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Publié le 5 Novembre 2021

Lulu (Alban Berg - 1937)
Représentation du 02 novembre 2021
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Lulu Barbara Hannigan
Gräfin Geschwitz Natascha Petrinsky
Eine Theatergarderobiere, Ein Gymnasiast, Ein Groom Lilly Jorstad
Der Medizinalrat, Der Professor Gerard Lavalle
Der Maler, Der Neger Rainer Trost
Dr Schön, Jack Bo Skovhus
Alwa Toby Spence
Der Tierbändiger, Ein Athlet Martin Winkler
Schigolch Pavlo Hunka
Der Prinz, Der Kammerdiener, Der Marquis Florian Hoffmann
Der Theaterdirektor, Der Bankier Georg Festl
Eine Fünfzehnjährige Julie Mathevet
Ihre Mutter Mireille Capelle
Die Kunstgewerblerin Beata Morawska
Der Journalist Lucas Cortoos
Ein Diener Kris Belligh
Danseuse Rosalba Torres Guerrero
Danseur Claude Bardouil

Direction Musicale Alain Altinoglu                                           Claude Bardouil
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2012)
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Lumières Felice Ross
Dramaturgie Christian Longchamp
Chorégraphe Claude Bardouil
Vidéo Denis Guéguin

Diffusion en streaming sur https://www.lamonnaie.be du 30 novembre 2021 au 10 janvier 2022
Le DVD de la production de Krzysztof Warlikowski est édité chez Bel Air classiques depuis 2014.

En reprenant la production de Lulu créée ici même par Krzysztof Warlikowski en octobre 2012, le Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles devient probablement le seul opéra au monde à inscrire les deux opéras d’Alban Berg parmi les 50 ouvrages les plus joués de son répertoire au cours des 50 dernières années (Wozzeck fait même partie des 30 premiers titres de l’institution).

Etonnamment, Vienne accorde une moindre importance au compositeur autrichien sur sa propre scène nationale.

Barbara Hannigan (Lulu)

Barbara Hannigan (Lulu)

Mais revoir, et réentendre, cette lecture de Lulu c’est aussi la confronter 9 ans plus tard à l’état de notre monde, et de notre conscience, et de constater que son sens a gagné en résonance.

Et cela commence avec le texte introductif ajouté par le metteur en scène et déclamé par un double du dompteur, masqué et recouvert d’un costume nocturne étoilé de paillettes, qui présente aux spectateurs une femme qui n’apparaît qu’à un seul endroit dans la bible hébraïque, Lilith.

Lilith – si proche de Lulu - serait ainsi la première femme d’Adam, avant Eve, qui, refusant la position soumise imposée par l’homme, préféra sa liberté quitte à vivre dans un désert hostile.

Mais elle revint au monde, à l’appel insistant d’Adam et des anges, sous l’apparence d’une femme de la nuit vouée à séduire les hommes.

Toby Spence (Alwa), Barbara Hannigan (Lulu) et Bo Skovhus (Dr Schön)

Toby Spence (Alwa), Barbara Hannigan (Lulu) et Bo Skovhus (Dr Schön)

Rien que cette introduction fait s’entrechoquer deux thèmes que l’on retrouve dans plusieurs productions de Krzysztof Warlikowski : l’inspiration féministe et la malédiction de Judas.

Et à ce prologue parlé succède le prologue musical où le dompteur présente à son tour, sous forme de métaphores animales, différentes natures d’hommes et de leurs destins. On retrouve ainsi disséminées dans le décor plusieurs représentations de ces animaux, dont un crocodile. Sa mâchoire reptilienne est même filmée en noir et blanc, grande ouverte sur une petite danseuse virginale, comme une allégorie de la société masculine prête à broyer les rêves d’une enfant pour assouvir ses propres fantasmes.

Rainer Trost (Der Maler) et Barbara Hannigan (Lulu)

Rainer Trost (Der Maler) et Barbara Hannigan (Lulu)

Le destin de Lulu, lui, est représenté ici par ce dompteur qui est à la fois chanté par Martin Winkler, que l’on retrouvera plus loin en fabuleux athlète, et par un rôle mimé et dansé par le chorégraphe Claude Bardouil. Et ce destin maléfique, omniprésent sur scène, agit exactement comme Rothbart, le démon du Lac des Cygnes, le ferait avec le cygne noir, Odette, pour perdre le Prince.

Et la beauté de cette production est de transcender la danseuse de revue qu’est initialement Lulu en danseuse de grand ballet classique.

Lulu est une femme qui aurait pu atteindre à une forme de pureté, et tout cela est symbolisé par de magnifiques jeunes danseurs et danseuses adolescents qui, en contrepoint de ce drame, irradient l’audience par la gestuelle de leurs bras et corps si fins, élégants et légers, mais aussi par le charme de leurs regards juvéniles. La fonction de l’art dans un environnement sordide est posée, ainsi que son pouvoir psychique tout au long du spectacle.

Barbara Hannigan (Lulu) et Toby Spence (Alwa)

Barbara Hannigan (Lulu) et Toby Spence (Alwa)

Barbara Hannigan incarne à nouveau Lulu, et ce qu’elle réalise est un prodige de précision, de liberté physique exacerbée et de brillance vocale. Dans cette vision qui souligne moins le pouvoir de l’argent comme moteur de l’action que la puissance attractive du corps féminin, elle se voue entièrement à un jeu à la fois moqueur, provocant, fortement sexualisé, mozartien par son piquant musical et moderne par ses couleurs gris-argentées.

Parfois au bord du dérapage tant elle pousse la comédie à son paroxysme, nous avons là une splendide image de l’insaisissable dont le sens est de questionner l’autre sur son rapport à la réalité.

Rosalba Torres Guerrero

Rosalba Torres Guerrero

Cette force centrale est irrésistible d’autant plus qu’en artiste incomparable elle se livre aussi à des pas de danse sur pointes, probablement épuisants, ce qui favorise l’alchimie visuelle avec ses doubles présents sur scène qui sont comme des reflets diffractés de son âme, telle Rosalba Torres Guerrero qui apparait en rêve de Cygne noir à la fin du premier acte et se métamorphose en femme totalement érotisée, où bien tels ces jeunes danseurs talentueux qui renvoient l’image d’une inconscience rêveuse dorénavant évanouie.

Hormis quatre autres chanteurs, Natascha Petrinsky - qui évoque la personnalité sombre, séduisante et fascinée de la comtesse Geschwitz en dépeignant des accents fauves et vibrants –,  Gerard Lavalle (Der Medizinalrat), Mireille Capelle (Ihre Mutter) et le très marthalérien Pavlo Hunka, l’ensemble de la distribution est renouvelé par rapport à 2012.

Barbara Hannigan (Lulu) et Bo Skovhus (Dr Schön)

Barbara Hannigan (Lulu) et Bo Skovhus (Dr Schön)

La très agréable souplesse de timbre de Rainer Trost est une première surprise. Il insuffle au peintre, devenu ici un  photographe professionnel, une âme véritablement mozartienne. Puis, Bo Skovhus empreint Dr Schön d’une superbe stature qui rend encore plus saisissante sa lente destruction intérieure figurée par son travestissement en meurtrier qui le fait ressembler au Joker.

Sa voix est un mélange de maturité et d’inflexions désespérées. Grand acteur - il avait précédemment formé avec Barbara Hannigan un couple frôlant l’hystérie dans « Bérénice » de Michael Jarrell, qui fut joué au Palais Garnier en septembre 2018 -, il excelle dans l’interprétation d’hommes atteints en plein cœur qui se battent d’abord avec eux-mêmes afin de ne pas succomber à leurs propres violences internes.

Natascha Petrinsky (Gräfin Geschwitz) et Barbara Hannigan (Lulu)

Natascha Petrinsky (Gräfin Geschwitz) et Barbara Hannigan (Lulu)

Et un autre chanteur éblouit tant par sa présence que par son impact vocal monstrueux, Martin Winkler. Il fut un Alberich hallucinant lors de la création du Ring de Frank Castorf en 2013 au Festival de Bayreuth, et depuis, rien ne lui fait peur, comme déformer son visage à outrance, ou paraitre le plus vulgaire possible tout en offrant une aisance qui pourrait rendre sympathique l’Athlète par cette façon décomplexée d’en imposer sur scène.

Ces trois artistes masculins sont bien aguerris à cet univers cru, puisqu’ils étaient déjà réunis lors de la production de Lulu créée au Bayerische Staatsoper de Munich en 2015 sous la direction de Dmitri Tcherniakov.

Martin Winkler (Ein Athlet)

Martin Winkler (Ein Athlet)

Alwa est en revanche une prise de rôle pour Toby Spence. Il succède ainsi à la personnalité si lunaire et attachante de Charles Workman. Son personnage est de fait plus contemporain et plus conventionnel dans son rapport à Lulu. Voix droite, complexe en couleurs, non sans tension, son portrait humble éclate à la fin du second acte lorsqu’il cède aux tentations de Lulu dans une pose sexuelle osée et assombrie par la musique et par les lumières.

Tous les seconds rôles sont d’ailleurs très bien joués et chantés dans la tonalité surréaliste du drame, et ils donnent même l’impression d’être imprégnés d’un meilleur moelleux qu’en 2012. C’est le cas de Rainer Trost, mais aussi celui de Florian Hoffmann qui compose un prince expressif et très touchant.

Barbara Hannigan (Lulu)

Barbara Hannigan (Lulu)

Le décor est unique. Au fond à gauche, un escalier monte vers l’arrière scène, flanqué de deux larges bordures qui peuvent servir de toboggans et de lieu d’acrobaties. Au fond à droite, une cage transparente, mobile, permet, par exemple, de faire un focus sur le comportement autodestructeur du peintre-photographe esclave des technologies modernes (il met en scène devant les caméras son propre suicide), ou d’ouvrir sur les multiples facettes de Lulu, son image fantasmée comme ses rêves.

La vidéographie joue également un rôle déterminant pour augmenter des champs de vue sur l’héroïne, différents écrans représentant en noir et blanc sa personnalité même lorsqu’elle devient insaisissable. C’est le cas notamment au moment où Alwa est en passe de devenir fou face à Lulu. A ce moment-là, le visage cinématographique de Lulu se brouille comme pour poser la question des illusions dont le jeune homme est victime.

Lulu (Hannigan – Skovhus – Spence – Warlikowski - Altinoglu) La Monnaie 2021

Enfin, les costumes choisis permettent d’opposer un monde d’hommes d’allure conformiste, c’est-à-dire la bourgeoisie ici dénoncée, et un monde de travestis et de fantasmes (les marginaux sont aussi une figure de l’art qui vit une vie autonome en parallèle de la société bourgeoise).

Et au troisième acte, celui qui se présente comme le créateur de Lulu, le destin – ou mauvais génie - incarné par Claude Bardouil, revient avec le crocodile tenu en laisse -  c’est-à-dire la société prise au piège par le spectacle –, pour assister à la chute de Lulu. Ce retour du crocodile est un ajout par rapport à 2012.

Krzysztof Warlikowski sauve son héroïne en lui rendant sa pureté lorsqu’elle meurt sous les coups de Jack l'éventreur dans son costume blanc de danseuse portée par les bras de sa malédiction.

Natascha Petrinsky (Gräfin Geschwitz), Bo Skovhus (Jack l'éventreur), Barbara Hannigan (Lulu), Claude Bardouil

Natascha Petrinsky (Gräfin Geschwitz), Bo Skovhus (Jack l'éventreur), Barbara Hannigan (Lulu), Claude Bardouil

Dans la fosse, la fusion qu’exerce Alain Altinoglu entre l’orchestre de la Monnaie et la puissance de la mise en scène est accomplie. Au premier acte, l’interprétation musicale est dominée par l’action scénique, mais l'harmonie musicale restituée, aux timbres boisés, est sensiblement pittoresque et ornée de multiples traits et éclats discrets.

La caractérisation charnelle des motifs mélodieux est privilégiée à l’aura diaphane, et au second acte, l’orchestre augmente en présence et en tension comme si une force latente sous-jacente gagnait progressivement en emprise et en noirceur.

Florian Hoffmann, Krzysztof Warlikowski, Martin Winkler, Natascha Petrinsky

Florian Hoffmann, Krzysztof Warlikowski, Martin Winkler, Natascha Petrinsky

La réussite de ce spectacle réside dans ce miracle de la recréation qui s’opère sous nos yeux, et par la faculté de Barbara Hannigan à fondre sa personnalité délirante au point de devenir le lien humain de chacun des êtres présents sur scène. C’est bien la fonction de l’art qui est ici magnifiée.

 

Lire également le compte-rendu de la création le 14 octobre 2012 : Lulu (Hannigan-Workman-Daniel-Warlikowski) La Monnaie

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Publié le 20 Octobre 2012

Lulu (Alban Berg)
Représentation du 14 octobre 2012
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Lulu Barbara Hannigan
Gräfin Geschwitz Natascha Petrinsky
Eine Theatergarderobiere, Ein Gymnasiast,

                              Ein Groom Frances Bourne
Der Medizinalrat, Der Professor Gerard Lavalle
Der Maler, Der Neger Tom Randle
Dr Schön, Jack Dietrich Henschel
Alwa Charles Workman
Der Tierbändiger, Ein Athlet Ivan Ludlow
Schigolch Pavlo Hunka
Der Prinz, Der Kammerdiener, Der Marquis Robert Wörle
Der Theaterdirektor, Der Bankier Runi Brattaberg
Eine Fünfzehnjährige Anna Maistrau
Ihre Mutter Mireille Capelle
Die Kunstgewerblerin Beata Morawska
Der Journalist Benoît De Leersnyder
Ein Diener Charles Dekeyser
                                                                                         Charles Workman (Alwa)
Direction Musicale Paul Daniel
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Mise en scène Krzysztof Warlikowski 

Krzysztof Warlikowski est un metteur en scène capable de parler des femmes avec une profonde empathie, et de montrer comment leur mystère peut se heurter au manque de sensibilité de la nature humaine.
Il défend toujours naturellement, viscéralement et entièrement leur idéal, même si la pensée conventionnelle présente d‘elles, dans les textes choisis, une nature dangereuse ou coupable.

Tom Randle (Le Peintre) et Barbara Hannigan (Lulu)

Tom Randle (Le Peintre) et Barbara Hannigan (Lulu)

Ainsi, il ne s’attache pas à leur image sociale, qu’elle soit construite par elles-mêmes ou par l’imaginaire des autres, et met plutôt en lumière l’esthétique intérieure de leur être et la peine qui en est l’essence.

Que ce soit au théâtre ou à l’opéra, Iphigénie, Kundry, Alceste, Marilyn Monroe, Médée nous sont toujours apparues comme contraintes dans un milieu masculin dominant, et ce sont ces visions si éloignées des stéréotypes courants que l’on apprécie chez lui.

Dietrich Henschel (Doctor Schön) et Barbara Hannigan (Lulu)

Dietrich Henschel (Doctor Schön) et Barbara Hannigan (Lulu)

Il est, pour le spectateur, le regard perçant qui l’oblige à voir ce qui n’est pas directement visible, un regard non pas instantané, sinon le résultat d’une réflexion élaborée dans le temps.

Ce qu’il vient de faire à Bruxelles, pour la nouvelle production de Lulu, est un spectacle qui représente le meilleur de lui-même. Son travail de stylisation touche à la vérité des désirs humains tapis dans un univers de strass. Il n’effleure que furtivement les expressions vulgaires, et rapproche, au même instant sur scène, différentes lignes de temps, le présent et la jeunesse de Lulu.

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

La belle idée de Warlikowski est d’imaginer en elle un rêve de danseuse inaccompli, le cygne noir du Lac des Cygnes, Odile, l‘ange exterminateur tel que Schön la perçoit.
C’est une liberté interprétative que lui permet le livret par de nombreuses allusions à la danse et au Prince.
Il introduit ainsi un autre personnage de ce conte, Rothbart, la malédiction fatale qui fait peser sur la vie de Lulu la tentation possessive et fascinée des hommes pour elle.

Barbara Hannigan (Lulu) et un des danseurs

Barbara Hannigan (Lulu) et un des danseurs

Il suffit d'évoquer le caractère déployé par Rudolf Noureev dans sa version du ballet de Tchaïkovski , pour que ses formes bleu-vert d'oiseau de proie croisent, dans notre propre monde chimérique, les élans impulsifs de cette mystérieuse oeuvre du destin qui apparaît sur la scène.

Ce personnage noir, aux traits dissimulés sous un masque de paillettes étincelantes, survient avant que la musique ne commence, assis dans la grande loge de côté face à la scène. Il prend les traits du dompteur dans le prologue, puis personnifie ce désir obscur qui étreint la jeune femme depuis sa petite enfance tout au long de la pièce.

Ivan Ludlow (L'Athlète)

Ivan Ludlow (L'Athlète)

On peut ainsi voir les souvenirs de l’orphelinat d’où elle fut enlevée, en arrière plan d’une cage en verre qui expose les corps élancés des très jeunes danseuses et danseurs de ballet. L’image, avec ses reflets colorés rouge orangé rosacés par la lumière, peut simplement se voir dans toute sa grâce, même si l’intention est peut être provocatrice. Comment ne pas songer à une représentation de l'enfance manipulée et exposée pour satisfaire aux rêves du monde des adultes, la privant de bien précieux moments pendant lesquels elle aurait pu se consacrer à la connaissance et la contemplation du monde?

Elle succède par ailleurs à d’autres images plus brutales, les bêtes de foires, le suicide du peintre - sa violence étant atténuée par une visibilité qui tourne au voyeurisme - et la prison de Lulu.

Charles Workman (Alwa) et Barbara Hannigan (Lulu)

Charles Workman (Alwa) et Barbara Hannigan (Lulu)

La force théâtrale est cependant fortement concentrée sur le personnage de Lulu, rôle pour lequel Barbara Hannigan est une révélation scénique mémorable.
On peut citer des tableaux éphémères marquants comme le final du premier acte pour lequel une ballerine danse sur des pointes l’envol du cygne noir, dans le silence le plus total, accompagnant ainsi l’élan de Lulu vers la scène, ou bien le final du second acte où le songe d’Alwa devant les jambes de Lulu qui se séparent est fortement sexualisé.

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

Natascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz)

La soprano canadienne joue de toutes les facettes de son corps, sensuel, souple et félin, il va sans dire, avec une aisance captivante au point d’en faire oublier tout ce qui se passe autour. La fascination de son entourage pour elle ne se comprend pas seulement par sa nature physique, mais surtout par la liberté totale qu’elle se donne, liberté qui se retrouve dans toutes les variations corporelles.

Son chant très clair rayonne une joie vitale enfantine, une joie qui est un surplus d’âme pour un personnage animalement équivoque.

Lulu (Hannigan-Workman-Daniel-Warlikowski) La Monnaie

Une telle énergie émane également de Dietrich Henschel, un Doctor Schön relativement jeune et tenace, le meilleur acteur de la distribution, mais les plus fortes impressions vocales proviennent d’Ivan Ludlow, l’Athlète, une large projection vocale profondément dominante en accord avec le physique coulé pour le rôle.

En fait, tous les rôles et toutes les voix sont parfaitement bien intégrés entre eux, même si aucun rôle masculin, à part peut-être Charles Workman qui est par nature un interprète pathétiquement humain - au sens réaliste du terme -, ne révèle une sensualité qui perce la dureté du langage vocal. 

Lulu (Hannigan-Workman-Daniel-Warlikowski) La Monnaie

Le rôle splendide de la Comtesse Gerschwitz , amoureuse folle de Lulu, est rendu avec une féminité magnifique qui en fragilise l’être, ce qui, même si Natascha Pétrinsky y met un peu trop de réserve au début, en élimine toute expression inquiétante, et ajoute une part de mystère féminin à ce portrait sensible.

Paul Daniel est un chef qui a l’habitude de travailler avec Krzysztof Warlikowski, et tous deux ont été récompensés pour leur interprétation de Macbeth dans ce même théâtre en 2010.

NNatascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

NNatascha Petrinsky (La Comtesse Geschwitz), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

On reconnaît cette pâte dense aux coloris chambristes, un grand sens de la tension théâtrale, et l’univers de Lulu s’en trouve tout autant adouci de tonalités dominantes sur les dissonances.

Ce travail sur la concordance du flux musical, l’atmosphère lumineuse et le sens du geste fait toute la valeur de ce spectacle, mais il y a aussi les qualités humaines et intellectuelles du public de la Monnaie, public qui sait préserver un long silence après les dernières notes et l’extinction des lumières, puis accueillir très chaleureusement l’équipe intégrale, une attitude émouvante impensable dans les salles parisiennes.

Krzysztof Warlikowski entouré des jeunes danseurs, Charles Workman (Alwa), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

Krzysztof Warlikowski entouré des jeunes danseurs, Charles Workman (Alwa), Barbara Hannigan (Lulu) et Dietrich Henschel (Jack L'éventreur )

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