Publié le 21 Février 2011
La pagina en blanco (Pilar Jurado)
Représentation du 18 février 2011
Création Mondiale au Teatro Real de Madrid
Ricardo Estapé Otto Katzameier
Xavi Novarro Nikolai Schukoff
Aisha Djarou Pilar Jurado
Marta Stewart Natascha Petrinky
Gérard Musy Hernan Iturralde
Kobayashi Andrew Watts
Ramon Delgado José Luis Sola
Direction Musicale Titus Engel
Mise en scène David Hermann
Nikolai Schukoff (Xavi Novarro)
La création Mondiale de La pagina en blanco est un aboutissement musical pour Pilar Jurado, qui à la fois soprano, chef d’orchestre et compositrice, car non seulement il s’agit du premier opéra qui lui a été commandé au cours des mois qui précédèrent la nomination de Gerard Mortier à la direction artistique du Teatro Real, mais également parce qu’elle s’est réservée un rôle scénique et la charge la rédaction du livret.
Le texte, prosaïque et purement narratif, raconte l’histoire fantastique d’un compositeur qui a perdu sa flamme inspiratrice. Un directeur de théâtre, Gérard Musy (contraction malicieuse de Gerard Mortier et de Jean-Marie Musy, un conseiller musical de Pilar Jurado), une cantatrice, Aisha Djarou (anagramme de Jurado) et un ami possédant un robot chanteur, Xavi Novarro, se mettent dans l’idée de faire revivre les émotions créatrices de l’artiste, notamment en misant sur la nouvelle histoire d’amour qui se noue entre lui et la chanteuse.
Mais le compositeur perd la vie dans un accident de voiture, et son corps est alors porté dans un laboratoire pour que soit récupérée l’énergie lyrique de l’opéra qu’il a imaginé.
On ne peut pas dire que le thème de l’influence des technologies sur notre espace mental soit abordé de la manière la plus convaincante qui soit, le passage du monde réel au monde imaginaire ne se percevant pas, surtout que les solutions théâtrales de David Hermann insistent sur les expressions corporelles des artistes, sourires étranges, convulsions, et sur un jeu un peu trop calculé.
En revanche, la chambre du compositeur, stylisée et d’un blanc immaculé, surplombant un monde souterrain médiocrement réel, est disposée à l’intérieur d’un cube qui s’ouvre pour présenter sur ses faces des vidéographies colorées d’oiseaux et de poissons évoluant dans un univers angoissant (L'univers du Jardin des délices de Jérôme Bosch, Triptyque exposé au musée du Prado). Il en ressort une impression d'espace hors du temps.
Cet ensemble a de quoi déstabiliser, surtout que l’écriture vocale reste assez monotone pour la plupart des chanteurs et se limite à un crescendo de la voix humaine, excepté pour les vocalises un peu trop vite expédiées de Pilar Jurado, et pour la puissance impressionnante du contre ténor héroïque Andrew Watts, d’une carrure inhabituelle pour cette tessiture.
Le caractère incisif de Nikolai Schukoff est ici sous employé, contrairement l'interprétation qu'il avait faite de Jim dans Mahagonny au Capitole de Toulouse.
Comme très souvent, on sent que Gerard Mortier a essayé de diffuser dans le texte quelques petits messages qui ne sont pas anodins : Nous pensons que nous contrôlons notre propre vie. Peut-être nous limitons nous seulement à suivre un jeu, le misérable jeu de la vie et le grandiose jeu de la mort.
La partition de Pilar Jurado est en revanche d‘une haute valeur musicale. Le tissu des structures des cordes est d’une beauté rare, expressionniste, les reflets s’y éclaircissent, frissonnent, alors que les percussions viennent soutenir l’action sans que l’on ressente l’agressivité que nous avait fait subir Bruno Mantovani dans Siddharta la saison dernière à Bastille.
Les chœurs, stimulants et vivifiants, sonnent comme la tempête qui brasse l‘énergie créative du compositeur, mais aussi comme un violent maelstrom qui emporte tous les chanteurs dans la scène finale, une sorte de chute vertigineuse que précipite un Phoenix au regard inquiétant, dans un feu infernal.