Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Mithridate, entre amours et trahison - Présentation Théâtre des Champs Elysées
Publié le 7 Février 2016
Mithridate, entre amours et trahison.
Présentation au Théâtre des Champs Elysées, le 03 février 2016
Une heure avec … Clément Hervieu-Léger
de la Comédie-Française Emmanuelle Haïm
Chef d’orchestre
Et Mariam Chapeau
Conférencière des musées nationaux à la RMNGP
Afin d’illustrer les sources qui ont inspiré l’équipe artistique de la nouvelle production de ‘Mithridate, re di Ponto’, Clément Hervieu-Léger, le metteur en scène, Emmanuelle Haïm, la Chef d’orchestre et Mariam Chapeau, conférencière des musées nationaux, proposent de présenter 10 tableaux en rapport avec l’esthétique et les sentiments de l’œuvre.
Chacun de ces tableaux est ainsi projeté sur le grand écran de scène, face au public du Théâtre des Champs Elysées.
1. Une reine devant un roi, tenant un crâne – Luca Penni (1500-1556)
Mariam Chapeau : Ce peintre est un artiste qui introduit en France la Renaissance italienne, une architecture antiquisante, une dentelle particulièrement gracieuse et élégante, des figures qui sont sinueuses aux proportions allongées.
Cette scène nous a inspiré par le thème de la justice d’Othon, qui évoque le Pouvoir, l’Amour, la Justice et surtout la volonté de Vérité. Le personnage féminin tend un crâne qui semble troubler le souverain, le tableau est réalisé dans des couleurs assez caractéristiques de l’école de Fontainebleau, des teintes roses, orangées, complétées par la chaleur des rouges royaux.
C’est une mise en scène très architecturale, valorisant l’architecture antique, les colonnes corinthiennes, permettant aux différents personnages d’être organisés de façon savante sur ce tableau.
Clément Hervieu-Léger : ‘Mithridate’ est cette œuvre d’un jeune Mozart de 14 ans, auquel le Théâtre de Milan a confié un livret qui est inspiré d’une traduction italienne de l’œuvre de Racine, ‘Mithridate’.
La question est de savoir comment le XVIIIème siècle s’empare de la tragédie classique française, et de savoir comment se saisir du thème de l’Antiquité pour monter cet opéra aujourd’hui. Le risque est grand d’en rester au plaisir de la forme, alors qu’il s’agit de montrer que l’oeuvre peut nous toucher au cœur autant qu’au théâtre.
Emmanuelle Haïm : Pour un compositeur du XVIIIème siècle, le voyage en Italie est important car ce pays est un modèle pictural mais aussi un modèle musical et, de manière plus ample, un modèle culturel.
Mozart arrive avec son père en Italie en février 1770, et en quelques mois, il s’imprègne de ce style italien, et en particulier du modèle de l’opéra séria napolitain. On l’entend revisiter du Jommelli, et ce jeune adolescent devient capable de manier avec finesse la langue italienne qu’il ne connaissait pas avant ce voyage vers un pays si amoureux des arts.
Il espérait un poste, qu’il n’aura pas, malheureusement, mais obtient quelques commandes qui vont lui permettre d’aborder la tragédie, et de montrer sa subtile compréhension du sentiment amoureux dans cette pièce, ‘Mithridate’, où la vengeance et la justice sont aussi de mise.
Clément Hervieu-Léger : Pour en revenir à ce premier tableau, la figure d’Othon est importante. On peut lui substituer celle de Mithridate qui est passionnante dans cet opéra, car la figure du pouvoir est aussi celle du père, père qui avait accompagné Mozart dans ce voyage en Italie. Leur relation nécessaire sera également difficile, conflictuelle et passionnée. Sans vouloir faire de psychanalyse facile, on peut en effet être frappé par le fait qu’un jeune homme de quatorze ans écrive, comme première grande œuvre sérieuse, une histoire entre un père et son fils.
2. Anne de Clèves – Hans Holbein dit « Le Jeune » (1497-1543)
Mariam Chapeau : Ce portrait de la Princesse de Clèves, quatrième épouse d’Henri VIII Tudor, est un tableau de petit format que l’on peut découvrir dans les petits cabinets de peinture allemande au musée du Louvre.
Hans Holbein est un artiste germanique, né à Augsburg, qui sillonne l’Europe, se rend à Bâle, y rencontre Erasme, séjourne en France, passe à plusieurs reprises en Angleterre et finit par devenir le portraitiste officiel de la cour d’Angleterre. Il a connu, lors de ses voyages, de grands esprits humanistes. Il a également pu constater l’évolution des Guerres de religions.
Ce tableau a été commandé en 1539. Il est envoyé en mission à la cour de Clèves, en Rhénanie, afin d’exécuter les portraits des deux sœurs du Duc Guillaume, Prince germanique, protestant réformé. L’idée vient de Cromwell, qui envisage une alliance avec les réformés, pour pouvoir contrer les très catholiques rois de France et d’Espagne.
Le peintre a pour mission de faire le portrait le plus magnifique possible de la Princesse, ce qui explique cette raideur, cet axe symétrique qui découperait ce visage au centre de ses deux yeux, du nez, de la bouche, de la croix, des mains et de la boucle de la ceinture.
Ce peintre réussit à rendre la soie de sa robe somptueuse, et cette tenue vestimentaire qui n’est pas sa tenue de mariée va effectivement séduire Henri VIII. Il va l’épouser, mais à son arrivée à la cour de Londres, il va être quelque peu déçu par sa grandeur, par cette tenue vestimentaire qu’il qualifiera de ‘Jument des Flandres’.
Il exécute le contrat, mais fait annuler ce mariage six mois plus tard, au motif qu’il éprouve du dégoût pour cette femme, dont il se souvient, tout à coup, qu’elle est déjà fiancée, et, enfin, que les tensions qui l’opposaient à la France et à l’Espagne s’étant un peu apaisées, ce sacrifice ne lui semble plus nécessaire.
Clément Hervieu-Léger : Et on retrouve, dans ‘Mithridate’, ce thème des princesses de sang, qui étaient devenues à la fois objets de désir et objets d’enjeux politiques majeurs, avec les personnages d’Aspasie, promise à Mithridate, et d’Ismène, promise à Farnace, allié aux Parthes, qui devient ainsi en mesure de défier Rome.
Ce tableau est donc particulièrement juste, et permet d’évoquer l’importance de se parer ou de retirer des bijoux en scène, acte fort, car on se demande alors si le costume est un carcan ou un objet de séduction.
Nous avons donc repris des éléments de cette iconographie, tout en s’en éloignant. Et comme dans cette production nous avons la très grande chance d’avoir Patricia Petibon qui chante Aspasie, et Sabine Devieilhe qui chante Ismène, nous avons deux grandes interprètes de personnages forts.
Le personnage d’Ismène, si l’on s’en tient simplement à ce qui est écrit, est un peu le personnage raisonnable puisque c’est elle qui va ramener Mithridate à la raison en lui conseillant le pardon. Elle peut, du coup, être un personnage en demi-teinte si on ne lui apporte pas une attention particulière.
Quand on a la chance d’avoir une interprète comme Sabine Devieilhe, on ne se pose plus la question de la demi-teinte, et l’on a envie de faire un autre personnage qu’une fille bien rangée.
Emmanuelle Haïm : Chaque personnage a en effet des moments beaux et touchants, tel Mithridate qui, dans son air d’arrivée, va nous chanter sa défaite militaire mais pas sa défaite morale. Et pour ces personnages féminins, Mozart a composé une musique extrêmement variée, qui va nous montrer, dans le cas d’Aspasie, le poids de l’amour de ces hommes envers elle, mais aussi la douleur de l’aveu envers Sifare, un air incroyablement douloureux de tourments.
Certains personnages vont également être chantés par des femmes. Myrto Papatanasiu interprète ainsi Sifare, qui était à l’époque chanté par un castrat, et dont la tessiture était très aigüe. On a donc choisi un contre-ténor pour être un des frères, Christophe Dumaux, et, pour incarner l’autre frère, une soprano à la couleur très sombre. Et c’est une chance d’avoir toute une gamme de couleurs possibles sous ce nom-là.
Clément Hervieu-Léger : Evidemment, Emmanuelle vient de dire quelque chose de magnifique, la difficulté pour Aspasie est d’être trop aimée, d’être amenée à être épousée, et d’être soudainement rejetée.
On parle toujours de la musique racinienne pour dire que l’agencement des mots donne une musique qui nous raconte quelque chose au-delà des mots. Mozart, lui, nous fait entendre directement cette musique, l’état de l’âme, le cœur qui bat.
On peut alors soit décider de voir cette œuvre comme une succession d’airs, soit décider d’en faire du théâtre, et c’est ce que nous avons choisi de faire avec Emmanuelle.
Nous avons alors demandé à des comédiens de rejoindre l’équipe, de façon à jouer des rôles de confidents auxquels les airs s’adressent.
3. L’Enlèvement des Sabines – Nicolas Poussin (1594-1665)
Mariam Chapeau : Ce tableau de grand format, réalisé en Italie par un artiste considéré comme une pierre angulaire de la peinture française, est inspiré de l’Antiquité, et est un symbole de la folie guerrière.
Poussin est un artiste qui travaille de façon très organisée. Vous avez la présence de Romulus, à gauche, vêtu de rouge, couleur royale, qui fait un geste qui déclenche un chaos inouï mais mesuré, puisque l’enlèvement des Sabines s’organise selon une triangulaire très précise.
Sur votre droite, un premier Romain s’empare d’une Sabine, sur un autre premier plan, à gauche, un autre Romain soulève une Sabine, et un troisième couple nous révèle l’enlèvement de la Sabine.
En réalité, cette démonstration évoque l’idée d’action et la maîtrise absolue de cette peinture, tenue par une architecture précise et classique, avec en arrière-plan, un temple dorique monumental pour évoquer l’autorité de Romulus.
Au centre, une organisation de mise en perspective apporte à cette peinture une forme de respiration, ce qui permet à Poussin de montrer son intérêt pour la théorie des modes, musicale et architecturale, qui fonde l’harmonie de cette peinture.
On a pu ainsi découvrir, sous la couche picturale la présence de petits trous laissant apparaitre une organisation spatiale anticipée avant l’installation des figures.
Clément Hervieu-Léger : Dans mon travail de metteur en scène, je suis sensible à l’engagement des corps, et à la façon dont ces corps peuvent raconter sur un plateau des sentiments, des attirances ou des rejets.
Ainsi, on peut voir sur ce tableau que le fait de regarder dans une direction à l’inverse de l’endroit vers lequel on courre, est une manière très efficace de donner de la distance sur scène.
Tout est là, et je trouve que ce tableau est fascinant par la manière dont les corps se contrarient ou bien se fondent. Evidemment, je sais à quel point on peut me taxer de ‘Classicisme’, mais si la manière d’être classique est de s’attacher à construire l’image, alors je veux bien être ‘Classique’.
Mariam Chapeau : Je rajouterais enfin que Poussin n’est pas un artiste séducteur. C’est un artiste qui demande un effort, un effort de concentration sur sa peinture.
Emmanuelle Haïm : La forme est effectivement très rigoureuse, car lorsque l’on aborde l’Opéra Seria, on a des arias avec da capo, c'est-à-dire des airs en trois parties, l’une reprenant la première. Et, en principe, cette dernière partie est variée par l’interprète lui-même qui connait cet art de l’ornementation, et qui doit le faire avec goût, bonne mesure et discrétion.
Mozart va sortir malgré tout de ce modèle un peu trop académique, et il va sans-cesse changer les proportions.
Il ne va proposer qu’une seule fois la proportion régulière de l’air, mais va avoir, par moment, un A très développé, un B minuscule, l’esquisse d’une deuxième idée, et reprendre la première idée mais, cette fois, en voyageant.
4. Vue d’intérieur, ou les Pantoufles – Samuel van Hoogstraten (1627-1678)
Mariam Chapeau : Le peintre à l’origine du tableau suivant est passé brièvement par l’atelier de Rembrandt, historien d’art, passionné d’optique et de perspective, qui semble, ici, ne rien raconter. Et l’on se demande pourquoi cette multitude de portes, de chambranles, de sols carrelés qui changent de couleurs, et qui vous invitent à aller vers une dernière salle, qui est la salle de l’intimité.
Le sujet pourrait être, justement, l’absence de sujet. L’oeuvre met en scène les attributs d’une femme que nous ne voyons pas, son balais, son torchon, symboles de propreté, une paire de pantoufles, abandonnée négligemment, puis un jeu de clés que tient, normalement, une hollandaise du XVIIème siècle, de bonne tenue, fièrement à sa ceinture.
Et l’on distingue, au fond de la salle, une bougie, un peu tordue, qui est éteinte et laisse imaginer des cachoteries.
Finalement, un tableau représente une jeune femme se faisant disputée par son père.
La peinture s’interroge ainsi sur le comportement de cette femme.
L’artiste travaille sur des passages d’ombres et de lumières, utilise une gamme chromatique qui contribue à donner une atmosphère de murmures et de silences, une envie de chuchoter.
Clément Hervieu-Léger : La grande différence entre la tragédie classique et celle de Mozart est celle du lieu. On se demande comment on va passer des jardins suspendus à la tente d’Ismène, quel lieu unique permettrait de faire ce voyage si mobile ?
Un théâtre ne pourrait-il pas être ce lieu d’action tragique, au moment où Mozart découvre cette théâtralité ?
Il m’a paru alors évident qu’un lieu unique, donnant toute sa place à la lumière, permet toute l’expression du tragique.
Emmanuelle Haïm : Quand on rencontre ensuite le metteur en scène, on a la merveilleuse surprise de découvrir tout cet imaginaire, on échange, on parle de l’œuvre, on lit la pièce avec l’honneur de la partager avec un comédien de la Comédie-Française, et l’on a ensuite le sentiment que mêmes les chanteurs de notre production ressentent très fortement le tragique de cette histoire.
Le metteur en scène les guide, donne l’exemple, mais leur laisse une liberté, ce qui nous permet, même à moi, de nous sentir en osmose avec le spectacle.
Clément Hervieu-Léger : On a la chance d’avoir un distribution idéale avec des chanteurs qui sont également des acteurs. Il n’est pas difficile de les faire bouger, mais il faut aussi être conscient de ce que la technique vocale demande, et qu’il est compliqué de demander à une chanteuse de se mettre la tête à l’envers, marcher sur les mains, tout en chantant sa cadence.
Cela fait partie intégrante du travail du metteur en scène d’opéra que d’être à l’écoute de la difficulté à chanter de tels airs.
5. La mort de Didon – Pierre-Paul Rubens (1577-1640)
Mariam Chapeau : C’est une œuvre bouleversante qui évoque la détresse, la douleur sans pudeur.
Didon est une femme qui a été séduite par Enée, puis abandonnée par lui car sa destinée n’est pas Carthage mais Rome.
Didon tente de tromper son monde en réunissant tous les souvenirs de cet amour passé.
Elle les a disposés tout autour d’elle, le manteau rouge, l’épée qu’il lui a offert, et elle a commencé à entamer un bucher à ses pieds.
Rubens, grand peintre flamand, spécialiste des émotions, nous offre ce corps en totale détresse, grandeur nature, la femme est assise, totalement nue, éplorée, une larme coule sur sa joue droite.
Cette dernière énergie qu’elle met à presser le glaive dans sa poitrine nous annonce aussi qu’un corps instable va s’effondrer. Il y a donc une forme d’impudeur dans la douleur qui ne se préoccupe pas de notre regard.
Clément Hervieu-Léger : Au moment où Aspasie décide de se suicider, on rejoint ces grandes héroïnes féminines majeures dans ce grand répertoire théâtral ou opératique, et c’est pour cela que l’on a eu envie d’évoquer Didon.
6. Anne de Boleyn condamnée à mort – Pierre-Nolasque Bergeret (1782-1814)
Mariam Chapeau : Ce tableau appartient au XIXème siècle romantique qui aime revisiter l’histoire par la petite porte.
Ce tableau est présenté par Bergeret au Salon de 1814, le premier salon de la Restauration. On aime renouer avec les sujets monarchiques, parce que c’est le sens de la mode. C’est un moment très théâtral, un tableau de petite dimension qui correspond au goût de la peinture dite ‘Troubadour’, où l’on s’intéresse au genre des petits peintres hollandais, un travail de facture très minutieusement détaillée.
Anne de Boleyn attend son exécution, sujet plein de théâtralité avec lequel l’artiste cherche à nous émouvoir.
Clément Hervieu-Léger : Là encore on rejoint l’œuvre de Mithridate, puisqu’Aspasie se suicide et a été condamnée à mort. ‘
Emmanuelle Haïm : 'Pallid’ombre’, que chante Aspasie au moment de se donner la mort, demande aux ombres heureuses des Champs-Elysées de l’accueillir avec bienveillance.
Mozart écrit, à ce moment-là, un air où les dissonances qu’il crée avec la voix sont très apaisantes, où Aspasie chante des notes qui vont contre les grandes tenues de hautbois, et qui sont douloureuses comme des pointes d’épingles que l’on enfoncerait.
Il y a donc une dualité d’une plénitude, d’une grande douceur, et des tourments extrêmement forts, que Patricia Petitbon chante sublimement.
Je n’arrive pas à croire que Mozart avait quatorze ans lorsqu’il a composé cet air.
Et ce qui est magnifique dans cet air ‘da capo’, est que l’on commence avec un récitatif accompagné, que l’orchestre y répond comme un personnage théâtral lui aussi, ponctue, amplifie, contredit ou colore ce que dit le personnage, et subrepticement, on rentre dans cet air, un océan tranquille en mi bémol majeur, que l’on quitte violemment au moment où l’héroïne se saisit du poison.
7. Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé – Jean-Honoré Fragonard (1732-1806)
Mariam Chapeau : Ce tableau, présenté au Salon de 1769, est le plus grand tableau dans la carrière de Fragonard. Il est salué comme le renouvellement de la peinture française.
Nous sommes à l’époque du règne de Louis XV, du règne de Boucher en peinture, où l’Académie considère que la peinture s’est un peu fourvoyée dans les thèmes mythologiques.
C’est donc le retour au grand genre, à une peinture que l’on qualifiera plus tard de ‘néobaroque’.
Fragonard rétablit l’Antiquité, l’histoire d’un sacrifice féminin destiné à conjurer la peste qui ravage Athènes.
Quand Corésus, secrètement amoureux de Callirhoé, s’apprête à commettre son acte, il tourne le glaive vers sa propre poitrine pour la sauver, et elle s’effondre.
Cette peinture, très théâtrale par les mouvements et par l’usage de nuées et d’allégories dans le ciel, est équilibrée par cette architecture monumentale qui signifie que l’on revient vers les sujets sérieux.
Clément Hervieu-Léger/Emmanuelle Haïm : Ce tableau date de la composition même de Mithridate, et pose la question du grand genre, celle du genre sérieux qui se pose à Mozart. Comme Fragonard, il a dû passer par ce genre sérieux pour être reconnu. Mithridate est la première grande commande pour le compositeur autrichien, et la question de savoir si la Tragédie vaut mieux que la Comédie est un débat qui va tellement bien concerner Mozart, que l’on aura à la fin de sa vie ‘La Clémence de Titus’ en passant par ‘Idoménée’, œuvres d’un genre qu’il aura pourtant dépassé.
8. La Malédiction paternelle (Le Fils ingrat – Le Fils puni) – Jean-Baptiste Greuze (1725-1805)
Mariam Chapeau : Ces deux tableaux de la maturité de Jean-Baptiste Greuze sont à envisager comme des dépendants qui présentent la malédiction paternelle. Le thème biblique, ici, est celui de l’enfant prodigue qui s’apprête à quitter la demeure familiale. C’est une mise en scène très théâtrale, d’un artiste qui va finalement se situer entre deux genres, celui de la scène d’agrément, et celui de la scène d’Histoire.
Il propose deux peintures qui ont une composition en frise, dans laquelle la gestuelle, l’organisation des bras, des figures, des personnages créent une véritable dynamique. On est plus proche des drames populaires, et il suscite l’émotion chez le spectateur par un certain nombre de diagonales, d’obliques, qui sont composées par les bras des hommes.
Il oppose le rapport entre les hommes en colère et les femmes qui tentent de calmer les choses, tel que c’est conçu dans la pensée populaire, et dans la partie droite se tient l’enrôleur, le militaire qui est en train d’arracher un fils utile à une famille.
Dans la seconde version, le fils revient à la maison, les gestes et les bras se sont apaisés, les nombreuses obliques répondent cette fois à une organisation horizontale. Au premier plan trainent des objets qui appartiennent à l’environnement quotidien, et cette fois-ci, cette horizontalité résonne avec le fils éploré, puisque le père est mort.
Clément Hervieu-Léger : Ce peintre illustre parfaitement le passage de la tragédie au drame, y compris dans le mode de jeu, et dans le naturalisme vers lequel le jeu du comédien passe sous l’influence du théâtre italien qui considère que les acteurs ont un corps en scène. Par ailleurs, la question du schisme est centrale dans ‘Mithridate’, où l’on a un peu tendance à penser qu’il y a un fils bon et un mauvais fils.
C’est en fait plus complexe que cela chez Mozart, et le dernier air de Farnace, qui devait être le mauvais fils mais, finalement, a décidé de regagner la confiance de son père, est d’une beauté incroyable.
Enfin, le tableau du ’Fils puni’ met en scène la mort du père, ce par quoi s’achève ‘Mithridate’, et illustre comment raconter la mort, une question centrale au théâtre.
9. L'empereur Sévère reproche à Caracalla, son fils, d’avoir voulu l’assassiner – Jean-Baptiste Greuze (1725-1805)
Mariam Chapeau : Nous terminons avec une composition qui, dans la vie de Greuze, est un véritable mélodrame. L’artiste aspire absolument à être reconnu comme un peintre d’Histoire.
Il compose cette œuvre, inspirée de l’Antiquité, qui choisit un moment où Septime Sévère accuse son fils d’avoir voulu l’assassiner, et lui ordonne d’achever ce qu’il a projeté de faire.
Ce sujet horrible et l’organisation des corps va frapper les critiques de l’époque, la lourdeur de la main de Sévère, notamment, les comportements des personnages situés derrière d’Empereur qui chuchotent, et surtout, la posture de Caracalla lui-même qui ne semble pas du tout se repentir.
Le peintre cite l’Antiquité par le mobilier, l’architecture, et l’on va inlassablement reprocher à Greuze de ne pas avoir vu l’Antiquité réelle, une peinture trop moderne pour l’époque qui annonce l’Ere de Jacques-Louis David.
Mithridate, re di Ponto
Wolfgang Amadeus Mozart
Emmanuelle Haïm direction
Clément Hervieu-Léger, de la Comédie-Française mise en scène Frédérique Plain dramaturgie Eric Ruf décors Caroline de Vivaise costumes Bertrand Couderc lumières