Seul dans Berlin (Luk Perceval-Thalia Theater) Amandiers
Publié le 9 Février 2014
Seul dans Berlin (Hans Fallada)
“Jeder stirbt für sich allein”
Représentation du 02 février 2014
Théâtre Nanterre-Amandiers
Otto Quangel Thomas Niehaus
Anna Quangel Oda Thormeyer
Kommissar Escherich André Szymanski
Eva Kluge Catherine Seifert
Enno Kluge Daniel Lommatzsch
Trudel Baumann / Anwalt Erwin Troll Maja Schöne
Kammergerichtsrat Fromm / Obergruppenfuehrer Prall Barbara Nüsse
Emil Barkhausen / Kommissar Laub / Schupo Alexander Simon
Schauspieler Max Harteisen / Karl Hergesell / Kuno-Dieter Barkhausen Mirco Kreibich
Frau Rosenthal / Hete Haeberle / Kriminalrat Zott Gabriela Maria Schmeide
Der Säugling / Oberpostsekretaer Millek Benjamin-Lew Klon
Adaptation Luk Perceval et Christina Bellingen Daniel Lommatzsch (Enno Kluge)
Mise en scène Luk Perceval
Production Thalia Theater Hamburg
Mettre en scène un roman qui décrit avec une précision humaine rare les conditions de vie de la population berlinoise sous le régime nazi oblige à choisir un regard qui ne pourra jamais totalement rendre l'entière complexité des relations qui lièrent la vingtaine de personnages évoqués dans ce livre.
Ceci est d'autant plus vrai qu'une nouvelle traduction du texte vient d'être réalisée par Laurence Courtois (2014 - Editions Denoël) pour, d'une part, mieux restituer le langage familier des mots, et, d'autre part, y intégrer les passages coupés dans la version de référence d' Alain Virelle et André Vandervoorde (1984-Folio).
Pour son adaptation, Luk Perceval choisit de faire confiance à un espace vide planté devant une immense toile qui ressemble à une photographie aérienne d'un quartier de Berlin, et sur lequel n'apparait, en tout et pour tout, qu'un seul objet : une table.
Et sur la droite, une petite fosse symbolise le bord du lac au fond duquel le cadavre d'Enno Kluge disparaitra sous la main du commissaire Escherich. Cette scène, une des plus suffocantes de la pièce, se déroule dans une pénombre totale à peine percée d'un fin rayon lumineux qui éclaire les visages des deux hommes. Un bruit de fond entretien la tension, et les dialogues s'échangent dans un calme serein jusqu'au meurtre libérateur.
Dès le début du spectacle, le langage des acteurs porte en lui quelque chose d'entier et de direct. C'est même par une expression douloureuse, la rage de Madame Rosenthal, que l'on est introduit dans cet univers. Rien ne trahit l'illusion, et tous semblent mus par une histoire personnelle chargée.
Les habitants de la rue Jablonski déambulent indifféremment à travers la scène, et pourtant, parmi ceux-ci, certains seront des délateurs ou des bourreaux du régime, et d'autres, des victimes.
C'est cette première impression qui pose le problème : qui, parmi un entourage qui n'a l'air de rien, agit dans votre dos, rapporte vos faits et gestes, et vous surveille? La mentalité collaborationniste commence par ces petits actes que l'on peut vivre tous les jours, par exemple dans notre travail. On pense beaucoup au film de Florian Henckel von Donnersmarck, 'La vie des autres', même s'il se réfère au régime de la Stasi, 40 ans plus tard.
C'est une des conséquences du dépouillement du plateau : on peut plus facilement transposer la situation.
Mais la réalité oppressive des années 1940 est très clairement affichée et passe, d'abord, par le pouvoir évocateur des costumes de la gestapo et des jeunesses hitlériennes. Mirco Kreibich joue le personnage de Kuno-Dieter d'une façon extraordinairement folle et démoniaque. Et dans la dernière scène, le fait de le revoir sain et sauf, totalement heureux et sans remords, montre comment Fallada a pu saisir cette incroyable capacité de la vie à sortir indemne d'une situation où elle s'était totalement compromise.
Ce dernier sursaut vient par ailleurs alléger- le roman est ainsi construit - une dernière demi-heure lourde au cours de laquelle on assiste à la torture du couple Quangel par la simple oppression des mots, du noir des lieux, de l'atonie du verbe, et du pouvoir de la suggestion - lorsque l'on entend les cris d'Anna.