Présentation de l'Opéra tchèque par Gerard Mortier
Publié le 19 Octobre 2008
La culture musicale tchèque, Smetana et Janacek
Conférence à l’Ambassade de Tchéquie le 15 octobre 2008
Par Gerard Mortier, directeur de l’Opéra National de Paris
Dans sa volonté de faire partager sa compréhension des peuples européens et son amour pour Prague, Gerard Mortier proposait à l’Ambassade de Tchéquie une petite conférence spontanée.
Actuellement l’Opéra National de Paris a une énorme tache en ce qui concerne la construction européenne.
Et comme la France est pour 6 mois à la présidence de l’Union Européenne, il est temps que le public fasse connaissance avec les opéras d’Europe centrale.
Deux opéras sont dédiés à la Tchéquie cette saison et plus tard deux opéras seront dédiés à la Pologne, « Le Roi Roger » de Karol Szymanowski et une création, « Yvonne de Bourgogne», basée sur une pièce de Witold Gombrowicz.
L’ouverture musicale de Prague
Une des grandes difficultés de l’Europe est que l’on construit trop peu sur la culture alors qu’elle pourrait être un soutien pour les hommes politiques et les hommes d’affaires d’aujourd’hui.
Car lorsque l’on écoute la musique d’un autre peuple, on découvre également l’âme de ce peuple et aussi que cette séparation n’est pas si forte que l’on croit.
Et nous découvrons ainsi qu’un compositeur tchèque nationaliste comme Smetana a été très influencé par la France.
Avant mai 1968, Gerard Mortier avait invité l’opéra de Prague au Festival de Flandres à Gand avec 2 pièces, « La petite renarde rusée » et « Katia Kabanova » ce qui fût le point de départ de son amour pour Janacek.
Non seulement Prague est une ville très belle, mais c’était finalement une des villes préférées de Mozart, plus que Vienne d‘ailleurs.
Mozart trouvait dans cette ville un public bourgeois mais ici il s’agissait d’une haute bourgeoisie aristocrate qui dans son comportement appréciait la musique, et ce fût à Prague que les Noces de Figaro eurent un grand succès.
Avec la perte de richesse des aristocrates de Prague due aux guerres religieuses du milieu du XVII ième siècle, beaucoup de musiciens s’étaient rendus en Allemagne (à Mannheim plus particulièrement) et aussi à Londres.
Ainsi la qualité orchestrale de Mozart avait pu bénéficier de l’influence des musiciens tchèques et son orchestre s’était étoffé notamment par le renforcement des cordes.
Les violonistes virtuoses tchèques avaient donc exporté cette culture.
La culture allemande a toujours été très importante à Prague (le fameux général Albrecht de Wallenstein symbolise cette complexité culturelle) mais il y avait aussi une opposition aux arts bourgeois de Vienne et c’est assez naturellement que l’arrivée de Leos Janacek exprima une plus grande attirance pour la Russie.
Beaucoup de Tchèques, comme Janacek, voulaient parler le russe mais pas l’allemand.
D’ailleurs à l’instar des Flamands, les Tchèques ont vu beaucoup d’empereurs étrangers passer, mixité culturelle vécue comme source de créativité.
C’est donc dans cette atmosphère qu’au milieu du XIXième se développa l’Opéra National, vécu ici comme quelque chose de très positif car rassembleur des gens autour d’un chant populaire que tout le monde connaissait.
Maintenant avec tous les événements du XXième et XXIième siècle que nous avons vécu à cause du nationalisme il est plus difficile de montrer en quoi ce nationalisme était différent.
La création de cet Opéra National se poursuivit aussi en Russie, en Pologne et en Hongrie.
Smetana et « La Fiancée Vendue »
Mais regardons à présent le personnage de Smetana.
Une fois de plus on voit que les peuples tout petits sont souvent des gens qui voient au delà de leurs frontières.
Smetana est allé étudier et donner des cours à Göteborg en Suède.
C’est un personnage énormément européen.
Grand ami d’Hector Berlioz, on constate par exemple que le chœur du début du IIième acte de « La fiancée vendue » est absolument une réminiscence du chœur des étudiants de « La damnation de Faust » .
Directeur de théâtre et adorateur d’ Offenbach (pensons au cancan du dernier acte de « La fiancée »), il y avait en conséquence 18 opéras du compositeur français au répertoire de l’Opéra de Prague.
Il a voulu créer un opéra dont l’histoire soit simple, d’abord en 1864, puis avec une version définitive en 1870.
Comme il pensait venir directement à Paris, il créa le personnage de Marenka pour une soprano comme la Marguerite du « Faust » de Gounod que d‘ailleurs la créatrice du rôle devait chanter.
Mais cette première ne put avoir lieu.
L’Œuvre fût donc jouée à Saint Petersbourg, à Vienne (il y eut 6 ou 7 nouvelles productions) et même au Metropolitan Opera de New York en 1908.
La pièce dut attendre 1928 pour être jouée à Paris.
Il y a un mélange entre un romantisme très beau et le style d’Offenbach.
Le plus bel exemple est l’air de Marenka au IIIième acte suivi du duo avec son amant que l’on retrouve dans les « Contes d’Hoffmann ».
Janacek et « La Petite Renarde Rusée »
Après Smetana, il y eut Dvorak, homme aussi ouvert sur le monde (La symphonie du nouveau monde), Martinu, bien d’autres compositeurs, puis Janacek.
Janacek est l’exemple que l’Opéra du XXième a autant à raconter que celui du XIXième siècle.
Étrangement, sa reconnaissance fût plus tardive en France qu’en Allemagne ou qu'en Angleterre.
« La Petite Renarde rusée » est une croyance en la vie, une croyance que tout se renouvelle.
C’est la projection de cette jeunesse, de cet éternel féminin pour lequel il était tombé amoureux.
Il avait pour Kamila Stösslová (38 ans de moins!) un amour totalement idéalisé, celui d’un homme vieillissant mais plein d’énergie.
Après les femmes souffrantes (Jenufa, Katia Kabanova), il aborda le thème de la femme séduisante (L’Affaire Makropoulos) et de la fascination pour les grandes icônes.
Puis à la fin de sa vie il y eut deux pièces extraordinaires.
Dans « De la maison des morts » il exprime une grande compassion pour tous ces hommes emprisonnés pour des meurtres et violences commis par passion alors que « La petite renarde rusée » est l’œuvre la plus lyrique, la plus positive et la plus poétique qu’il n’ait jamais écrit.
Janacek avait un caractère horrible mais en même temps il trouvait ce qui était beau en lui.
Son visage n’est d’ailleurs pas celui d’un homme amer, mais il exprime un réel rayonnement.
A travers la Renarde, il étudia comment la vieillesse est chez l’homme très difficile à vivre.
La vieillesse humaine va très lentement et est confrontée au monde des animaux comme cette petite grenouille qui s’exclame « ce n’était pas moi, c’était mon grand père! ».
A la fin, l’instituteur retrouve le forestier et tous deux réfléchissent sur leur jeunesse, ce qu’ils ont raté et aussi sur leurs instants de bonheur.
De cette grande nostalgie, le forestier retrouve son énergie de vie en contemplant la nature.
La mort fait partie de la vie.
Janacek adorait l’homme mais ne voulait pas le romantiser comme le Romantisme l’a fait.
En opposition au mensonge romantique, la vie est beaucoup plus intéressante quand la beauté de l’homme se cherche dans les petites choses de chaque jour.