Opéra de Rouen Normandie : Une structure que le Ministère de la Culture doit soutenir en priorité

Publié le 4 Février 2023

Les difficultés financières qui s’accumulent au cours de la saison 2022/2023 à la suite de l’épidémie de covid, aggravées par la crise énergétique (Martin Ajdari, le directeur général adjoint de l’Opéra national de Paris, relève que les dépenses énergétiques de l’institution sont passées de 1,6 M€ en 2019 à 4,1 M€ en 2022, et que ce sera encore plus en 2023)(2) , ont déjà obligé plusieurs opéras français à annuler des spectacles. C’est le cas de l’Opéra national du Rhin qui a annulé la version scénique du ‘Conte du Tsar Saltan’, et de l’Opéra national de Montpellier Occitanie qui a reporté les ‘Scènes du Faust de Goethe'.(1)

Opéra de Rouen Normandie : Une structure que le Ministère de la Culture doit soutenir en priorité

Le rapport sur la politique de l’Art lyrique en France piloté par Caroline Sonrier a par ailleurs souligné en 2021 que ‘L'écart des financements entre Paris et les régions, et l’absence d’opéra national de région à l’Ouest et au Nord de la France nécessite des rééquilibrages. La mise en place d’un nouveau label unique selon des critères simplifiés pourrait aussi permettre un élargissement et une meilleure représentation du réseau sur le territoire’(3).

Or, un autre opéra vient d’annoncer sa fermeture pour 6 semaines, à partir du 1er avril 2023, afin de préserver sa saison 2023 / 2024, l’Opéra de Rouen Normandie, la facture d’énergie ayant augmenté de 450 000 euros.

Pour bien comprendre l’importance de cette structure et sa position très particulière sur le territoire, la carte ci-dessous, élaborée lors de l’analyse du rapport de Caroline Sonrier (Analyse et réflexions à propos du rapport 2021 sur la politique de l’art lyrique en France), montre que hors de la région parisienne, les opéras nationaux en région sont tous situés dans le sud et à l’est, et qu’au nord et à l’ouest, seuls les opéras de Lille et de Rouen bénéficient du statut de Théâtre lyrique d’intérêt national, ce qui leur permet de recevoir une subvention de la part de l’État, mais plus faible que celle des opéras nationaux.

Opéra de Rouen Normandie : Une structure que le Ministère de la Culture doit soutenir en priorité

Et l’Opéra de Rouen, dirigé par Loïc Lachenal, est la seule structure du nord-ouest de la France à disposer de son propre orchestre (40 musiciens), en plus d’ateliers de costumes et de décors. Le tableau ci-dessous compare quelques éléments budgétaires et de performances de l’Opéra de Rouen à d’autres opéras nationaux en région selon le Rapport sur les Opéras en Région édité par le Ministère de la Culture en 2018(4).

  Rouen Nancy Strasbourg Montpellier Bordeaux Lyon
Budget 14 M€ 15 M€ 21 M€ 22 M€ 28 M€ 36 M€
Subventions totales 10,5 M€ 13 M€ 16 M€ 20 M€ 20 M€ 29 M€
dont subvention d'Etat 1,5 M€ 3 M€ 5 M€ 3,2 M€ 4,7 M€ 6 M€
Spectateurs 90 000 62 000 100 000 74 000 165 000 115 000
Levers de rideau 100 + 30 (tournées) 125 155 190 200 200
dont spectacles lyriques 20 à 25% 45% 55% 27% 10% 50%
ETP permanents 100 165 315 210 335 300
ETP non permanents 50 45 105 215 115 105

 

Bien que ne faisant pas partie des opéras nationaux en région, l’Opéra de Rouen est comparable à l’Opéra national de Lorraine (Nancy) avec un nombre bien plus important de spectateurs (45 % en plus). Mais le nombre de rideaux lyriques reste un peu trop faible pour être véritablement reconnu comme opéra national. 

Et pourtant, obtenir ce statut lui permettrait de voir sa subvention étatique passer de 1,5 M€ à plus de 3 M€, et donc de consolider sa structure et d’accroître à la fois son rayonnement et sa capacité de production.

L’autre particularité de l’opéra de Rouen est qu’il est le seul où la région représente plus de 75 % de l’apport en subvention, ce qui traduit l’une de ses vocations à opérer des tournées régulières dans des villes telles Evreux, Vernon, Condé-sur-Vire ou Petit-Caux.

La métropole de Rouen participe donc peu en comparaison des autres métropoles du territoire au soutien de son opéra, mais le maire, Nicolas Mayer-Rossignol, souligne qu’il y a d’autres structures à Rouen qui sont intégralement soutenues par la ville. La tension entre le conseil régional et le maire est donc accrue par ce contexte budgétaire.

L’excellente performance de rayonnement de l’Opéra de Rouen mise en rapport avec son budget (plus de 90 000 spectateurs pour 10,5 millions d’euros de subventions) et son positionnement unique dans le nord-ouest de la France justifient donc un intérêt prioritaire de la part du Ministère de la Culture afin de ne pas laisser seules la région et la ville de Rouen décider du sort d’une structure dont l’existence est sollicitée et appréciée par les habitants de la Normandie. 

Sinon, la réduction de son activité ne lui permettrait plus de répondre à une demande qui existe pourtant bien, au vu des chiffres de fréquentation rendus publics.

Addendum : le vendredi 10 février 2023, le Ministère de la Culture a annoncé qu'une rallonge de 200.000 euros était allouée à l'Opéra Rouen Normandie, et, dans la foulée, la métropole a débloqué 300.000 euros supplémentaires.

Opéras en souffrance : l'État annonce des coups de pouce (radiofrance.fr)

Rédigé par David

Publié dans #Actualité, #Histoire de l'Opéra, #Rouen

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C
Merci beaucoup pour cet article en faveur de l'opéra de Rouen que j'ai repris sur mon blogue d'infos régionales normandes "Sire de sei" (canalblog). Il y a, en effet, urgence à sauver cet opéra avec une rallonge budgétaire couvrant les besoins d'une labélisation qui implique d'honorer un cahier des charges sans pour autant avoir les subventions adéquates du ministère de la Culture. J'attire par ailleurs votre attention sur le fait que l'opéra régional de Rouen et le théâtre municipal de Caen collaborent souvent dans une logique de complémentarité. Vous avez raison d'insister sur l'anomalie de l'absence de toute scène nationale d'opéra dans le nord-ouest de la France et je partage votre opinion comme quoi l'opéra de Rouen mériterait grandement de devenir une scène nationale. En revanche, je crains que vous ne fassiez une erreur quant à la politique de diffusion de la musique classique sur le territoire normand: vous semblez confondre déjà le rôle joué par l'orchestre régional de Normandie basé à Mondeville près de Caen avec celui que ne joue pas et ne jouera jamais l'orchestre de l'opéra régional de Rouen qui est un orchestre de fosse attaché à sa maison du théâtre des Arts de Rouen. Vous ne semblez donc pas au courant du projet de fusion entre ces deux formations plus complémentaires que concurrentes qui empoisonne en ce moment la vie des musiciens et des mélomanes Normands en plus de la querelle budgétaire entre Hervé Morin et Nicolas Mayer-Rossignol via la ministre officieuse de la culture de la région Normandie, à savoir: Catherine Morin-Desailly qui soutient ce projet de création d'un orchestre national de région en Normandie en fusionnant deux orchestres totalement différents dans leurs pratiques et leurs répertoires... Tout en ignorant l'orchestre symphonique du conservatoire de Caen placé sous la direction de Nicolas Simon (excellent chef adjoint de François Xavier-Roth) qui par son niveau et le répertoire joue, de fait, déjà ce rôle. En tout cas, merci pour cet article.
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D
Bonjour,<br /> <br /> Merci énormément pour toutes ces précisions. En parlant de la trentaine de tournées de l'orchestre de l'opéra de Rouen, je ne cherchais qu'à mettre en valeur le petit plus qu'il a par rapport à d'autres orchestres d'opéras, mais ne cherchais pas à occulter le rôle prépondérant de l'orchestre régional de Normandie qui rayonne de façon bien plus large. <br /> <br /> Par ailleurs, vous rappelez l'existence de l'orchestre du conservatoire de Caen, qui lui aussi joue un rôle de rayonnement avec, à sa tête, des chefs reconnus.<br /> <br /> Il y a toujours crainte dans ces batailles budgétaires et ces conflits de vision que la richesse artistique en souffre, ce qu'il faut absolument éviter.<br /> <br /> Je vais suivre cela de plus près.<br /> <br /> David