux dans ces personnages, tous très humains.

Reste à savoir, après le plaisir quasi enfantin que suscite ce prologue, dans quel univers va nous entraîner la Walkyrie, et quelle suite Günter Krämer va t-il donner à ses idées (Erda, avec qui Wotan eut les Walkyries, apparait en voiles noirs, alors que Freia, en voiles blancs, suit de force Wotan sur les marches du Walhalla)?

L'entrée au Walhalla

L'entrée au Walhalla

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