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Publié le 6 Octobre 2015

Vendredi 02 octobre 2015, une rencontre était organisée au Théâtre Firmin Gémier / La piscine de Sceaux afin de se donner un temps de réflexion sur la question du rajeunissement du public de la musique classique.

Le débat, d’une durée de plus de deux heures, questions du public comprises, regroupait sept intervenants, chefs d’orchestres, représentants politiques, compositeur et musicien.

Antoine Pecqueur, musicien et journaliste (Mezzo, La Lettre du Musicien, Classica) est chroniqueur sur France Musique. Il est l’auteur d’un livre à paraître prochainement : "Les espaces de la musique, architecture des salles de concert et des opéras" (éditions Parenthèses).

Ce soir, après une brève présentation par Marc Jeancourt, Directeur du Théâtre de la Piscine, il assurait le rôle de modérateur et d’animateur de la rencontre avec :

John Harte, chief executive of Aurora Orchestra
Bernard Cavanna, compositeur et directeur du Conservatoire de Gennevilliers
Laurent Bayle, directeur général de la Cité de la musique et président de la Philharmonie de Paris
Stéphane Kutniak, responsable du pôle culture du Conseil Général des Hauts-de Seine
David Grimal, violoniste et directeur artistique des Dissonances, ensemble orchestral
Laurence Equilbey, directrice artistique et musicale, chef d'orchestre, directrice musicale d'Insula orchestra et d'accentus
Eric Denut, délégué à la Musique au Ministère de la Culture et de la Communication


Les échanges, hors questions du public, sont restitués quasi intégralement et aussi fidèlement que possible.

Antoine Pecqueur, musicien et journaliste

Antoine Pecqueur, musicien et journaliste

La loi de finance 2016 prévoit une hausse du budget de la culture. Va-t-elle toucher la musique, et comment va-t-elle se traduire ?

ERIC DENUT : Le budget de la Culture et de la Communication est en hausse de 2,7% et de 1% à périmètre égal, et la Musique, au sein du Grand Tout de la Création qui pèse 700 millions d’euros, directement mobilisés au service des créateurs et de leurs initiatives, va recevoir 15 millions d’euros, l’équivalent du budget d’un théâtre en région, consacrés à des initiatives quasiment entrepreneuriales qui ne s’inscrivent pas dans des institutions publiques.
Nous aurons des possibilités de résidences et d’associations, l’exemple très parlant est celui de la Philharmonie où nous avons cinq orchestres et ensembles résidents, ce qui leur permettra d’avoir une présence pérenne au cours de la programmation et de les accompagner dans leurs projets.
Nous allons développer le dispositif de compagnonnage, afin de suivre des artistes arrivés à maturité.
Et nous allons également accompagner des gestes artistiques assez forts, y compris ceux de la jeune génération.
Cela peut paraître abstrait, mais nous disposons dorénavant d’un effet de levier, sanctifié dans la loi afin de magnifier le tissu musical, et d’en rendre compte de façon responsable.
 
Il y a eu un moment où l’on a cru que les aides envers les conservatoires allaient être supprimées et, finalement, elles ont été maintenues, voir renforcées. Dans quelle mesure ces aides sont-elles importantes ?

BERNARD CAVANNA : Oui c’est bien entendu important. La semaine dernière, à Gennevilliers, nous avons pu signer un contrat républicain avec Fleur Pellerin, mais il vrai que depuis trente ans ces aides diminuent, et que tous les efforts pour l’apprentissage de la musique sont consentis par les villes et les municipalités. La ville de Gennevilliers vient ainsi de consacrer 14 millions d’euros pour l’agrandissement et la rénovation de son conservatoire.
Mais ce que nous aimons le plus est le soutien artistique et humain des Tutelles, et cela nous l’avons notamment dans le domaine de la création.
L’argent diminue, il faut donc user d’intelligence pour créer de nouvelles organisations et des coproductions.
 
Il y a une baisse des dotations de l’Etat envers les collectivités locales de 3,5 milliard d’euros cette année. Or, lorsque les régions aident, l’Etat suit généralement. Si l’on prend votre exemple, David Grimal, dont l’orchestre des Dissonances est basé à Dijon, pouvez-vous témoigner de l’importance de ce lien entre l’Etat et les collectivités, et nous dire ce que vous attendez en tant que musicien ?

DAVID GRIMAL : Nous sommes en effet bien implantés à l’Opéra de Dijon où nous n’avons aucun lien avec la collectivité qui soutient, et c’est légitime, l’orchestre de l’Opéra.
Nous dépendons donc plus de la volonté d’un homme, Laurent Joyeux, le directeur de l’Opéra, qui a cru en notre projet, et qui nous soutient dans nos actions envers les jeunes, à travers le développement d’ateliers notamment.
Mais nous sommes également en résidence au Volcan du Havre où, dans ce cas, nous avons signé une convention sur trois ans avec la ville qui soutient notre présence. Et nous avons ainsi d’autres endroits où nous sommes un peu en résidence sans avoir un véritable ancrage pour l’instant.
Cependant, nous attendons plutôt un développement européen, sur lequel nous travaillons, et cherchons à créer des résidences dans de grandes villes européennes afin de rentrer dans une offre légitime.

John Harte et sa traductrice, Bernard Cavanna, Laurent Bayle, Antoine Pecqueur, Stéphane Kutniak, David Grimal, Laurence Equilbey, Eric Denut.

John Harte et sa traductrice, Bernard Cavanna, Laurent Bayle, Antoine Pecqueur, Stéphane Kutniak, David Grimal, Laurence Equilbey, Eric Denut.

La question de l’architecture d’une salle contemporaine est aujourd’hui au cœur de la problématique du renouvellement du public. Vous vous trouvez, ici, dans un théâtre d’architecture contemporaine réalisé par Nicolas Michelin, qui a construit le nouveau bâtiment du Ministère de la Défense et rénové la Bibliothèque universitaire de Strasbourg,
Or, la question du lieu est primordiale, parfois bien avant le choix d’une œuvre ou de l’interprète, pour faire venir les gens qui recherchent un endroit où ils se sentent bien.
Face à cette problématique, qu’apporte une nouvelle salle de concert ?

LAURENT BAYLE : La question posée ainsi donne envie de répondre « pas grand-chose ! ».
Mais si l’on prend en considération la question de la relation des artistes au public, alors se pose plus largement la question de nouveaux modèles.
La salle de concert est un modèle principalement hérité du XIXème siècle, c'est-à-dire le passage à une époque industrielle et l’ouverture à un public issu de la bourgeoisie flamboyante.

Le concept du concert, rien que le concert, qui débute à 20h et finit à 23h, lui, n’a pas bougé. Tout au plus, certaines salles prennent en considération qu’il faut des salles de répétitions autour de la scène principale.

Il faut donc imaginer de nouvelles formes et des complexes qui permettent de nouveaux modes d’appropriation. On pense à la dimension éducative, on pense à la relation aux enfants, on pense à la pratique collective, en pensant à tout cela on pense « famille » au sens large du mot, et donc à la possibilité de créer en week-end des ateliers intergénérationnels.

On pense à l’articulation de ces ateliers qui peuvent préparer au concert, on pense à ce que peut donner des espaces d’expositions temporaires autour, on pense au numérique, on pense à tout un ensemble de fonctionnalités qui font qu’à partir du moment où vous avez réussi à contextualiser votre propos, vous pouvez commencer à parler du projet culturel.

Vous pouvez également aborder la problématique de l’acoustique de la salle en fonction de la confrontation ou de la superposition de différents modèles de concerts, avec amplification ou pas.

L’autre question est celle du contexte historique. Au XIXème siècle, les salles sont construites dans le centre-ville, et dans un certain nombre de villes, le centre-ville excentré – le quartier confortable. Si vous avez raté la mutation des années 1870, il devient difficile, dès 1920, de construire dans le centre. On construit alors là où se trouve le public supposé déjà acquis.

Partant de ce constat, si l'on fait l’analyse de certains publics du Théâtre des Champs Elysées ou du Théâtre du Châtelet, on constate effectivement son caractère homogène, et une structure de pyramide d’âge élevée, même lorsque vous tentez de faire des croisements de répertoire dans ce type de salle.

A la Philharmonie, nous avons choisi de créer un pôle de référence dans le Nord-Est de Paris, dans une zone géographique où vit une population plus mélangée, et où se côtoient des catégories sociales très diversifiées. On reste dans Paris, avec la faculté de dialoguer avec la métropole et la première couronne.

L’autre modèle choisi par le Conseil Général des Hauts-de Seine est de sortir de Paris Intra-Muros, et de s’implanter dans l’Ouest parisien là où se trouvent de grandes agglomérations.
 
Justement, un auditorium est en construction à l’Ile Seguin. Où en sont les travaux, et quand la cérémonie d’ouverture est-elle prévue ?

STÉPHANE KUTNIAK : Dans cet endroit très symbolique de l’Ouest parisien, qui a servi de lieu de villégiature et de plateforme industrielle aux portes de Paris, va s’ouvrir la Cité musicale de l’Ile Seguin qui sera un grand bâtiment dessiné par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines et construit par Bouygues. Il comprendra un auditorium de 1100 places, et une grande salle pour les musiques actuelles, ainsi que des commerces.

Ce sera également un lieu de travail avec de nombreux espaces de répétitions, ce qui permettra à des artistes tels Laurence Equilbey et son orchestre Insula orchestra et la Maîtrise des Hauts-de Seine d’y trouver résidence.

 

Son modèle économique est aussi différent de celui de la Philharmonie car il s’agit d’un partenariat Public-Privé. En quoi consiste-t-il ?

STÉPHANE KUTNIAK : Dans ce type de partenariat, la puissance publique va pouvoir travailler en direct avec le partenaire privé, mais de façon très règlementée, afin d’affiner le projet. Le montage économique est différent d’un montage habituel où vous payez en une fois, car la durée du contrat est suffisamment longue pour permettre au partenaire privé d’être remboursé des avances qu’il doit réaliser.
L’autre originalité de ce montage est que l’exploitation artistique sera confiée à une société privée dont les actionnaires sont TF1 et Sodexho. On devrait annoncer une date d’ouverture vers avril 2016, logiquement un an avant la date d’ouverture officielle.

 

Privilégie-t-on au Ministère de la Culture ce type de partenariat Public-Privé ?

ERIC DENUT : La Philharmonie a souffert d’aléas d’ordre politique et non d’aléas dus au mode de financement ou au conducteur des travaux qui est le même que celui de la Cité musicale de l’Ile Seguin.
La Mairie de Paris contribue à moins de 5% de son budget pour la Culture, soit 5 fois moins que ne consacre une ville telle Toulouse, Bordeaux ou Lyon pour la construction de projets avec l’Etat.

LAURENT BAYLE : Le partenariat Public-Privé se justifie lorsqu’il y a un modèle économique derrière. Dans le cas de l’Ile Seguin, il y a une salle de 6000 places, et un auditorium de musique classique. Vous n’avez pas dans le monde, même aux Etats-Unis, un modèle de salle classique de cette taille qui arrive à tenir son équilibre financier.  Ici, un élément bénéficiaire peut couvrir partiellement un apport sur l’autre élément.

La particularité de la Philharmonie est que nous devons l’articuler avec la Cité de la Musique, et bien que nous essayons d’être dans un modèle le plus vertueux possible – quand la Cité de la Musique est née, 80% de son budget reposait sur la subvention et seulement 20% sur ses recettes propres-, les recettes propres équilibrent la subvention.

Deuxième point : dans notre modèle, l’architecte est indépendant. C’est le modèle de la puissance publique qui s’exerce dans les grands travaux. Dans le modèle du partenariat Public-Privé, l’architecte est directement choisi et articulé par l’entreprise, il y a donc une limitation de son rôle.

Bernard Cavanna, Laurent Bayle, Antoine Pecqueur

Bernard Cavanna, Laurent Bayle, Antoine Pecqueur

Comment voyez-vous, John Harte, votre situation en Angleterre par rapport au modèle de subventions en France, et cela vous donne-t-il envie de vous implanter ici ?

JOHN HARTE : En Grande Bretagne on parle beaucoup de rentabilité, même dans la Culture. Et dès que l’on souhaite investir dans ce secteur, il faut justifier des bénéfices à en tirer. Cela fait donc plaisir d’entendre un membre du gouvernement, ici, parler de la valeur inestimable de la Culture.

Maintenant, nous sommes dans une autre phase. Les baisses de subventions s’accélèrent surtout dans les régions, et dans certaines collectivités locales on a vu des réductions de plus de 50%.

Et alors que nous essayons de développer des relations entre Aurora Orchestra et ces structures régionales, nous nous rendons compte qu’elles n’ont plus les moyens de nous soutenir.

Le point positif est que nous sommes obligés d’être plus créatifs dans nos recherches de subventions.
Nos partenaires principaux à Londres sont situés à King Place, qui est un endroit qui ne dépend d’aucun financement public.

 

Nous avons ici la représentante d’un autre jeune orchestre qui va entrer en résidence à la Cité de la Musique de l’Ile Seguin. Comment voyez-vous, au XXIème siècle, Laurence, le défi que va rencontrer votre ensemble avec le public ?

LAURENCE EQUILBEY : A notre niveau nous essayons de développer tout un projet de transmission et d’éducation, de nouvelles propositions, comme faire participer des enfants aux répétitions, afin de donner de l’intérêt et du sens à notre démarche qui est essentielle.

DAVID GRIMAL : On peut également se rapprocher de la situation d’Aurora Orchestra à Londres. Les Dissonances est un jeune orchestre qui a grandi dans des conditions difficiles en France.

Le marché est saturé de tas de choses, si bien que nous devons trouver les pistes pour nous développer sans sacrifier pour autant l’objectif qui est de faire de la musique.

Il faut donc trouver les financements privés, cela fonctionne aussi ainsi en France, et les Dissonances, bien que subventionné à hauteur de 5% de leur budget, doit financer une bonne partir de son budget. Nous pouvons développer des actions culturelles, mais nous ne pouvons pas le faire à n’importe quel prix.

Mais l’essentiel reste de pouvoir donner de nous-mêmes sur scène. La Musique n’a pas besoin de devenir Justicier. Elle n’a pas besoin d’être vendue mais défendue comme il convient.

 

Mais vous-même ne réinventez-vous pas votre relation avec le public, puisque votre orchestre fonctionne sans chef ?

DAVID GRIMAL : C’est d’abord un travail qui permet de développer d’autres liens entre les musiciens, et les spectateurs peuvent assister aux échanges entre eux.

Lors du Festival d’Enescu, auquel nous avons participé à Bucarest il y a une quinzaine de jours, les Dissonances ont joué du Debussy alors que j’étais assis dans la salle. La circulation des énergies, des regards et des concentrations, amène effectivement une autre lecture de l’orchestre pour le public.

Il écoute d’une manière différente, ce qui n’est qu’une autre alternative de représentation.

Je pense qu’il y a une partie des mélomanes qui ne voit aucun intérêt à venir à un concert des Dissonances, dans la mesure où toute la fétichisation est faite autour de l’interprétation du chef.

Mais un public qui est peut-être intimidé par le rituel habituel va être curieux de découvrir une aventure musicale qui se décline d’une autre manière.

Pour en venir à la question des jeunes, je crois que l’éducation musicale ne doit pas se réaliser uniquement dans une salle de concert, mais doit s’appuyer sur une terre fertile, dans les écoles, dans les conservatoires. 

Nous créons des salles, des orchestres, mais nous ne nous rendons pas bien compte de ce dont nous disposons, d'un apport pour la Société, pour la Civilisation, et les décisions devraient être d’abord prises au niveau de l’Education Nationale avec une politique ambitieuse.

Et plein de jeunes musiciens sont prêts à y contribuer.

 

Vous sentez-vous un peu fétiche quand vous dirigez, Laurence ?

LAURENCE EQUILBEY : Un chef incarne et rassemble les énergies et les individualités, donc c’est irremplaçable (sourires) !

Pour revenir aux concerts de musique de chambre et les récitals, j’aimerais rappeler que leurs musiciens sont des gens qui souffrent beaucoup de la désaffection du public. Il y a ainsi de quoi s‘inquiéter que leurs concerts ne soient, un jour, plus joués, si les coupes budgétaires devenaient plus complexes et plus profondes.

Mais je pense que la musique classique a encore quelques belles années devant elle.

Et pour faire venir le public dans ces endroits où il peut se passer quelque chose, il ne faut pas négliger le travail sur les réseaux sociaux, le numérique, même si cela peut paraître superficiel, car cela ne l’est pas autant que l’on veut bien le dire, pour créer du lien, et aussi pour créer des formes artistico-pédagogiques, voir artistiques pures.

J’ai commandé, par exemple, un clip artistique auprès d’une agence de création graphique qui a créé un court-métrage sur Orphée arrivant aux Champs-Elysées. Ce clip a fait un triomphe sur le web, et, peut-être, a-t-il un peu capté ce futur public.

David Grimal, Laurence Equilbey, Eric Denut

David Grimal, Laurence Equilbey, Eric Denut

On sait que Fleur Pellerin et Najat Vallaud-Belkacem se sont rencontrées pour rapprocher la Culture et l’Education. Comment réagissez-vous par rapport à la place de la Musique dans l’enseignement?

ERIC DENUT : Nous avons aujourd’hui environ 55.000 établissements de l’Education Nationale dont 1 à 2% disposent d’un orchestre à l’école, soit un millier d’orchestres. Et nous avons également un établissement sur 5 qui dispose d’une chorale.

Je ne dis pas que c’est une grande réussite partout, mais c’est une grande réussite dans certains endroits, et nous avons là une possibilité d’apprentissage qui est majorée par rapport au passé.

Pour rassurer les citoyens et les contribuables, certes l’Etat s’est retiré en partie des conservatoires comme celui que dirige de main de maître Bernard Cavanna, mais ils ne représentent qu’une partie de l’enseignement musical. Car si 95% des Français ont fait un apprentissage dans ces institutions, ce qui représente environ 350.000 personnes, 5% continuent vers la professionnalisation.

Et là, l’Etat est bien présent avec un maillage de deux Grands Conservatoires d’Enseignement Supérieur, l’un créé à la Révolution Française, l’autre dans les années 70-80 à Lyon, et de 9 pôles d’Enseignement Supérieur.

45 millions d’euros sont alors dédiés à plusieurs milliers d’étudiants, et d’ailleurs, plusieurs intervenants présents autour de cette table sont diplômés de ces conservatoires qui sont une forme d’excellence pédagogique au niveau national, européen, et nous l’espérons, au niveau international.

 

Bernard Cavanna, comment voyez-vous votre rôle ? Former des amateurs, des mélomanes ?

BERNARD CAVANNA : Notre conservatoire, c’est 1200 élèves pour une ville d’à peine 35.000 habitants. Mais depuis les années 80, les médias se sont désolidarisés de la Musique Classique. Et le problème est d’arriver à faire sentir à un enfant, un adolescent ou un adulte, le besoin de comprendre à quel point être sensible aux modulations d’une interprétation musicale est important pour sa propre construction.

STÉPHANE KUTNIAK : Pour poursuivre sur ce sujet, c’est plutôt la question de l’accès à l’œuvre qui est aujourd’hui primordial. Je suis passé par un Conservatoire, mais j’en suis parti, et pourtant, il en reste que j’ai une pratique culturelle beaucoup plus élevée que nombres de nos concitoyens.

Pour réussir la rencontre avec une œuvre, le fait de savoir précisément ce que je vais écouter, de savoir pourquoi j’ai envie d’être spectateur, de savoir appréhender tout ce qui va me permettre de prendre du plaisir, ensemble, dans une salle, tout cela je le dois à ce bien public, qui, je le rappelle, provient de nos impôts.

Nous avons une responsabilité très forte sur ce savoir.

LAURENCE EQUILBEY : Pour élargir la réflexion, comment se fait-il également que la Télévision publique a à ce point démissionné, alors que jamais autant n’a été fait pour l’éducation musicale ?

 

Mais la Culture n’est plus forcément à la télévision, seulement sur le web. France Télévision lui dédie une plateforme pour cela, Culture Box.

LAURENCE EQUILBEY : C’est très bien pour les mélomanes, mais pas pour le jeune public. Il faut travailler le format, il faut être inventif.

DAVID GRIMAL : Petite remarque : depuis un an on parle de la fermeture d’un des deux orchestres de la Maison de la Radio, soit le Philharmonique de Radio France, soit l’Orchestre National de France. Pourquoi n’en confierions-nous pas un à France Télévision, avec un concert en semaine en prime-time (applaudissements) ?

ERIC DENUT : Il est vrai que l’on peut regretter l’absence de la musique savante sur les écrans de télévisions avant la tombée de la nuit, mais sans la puissance publique, il n’y aurait pas les grands sites de Culture Box et d’Arte Concert qui diffusent un nombre considérable de concerts et de spectacles.

LAURENT BAYLE : Et il ne peut pas y avoir d’orchestre à France Télévision car il n’y a pas de structure de management pour cela, ce qui ne permet pas de disposer d’une équipe performante.

Nous l’avons bien vu pendant la crise, le cœur du dispositif de Radio France pour sa survie face à la concurrence est pluraliste. Les chaines telles que France Musique ou les orchestres ne s’inscrivent pas dans la mission principale, et c’est pourquoi ils ont été menacés d’exclusion.

En région, le plan Landowski (1969) est en fait un demi-plan, car la moitié des orchestres ne sont pas de vrais orchestres symphoniques. Ils n’ont souvent pas les effectifs suffisants.

Concernant Radio France, il ne faut pas une réforme qui tue les musiciens, mais une réforme qui permette aux orchestres de rayonner.

John Harte (Aurora Orchestra) accompagné de sa traductrice

John Harte (Aurora Orchestra) accompagné de sa traductrice

Nous nous tournons maintenant vers John Harte dont l’orchestre Aurora Orchestra, qui n’a jamais joué en France, a décidé de jouer les grandes œuvres du répertoire sans pupitre et sans chef. Pourquoi cette idée ?

JOHN HARTE : On a décidé de jouer par cœur, sans partition, avec, pour chacun, son parcours défini dans l’espace. Il n’y a ainsi plus de barrière entre les musiciens et le public. Nous avons, à ce moment-là, une écoute qui est complètement différente.

LAURENCE EQUILBEY : Nous n’avons pas parlé du prix du billet. Il faut remercier la puissance publique de permettre de maintenir des tarifs pour le grand public, mais je dirais aussi que les plateaux sont très souvent fermés, très entre soi, très fermés notamment aux femmes, ce que le public ressent.

Et s’il ne se déplace pas, c’est aussi parce qu’il n’y a pas assez de lien avec ce qu’il se passe sur le plateau. Il faut donc savoir se remettre en question.

DAVID GRIMAL : Je trouve l’expérience d’Aurora Orchestra enthousiasmante, car l’on voit de jeunes professionnels qui ont envie de défendre cette manière de faire, l’étendard levé.

Mais il est illusoire, au regard de leur emploi du temps, de voir les musiciens des Dissonances faire la même chose.

L’apport musical est réel, car lorsque les musiciens se regardent, l’oeuvre surgit par elle-même. C’est très réjouissant.

LAURENT BAYLE : La force est de ne pas reproduire l’existant et d’avoir une diversité de situations. Mais d’autres situations ont été explorées quand, par exemple, des groupes de musiciens ont été disséminés dans le public, ou bien quand le lieu de concert a été déplacé et que le public s'est trouvé assis parterre.

Il faut cependant avoir conscience du danger que représente le par cœur, car c’est un obstacle au renouvellement de l’expérience.

Certains solistes veulent se réapproprier la partition, et la remettre sous leurs yeux pour se remettre en difficulté.

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