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Publié le 4 Septembre 2017

Kein Licht. (Philippe Manoury)
Sur le livret de la pièce "Kein Licht." d'Elfriede Jelinek
Représentation du 02 septembre 2017
Ruhrtriennale - Landshaftspark Duisburg-Nord - Gebläsehalle

avec Niels Bormann (Acteur), Christina Daletska (Alto), Lionel Peintre (Baryton), Caroline Peters (Actrice), Sarah Sun (Soprano), Olivia Vermeulen (Mezzosoprano), Cheeky (le chien)

Direction musicale Julien Leroy
Musique électronique IRCAM
Mise en scène Nicolas Stemann
Orchestre United Instruments of Lucilin et choeur Vokalquartett Croatian National Theater Zagreb

Commande de l'Opéra-Comique en coopération avec la Ruhrtriennale, le Festival Musica de Strasbourg, l'Opéra National du Rhin, le Croatian National Theater Zagreb, les Théâtres de la Ville de Luxembourg, l'Ircam - Centre Pompidou, le United Instruments of Lucilin, le Münchner Kammerspiele et 105 donneurs individuels. 
Avec le soutien du Fond de Création Lyrique, Impuls neue Musik and Fedora Prize 2016.

Christina Daletska

Christina Daletska

C'est une oeuvre étonnante qui vient d'être créée dans le confinement de la Gebläsehalle, ancienne halle industrielle agencée comme une salle de cinéma tout en longueur, et sans ouverture, qui fait partie des structures qui accueillent les pièces expérimentales de la Ruhrtriennale.

Sous une forme musicale d'une durée de deux heures, écrite en trois parties, Philippe Manoury a réalisé un travail de composition total, lié à un univers théâtral libre, méthodiquement construit et vocalement rayonnant, masqué par un semblant esprit d'improvisation, et couplé à un livret centré sur les conséquences de la catastrophe nucléaire de Fukushima et le monde des atomes.

Caroline Peters

Caroline Peters

Dès l'ouverture, la musique évoque l'angoissante tension d'une attente, fortement semblable à la scène de transition qui suggère les gestes de la décapitation de Jochanaan dans 'Salomé', sur laquelle les paroles des deux acteurs, Olivia Vermeulen et Niels Bormann, se heurtent et s'interrogent.

Un jeune chien, Cheeky, chante en gémissant sur la complainte d'une trompette et sous l'œil bienveillant de sa protectrice, ce qui attise instantanément la compassion du public qui imagine le ressenti de cet attachant animal présent sur scène.

Cheeky

Cheeky

L'orchestre est situé dans l'ombre de l'arrière scène, un bac contenant un liquide fluorescent s'élève et surplombe l'espace, quatre chanteurs, Christina Daletska (Alto), Lionel Peintre (Baryton), Sarah Sun (Soprano) et Olivia Vermeulen (Mezzosoprano) déclament de façon mystérieusement solennelle des vocalises modulées et obsédantes par leur sensation  cristalline - par ailleurs, leurs attitudes imitent les poses des vestales -, et une vidéographie noir et blanc est projetée par intermittence sur les alcôves de la halle, laissant au spectateur le soin de réinterpréter les images au regard d'un scénario catastrophe.

A certains moments, on se croirait sur un vaisseau voguant sur un océan agité.
Il est certes un peu difficile de suivre le texte qui défile en hauteur, mais nous avons la chance que Philippe Manoury lise en personne certains passages en français. 

Scène de Kein Licht. dans la salle de la Gebläsehalle

Scène de Kein Licht. dans la salle de la Gebläsehalle

L'ambiance sonore, moderne mais dénuée d'agressivité, réserve de beaux moments de douceur et de suavité, et l'humour surgit de formules lapidaires et drôles quand il s'agit de renvoyer tout un chacun à son usage des nouvelles technologies.

Et les contradictions entre danger du nucléaire et effet sur le réchauffement climatique des énergies classiques, et l'importance sous-estimée de l'électricité dans notre mode de vie, sont deux thèmes saillants du texte prétextes à toutes sortes d'effets ludiques à base de jeux d'eau et de ballons gonflables translucides, enveloppés de variations lumineuses dont l'atténuation, en dernière partie, n'est pas sans avoir une influence sur la concentration des auditeurs.

Olivia Vermeulen

Olivia Vermeulen

La construction du spectacle renvoie à tout ce que l'on imagine des origines du théâtre grec : primauté des acteurs, présence sous-jacente du chœur, mis à plat d'une problématique sociale.

Mais il règne également une ambiance de folie décalée depuis les hauteurs du monde qui rappelle les scènes des dieux dans l'Or du Rhin, ce qu'une sphère terrestre, immobilisée sur la géographie de l'Afrique, et balafrée de traces d'exploitations nucléaires, évoque au final.

Le visage de Donald Trump passe comme une étoile filante.

Orchestre United Instruments of Lucilin et choeur Vokalquartett Croatian National Theater Zagreb

Orchestre United Instruments of Lucilin et choeur Vokalquartett Croatian National Theater Zagreb

Toutefois, le rythme et la profusion de surprises ne permettent pas de conclure sur la capacité des créateurs à s'être faits comprendre où à avoir atteint leur but souhaité, mais il règne un optimisme si différent des approches dramatiques médiatiques, que chacun est renvoyé de façon bien plus efficace aux enjeux de l'ère nucléaire. 

Sur ce conglomérat de formes étranges, plane impérieusement la prégnance des appels de sirènes des solistes, prouesses indéniablement charnelles mais qui flirtent avec l'irréalité, un régal sensitif pour qui est sensible aux sonorités de voix hypnotiques.

Reste à savoir comment ce spectacle va s'adapter à des lieux bien différents, tel l'Opéra-Comique de Paris, et réussir à être aussi immersif et captivant qu'à la Gebläsehalle.
 

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