Accattone (Pasolini-Tachelet-Simons-Herreweghe) Ruhrtriennale 2015

Publié le 16 Août 2015

Accattone (Pasolini-Tachelet)
D’après le film du même nom de Pier Paolo Pasolini (1961) dans la version de Koen Tachelet
Représentations du 14 et 15 août 2015
Kohlenmischhalle Zeche Lohberg, Dinslaken
Ruhrtriennale 2015

Accatone Steven Scharf
Maddalena Sandra Hüller
Amore Elsie de Brauw
Das Gesetz Benny Claessens
Stella Anna Drexler
Pio Mandela Wee Wee
Balilla Steven van Watermeulen
Cartagine Jeff Wilbusch
Renato Lukas von der Lühe
Nannina / Ascensa Laura Mentink
Io Pien Westendorp 

   Steven Scharf (Accattone) et Sandra Hüller (Maddalena)

Solistes

Dorothée Mields (Soprano)     
Alex Potter (Alto)
Thomas Hobbs (Ténor) 
Peter Kooij (Basse)
Christine Busch (Solo Violine)

Mise en scène Johan Simons
Dramaturgie musicale Jan Vandenhouwe

Direction musicale Philippe Herreweghe
Chor Collegium Vocale Gent
Orchester Collegium Vocale Gent

Coproduction Théâtre Néerlandais de Gand (NTGent)

                                       Alex Potter (Contre-ténor)

C’est sous l’immense voute façonnée en forme d’as de pique de la Kohlenmischhalle de Zeche Lohberg (Dinslaken), que Johan Simons, le nouvel intendant de la Ruhrtriennale, ouvre son mandat avec une adaptation du film de Pier Paolo Pasolini, Accattone (1961).

Entrée de la Kohlenmischhalle

Entrée de la Kohlenmischhalle

Et s’il a choisi de mettre en scène une vision personnelle du premier film du scénariste italien au cœur d’une ancienne usine de traitement du charbon, ce n’est pas seulement pour la vastitude de son terrain de jeu, mais également pour l’enjeu social que représente une ville qui a connu un rapide déclin économique, et qui a développé, par la suite, un mouvement de radicalisation islamiste.

Dans l’attente du début du spectacle

Dans l’attente du début du spectacle

Ceux qui connaissent le film risquent cependant d’être au premier abord dépités, car le metteur en scène hollandais reprend l’esprit des scènes d’Accattone mais évidemment pas son esthétique. Rien n’évoque les faubourgs de Rome et sa vitalité, car la scène n’est qu’un désert de cailloux qui s’évade à horizon vers la verdeur des bosquets du site industriel.
Rien n’évoque non plus la sensualité des corps masculins amoureusement filmés par Pasolini.

Steven Scharf (Accattone) et Mandela Wee Wee (Pio)

Steven Scharf (Accattone) et Mandela Wee Wee (Pio)

Nombre de scènes sont par ailleurs uniquement racontées et mimées, et non pas jouées au premier degré.

Ainsi, la scène où Accattone plonge dans le Tibre sous les yeux des enfants émerveillés n’est plus qu’une sorte de rêve qui se fracasse contre la dureté du sol poussiéreux. De même, la violente agression de Maddalena, dans un terrain vague, aurait pu être jouée de la même manière que dans le film, mais Johan Simons la transforme en une danse consternante où les protagonistes, Sandra Hüller et Benny Claessens, se soutiennent mutuellement en titubant lamentablement sous le regard de leur entourage.

Benny Claessens (Das Gesetz), Steven Scharf (Accattone), Steven van Watermeulen (Balilla) et Jeff Wilbusch (Cartagine)

Benny Claessens (Das Gesetz), Steven Scharf (Accattone), Steven van Watermeulen (Balilla) et Jeff Wilbusch (Cartagine)

Ce que nous voyons, durant tout le spectacle, est une parodie de la vie dansée par tous sous l’emprise d’un malaise soul et désorienté. La représentation de l’état intérieur prend le dessus sur la narration dramaturgique.

On oublie alors Rome, et l’on regarde à nouveau cette voie ferrée provenant du loin jusqu’aux pieds des spectateurs. Ne serait-elle pas le trajet par lequel sont arrivées ces filles de l’Est qui sont devenues, au contact d’un univers désastreux, les prostituées d’Accattone ?

Anna Drexler (Stella)

Anna Drexler (Stella)

Cette vie de l’échec n’est pourtant pas exempte de grâce, car si des scènes vivantes se détachent dans l’ombre des arrières plans, les personnages retrouvent leur poésie quand leurs silhouettes éloignées se détachent sur le fond paysager d’une tonalité presque bucolique, au-delà de l’usine.

Et au fur et à mesure que les lumières du jour disparaissent, les lumières de la centrale éclairent d’irréalité l’allée principale, et quand vient le moment de la mort d’Accattone, avançant de loin, à pied, avec sa moto, il croise les femmes enfin libérées, qui, elles, courent vers l’infini de la scène dans l’autre sens.

Steven Scharf (Accattone) et Anna Drexler (Stella)

Steven Scharf (Accattone) et Anna Drexler (Stella)

Ses comparses, vêtus d’un costume noir, l’attendent pour son enterrement, et l’on ne peut que repenser au passage du film de Pasolini au cours duquel une cérémonie religieuse défile devant Accattone. Elle prend véritablement une valeur prémonitoire.

Cette rédemption du proxénète, par amour pour Stella, s’achève sous le chant et la musique de Bach, que le Chœur et l’Orchestre Vocale Gent ont, tout au long de la représentation, interprété d’une chaleureuse douceur compassionnelle qui est aussi, pour le public, une aide pour soutenir pendant 2h30 la vision de ce monde désespérant.

Choeur et Orchestre Collegium Vocal et Philippe Herreweghe

Choeur et Orchestre Collegium Vocal et Philippe Herreweghe

Il règne une profondeur unie entre les solistes, les musiciens et le directeur musical, Philippe Herreweghe, depuis l’estrade de béton qui les soutient légèrement en hauteur.

Tous ces acteurs jouent sur un terrain qui déforme leurs mouvements, les souille, un calvaire dont on souhaiterait la fin rien que pour eux-mêmes. Car c’est un défi pour le spectateur que d’assister impuissant à des comportements qui relèvent du non-sens.

Dorothée Mields (Soprano)

Dorothée Mields (Soprano)

On peut alors comparer comment deux publics très différents, celui de la première, mondain, très aisé, mais aussi professionnel, et celui de la seconde représentation, diversifié et populaire dans le bon sens du terme, l’ont accueilli. Bien plus d’empathie se ressentait le second soir…

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