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Publié le 10 Mai 2011

Persona.Marilyn (Krystian Lupa)
Représentation du 06 mai 2011
Théâtre Nanterre-Amandiers

Marilyn Sandra Korzeniak
Paula Katarzyna Figura
André de Diebes Piotr Skiba
Docteur Ralf Greenson Wladyslaw Kowalski
Francesco Marcin Bosak

et Krzysztof Dracz, Adam Graczyk, Henryk Niebudek, Jolanta Olszewska, Agnieszka Roszkowska, Andrzej Szeremeta, Marcin Tyrol, Agnieszka Wosińska, Małgorzata Maślanka, Pawel Miskiewicz

Texte, scénographie et mise en scène Krystian Lupa
Musique Pawel Szymanski, Costumes Piotr Skiba, Vidéos Jan Przyluski

Production Teatr Dramatyczny

Tout se passe dans un ancien studio, au milieu duquel quatre tables sont réunies pour former un autel improvisé, une bulle pour que Marilyn puisse laisser son corps exprimer la mouvance de son âme.

Lorsqu’elle allume la radio, on entend une voix caressante, jeune, chanter avec douceur The Man I love. Un piano l’accompagne, et chaque note emplit de solitude et de nostalgie son écoute. Maybe i shall meet him Sunday, Maybe Monday, oh maybe not… sont quelques mots qui suggèrent subtilement les sentiments d’attente avec lesquels elle apparaît.

Par soucis de vraisemblance, Krystian Lupa aurait pu choisir l’interprétation d’Ella Fitzgerald, cependant, il a retenu la version profondément mélancolique d’Ivri Lider, chanteur, compositeur et réalisateur israélien de la bande originale du dernier film d’Eytan Fox, The Bubble, dont l’air est extrait.

Dans la même teinte vocale, adolescente et déphasée, Sandra Korzeniak investit le personnage de Marilyn d’une manière qui nécessite, à l’évidence, un passage dans un état second fortement éprouvant.
Personne, réellement au fait de l’approche théâtrale de Lupa, et de son sens de la vérité intime de la vie, ne peut espérer une vision idéalisée de l’actrice.

Sandra Korzeniak (Marilyn)

Sandra Korzeniak (Marilyn)

Seulement, Sandra Korzeniak fait quelque chose que l’on voit rarement sur scène.
Simplement vêtue d’un pull noir, du moins au début, et ne laissant apparaître qu’un décolleté et ses jambes blanches, toute l’expression de son corps et la blondeur de sa chevelure ondulée évoquent la tendresse, et l’innocence de l’enfance.

Elle ondoie, hésite, prend des poses parfois désaxées, et la beauté vient de cette souplesse qui cache la douleur interne que Marilyn supporte, c’est-à-dire ce manque qui s’est immiscé en elle, et qui est comme un rappel prégnant à chaque instant de sa vie, mais que personne ne peut voir.

A sa manière, elle trouve moyen de sortir d’elle-même, et de son mal de vivre, en se rêvant Grouchenka, héroïne des Frères Karamazov, le roman de Dostoïevski, et donc objet de rivalité pour les hommes.

Plusieurs personnes lui rendent visite, Paula, l’amie taciturne qui ne veut pas la voir telle qu’elle est, sinon fidèle à l’icône qui émerveille toute la société, le déjanté photographe André de Diebes, pour lequel elle se livre à un ensemble de poses très sensuelles, et le docteur Ralf Greenson, amoureux et protecteur.

Elle fonde son humanité sur son rapport intime au corps, sa manière simple d’en parler y compris de celui des autres. Krystian Lupa pousse très loin ce trait de caractère dans la relation qu’elle a avec un amant de passage, Francesco.

La tension atteint son paroxysme lorsque Marilyn lui fait faire des tours de bicyclette complètement nu, dans un silence uniquement rythmé par les crissements du vélo, avant qu’il ne la rejoigne pour l’étreinte ultime. Elle le fait d’abord pour lui, car ce n’est pas ce qui la rend plus heureuse pour autant.

Après une telle focalisation, sans doute un peu excessive, sur le corps de Sandra Korzeniak, en totale impudeur et avec force, la pièce s’achève sur une dénonciation des lacunes que révèle l’attente reportée sur un mythe, puisqu'elle ne sert qu’à combler un manque personnel d’humanité.
Les figurants qui interviennent, à ce moment là, sont particulièrement amorphes.

Et, à partir d’une vidéo où s’embrase le corps de Marilyn Monroe, Krystian Lupa crée un choc un peu inutile, mais visuellement spectaculaire.

Quand on prend un peu de recul sur ce travail, on se rend compte à quel point il est chargé d’une identité culturelle bien marquée, pas simplement à cause de la langue polonaise, mais aussi par les symboles qui lui sont intégrés : Marilyn Monroe s’était convertie au judaïsme pour son mari, Arthur Miller, lui-même issu d’une famille d’émigrants polonais juifs, et ce dernier eut le projet de porter à l’écran Les Frères Karamazov.

Enfin, on peut rappeler que Krzysztof Warlikowski, assistant de Krystian Lupa dans sa jeunesse, a aussi abordé l’icône éternelle de Marilyn Monroe à travers L’Affaire Makropoulos à l’Opéra de Paris. Cette production, qui fît l’unanimité, serait reprise en 2013.

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