Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto

Publié le 16 Avril 2022

Cet article cherche à présenter de la façon la plus claire possible les grandes différences entre la version originale de ‘Maometto II’ de Gioachino Rossini et sa version parisienne ‘Le Siège de Corinthe’ dont il fut ensuite réalisé une traduction en italien ‘L’assedio di Corinto’.

L'ensemble des éléments réunis ne prétendent pas à l'exhaustivité, et toute remarque, suggestion ou complément de la part des lecteurs seront pris en compte. Des ajouts à cet article pourront d’ailleurs être apportés ultérieurement.

Maometto II -  Teatro dell'Opera di Roma - ms Luigi Pizzi (2014)

Maometto II - Teatro dell'Opera di Roma - ms Luigi Pizzi (2014)

Maometto II – Version de Naples 1820 (durée 3 heures)

‘Maometto II’ est une commande du Teatro di San Carlo di Napoli où il fut créé le 03 décembre 1820.
Cet opéra en deux actes et d’une durée de trois heures est basé sur un livret italien de Cesare della Valle dont l’écrivain tirera par la suite sa première tragédie moderne ‘Anna Erizo’, en écho à la guerre d’indépendance grecque qui se préparait à Odessa depuis 1814.

Sur fond de première guerre vénéto-ottomane déclenchée peu après la chute de Constantinople en 1453, conflit au cours duquel la République de Venise perdit plusieurs possessions dont l’île de Négrepont en 1470, le drame fait l’éloge en filigrane des valeurs héroïques italiennes, tout en décrivant un sultan Mehmet II à la fois sanguinaire et généreux.

Est ainsi racontée la résistance de la citadelle de Négrepont à travers les portraits de son Provéditeur, Erisso (ténor), sa fille, Anna (soprano), et celui qui en est amoureux, Calbo (mezzo-soprano).  Anna vit cependant avec le souvenir d’un homme qu’elle a rencontré quelques années auparavant et qui s’avèrera être Mehmet II (basse) lorsque ce dernier combattit Erisso à Corinthe en 1458.

Dans cette première version, les Grecs réussissent à repousser et terrasser l’armée musulmane grâce à leur courage et au sceau que Mehmet avait remis à la fille d’Erisso, mais Anna se suicide pour échapper à la vengeance du Sultan.

Le 14 juillet 2012, le Santa Fe Opera fit découvrir une nouvelle édition critique du ‘Maometto II’ de 1820 établie par Hans Schellevis sous la supervision de Philip Gossett. Cette édition fut reprise à l’opéra de Garsington en 2013, puis à la Canadian Opera Company en 2016. On y observe quelques réductions dans certaines scènes ou récitatifs, notamment au deuxième acte (le choeur 'Nume, cui' est chanté sans reprise), sans remise en cause de la structure narrative d'ensemble.

Premier enregistrement mondial de 'Maometto II' - Kingsway Hall, London (1983)

Premier enregistrement mondial de 'Maometto II' - Kingsway Hall, London (1983)

Maometto II – Version de Venise 1822 (durée 2h45, avec ouverture)

Trop novateur pour son temps, ‘Maometto II’ ne reçut pas l’accueil qu’il méritait lors de sa création à Naples.
Gioachino Rossini révisa la structure de son opéra pour la reprise vénitienne du 26 décembre 1822 en lui ajoutant notamment une ouverture et en modifiant le final de manière à ce qu’il soit heureux. Il acheva ainsi l’opéra sur ‘Tanti affetti in tal momento’ tiré de son opéra ‘La donna del lago’ créé au Teatro San Carlo di Napoli en 1819. 

Mais il remplaça aussi le trio de l'acte I, 'Ohimé ! Qual fumine', par un autre trio 'Cielo, il mio labro espira' inspiré de 'Bianca e Falliero' (1819), supprima l'air de Maometto 'All invito generoso',  et modifia totalement la quatrième scène du second acte qui devint une scène de rencontre entre Erisso, Calbo et Mehmet II dans la crypte. Cette scène comprend les airs 'Pria svenar conferme ciglia' 'All'empio in braccio' et 'tu che tanto orgoglioso ostenti'.

Cette version fut jouée à Vienne, Milan et Lisbonne, mais fut abandonnée après 1826, même si ces premiers remaniements annonçaient déjà la version pour Paris.

Le siège de Corinthe - Festival de Pesaro 2017 - Edition critique de Damien Colas

Le siège de Corinthe - Festival de Pesaro 2017 - Edition critique de Damien Colas

Le siège de Corinthe – Version parisienne de 1826 (durée 2h45, inclus un ballet de 15 minutes)

Alors que la chute de Missolonghi, ville où mourut Lord Byron en avril 1824, provoquée par les assauts des Ottomans venait de faire basculer l’opinion européenne en faveur de l’indépendance des Grecs, Rossini acheva son premier opéra dédié à l’Académie Royale de Musique, ‘Le siège de Corinthe’. Jusqu’à présent, ses opéras italiens avaient été repris à la salle Louvois du Théâtre des Italiens à Paris où il avait également pu créer ‘Il Viaggio a Reims’.

C’est dans ce contexte que le compositeur s’attacha dès novembre 1825 à refondre ‘Maometto II’ qui n’avait pas été joué aux Italiens et était donc inconnu du public parisien. Ce qui ne devait être qu’une adaptation en français par Luigi Balocchi et Alexandre Soumet va très vite évoluer en une recomposition qui intègrera des faits ayant cours au même moment en Grèce.

‘Maometto II’ ne disposant pas d’ouverture (celle de la version de Venise n’était qu’occasionnelle), une splendide introduction orchestrale fut donc composée pour ‘Le Siège de Corinthe’ à partir de mesures tirées de ‘Bianca e Falliero’ (1819). 

L’intrigue fut déplacée dans le temps en 1458, quand la ville de Corinthe rendit les armes après l’attaque de Mehmet II. Dans cette version, Erisso devient Cléomène (ténor), Anna devient Pamira (soprano) , mais Calbo (mezzo-soprano) devient Néoclès, un ténor, pour satisfaire au goût de l’Opéra de Paris.

Le premier acte du ‘Siège de Corinthe’ reprend celui de ‘Maometto II’, avec une révision de l’orchestration et une réécriture des récitatifs, sans ajout d’éléments majeurs. Rossini supprime cependant plusieurs passages, la cavatine d’Anna ‘Ah ! Que invan su questo cigllio‘, un chœur ‘Misere !’ et deux trio ‘Figlia … mi lascia’ et ‘Giusto ciel, che stazio é questo’

La prière d’Anna ‘Giusto cielo’ sera quant à elle déplacée à la fin de de l’acte III du 'Siège de Corinthe'.

Le 03 avril 1826, Rossini, toujours directeur du Théâtre des Italiens, organise un concert en soutien aux assiégés de Missolonghi, avant que la citadelle ne tombe trois semaines plus tard.

Le premier acte du ‘Siège de Corinthe’ entre ainsi en répétition en mai 1826, mais les évènements de Grèce vont probablement influencer le travail sur les deux actes suivants auxquels le second acte de ‘Maometto II’ servira de base dramatique.

Le second acte du ‘Siège de Corinthe’ débute par une nouvelle introduction à laquelle viennent se greffer trois passages chantés par Anna dans la dernière partie de ‘Maometto II’, ‘Oh! Patrie!’, ‘Du séjour à la lumière’ et ‘Mais après un long orage’.

Un nouveau chœur ‘La fête d’hyménée’ et la ballade d’Ismène ‘L’hymen lui donne’ adaptée d’’Ermione’ (1819), sont aussi ajoutés, ainsi que l’inévitable ballet destiné aux danseuses de l’institution.

Le final du second acte est également entièrement nouveau, et après tant de musique qui célèbre le futur mariage entre Mehmet et Pamira, celle-ci et Néoclès vont réussir à s’enfuir.

Quant au troisième acte, il ne comprend quasiment plus rien de ‘Maometto II’, hormis le récit initial de Néoclès, le trio ‘Céleste providence’, le chœur ‘Oh! Toi que je vénère’ et la prière de Pamira ‘Juste ciel!’.

Néoclès se voit adjoindre un nouveau récitatif et un nouvel air, ‘C’est toi … C’est toi grand dieu’, adapté de ‘Barbara sorte’ de ‘La Gazza Ladra’ (1817).

Mais l'air si mélancolique d’Erisso ‘Tenera sposa!’, que l'on croirait être la source d'inspiration des plus beaux adagios de Gustav Mahler ou d'Anton Bruckner, n’est pas repris. Au final, 'Le siège de Corinthe' n'est composé que pour moitié de matériaux issus de 'Maometto II'.

A travers l’évocation des batailles des Thermopyles et de Marathon, ce dernier acte exalte la ferveur pour la patrie mais, cette fois, tous les Grecs sont tués et les femmes préfèrent mourir dans un élan de suicide collectif plutôt que de se rendre à Mehmet, une évocation directe des évènements de Missolonghi.

Avec ‘Le Siège de Corinthe’ créé à la salle Le Peletier le 09 octobre 1826, le public de l’Académie Royale de Musique trouve ainsi une œuvre qui suit de près l’actualité brulante comme il ne l’avait jamais vécu auparavant.

L'assedio di Corinto - All Saints Church Tooting, London - dm Thomas Schippers 1974

L'assedio di Corinto - All Saints Church Tooting, London - dm Thomas Schippers 1974

L’assedio di Corinto – Version italienne du ‘Siège de Corinthe’ de 1827 (durée 2h30 environ)

Dans la foulée de la création parisienne, ‘Le Siège de Corinthe’ fut traduit en italien par Calisto Bassi et créé à l’Accademia Filarmonica Romana en version de concert le 27 décembre 1827. 

Le librettiste retoucha le texte, supprima le ballet, mais n’altéra aucunement le déroulement de l’intrigue.

Et dès son entrée au Teatro Carlo Felice de Gênes le 07 juin 1828, ‘L’assedio di Corinto’ fut révisé par le jeune Gaetano Donizetti – ce dernier n’avait composé aucun de ses grands succès à ce moment là -.  En s’appuyant sur la version de Naples de ‘Maometto II’, il choisit de faire chanter le rôle de Néoclès par une mezzo-soprano, et ajouta au duo Pamira - Maometto du second acte une cabalette ‘Pieta all’amor mio’ qui sera maintenue jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Cette traduction ne s’est jamais imposée, et à chaque fois qu’elle sera jouée, de nouveaux éléments seront incorporés ou retranchés si bien qu’il n’en existe aucune interprétation identique sur scène ou au disque.

En 1969, Thomas Schippers dirigea à la Scala de Milan une spectaculaire version de ‘L’assedio di Corinto’ avec Beverly Sills et Marilyn Horne, captée sur le vif et qui comprenait plusieurs coupures telles l'invocation de Cléomène 'Il vostro ardor' et le chœur 'Su quest ' armi' à la fin de la première scène, le récit de Cléomène 'E salva encor la patria', le récit de Mehmet 'Cessi vittoria', la cabalette de Pamira du début du second acte, et le récitatif qui précède l'air de Néoclès 'No, no ben credo'. Cette version ne durait plus que 2h20, malgré l'insertion d'éléments de 'Maometto II' (voir quelques lignes plus loin).

Il enregistra cinq ans plus tard pour EMI une version basée sur celle de 1969, avec le London Symphony Orchestra, Beverly Sills et Shirley Verrett, en y ajoutant la grande scène de rencontre entre Cléomène, Néoclès et Mehmet dans la crypte, 'Pria svenar conferme ciglia', tirée du second acte de la version vénitienne (1822) de 'Maometto II' (sans qu'il soit clair si cet ajout venait de Schippers lui-même ou d'une révision antérieure de 'L'assedio di Corinto')

Très critiquée, cette version composite est pourtant absolument splendide si l’on aime les outrances ornementales et les délires de raffinement vocaux.

Environ 20 minutes de musique sont effectivement coupées, dont le 'No, no ben credo' de Néoclès (présent dans la version de 1969), et il est très surprenant de constater que la cabalette de Pamira ‘Mais après un long orage’ du début de l’acte II se trouve remplacée par un air extrait du premier acte de ‘Ciro in Babilonia’ (1812), ‘A que spiegar’.

Comme dans la version de 1969, Schippers réintroduit également au IIIe acte l’air ‘Non temer’ et la cabalette ‘E d’un trono’ de Calbo (qui est chantée deux fois) issues de ‘Maometto II’ - ce qui peut expliquer la suppression de la cabalette de Pamira du début de l'acte II inspirée du même passage -.

Il ajoute enfin une dernière cabalette pour Pamira, ‘Parmi vederio’, composée par Sir Michael Costa (1808-1884) à l'intention de Giuditta Grisi lors de la première londonienne de 'L'assedio di Corinto' représentée en juin 1834 au King's Theater, Haymarket.

Marilyn Horne - L'assedio di Corinto - Teatro Alla Scala di Milano (1969)

Marilyn Horne - L'assedio di Corinto - Teatro Alla Scala di Milano (1969)

La comparaison des versions de Naples (1820), Paris (1826) et Schippers (1974)

Afin de rendre lisible les principales évolutions identifiées entre ‘Maometto’, ‘Le siège de Corinthe’ et ‘L’assedio di Corinto’, les graphiques qui suivent cherchent à détailler trois versions emblématiques.

La première est celle de ‘Maometto II’ dans sa version de Naples 1820.

La seconde est celle du ‘Siège de Corinthe’ dans la version parisienne de 1826, d'après la partition publiée en français par Eugène Troupenas (1798-1850).

La troisième est celle de ‘L’assedio di Corinto’ enregistrée par Thomas Schippers en 1974.

Des codes couleurs sont utilisés pour identifier l’origine des différents passages et distinguer les récitatifs et passages du ‘Siège de Corinthe’ repris de ‘Maometto II’, moyennant réarrangements, de ceux créés spécifiquement pour Paris.

Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto
Maometto II (1820) de Rossini, Le siège de Corinthe (1826) et sa version italienne L’assedio di Corinto

Rédigé par David

Publié dans #Versions d'oeuvres, #Rossini

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