Les Troyens (E.M Westbroek - Y.Naef) Opéra d'Amsterdam
Publié le 5 Avril 2010
Les Troyens (Hector Berlioz)
Représentation du 04 avril 2010
De Nederlandse Opera
Cassandre Eva-Maria Westbroek
Didon Yvonne Naef
Enée Bryan Hymel
Chorèbe Jean-François Lapointe
Panthée Nicolas Testé
Narbal Alastair Miles
Iopas Greg Warren
Ascagne Valérie Gabail
Anne Charlotte Hellekant
Priam Christian Tréguier
L’ombre d’Hector Philippe Fourcade
Andromaque Jennifer Hanna
Direction Musicale John Nelson
Mise en scène Pierre Audi
Eva-Maria Westbroek (Cassandre)
C’est dans les lueurs rasantes du matin qu’Amsterdam révèle les visions colorées des frontispices bucoliques, lorsque la jeunesse venue réaliser un idéal de liberté, plus conformiste qu’elle ne l’imagine, est encore assoupie.
Au centre de la ville, l’Opéra National incarne un autre art du rituel conventionnel, bourgeois cette fois.
Dans une ambiance feutrée, les plus riches se restaurent au second étage, et chacun peut humer les senteurs des plats les plus raffinés.
Quelques esprits réfractaires se distinguent, car le véritable amateur d’opéra est peut être vêtu en Jean’s et Baskets.
Pour en revenir à la première représentation des Troyens, il s’agit toujours d’un événement car l’œuvre a été conçue en parallèle du Ring de Wagner.
A plus forte raison que la présence d’Eva-Maria Westbroek justifie l’attention à cette reprise.
L’artiste a le caractère pour épouser la personnalité archaïque que Pierre Audi n’hésite pas à accentuer. Percutante, dotée d’un timbre aux accents masculins suggérant un tempérament de fer, son alliage à un chœur de femmes exceptionnel d’agressivité transcende la scène la plus réussie, celle où les troyennes se suicident dans une atmosphère infernale.
Belle pantomime d’Andromaque (Jennifer Hanna) se roulant dans les cendres d’Hector, puis reportant sa fierté sur son jeune fils.
Après la Prise de Troie, il n’y a plus rien à retenir du travail de Pierre Audi.
A Salzbourg, Herbert Wernicke avait réalisé une adaptation très forte des Troyens, en se reposant sur une vision cyclique du destin des civilisations. La plupart des ballets avaient été supprimés afin de ne pas casser la continuité de l‘action.
Et avec l’aide de Sylvain Cambreling, des réaménagements orchestraux, conformes aux consignes de Berlioz, permirent d’assurer un surcroît de fluidité dramatique.
Ce spectacle fût repris à Paris en 2006 afin de faire encore mieux connaître ce travail d’une épure élégante.
En revanche, à Amsterdam, Pierre Audi s’est attaché à monter la version intégrale des Troyens, avec toutes les danses et pantomimes.
Le dispositif prend des aspects complexes et fouillis, passerelles, plateaux coulissants, afin de gérer les transitions, obligeant même le chœurs à entrer dans l’empressement pour suivre le rythme de la musique.
Il nous refait le même coup que dans La Juive , en ayant recours à un groupe de danseurs, agissant comme une manifestation du destin, interprètes d’une chorégraphie souvent ridicule qui propulse le spectateur hors du drame.
Il en va de même des mouvements des chœurs, artificiels, au point d’exaspérer par l’image dépassée qu’ils donnent du niveau théâtral des scènes lyriques. On s’aperçoit alors, en fermant les yeux, des richesses des pages de ballets.
Pierre Audi ne trouve aucune solution convaincante pour suppléer à l’exotisme colonial justifiant l’existence de ces danses.
Les couleurs orchestrales ne permettent même pas de compenser les faiblesses scéniques. Souvent pâles, la finesse et la brillance des motifs des cordes sont à peine esquisses, ce qui n’empêche pas une exécution enlevée des passages les plus théâtraux.
Ou bien John Nelson privilégie une certaine rugosité, ou bien l’auditeur est sensible à plus de sensualité.
Dans cette monotonie d’ensemble, Yvonne Naef, interprète passionnée de Berlioz, se fond avec mélancolie, ne contrôle plus aucune justesse au delà d’un certain niveau aigu, mais même Waltraud Meier n’a pas su faire mieux dans Cléopâtre récemment à la salle Pleyel.
Parmi les hommes, Jean François Lapointe offre un Chorèbe retenu et noble, clair et au français nécessairement impeccable, et comme à Paris en 2006, Philippe Fourcade reprend le fantôme d’Hector, presque trop réel.
Il n’apparaît pas nettement de personnalité vocale expressive parmi le autres chanteurs, dont Enée, mais Charlotte Hellekant réussit pas sa personnalité sans réserve à faire que l’on s’intéresse à Anna.
Charlotte Hellekant (Anna)
A bien y réfléchir, l’idée du spectacle pourrait être que la destinée errante d’Enée est préférable à une vie aussi bien avec l’hystérique et obscurantiste Cassandre, qu’avec l’ennuyeuse et bourgeoise Didon.
Cinq heures et quarante cinq minutes pour nous expliquer cela est tout de même un peu long.