Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
AOI (un « nôpéra » de Noriko Baba)
Représentation du 22 avril 2016
Maison de la culture du Japon à Paris
Avec Ryoko Aoki (chanteuse et danseuse)
Mise en scène Mié Coquempot, assistée de Jérôme Andrieu
Direction musicale Pierre Roullier
Ensemble 2e2m Noriko Baba
Partant d'une pièce de Zeami Motokiyo écrite au XIVème siècle, 'Aoi no Ue (Dame Aoi)', le directeur du petit ensemble 2e2m, Pierre Roullier, a proposé à la compositrice Noriko Baba de créer une oeuvre contemporaine qui puisse encore nous toucher aujourd'hui.
La maison de la culture du Japon à Paris accueille donc pour deux soirs la création de ce nôpéra qui croise l'écriture vocale du théâtre traditionnel nô avec des expressions corporelles et musicales plus proches de nous.
Ce spectacle forme ainsi un tout, au cours duquel la chorégraphe et réalisatrice franco-japonaise Mié Coquempot restitue une réalité scénique simple et pathétique au drame d'une femme, Rokujo, dont la jeunesse s'est enfuie en lui ôtant toute capacité à jouir de la valeur de la vie.
Nous voyons donc arriver à travers une allée de cordages la jeune artiste Ryoko Aoki, chantant d'une voix noire, monocorde et presque murmurante, son ressentiment désespéré.
Elle erre parmi les bouteilles vides, évidentes traces d'une tentation de l'oubli, s'affale dans son fauteuil, et semble comme absorbée par un ailleurs irréel.
Ryoko Aoki (Rokujo) - Photo Jean Couturier
Ryoko Aoki n'est cependant pas une inconnue dans le monde de l'opéra, car elle a participé en octobre 2013 à la nouvelle production de ‘La Conquête du Mexique’(Wolfgang Rihm) au Teatro Real de Madrid, sous la direction de Gerard Mortier. Elle incarnait, sous l'apparence d'une danseuse, un esprit tentant de rapprocher, en vain, la reine Aztèque Montezuma et le conquistador espagnol Hernan Cortez.
Mais ici, sur l'écran d'un téléviseur situé au sol, près des spectateurs, son visage fin et impassible semble traversé par des ombres passagères, ses idées noires, tandis qu'un autre téléviseur présente les images d'un passé vivant et coloré.
Pour l'auditeur, l'expérience sensorielle prend pleinement sa richesse dans la composition musicale, pour laquelle les sept musiciens bariolés de multiples couleurs mélangent sonorités de violon, flûte et clarinette dans un enchevêtrement de sons étranges qui donnent l'impression d'entendre des chants d'oiseaux.
L'ensemble 2e2m - Photo Jean Couturier
Les amateurs d'art lyrique ne manquent cependant pas de reconnaître, à deux reprises, l''introduction du lamento de 'Didon et Enée' (Henry Purcell) ‘When i am laid in Earth’, qui les renvoie aux pleurs nostalgiques de Didon délaissée par Enée, comme l’est Rokujo par Hikaru Genji.
Cette représentation originale du mal de vivre, du vide vers lequel l'âge peut amener une vie qui s'est trop construite sur une dépendance à l'autre, stimule notre imaginaire et évolue en permanence au cours de ce spectacle d'une heure.
Nous nous laissons donc prendre à une expression insolite de la monotonie, et nous réfléchissons à nous-mêmes pour y retrouver nos états-d’âme, avant que la toute dernière scène qui suit la fureur de Rokujo révèle Ryoko Aoki chuchotant sensuellement quelques mots en langue anglo-saxonne.
Les musiciens s'approchent alors d'elle, et l'entourent dans son moment de paix enfin retrouvé.