Articles avec #asagaroff tag

Publié le 15 Janvier 2013

Cavalleria Rusticana - Il Pagliacci

(Mascagni-Leoncavallo)
Représentation du 12 janvier 2013
OpernHaus Zürich

Santuzza Waltraud Meier
Turiddu Zoran Todorovitch
Lucia Irène Friedli
Alfio Lucio Gallo

Nedda Elena Mosuc
Canio Zoran Todorovitch
Tonio Lucio Gallo
Beppe Boguslaw Bidzinski
Silvio Alex Lawrence

Direction musicale Alexander Vedernikov
Mise en scène Grischa Asagaroff (2009)

                                                                                                       Waltraud Meier (Santuzza)

Au cours de la saison dernière, l’Opéra National de Paris a porté sur sa scène le diptyque si couramment joué dans les Maisons de répertoire, Cavalleria Rusticana & Il Pagliacci.
Ce fut, pour nombre d’entre nous, l’occasion de découvrir la puissance théâtrale de la seconde pièce, transcendée par l’extraordinaire engagement de Vladimir Galouzine et Brigitte Kele, qui nous laissèrent une image forte et viscérale des profondeurs de la douleur humaine et de l’insoutenable désir de vivre.

A l’inverse, la mise en scène de Cavalleria Rusticana s’échoua sur un décor glacial, malgré les beautés ombreuses de la direction d’orchestre.

La production imaginée par Grischa Asagaroff pour l’Opéra de Zürich respecte l’idée que l’on peut se faire de la place d’un village de Sicile enserrée de murs et de piliers flanqués des marches menant à l’entrée d’une église, le tout couvert d’une tonalité triste et grise. Dans la seconde partie, elle se pare de couleurs voyantes et artificielles, orange et fushia, pour accueillir le défilé de jongleurs et d’acrobates qui rythme la vie rurale en Calabre, et au cœur duquel le numéro vaudevillesque des saltimbanques va rejoindre, par surprise, la réalité.

Rien de contraire à l’idée que l’on se fait de cet univers, sauf que deux artistes justifient d’aller réécouter ces deux œuvres, l’immense Waltraud Meier, et l’exubérante Elena Mosuc.

Waltraud Meier (Santuzza)

Waltraud Meier (Santuzza)

On trouve sur internet des témoignages de l’incarnation violemment passionnée de Santuzza que la soprano allemande livrait brutalement sur scène il y a plus de quinze ans mais, depuis, en grande admiratrice de Patrice Chéreau, elle a poursuivi son travail d’expression qui approche dans les moindres détails la vérité des sentiments de résignation et de désolation, avec une maturité que l’on observait déjà chez Marie, la femme de Wozzeck, ou Isolde.

Sa voix est restée étonnamment claire, la tension imposée n’atteint pas perceptiblement le galbe de sa tessiture, et la fascination visuelle de ce visage et de ce regard qui mord dans la vie est toujours aussi forte.

Elena Mosuc, dans Il Pagliacci, est une étourdissante Nedda, joueuse et pleine de charme et de vie, mais quand on entend ses qualités virtuoses qu’elle étale avec un sens du défi périlleux, la crainte qu’elle n’abîme prématurément une telle brillance se fait sentir.

Pour accompagner ces deux phénomènes scéniques, les deux rôles masculins majeurs des deux opéras sont confiés aux mêmes chanteurs, ce qui est courant pour le baryton, mais l’est beaucoup moins pour le ténor dont la voix est fortement sollicitée, et malmenée, par des exigences véristes proches du déchirement.

Elena Mosuc (Nedda)

Elena Mosuc (Nedda)

Zoran Todorovitch donne toute son énergie en suivant une ligne un peu rustre mais authentique, ce qui le rend peut être trop sympathique et insuffisamment noir pour traduire une complexité vitale inintelligible et impénétrable.

Lucio Gallo réussit à donner des aspects faux et manipulateurs au personnage de Tonio en jouant sur des variations de tonalité parfois enjôleuses et humaines, sans tomber dans l’outrance vulgaire, ce qui le rend plus crédible ici que lorsqu’il se projette dans la malfaisance de Iago, d’une toute autre dimension.

Parmi les rôles secondaires se distinguent les belles couleurs dorées d’Irène Friedli (Lucia) et la très juste incarnation de Silvio par Alex Lawrence, remplaçant de dernière minute du titulaire du rôle prévu ce soir.

Grand interprète du répertoire russe, Alexander Vedernikov semble prendre un immense plaisir à diriger ces œuvres emblématiques de la vigueur italienne. Après une quinzaine de minutes où l’on entend l’orchestre chercher la fluidité dans l’unité, les motifs solo des instruments à vent regorgent de sonorités chaudes et aérées, les élans symphoniques prennent de l’ampleur, et, dans le feu théâtral de l’opéra de Leoncavallo, le soutien et l’empathie dus aux chanteurs sont tenus sans la moindre faille.

Ensuite, c’est une affaire de goût et d’état d’esprit, on sent tout de même une certaine mesure de la part du régisseur pour ne pas chercher à accentuer la noirceur du drame, et le rendre trop réaliste, voir sordide.

Voir les commentaires