L’Astronomie au Chili (Novembre 2007)
Publié le 22 Août 2008
Pays très peu documenté et pourtant le plus proche de la culture européenne de toute l’Amérique latine, le Chili mérite de retrouver le rayonnement que l’épisode Pinochet lui a fait perdre.
Le film de Carmen Castillo « Rue Santa Fe » n’occulte aucune zone d’ombre de cette période mais en s’achevant sur une espérance nouvelle il donne à ce pays fabuleux une ouverture pour révolutionner la discrétion de sa mentalité.
Pourquoi les conditions d’observation au Chili sont-elles uniques ?
C’est donc l’occasion de s’y rendre pour révéler une de ses facettes peu connue; terre d’accueil des astronomes du monde entier, le Chili dispose de conditions exceptionnelles pour l’observation du ciel toutes réunies dans la partie nord du pays.
Jugez plutôt :
1. très faible couverture nuageuse (95% de nuits dégagées). Le désert d’Atacama est le plus aride au monde et certaines régions n’ont jamais connu la pluie.
2. réduction de l’épaisseur atmosphérique (25% à 2500m d’altitude et près de 50% à 5000m) ce qui permet de réduire le taux d’humidité, l’eau étant un filtre pour le rayonnement infrarouge et visible.
3. faible turbulence atmosphérique grâce à la proximité de la mer. L’océan joue un rôle de régulateur thermique ce qui limite fortement la force du vent. Sans cela, tout aussi performant que soit un instrument, son pouvoir de résolution serait limité par les mouvements de l’air.
4. faible pollution lumineuse bien que les lumières de La Serena commencent à se voir depuis l’observatoire de La Silla.
Quelles questions les Astronomes cherchent-ils à éluder ?
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Il n’est évidemment pas possible en un seul article de rendre compte de tous les aspects d’un voyage au Chili qui a duré trois semaines et où les volets humains, botaniques, géologiques et animaliers y ont eu une place très importante.
Le point de vue proposé est de montrer certains des instruments rencontrés qui permettent aux astronomes de chercher les réponses à des questions qui dépassent notre imagination :
1. Comment les planètes se sont-elles formées ?
2. Comment la vie s’est-elle développée sur Terre et est-elle répandue dans tout l’Univers ?
3. Comment les Galaxies se sont-elles formées ?
4. Que sont la matière et l’énergie sombres ?
Grand et Petit Nuages de Magellan (tels que visibles à l'oeil nu)
Direction donc pour la région d’Antofagasta où deux 4x4 attendent les amis du Club Eclipse prêts pour rejoindre deux instruments professionnels : le Very Large Telescope européen et le Radiotélescope ALMA en cours de construction.
Le VLT (Very Large Telescope)
Depuis le plateau face au VLT (2635m) à 110kms au sud d’Antofagasta, la nuit à la belle étoile est douce (plus de 10°C) et dans ce désert sec aucune bestiole ne vient ramper jusqu’à votre sac de couchage. Ce serait donc l’endroit idéal pour s’endormir si dame Pleine Lune n’avait pas choisi ce moment pour rayonner feux à puissance maximale.
Arrivés le lendemain au sommet du Paranal, nous allons avoir deux jours pour découvrir ce complexe astronomique et profiter de ce qui est la véritable perle d’un observatoire : le restaurant… des grillades sont même proposées sur une terrasse en plein soleil !
L’ESO (European Organisation for Astronomical Research in the Southern Hemisphere) a été créée en 1962 et dispose d’une contribution annuelle de 120 millions d’euros tout en employant 570 personnes dans ses trois sites chiliens.
Et c’est le 1er avril 1999, que le premier des 4 télescopes du VLT entre en service.
Chacune des coupoles abrite un miroir de 8m20 de diamètre permettant d’obtenir des images d’objets célestes de magnitude 30.
Le spectacle de ces gigantesques plateformes qui s’ouvrent le soir dans les lueurs du crépuscule est d’autant plus saisissant que tout se passe dans un silence absolu sans le moindre grincement mécanique.
Ce joyau technologique est d’ailleurs équipé d’un système d’Optique Adaptative qui permet de corriger les turbulences atmosphériques.
En effet chaque miroir repose sur une structure de vérins fabriquée par Giat Industries
(devenu Nexter en 2007 et constructeur notamment du char Leclerc et du véhicule d’infanterie VBCI) de façon à pouvoir modifier sa forme et générer ainsi des images d’une qualité de détails inatteignable même par le télescope spatial Hubble.
Pour aider à la mesure de la turbulence, un laser est installé dans une des coupoles afin de créer une étoile artificielle dans l’atmosphère (à 90kms d’altitude). L’écart entre l’étoile observée et sa position théorique permet de calculer les compensations optiques nécessaires.
Mais ce n’est pas tout : 4 petites coupoles de 1.8m de diamètres coulissent sur des rails à quelques dizaines de mètres des grands miroirs.
Elles constituent en fait comme un second œil. En visant le même objet, un grand miroir et un miroir auxiliaire peuvent être associés en fusionnant leurs signaux. Ainsi la lumière d’un bord étoile (de nature ondulatoire bien entendu) ne va pas arriver avec le même temps de trajet sur chaque miroir.
En variant la position du télescope auxiliaire il est possible d’obtenir des ondes en phases ou déphasées.
Ce principe d’interférométrie rend ainsi possible la mesure du diamètre des étoiles
Observant principalement dans l’infrarouge et le visible, c’est avec le VLT que des astronomes ont pu obtenir également la première image d’un faible point représentant une exo planète c'est-à-dire une planète située hors de notre système solaire.
ALMA (Atacama Large Millimiter Array)
Même si les 4 grands télescopes du VLT peuvent fonctionner ensembles quelques nuits par an (par combinaison de 2 ou 3), ils ne suffisent pas pour traquer les signaux émis à la création de l’Univers.
C’est pourquoi l’ESO construit à présent un réseau de radiotélescopes sur les hauteurs du plateau de Chajnantor.
Nous revenons donc à Antofagasta pour prendre la piste vers San Pedro à quelques 300kms à l’Est.
Traversée du Tropique du Capricorne, de la Pampa désertique, du Salar d’Atacama d’où 1/3 du Lithium mondial est extrait, escapade vers la Laguna Leija (4300m) pour s’acclimater à l’altitude et finalement direction le poste de garde de l’ALMA pour réaliser la plus haute expédition en 4x4 que chacun n’ait fait jusqu’à présent.
Car pour étudier les objets les plus froids de l’Univers (-263°C), les astronomes n’ont pas d’autre choix que de trouver un site où la vapeur d’eau ne pourra qu’absorber faiblement ces signaux.
A 5100m d’altitude, l’air est deux fois plus rare qu’en plaine ce qui n’est pas sans risque et il est recommander de monter à ce niveau avec des bouteilles d’oxygène de secours.
Le projet ALMA est un partenariat international entre Européen, Nord Américains, Japonais en coopération avec la République du Chili.
Chaque partenaire construit des antennes radio télescopiques qui commenceront à être installées sur le plateau dès 2008 pour une mise en service en 2012.
Le réseau de 54 antennes (12m de diamètre chacune), auquel s’ajouteront 12 antennes japonaises de 8m, formera un seul instrument travaillant dans les longueurs d’ondes de 0.3 à 10 millimètres.
Les antennes pourront ainsi se déplacer sur une distance de 15kms pour effectuer des opérations de zoom radio et offrir une fenêtre sur les origines célestes, la naissance d’étoiles dans les premiers nuages de gaz et enfin la formation des toutes premières galaxies.
En attendant, un prototype d’antenne est déjà en service.
APEX (Atacama Pathfinder EXperiment) est déjà utilisé par les scientifiques pour étudier la composition de certaines nébuleuses dans des longueurs d’ondes variant de 0.2 à 1.5mm.
Récemment de la Fluorine a été découverte dans Orion ce qui n’avait jamais été perçu avant.
La montée sur ce site reste un moment fascinant, le rythme respiratoire y est bien entendu accru, les contrastes de luminosité s’accentuent, et seul un journaliste du quotidien belge Le Soir en sera quitte pour une redescente express.
Nous retrouvons des ingénieurs japonais à la base d’assemblage qui vont nous détailler les caractéristiques des antennes radio avant de quitter ce lieu hors du commun.
S’en suit une escapade de 4 jours sur l’Altiplano Bolivien où nous sommes saturés de couleurs incroyables, de montagnes entrelacées de strates en dégradés de couleurs rouge, ocre et terre de Sienne, des lagunes d’un vert de magnésium fascinant ou submergés de micro-organismes pourpres.
Puis nous rejoignons le Chili et l’aéroport de Calama pour revenir à Santiago.
LA SILLA
Depuis Santiago, l’autoroute mène rapidement à La Serena (400kms au nord de la capitale) puis une piste se dégage vers le Nord-Est pour grimper à l’observatoire de La Silla.
Alors que le VLT du Paranal est le grand vaisseau moderne de l’ESO, le site d’observation original de l’organisation européenne se trouve sur les montagnes de La Silla (2400m).
En 1977 un télescope de 3.6m entre en opération, œuvre d’un gigantisme mécanique ahurissant lorsque l’on se retrouve au pied de sa monture en fer à cheval.
A cette époque, les montures des télescopes sont équatoriales, c'est-à-dire agencées autour d’un axe construit parallèlement à l’axe Nord-Sud de la Terre.
Ceci facilite le suivi d’objets célestes par compensation de la rotation du globe, mais au prix d’une architecture extraordinairement massive et précise.
Le Fer à cheval permet de répartir le poids du télescope à la fois sur son axe principal et sur le point de contact entre le fer et le sol, point nécessairement huilé pour limiter les frottements.
Suivant différentes améliorations, cet instrument est toujours en service et est équipé de matériels de mesures pour chasser les planètes extrasolaires.
C’est alors qu’en 1989, un télescope d’un genre nouveau entre en service.
Le NTT (New Technology Telescope) est monté sur une monture Altazimutale (rotation horizontale et verticale pour trouver un objet) plus simple car maintenant tous ses mouvements sont contrôlés par ordinateur.
Mais surtout, il est le pionnier d’une nouvelle technologie : l’optique active.
Il est le prototype des télescopes du VLT. Son optique est active car elle permet de corriger les défauts du mince miroir. Elle ne permet cependant pas de corriger la turbulence atmosphérique (optique adaptative), ce qui sera mis au point avec son successeur du Paranal.
Avec son diamètre de 3.58m et des images 3 fois plus piquées que le plus ancien 3.6m, le NTT reste un acteur majeur dans l’observation des galaxies lointaines.
La majorité des 19 coupoles de La Silla n'est plus en service.
Se distingue alors le petit télescope genevois Euler.
Rouge et de 1.2m de diamètre, il est devenu un des grands outils dans la recherche d’exo planètes.
Le 1er mai 2007 c’est lui qui observa le transit complet d’une planète de la taille de Neptune, GJ436b, découverte quelques jours avant dans les Alpes valaisannes à l’observatoire suisse François-Xavier Bagnoud (OFXB) mais dans des conditions météorologiques difficiles.
Et c'est avec surprise que la constitution de cette planète s'est révélée être de la glace d'eau chaude !?
Il ne reste plus qu’à observer le ciel austral à la nuit tombée avec nos instruments bien modestes, nulle part ailleurs la Voie Lactée ne nous a paru plus brillante que lors des nuits chiliennes.
La voie Lactée vers le Sagittaire, la Lune se couchant suivie par Jupiter. En bas à gauche, les lumières de la Serena sont perceptibles.
Mais après avoir fait le tour des installations européennes, il est temps de s’intéresser à la concurrence américaine.
Rien de plus simple, car à 30kms au nord, l’observatoire de Las Campanas nous attend avec l’accueil le plus informel que nous ayons rencontré.
LAS CAMPANAS
C’est en 1902 que l’industriel Andrew Carnegie fonde le Carnegie Institution of Washington.
Son ambition est que cette organisation de recherche scientifique regroupe des hommes et des femmes exceptionnels et capables de travailler à la pointe de leur domaine.
Plus tard, cette institution créé un consortium avec les Universités d’Harvard, du Michigan et d’Arizona pour construire l’outil astronomique le plus performant au monde.
Ainsi, c’est en septembre 2002 que les deux télescopes Magellan sont entièrement exploités par les astronomes depuis les hauts de Las Campanas.
Avec leurs diamètres de 6.5m et une technologie miroir innovante (l’épaisseur du film d’aluminium qui sert de réflecteur n’est que de 0.1 micron !), Baade et Clay atteignent des performances proches de celles du VLT pour des programmes de recherches similaires que ce soit l’étude de trous noirs de galaxies ou bien l’observation d’exo planètes.
Et de même qu’en 1977 La Silla inaugurait un 3.6m équatorial, Las Campanas mettait à disposition Irénée du Pont Télescope (hommage à l’homme d’affaire américain), d’un diamètre de 2.5m mais avec un champ de vision très large pour réaliser de l’astrophotographie directe.
Nous avions prévu initialement de finir notre voyage en passant par les observatoires américains de Cerro Tololo (avec un télescope de 4m) et Cerro Panchon (la construction du télescope de 8m s’achève en 2008) mais le manque de temps ne nous a pas laissé d’autre choix que de revenir à Santiago après un petit détour vers une ville pleine de chaleur d’âme : Valparaiso.
Nul doute qu’un retour au Chili vers 2020 s’annonce encore plus spectaculaire car la course aux télescopes géants est tout juste lancée :
Las Campanas vient d’être choisi pour accueillir le futur télescope de diamètre équivalent 24m avec optique adaptative pour une mise en service vers 2016, alors que l’ESO désireuse de maintenir sa supériorité en astronomie sol vient de lancer l’étude préliminaire d’un télescope géant de 42m de diamètre (Le European Extremely Large Telescope E-ELT) pour une première utilisation en 2018!
Car malgré tout, 95% de notre univers est toujours inconnu et constitué de ces mystérieuses matière et énergie noires.