Mass für Mass (Mesure pour Mesure) msc Ostermeier - Odéon
Publié le 9 Avril 2012
Measure for Measure (William Shakespeare)
Représentation du 06 avril 2012
Odéon Théâtre de l’Europe
Claudio Bernardo Arias Porras
Angelo Lars Eidinger
Le prévôt / Frère Thomas Franz Hartwig
Isabelle Jenny König
Escalus Erhard Marggraf
Lucio Stefan Stern
Vincentio Gert Voss
Chant Carolina Riano Gomez
Trompette Nils Ostendorf
Guitare Kim Efert
Mise en scène Thomas Ostermeier
Scénographie Jan Pappelbaum
Traduction allemande Marius von Mayenburg
Coproduction Schaubühne am Lehniner Platz - Berlin
Measure for Measure est une comédie à problèmes en ce sens qu’elle place le lecteur, ou le spectateur, face à une difficulté de jugement.
Dans sa blancheur immaculée, Isabelle apparaît à nous comme la perfection de l’âme humaine vouée à son idéal de sentiment religieux, et pour lequel elle a choisi de préserver l’intégrité de son corps.
Mais lorsque Angelo, placé au pouvoir sur Vienne par son oncle, le Duc Vincentio, la force à faire un choix entre coucher avec lui ou bien voir son frère, Claudio, être condamné à mort, elle préfère rester fidèle à son idéologie.
Cet homme de pouvoir, pourtant, se déclarait intransigeant sur les liaisons sexuelles hors mariage, avant que son désir pour la jeune femme ne l’amène à bafouer ses propres principes.
Insoutenables sont ses propos lorsqu’il fait comprendre à Isabelle que, si elle le dénonce, ses mensonges à lui pèseront beaucoup plus que ses vérités à elle.
On y voit l’homme qui compte sur son image pour couvrir ses petites méthodes de dictateur.
Mais en même temps, Ostermeier n’en brosse pas un portrait manichéen, car il montre les tiraillements de cet homme pris par ses contradictions.
Lars Eidinger est très impressionnant dans ce rôle.
Il a l’allure d’un fauve qui tourne de manière obsédante autour de sa victime, son regard perçant a la violence d’un oiseau de proie - il lui faudra même lancer une tirade tête en bas et pieds accrochés à un lustre -, et pourtant, lorsqu’il retourne son besoin de purification contre lui-même à coups de jets d'eau (on pense naturellement au Karcher), il révèle aussi par transparence son corps en feu, et donc son humanité.
On en est fasciné.
Jenny König (Isabelle)
A l’inverse, la rigueur idéologique d’Isabella, tout aussi furieusement jouée par Jenny König, l’entraîne vers un comportement hystérique où on la voit presque haïr son propre frère.
Ce frère trouve en Bernardo Arias Porras une étonnante évocation de l’image du Christ, fin de corps et cheveux longs en vagues, alors qu’il est en même temps coupable d’avoir séduit Julietta. Sensualité et spiritualité se personnifient ainsi en un seul être.
La confusion des images ne s’arrête pas là, Ostermeier le travestit en femme désarticulée, au visage caché derrière un masque inquiétant, interprétant astucieusement le rôle de Marianne.
Cette prégnance du corps, Ostermeier en montre la force de vie autant que son odeur de mort. Un porc pendu par les pattes arrières, se substituant à un condamné à mort, est découpé au fur et à mesure par les figurants. Il rappelle ces images de corps humains destinés à l’abattoir dans la récente mise en scène de Macbeth (Verdi) par Martin Kušej à Munich.
Vie et mort se cotoyent ainsi dans un même espace restreint, et le décor cubique sur fond doré figure cet enfermement inévitable. Quand ils ne sont plus au centre de l’action, les personnages sont écartés en arrière scène, à gauche ou à droite, comme s’il s’agissait de les faire méditer sur leur propre condition.
Il y a un autre personnage bien troublant : Vincentio. Gert Voss en fait un Duc vieillissant extraordinairement charismatique, une force humaine presque terrifiante.
Mais loin d’être un simple observateur de cette situation qu’il a lui-même créée, il apparaît comme un manipulateur qui, en ayant modifié subitement l’ordre social, a poussé des hommes et des femmes à la confrontation.
Ostermeier représente aussi une très belle image de l’ensemble des comédiens chantant en chœur des mélodies médiévales aux sons de la guitare et de la trompette, mais dirigés par Gert Voos qui s’en amuse.
Leur voix sont très harmonieusement mêlées, et le charme musical du théâtre élisabéthain vient ainsi réunir l'âme commune à tous ces personnages socialement opposés.
Au delà de la marque d'un théâtre très réaliste dans ses moindre gestes, et fortement expressif sans que la limite du surjeu ne semble franchie, il apparaît surtout que Measure for Measure entre en résonnance avec les valeurs puritaines et autoritaires de notre époque.