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Publié le 18 Février 2015

Lady Macbeth de Mzensk (Dimitri Chostakovitch)

Version originale de 1932

Représentation du 14 février 2015
Deutsche Oper Berlin

Katerina Izmajlova Evelyn Herlitzius
Boris Izmajlov Sir John Tomlinson
Zinovi Izmajlov Thomas Blondelle
Sergej Maxim Aksenov
Aksinja Nadine Secunde
Schäbiger Burkhard Ulrich
Pope Tobias Kehrer
Polizeichef Seth Carico
Polizist Andrew Harris
Sonjetka Dana Beth Miller

Mise en scène Ole Anders Tandberg
Direction musicale Donald Runnicles
Coproduction Der Norske Opera & Ballet, Oslo (2014)

                                                                Evelyn Herlitzius (Katerina) et Maxim Aksenov (Sergej)

Lorsqu’un régisseur norvégien tel Ole Anders Tandberg s’empare de la mise en scène de Lady Macbeth de Mzensk, l’univers oppressant de la société Russe d’avant-guerre rejoint celui, tourmenté, de la société géorgienne anglaise de Peter Grimes, qu’il transpose quelque part sur une côte scandinave tumultueuse.

Un décor unique représente une maison de pêcheur en surplomb d’un monticule rocheux, isolé sur le plateau de scène tournant et entouré d’ombres.

Evelyn Herlitzius (Katerina)

Evelyn Herlitzius (Katerina)

Les hommes du village ramènent quantités de morues fraîches et ballantes, un des deux grands symboles phalliques – il y aura, plus loin, les planches à repasser dans la scène du commissariat -, dont il abuse à outrance pour décrire la tension sexuelle permanente dans laquelle vit Katerina.

Avec, de plus, un rideau de scène représentant en nature morte un amas d’abats sanglants et écœurants, le spectateur se retrouve plongé dans un univers nauséabond, dont il pourrait presque ressentir l’odeur de putréfaction.

On ne trouve dans ce travail de représentation, ni une référence visible à une société russe contemporaine prise de déliquescence – ce qui était, récemment, un des angles d’attaque de Calixto Bieito à Anvers -, ni la force de scènes intimes ou spectaculaires que Martin Kusej a sublimé à Amsterdam et Paris.

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Maxim Aksenov (Sergej)

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Maxim Aksenov (Sergej)

Il y a en effet de quoi être frustré quand l’ouverture du dernier acte des bagnards se joue à rideau fermé, après une adaptation du décor laborieuse, alors que Kusej faisait sortir de terre une cage gigantesque surplombée par des policiers et des bergers allemands.

Mais Ole Anders Tandberg a au moins un sens viscéral de la vie, une façon crue de diriger les chanteurs, et des idées qui tournent principalement autour de l’exacerbation des forces libidinales de tous, comme si elles n’étaient que le pendant du vide et de l’ennui abyssal d’une société entière qui ne sait quoi faire d’intelligent dans sa vie.

Sa plus belle réussite se réalise néanmoins dans la scène d’amour de Katerina et de Sergej, chantée au-dessus d’une masse de cabillauds, sous les regards et le souffle hystérisant des musiciens les encerclant et jouant des cuivres comme des créatures diaboliques et méphistophéliques.

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Maxim Aksenov (Sergej)

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Maxim Aksenov (Sergej)

L’exacerbation phénoménale de l’acte sexuel par cet agencement orchestral voyeuriste, et éblouissant de lumière, est d’une intensité extrême. Son sens est même modifié en rendant la jeune femme dominatrice dans la relation amoureuse.

Ailleurs, la vulgarité est de mise, artificiellement violente, et trop lourde pour rester crédible – la scène de viol avec les poissons, les gauloiseries des policiers avec les planches à repasser…

Les éclairages, eux, sont employés avec force et contrastes tout au long du spectacle. Et par la manière dont ils isolent ou évitent les protagonistes, ils en suggèrent avec évidence leurs états d’âme et leur solitude.

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Sir John Tomlinson (Boris)

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Sir John Tomlinson (Boris)

L’apparition systématique des joueurs de cuivres en majorettes circulant en farandole peut sembler facile, elle a néanmoins le mérite d’entretenir un leitmotiv conducteur qui met particulièrement bien en valeur cet ensemble, visuellement, et sur le plan sonore.

L’orchestre, dirigé par Donald Runnicles, le directeur musical du Deutsche Oper, est également superbe de fluidité, supérieur dans les grandes nappes symphoniques et descriptives traversées d’ondes noires menaçantes.

Les cadences délirantes ne sont cependant pas totalement libérées dans la première partie, mais à l’écoute de la grande fresque qui est déployée, la musique gagne en épaisseur pour aboutir à un spectaculaire dernier acte d’une noirceur saisissante.
Et l’acoustique défavorable aux voix ne rend que plus ample l’ensemble orchestral, alors que les sonorités léchées, dégagées de tout naturalisme, se démarquent de l’horreur qui se vit sur scène.

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Maxim Aksenov (Sergej)

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Maxim Aksenov (Sergej)

Et sur cette scène, justement, les chanteurs ne ménagent ni leur expressionisme vocal, ni leur engagement physique intégral.

Fantastique actrice, Evelyn Herlitzius porte en elle la rage d’une vie écrasée par son entourage et dénuée de joie. Et cette rage a à voir avec la haine d’Elektra – autre grande incarnation de l’artiste allemande – dont elle emprunte de sa personnalité torturée pour s’appuyer sur son magnétisme fauve et peindre une Katerina directe et hurlante.

De plus, elle peut compter sur deux tessitures bien distinctes et reconnaissables qui lui permettent de passer d’une tension lyrique à des monologues intérieurs rauques et animaux, bien que sa voix ne soit pas d’une sensualité naturellement slave.

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Maxim Aksenov (Sergej)

Evelyn Herlitzius (Katerina) et Maxim Aksenov (Sergej)

Mais son partenaire, Maxim Aksenov, est tout aussi vrai dans sa manière d’être. Aucune gaucherie, les nerfs à vif, il joue avec un réalisme bluffant – l’épuisement physique progressif au cours de la séance de flagellation, les scènes de séduction, les moments de panique -, et dégage une énergie sexuelle aussi marquée que celle de sa maitresse.
Sa voix est expressive, claire et virile, ce qui complète un portrait fort de ce personnage opportuniste et sans envergure.

Quant à Sir John Tomlison, vieux routier du rôle, il n’a aucune peine à camper un Boris dur et bestial, sorte de bucheron grossier dénué de toute noblesse, mais impressionnant de par son timbre usé et sa crinière blanche et sauvage.

Dana Beth Miller (Sonjetka) et Maxim Aksenov (Sergej)

Dana Beth Miller (Sonjetka) et Maxim Aksenov (Sergej)

Souffrant, Thomas Blondelle rend encore plus insignifiant Zinovi Izmajlov, très violentée, Nadine Secunde joue avec courage son rôle de femme objet, et Burkhard Ulrich – le Mime de Bayreuth l’été dernier – compose une scène anecdotique, très vivante, noyée sous l’alcool.

Deux rôles secondaires se démarquent enfin, le Pope de Tobias Kehrer d’une aisance et d’une humanité sensible – sa très belle voix est même un contresens ici -, et la voluptueuse Sonjetka de Dana Beth Miller, véritable animal scénique et prétendante indiscutable.

Et le chœur, inoubliable, sera d’une élégie religieuse sublime, à en croire l’âme du peuple bonne pour une ultime rédemption.

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