Présentation de Cardillac
Publié le 2 Février 2008
Présentation de l'opéra "Cardillac"de Paul Hindemith
Débat au Goethe-Institut le 30 janvier 2008
L’article qui suit restitue quelques notes prises lors de la présentation de Cardillac par Gérard Mortier (directeur de l'Opéra National de Paris), André Engel (metteur en scène) et Franz Grundheber, interprète du rôle principal.
L’histoire de Cardillac est étrange : un individu masqué s’attaque la nuit à des habitants de Paris et les tue d’un coup de poignard dans le cœur.
Toutes ces personnes viennent d’acheter des bijoux maléfiques au joaillier adulé de l’époque de Louis XIV, René Cardillac.
Un jour Cardillac se trouve à proximité d’une attaque avortée. La foule parisienne le menace. Provoqué, Cardillac défend l’auteur du crime et avoue finalement en être lui même l’assassin.
Contexte de la reprise de Cardillac à Paris en 2008
De trop nombreux directeurs d’Opéra programment des œuvres inconnues du XIXième siècle et sortent trop souvent des pièces issues du baroque qui parfois feraient mieux de rester dans leur tombe.
Gerard Mortier défend donc depuis très longtemps l’importance de présenter des œuvres du XXième siècle qui ont fait l’histoire de l’Opéra.
D’où cette volonté d’avoir au minimum 40 % de sa programmation axée sur le XXième siècle.
Mais la reprise de Cardillac s’inscrit également dans un autre contexte.
La saison 2007/2008 est dédiée à deux œuvres de Richard Wagner : Tannhauser et Parsifal. Il est donc intéressant de programmer Wagner au milieu de toute une esthétique et toute une histoire de la Tradition en présentant deux œuvres qui ont essayé de sortir de ce Wagnérisme.
Dans La Femme sans Ombre, Richard Strauss cherche à y échapper partiellement à partir de scènes de musiques de chambre comme le second violon pour l’Impératrice ou le violoncelle pour l’Empereur.
Et cela va se poursuivre au cours de la saison avec le Wozzeck d’Alban Berg qui sera la réponse définitive à la question de la possibilité d’une forme nouvelle d’opéra après Wagner.
La période 1919-1927 est par ailleurs une période d’une extrême richesse avec des créations comme Doktor Faust de Busoni, Die Frau ohne Schatten, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, Cardillac et bien sûr Wozzeck.
Le choix de la mise en scène
André Engel situe l’opéra au cours des années 1920 dans un hôtel de luxe très loin du Paris du Grand Siècle.
Cette transposition pose ainsi la responsabilité du metteur en scène.
Elle est double car Cardillac n’a jamais été présenté à Paris avant cette production. Engel risque donc de transformer le contexte souhaité par l’auteur d’une part et risque de faire croire au public que l’œuvre a été écrite sous cette forme là d’autre part.
Mais une œuvre est-elle susceptible d’avoir plusieurs interprétations ? Est-elle plutôt objet de recherches archéologiques théâtrales en visant au plus près la volonté de l’auteur, ou bien est-elle vouée à traverser les âges et être réinterprétée ?
En fait nous sommes entrés dans une ère de l’interprétation des œuvres et la position que Engel défend est que toute transposition ne peut être gratuite.
Elle est guidée ici par la musique avec l’expérience de la mise en scène de théâtre et une oreille curieuse et attentive.
Ce qu’il y a sur scène est un des possibles que la musique véhiculerait.
Cardillac est un artiste, orfèvre qui travaille dans le domaine du luxe, le Paris Capitale du XXième siècle.
Le choix des années 20-30 est pertinent car ce qui est travaillé par le librettiste et le compositeur est la figure de l’artiste maudit, le démiurge qui se croit par delà la loi des hommes parce qu’il crée. Il se sent une légitimité de quelque chose qui n’appartient pas au commun des hommes.
Ce thème du génie créateur, qui est aussi criminel, était déjà fréquenté par le cinéma expressionniste (Docteur Mabuse, M le maudit de Fritz Lang).
En France nous avons la figure de Fantômas (Pierre Souvestre) issue de la littérature et c'est elle qui vient s’intercaler dans l’écoute de la musique.
Le héros du film de Louis Feuillade avait par ailleurs beaucoup intrigué les surréalistes.
Ainsi, tout ce monde ne rend pas gratuit ce désir de transposition.
Cependant le traitement de la fin de l’opéra change par rapport au livret.
L’officier dit littéralement « un héros est mort, même à terre c’est lui le vainqueur et je l’envie ». Est-ce l’apothéose d’un assassin, l’insignifiance du crime comparée à l’importance de l’œuvre d’art, voir même la supériorité et l’irresponsabilité humaine et politique de l’artiste ?
A la fin de l’œuvre, l’artiste reçoit l’absolution du peuple ce qui met mal à l’aise. Engel ne peut adhérer à cette ambiguïté qui consiste à rendre un hommage public à un assassin, fusse t’il un génie créateur, car cela renvoie à une réalité politique qui est apparue quelques années après.
Le metteur en scène choisit donc de monter l’œuvre en montrant cet aspect là mais en faisant sortir la foule pour ne faire de ce drame qu’une petite histoire de famille. Au fond cet homme qui s’est cru au delà des lois humaines, se retrouve à crever de sa mégalomanie au pied d’un escalier monumental.
Il est victime d’une pulsion, poussé de l’intérieur, et donc pathétique car il n’y peut rien.
Franz Grundheber et le rôle de Cardillac
Franz Grundheber est présent à l’Opéra de Paris depuis 1977.
Pour un chanteur à mots, Hindemith est un réel défi car il rend cet aspect du travail du chanteur extraordinairement difficile musicalement. Il ne leur permet même pas de s'exprimer de manière lisible et compréhensible.
Par exemple, Hindemith orchestra le grand final de Cardillac sans avoir connaissance du texte. Puis il colla tout simplement le texte sur ces formes musicales. Elles se trouvèrent ainsi extrêmement complexes si bien que les 20 thèmes de la fin ne correspondent pas forcément avec le rythme de la langue parlée.
Comparée à Wozzeck qui tombe très naturellement, ce n’est pas la musique chantée qui procure à Grundheber le plus de satisfaction, mais le mystère et la fascination du personnage de Cardillac
Voir également quelques impressions du spectacle.