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Publié le 6 Juin 2008

Iphigénie en Tauride (Gluck)
Représentation du 02 juin 2008

Opéra Garnier
 
 Iphigénie          Mireille Delunsch
 Pylade              Yann Beuron
Oreste              Stéphane Degout
Thoas              Franck Ferrari
Diane               Salomé Haller
Iphigénie          Renate Jett (rôle non chanté)

Direction          Ivor Bolton

Mise en scène Krzysztof Warlikowski

 

« Ce ne sont pas mes productions qui sont scandaleuses mais le public qui fait du scandale! », et c’est avec ce délicieux bon sens que Gerard Mortier défendait il y a encore quelques jours ses choix sur France Musique face à un Lionel Esparza absolument ravi.

                                                                                                   Renate Jett (Iphigénie)

Car Iphigénie en Tauride dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski avait suscité une agitation rare à l’Opéra Garnier en juin 2006, houle de huées massive lors de la première, interrup tions de la représentation, invectives, et nous pouvons imaginer la nature des courriers  qui arrivèrent sur le bureau de la direction de l’Opéra National de Paris à la veille de l’été.

Il n’est donc pas inutile de rappeler le contexte de création de ce spectacle. Isabelle Huppert originalement prévue pour mettre en scène Iphigénie se décommanda cinq mois avant la première, ne laissant alors que deux mois à  Krzysztof Warlikowski pour y réfléchir.

Et comme en juillet 2005, le metteur en scène polonais venait de triompher à Avignon avec la pièce Krum,  il possédait déjà une matière lui permettant d’immerger le spectateur dans son univers et de s’intéresser à nouveau à un personnage qui a raté sa vie.

Mireille Delunsch (Iphigénie)

Mireille Delunsch (Iphigénie)

Krzysztof Warlikowski suppose, et il a raison, que le spectateur est intelligent et peut comprendre des dispositifs scéniques rapprochant passé et présent dans un même espace.

C’est ce qu’il fait en présentant Iphigénie comme une vieille dame s’accrochant jusqu’au dernier souffle à sa dignité (habillée en grande classe parmi les personnes âgées d’une maison de retraite) et se remémorant sa vie dramatiquement sacrifiée par sa famille.

Réapparaît alors une seconde Iphigénie, jeune cette fois, jouée en alternance par la soprano ou bien la fantastique actrice Renate Jett que nous avons revu dans Parsifal.

Le point de départ est le mariage d'Iphigénie avec Achille qui finalement n'aura pas lieu, la jeune fille se retrouvant sous l'emprise de Thoas une fois arrivée en Tauride.

Cette vision psychanalytique reconstitue l’enchaînement des pulsions criminelles qui conditionnent la famille des Atrides (meurtres d’Agamemnon par Clytemnestre,  de Clytemnestre par Oreste et enfin d’Oreste par Iphigénie qui sera ici arrêté à temps).

Pour renforcer la violence de cette histoire et son caractère obsessionnel, Krzysztof Warlikowski manie des éclairages aussi bien rouge éclatant que vert crépusculaire.

Mais ce sont avant tout les miroirs semi réfléchissants qui permettent de disloquer le champ théâtral.
Selon l’angle d’attaque des lumières, la salle et l’avant scène se reflètent totalement, ou bien l’arrière scène se superpose aux reflets des glaces, comme nos propres images mentales peuvent interférer.

Yann Beuron (Pylade) et Franck Ferrari (Thoas)

Yann Beuron (Pylade) et Franck Ferrari (Thoas)

Il faut reconnaître que la dimension confuse du dispositif peut égarer un peu le spectateur.

 

Il en ressort des scènes particulièrement malsaines, comme le meurtre de Clytemnestre par Oreste exécuté par un acteur totalement nu et frappant sa mère à chaque fois que le chœur reprend « il a tué sa mère ».

Ce sont également des images de solitude poignante et de vide affectif (Iphigénie tenant son coussin au moment de choisir l’homme qu’elle épargnera), et enfin l’apaisement final après le meurtre de Thoas qui libère la prêtresse d’un poids écrasant.

 

Il y a deux ans, Maria Riccarda Wesseling avait été une Iphigénie adéquate à cette vision et prenait plaisir à chanter dans des postures inhabituelles. Mireille Delunsch se plie également à la volonté de K.Warlikowski mais de manière plus mesurée et plus inégale vocalement dans sa projection sonore. Le timbre accentue un sentiment d’angoisse étriquée.

 

Yann Beuron paraît un peu las mais toujours aussi doux et c’est surtout Stéphane Degout qui porte le duo d’hommes dont la force émotionnelle des dialogues reste scéniquement traitée avec beaucoup de pudeur.

Frank Ferrari est un Thoas absolument parfait par sa noirceur et les réactions de rejet qu’il dégage, et si Ivor Bolton tire des couleurs parfois scintillantes de l’orchestre il se laisse aussi emporter par le drame sans trop penser aux chanteurs.

Lire également le compte-rendu de la reprise du 11 et 14 septembre 2021 Iphigénie en Tauride (Erraught – Ott - Hengelbrock - Warlikowski) Garnier.

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Publié le 19 Mai 2008

Angels in America (Tony Kushner)
Représentation du 17 mai 2008 (Théâtre du Rond Point)
Durée 5H45 mn (dont un entracte)

Andrzej Chyra Roy M.Cohn                      Tomasz Tyndyk Prior Walter
Jacek Poniedzialek Louis Ironson             Maciej Stuhr Joe Porter Pitt
Maja Ostaszewska Harper Amaty Pitt      Danuta Stenka Ethel Rosenberg
Boguslawa Schubert Hannah Porter Pitt    Rafal Mackowiak Belize
Magdalena Cielecka the Angel                 Zygmunt Malanowicz Martine Heller

Mise en scène Krzysztof Warlikowski

Après le téléfilm de près de 6h réalisé par Mike Nichols en 2003, d’où jaillit un fantastique magnifique, puis l’opéra de Peter Eötvös mis en scène de manière fort émouvante au Châtelet en 2004, voici dont la version Warlikowski.

Tomasz Tyndyk (Prior Walter)

Tomasz Tyndyk (Prior Walter)

Aucun apitoiement ici ; le style est toujours aussi direct, violemment contradictoire lorsqu’il s’agit d’opposer les pulsions de Joe Porter Pitt à sa morale mormone, de montrer la nature oppressive du parti républicain ou d’exposer des êtres de chair.

Le metteur en scène réussit très bien à lier l’évolution du couple d’hommes et du couple mormon, en entrelaçant leurs vies sur scène et leurs dialogues pour mieux montrer les forces communes qui les animent.

La rencontre entre Roy M Cohn et Ethel Rosenberg est un admirable parallèle avec la scène hallucinatoire d’Hermann

face à la Comtesse dans « La Dame de Pique », et la transformation de Prior en Jésus à la chevelure enlaidie en dit long sur la manière dont la religion catholique peut faire porter toute sa propre culpabilité sur celui qu’elle juge comme le symbole du péché.

Et puis, il y a cette ambiance sonore qui semble installer un faux confort, mais dont nous sommes parfois sortis de manière brutale comme cet hymne américain version Metal et très agressif qui nous fait comprendre trop bien le sentiment de révolte envers l’Amérique républicaine.

Andrzej Chyra (M. Cohn) et Danuta Stenka (Ethel)

L’insertion des surtitres est en revanche moins bien réussie que dans les autres pièces de Warlikowski (beaucoup trop surélevés), et peut être aurait-il mieux valu couper du texte écrit pour permettre de lire l’essentiel.
Mais quelle vie sur scène !

Un  grand moment de frisson restera l’intervention de l’Ange avec sa voix surnaturelle et mystique.

 

 

                                                                          Maciej Stuhr (Joe Porter) et Maja Ostaszewska (Harper Amaty)

De ce monde qui semble si vrai et chaotique, Prior Walter réssuscite enfin en costume bleu ciel et étincellant comme un grand soulagement.

Après Krum, Parsifal et Iphigénie en Tauride dans quelques jours, la saison 2007-2008 place Krzysztof Warlikowski au centre de la vie Théâtrale parisienne.

Profitons en car il semblerait que Nicolas Joël, futur directeur de l’Opéra de Paris compte se débarrasser de toutes les productions de l’artiste polonais. Pour le bonheur d’un public traditionnel, craintif et avide de confort sans doute.

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Publié le 6 Mars 2008

Nouvelle production de Parsifal (Richard Wagner)

Première représentation du 04 mars 2008 à l'Opéra Bastille
 
Amfortas Alexander Marco-Buhrmester
Titurel Victor von Halem
Gurnemanz Franz Josef Selig
Klingsor Evgeny Nikitin
Kundry Waltraud Meier
Parsifal Christopher Ventris
L'accompagnateur Renate Jett
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Direction musicale Hartmut Haenchen
 
                                                                                 Renate Jett( Dave)
 
 
Ce qui est présenté ci-dessous ne sont que quelques éléments et impressions de la nouvelle mise en scène de Parsifal qui ne prétendent pas couvrir tout le travail de réflexion du metteur en scène et encore moins toute l’analyse de l’œuvre. Une présentation de cette nouvelle production est d’ailleurs restituée dans l’article Parsifal par Gerard Mortier.
 
Autant le dire d’emblée, le Parsifal mis en scène par Krzysztof Warlikowski donne le sentiment d’un incroyable et inégal rapport de force entre une musique et sa mythologie d’une part et la remise en question de la substance de l'œuvre d’autre part.
Le metteur en scène polonais choisit ainsi de faire intervenir deux rôles muets dans sa scénographie : un enfant et Dave Bowman.
 
L'enfant est cette humanité pleine de vie et perméable à ce que sa famille voudra bien lui transmettre mais aussi l’espoir d’un avenir meilleur.
Tout au cours du drame, l’enfant est donc observateur d’une histoire de famille bourgeoise. Il ne voit autour de lui que des personnages l’ignorant et obsédés par la vénération du Saint Sacrement (les chevaliers du Graal) ou bien par la vengeance (Klingsor).
Il tente bien d’attirer l’attention, de se rendre utile, mais sa vie n’intéresse personne.
Dave Bowman est quand à lui présenté pendant l'ouverture orchestrale à travers la dernière séquence du film de Stanley Kubrick "2001 l'Odyssée de l'Espace".  
 
                                                                                                                     L'enfant
A priori aucun rapport avec Parsifal.
Sauf qu'il symbolise une humanité qui est allée tellement loin qu'elle en est devenue un esprit totalement détaché de la vie (lorsque le verre se brise, Bowman regarde cette eau qui se perd avec une totale indifférence).
Seul retrouver son monolithe (son Graal) l'intéresse.
 
Warlikowski ne projette cependant pas la dernière séquence du film représentant une sorte de foetus (l'esprit humain) contemplant de loin la Terre (là ou est la vie) et qui est encore plus parlante.
Dave Bowman incarne donc cette déshumanisation.
Parsifal, l’idiot parfait, reste cependant incapable de le suivre tout au cours du premier acte.
 
L’histoire des deux mondes (le domaine du Graal et le domaine de Klingsor) est raconté par Gurnemanz sous forme d’un dessin animé qui se construit selon des tracés qui suivent l’évolution des lignes musicales. Le monde semble simple : il y a le bien d’un côté et le mal de l’autre.
La cérémonie du Graal est une scène impressionnante où l’enfant, témoin de l’insensibilité des chevaliers à la douleur d’Amfortas, tente même de résister à la violence de ce véritable bourrage de crâne. L’impression est renforcée par une projection visuelle du texte face aux spectateurs.
Tout se passe dans une grisaille déprimante.
L’amphithéâtre joue ici un rôle principalement monumental et par effets d’éclairages devient au second acte le château de Klingsor évoquant même en filigrane la forme idéale d’une coupe.
 
Justement, cette deuxième partie est une débauche de couleurs, les filles fleurs, prostituées chics, et Kundry, une magnifique actrice de music hall toute en paillette et mère séductrice.
Waltraud Meier (Kundry)

Waltraud Meier (Kundry)

C’est au moment clé, celui du baiser de Kundry, que Krzysztof Warlikowski suit une logique différente de Wagner. Parsifal a bien une révélation. Mais habillé en marcel et simplement recouvert d’un drap, cette illumination n’en fait pas un homme de religion sérieux.
Le motif du Graal n’est aucunement accompagné d’une variation d’ambiance lumineuse.
Il est toujours fou mais cette fois particulièrement dangereux. Son signe de croix envers Klingsor (en tenue de soldat bleue et rouge) est comme une marque au fer rouge grandiose et pour finir, Parsifal se décide à rejoindre Dave à table achevant une sorte de damnation. Il part en guerre.
Kundry n’est donc plus responsable de sa malédiction.

En utilisant la scène du suicide d’Edmund dans  « Allemagne année zéro » de Rossellini au début du IIIième acte dans un silence total, la désespérance de l’enfant face à la fascination de son monde pour un idéal mortifère éclate. C’est tout le chemin spirituel suivi jusqu’à présent qui est remis en question puisqu’il n’a jamais été question d’amour de la vie.

Et la musique prolonge ce sentiment de désolation comme la tristesse du décor.

Parsifal, guerrier épuisé, revient d’années de combat et d'errance.
Rien ne semble avoir changé. L’enfant est laissé à l’entretien de quelques plantes, Amfortas embrasse Titurel mort dans son cercueil, les chevaliers sont toujours aussi insensibles à sa douleur. Seule Kundry, plus âgée, est maintenant au service des hommes.
                                                                          Christopher Ventris (Parsifal après l'errance)
 
Le geste rédempteur provient enfin de Parsifal qui relie de sa lance Amfortas (l’humanité qu’il faut guérir) et Kundry (celle qui aspire à l’humanité et par laquelle passe la guérison).
La vraie faute résidait dans son propre conditionnement idéologique.
L'amphithéâtre (dont les lumières soulignent la forme d'une coupe) avec les chevaliers recule alors jusque fond de la scène suivi par Dave : l'inhumain dans la quête de l'idéal est ainsi écarté.
Parsifal, Amfortas, Kundry et l’enfant se retrouvent alors autour d’une table, le premier moment de chaleur et de vie de tout l’opéra.
L’émotion de ce moment simple est d’ailleurs surprenante.
 
Krzysztof Warlikowski apporte donc un éclairage nouveau sur l’œuvre de Wagner en en faisant un drame de la déshumanisation. Il ajoute une tension en utilisant l’enfant comme révélateur du chemin vers l’avenir humain d’une part et Dave comme aboutissement vers l’inhumain. La femme avec son désir d'humanité devient la solution.
C’est convaincant, mais en remettant en cause l’évolution spirituelle progressive habituelle, le metteur en scène pose un défi. Comment lire l’œuvre pour y voir une vision humaniste sans la moindre ambiguïté ?
Waltraud Meier et Christopher Ventris ( scène de séduction de Kundry)

Waltraud Meier et Christopher Ventris ( scène de séduction de Kundry)

Si l'on en juge par la réaction d'une partie du public n'acceptant pas d'attendre deux minutes de silence avant que la musique du 3ième acte n'installe un climat d'affliction, il semble que l'envoûtement de la musique de Wagner l'emporte sur son contenu textuel et son sens.  Et cela laisse songeur.

Pour accompagner cette vision forte, Gerard Mortier a composé une équipe remarquable : Warlikowski réussit même à faire de Franz Josef Selig un bon acteur. La basse, déjà douée d'une noblesse naturelle est en plus un Gurnemanz d'une grande sensibilité.

Alexander Marco-Buhrmester, voix plutôt claire, attaques bien nettes et regard blessé, est d'un pathétique saisissant alors que Victor von Halem fait surgir un Titurel glacial et lugubre.

Immense actrice, Waltraud Meier laisse pourtant l'impression d'un je ne sais quoi de distance. Mais il est vrai aussi que Kundry ne cesse de changer de visages, à la fois sauvage puis maternelle et terriblement séductrice dans le second acte. Impossible de savoir à qui nous avons à faire.

Phrasé toujours aussi précis, quelques aigus trop tirés, la transformation au IIIème acte en mère si simple est étonnante.
Waltraud Meier et l'enfant (une vision de la Cène)

Waltraud Meier et l'enfant (une vision de la Cène)

Enfin, Christophe Ventris est un Parsifal avec une vaillance, un certain tranchant et une certaine luminosité dénués cependant de réelle sensualité sans oublier le Klingsor d' Evgeny Nikitin très en forme.
Hartmut Haenchen fait de la musique de Wagner un tissu de raffinements.
Pas d'exagération théâtrale, aucune lourdeur, mais une contribution à un climat troublant.

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Publié le 29 Février 2008

Présentation de la nouvelle production de Parsifal par Gerard Mortier.
Amphithéâtre Bastille le Lundi 25 février 2008.
Représentations à l'Opéra Bastille du 04 mars au 23 mars 2008.

 

Voir également Nouvelle Production de Parsifal à l'Opéra Bastille pour le compte rendu de la première représentation.
 
19 ans après la production du théâtre de La Monnaie de mars 1989, Gerard Mortier réalise pour la deuxième fois une production de Parsifal.
 
Les moyens de l’Opéra Bastille vont d’ailleurs lui permettre de créer une configuration identique à Bayreuth ( où il vit une première mise en scène en 1964) avec un très grand orchestre composé de 16 1er violons, 14 alti, 12 violoncelles et 10 contrebasses.
 

Les problèmes que pose l’œuvre

Le spectateur qui s’installe pour écouter Parsifal peut ressentir un certain malaise pour au moins trois raisons.

Premièrement qu’est ce que cet ouvrage ? Un théâtre ? Une sorte de religion ? Une messe ?
Au Festspielhaus de Bayreuth il était même interdit pendant longtemps d’applaudir après le premier acte et il fallait sortir en toute tranquillité comme dans une église.
Pas étonnant qu’Igor Stravinsky en partit furieux de voir un tel comportement.

Car si dans « St François d’Assise »  Olivier Messiaen parle de dieu sans rien montrer sur scène, dans l’œuvre de Wagner tout est là : le pigeon blanc de Pentecôte, le Calice, les chœurs du ciel et ensuite tout le texte pour finir sur la phrase « Rédemption au rédempteur », le Christ étant ainsi sauvé par Parsifal.

Il est d’ailleurs étrange que Parsifal, qui est un guerrier, ait pu recevoir une mission de dieu.
Alors comment aborder cela ?

Thomas Mann dit que Wagner a développé une sorte de théologie privée, qu’il a voulu libérer la religion de l’orthodoxie religieuse (l’église canonique).
Comment faire alors avec toutes ces références à la chrétienté pour toucher un public contemporain de moins en moins croyant dans un siècle très sectarisé ?

En deuxième lieu, comment aborder le personnage de Kundry ?
A partir de Saint Augustin, se développe l'idée que la Femme est à l’origine du péché et du malheur de l’homme. La Femme incarne le diable.

Qu’est ce qu’elle est au juste?  Elle est très laide dans la journée (elle est décrite comme un animal) et la nuit est d’une beauté incroyable, l’incarnation de la séduction.

Mais ce qui est encore plus difficile à accepter est que Kundry est très caractéristiquement indiquée comme une Juive. Elle a été condamnée pour avoir ri au passage du Christ portant sa Croix.

Certains metteurs en scène refusent pour cette raison de mettre en scène Parsifal. Patrice Chéreau a toujours refusé de le faire (il était prévu pour Bayreuth).

Et puis il y a ce cri étrange au moment du baiser de Kundry à Parsifal. C’est simplement la prise de conscience de lui-même par la sexualité. Mais cette prise de conscience est presque condamnée car il doit aller se repentir.

Enfin comment comprendre ce qu’il se passe lors de la dernière scène ?
La rédemption se fait car Amfortas est guéri par la lance de Parsifal et seule Kundry doit mourir (avec Klingsor au deuxième acte).
Le monde remis en ordre à la fin est donc un monde d’hommes et non pas un monde de femmes.


Quelques éléments sur l’histoire de la représentation du Graal

La question du Graal vit avec nous depuis longtemps.

A Gand (où est né Gerard Mortier) se trouve le Château des comtes construit par le Comte Philippe d’Alsace lorsque qu'il revint de la seconde croisade (1180).

Il y invita le troubadour Chrétien de Troyes afin d’écrire pour son fils un roman d'initiation : "Perceval".
La passage sur le Graal est très court (25 vers sur 9000) et le livre est resté inachevé. Seulement c'est un épisode d'une extrême beauté.

Une fois  Perceval entré dans le château du roi Pescheor, un très beau cortège de jeunes filles et de jeunes hommes défile sous ses yeux (avec de magnifiques descriptions des robes, des visages ...) en portant trois symboles : une pierre, le Graal (sorte de coupe) et une lance dont coule du sang.
La beauté de cette vision émerveille tout le monde et est décrite avec beaucoup de sensualité.

Mais à la même époque, la religion catholique fait du Graal le Calice avec lequel Joseph d'Arimathée récupéra le sang du Christ.

Enfin, Wolfram von Eschenbach (1175-1225 environ) parle du Graal dans le très long poème Parzival qui inspirera Richard Wagner.

La mythologie du Graal est de toute évidence présente dans beaucoup de religions et se retrouve même dans les cultes préislamiques (la Pierre Noire d'Arabie devenue lieu de pèlerinage aujourd'hui).

Gerard Mortier a ainsi proposé à Amin Maalouf de réfléchir à un spectacle œcuménique sur le Graal en partant de matériel arabe. Après un an d'étude le projet a cependant échoué mais peut-être sera t'il monté au New York City Opera.

Le symbole du Graal est donc au Moyen Age une sorte d'incarnation du paradis.


La mise en scène de Parsifal

L’inquiétude qu’a le metteur en scène en s’attaquant à une œuvre pareille est que Parsifal ne pouvait être joué qu’à Bayreuth entre 1882 et 1912.
En 1904, il y a bien une tentative au Metropolitan Opera grâce à une petite partition récupérée, mais c'est un sacrilège.
S’installe alors cette idée de pèlerinage comme à Lourdes.

La mise en scène définie par Richard Wagner fait référence à des lieux très réalistes : le Temple s'inspire de la Cathédrale de Sienne, tandis que les jardins de Klingsor reproduisent ceux de Ravenne.
Jusqu’en 1933 elle ne change pas.

Siegfried, le fils de Wagner, envisage de la renouveler mais finalement décide de ne pas le faire.
Par contre Hitler souhaite la changer car il aime les « Maîtres Chanteurs de Nuremberg » mais pas Parsifal à cause de ses références religieuses (il n’avait pas vu que Kundry était juive). L’intendant Nazi Hans Tietjen crée ainsi une nouvelle production en 1934 dans les décors d'Alfred Roller et Emil Preetorius.
Cependant elle ne dure que 3 ans et en 1937, Wieland Wagner signe de nouveaux décors.

En 1951, Wieland Wagner a cette magnifique idée de concentrer la mise en scène sur les effets de lumières et couleurs. Inspiré par la psychologie de Freud, Kundry devient une araignée qui attend tous ces hommes dans sa toile.

Tous les symboles sont là : le pigeon (le saint esprit), le cygne (la sensualité selon la mythologie de l’Edda) tué par Parsifal, le calice (symbole féminin) et la lance (symbole masculin).

Chez Richard Wagner il y a toujours cette scission entre la sensualité et l'amour absolu (thème qui parcourt également Tannhaüser).

Aucune mise en scène ne peut cependant atteindre la vérité beaucoup trop complexe de l’œuvre.


La mise en scène de Krzysztof Warlikowski

Le point de départ est de ne pas effacer la relation avec le religieux mais de la mettre parfois entre parenthèse ou alors de l’accentuer.

Il y a beaucoup de mises en scènes qui l’effacent et tuent ainsi la pièce en la sécularisant complètement. Dans ce cas, c'est aussi le rapport avec la musique qui est estompé.

D'ailleurs à Paris en 2004, le côté religieux de Saint François d’Assise a été gommé ce qui n’a pas vraiment réussi à l’ouvrage.

Entre la première de Parsifal et aujourd’hui, nous avons vécu un XXième siècle avec deux guerres mondiales, dans lequel beaucoup de choses se sont passées et sont présentes dans l’œuvre de Richard Wagner, c'est-à-dire toute cette réflexion sur la sécularisation, ce côté idéaliste, ce côté pseudo religion.

Gerard Mortier et Krzysztof Warlikowski ont ainsi essayé d’intégrer les grandes réflexions du XXième siècle. Il ne faut donc pas attendre un premier degré mais faire l’effort d’accepter un second degré.
Par exemple la « Montagne Magique » de Thomas Mann est aussi une sorte d’initiation dont le jeune Hans Castorp bénéficie. Pourtant à la fin il part en guerre et y meurt.

Des associations avec des œuvres artistiques du XXième siècle ont été incorporées.
Dans « 2001 l’Odyssée de l’Espace », le grand monolithe représente pour Stanley Kubrick le Graal, cette pièce que l’on ne comprend pas.
Des images de films de Rossellini interviennent également comme Krzysztof Warlikowski fit dans l’Affaire Makropoulos.

A la fin, tous ces personnages forment une famille : Amfortas et Klingsor sont demi-frères et Titurel est le père d’Amfortas. 
Quand à Kundry, qui est une femme qui renaît tout le temps et qui décrit avec une telle émotion la mort de Herzeleide, ne pourrait-elle pas être justement sa réincarnation ?
Il faut se souvenir que la mère de Parsifal l’a en vain empêché de suivre les traces d’un père, Gamuret, attiré par les aventures héroïques.

Kundry est le personnage le plus important.
C’est par elle que la pièce a beaucoup à raconter aujourd'hui. C’est une figure très moderne, bousculée par une grande aspiration à l’humanité et hédoniste comme est notre monde.
Mais avec tous les mouvements féministes rencontrés au XXème siècle, le metteur en scène ne peut se faire à l’idée de Wagner que Kundry doit mourir. C'est philosophiquement impossible.

Alors la famille se retrouve à la fin autour de la table qui pourrait être celle de la Cène.

 

Introduction musicale à Parsifal

L’idée de base de Parsifal est la symétrie des 3 actes. Les Ier et 3ième actes se reflètent et le second vient comme un grand contraste aux deux autres.
Puis dans chacun de ces actes se crée une opposition entre la musique diatonique et la musique chromatique.

Ainsi la musique diatonique, utilisée pour les mélodies les plus simples, se distingue par la clarté de son harmonie alors que la musique chromatique utilise les ½ tons ce qui crée une très grande tension dans l’harmonie classique.

Le chromatisme caractérise par exemple  Klingsor, Kundry, la magie ou bien la douleur d’Amfortas.
La musique de Parsifal, jeune garçon innocent (sauf à la fin lorsqu’il devient roi où la musique est naturellement chromatique), les thèmes liés au Graal,  tout ce qui relève de la foi et qui est beau sont de nature diatonique.
Ce dualisme très simple est donc pris comme point de départ.

Mais ce n’est pas aussi clair car tous ces personnages ont des histoires qui reprennent les motifs des autres, et les thèmes se modifient.
Avec ces leitmotive, l’art de Wagner est d’introduire le thème de la transformation.

L’opéra commence alors sur le motif du Graal (Mendelssohn l’utilise dans la 5ième symphonie avec l’amen de Dresde), puis enchaîne avec le motif de la foi présenté dans l’appel du matin.
Les chevaliers parcourent la forêt et de loin entendent ce thème.

Avec Kundry, la musique devient très agitée, motif de la chevauchée suivi de celui de Kundry qui est un motif descendant.
Le motif le plus chromatique dans le premier acte et celui de Klingsor, qui n’est pas présent mais est présenté par Gurnemanz dans son grand récit.

Et c’est à partir du second acte que Wagner apparaît vraiment comme l’élève de Ludwig van Beethoven car dans son développement tous les thèmes sont repris puis déconstruits et combinés les uns avec les autres. Enfin le  3ième acte est une reprise du Ier (à l’instar de la 5ième symphonie de Beethoven) où tous les motifs reviennent mais un peu modifiés.

C’est Alban Berg qui a vu tout cela chez Wagner et qui a poussé à l’extrême cette technique dans Wozzeck en construisant des scènes comme une symphonie.

Le philosophe allemand Arthur Schopenhauer disait que la musique est incapable d’exprimer le paradoxe, l’ambiguïté, et qu'elle ne peut qu'exprimer l’émotion pure.
Pourtant dans le second acte, les motifs du Graal diatoniques apparaissent dans un contexte chromatique et c’est tout cela qui crée une ambiguïté.

Wagner réussit donc à exprimer l’ambivalence du personnage de Kundry : d’abord les motifs sont présentés dans une pensée très claire et à la fin on ne sait plus ce que ces motifs veulent dire.

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Publié le 13 Décembre 2007

Krum (Hanokh Levin)
Représentation du 12 décembre 2007 (Théâtre de l’Europe)

Kroum Jacek Poniedzialek           La Mère Malgorzata Rozniatowska
Trouda Magdalena Cielecka        Doupa Malgorzata Hajewska-Krzystofik
Tougati Redbad Klijnstra            Félicia Anna Radwan-Gancarczyk
Dulcé Zygmunt Malanowicz

Mise en scène  Krzysztof Warlikowski
 

Krzysztof Warlikowski est un homme qui s’intéresse à la vie en ce qu'elle a de plus direct et de tragique. Partant de la pièce d’Hanokh Levin, il reconstitue un petit univers glauque, quelque part à Tel-Aviv, vers lequel revient Krum.

Krum a tout raté de sa vie. Le constat est clair face à sa mère. Comment ne peut-il la tenir responsable d’une condition dont il ne peut s’échapper et qu’il doit accepter ?

D’ailleurs, c’est le cas de toute cette famille qui, chacun à sa manière, trouve moyen de se divertir d’une destinée écrasante. Que ce soit Tougati avec ses problèmes de diaphragme, ou bien ce couple qui se croit sorti de sa condition. Dans ce dernier cas, cela nous vaut une scène hilarante par sa caricature du couple bourgeois qui veut faire croire à son évasion du vide.

Alors l’on rit beaucoup. Car ces personnages sont portés par des acteurs affranchis des regards et de leur propre corps de manière stupéfiante. Ce sentiment de liberté extraordinaire est renvoyé au spectateur qui doit faire avec. Il peut prendre cette énergie pour lui, ou bien se demander si l’on ne souhaite pas se jouer de lui.

Mais sur le fond nous rions moins. Pas sûr que les cendres de la mère jetées sur la table n’aient levé quelque angoisse. Par sûr que certains ne se soient demandés s’ils sont bien aussi vivants qu’ils ne le pensent.

Ce soir, Krzysztof Warlikowski est dans la salle. Spectateur de son propre spectacle, il suit ses comédiens, s’amuse lui-même de ses gags interactifs avec le public conçus uniquement pour lui faire plaisir.

Les jeux de lumières et l’atmosphère musicale évoquent parfois les lueurs obscures de « Blade Runner », l’absurdité de ces protagonistes déjantés rejoint celle d’un Alain Platel, et le dernier tableau semble tiré de « Talons Aiguilles » de Pedro Almodovar.

Et enfin, avec cette mise en scène, nous avons une explication de l’origine de l’ Iphigénie en Tauride terriblement dramatique avec laquelle Warlikowski s’en est allé à la rencontre du public de Garnier en 2006. Le même écran vidéo, les mêmes ventilateurs et la même chaise roulante sont présents.

N’a-t-il pas voulu transposer un peu de cet univers (la pièce fût créée à Avignon en juillet 2005) dans le monde de l’Opéra ? 

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Publié le 6 Juillet 2007

L'Affaire Makropoulos (Leos Janacek)
Répétition générale du mercredi 25 avril 2007 (Bastille)


Direction musicale Tomas Hanus
Mise en scène Krzysztof Warlikowski

Emilia Marty Angela Denoke
Albert Gregor Charles Workman
Jaroslav Prus Vincent Le Texier
Vítek David Kuebler
Krista Karine Deshayes
Janek Ales Briscein
Maître Koleanaty Paul Gay
Hauk-Sendorf Ryland Davies

Représentations du 27 avril au 18 mai.

Avant la répétition générale de mercredi soir, j'avais jugé utile de me faire un petit résumé de l'histoire pour ne pas être trop perdu. Je le restitue ci dessous.

Au début du XVIIème siècle, un élixir prolonge pour des siècles la vie d' Elina Makropoulos.
Tous les 60/70 ans elle doit donc changer d'identité, mais peut conserver ses initiales.

En 1820, sous le nom de Elian Mac Gregor, elle a un fils, Ferdinand (non reconnu officiellement), né de sa relation avec le baron Prus.
A la mort de ce dernier, l'héritage est transmis à son cousin, jusqu'à ce qu'un dénommé Mc Gregor vienne réclamer sa part.
S'en suit un procès "Mc Gregor/Prus" qui va durer un siècle.

Au XXème siècle, Elina Makropoulos s'appelle dorénavant Emilia Marty, une célèbre chanteuse.
Impliquée dans cette affaire, Emilia Marty cherche à récupérer des documents auprès de l'avocat Koleanaty, puis auprès de Prus, qui pourraient être aussi bien le secret de l'élixir de vie que la preuve que Ferdinand Mc Gregor est bien son fils.

Pour compliquer la chose, Albert Mc Gregor (le descendant) courtise Emilia qui est elle même prise en admiration par la jeune Krista dont le fiancé Janek, qui n'est autre que le fils de Prus, va finalement craquer pour cette artiste éternelle.

Cette œuvre est une aubaine pour Krzyzstof Warlikowski, car elle lui permet de projeter sa passion pour l'univers du cinéma Américain des années 30-50 et pour les vedettes immortelles auxquelles hommes et femmes peuvent vouer un amour éternel. 
King Kong semble ici employé pour symboliser cet amour infini et impossible.

L'espace scénique est une alternance entre un studio cinéma décoré de bakélite et l'intimité des salles d'eau où se déroulent les échanges les plus forts entre les protagonistes. 
Chaque acte est précédé de projections vidéo contribuant aussi bien à l'immersion dans ce monde cinématographique qu'à la cohérence de cette transposition. 
 
L'intensité vocale et la performance d'actrice d'Angela Denoke ne devrait laisser personne indifférent.

Lire également les impressions plus détaillées de la reprise de l'Affaire Makropoulos en 2009.

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