Mesure pour mesure (D.Donnellan-N.Ormerod) Les Gémeaux
Publié le 17 Janvier 2015
Mesure pour mesure (William Shakespeare)
Représentation du 14 janvier 2015
Théâtre des Gémeaux (Sceaux)
Le Duc Alexander Arsentyev
Escalus Yury Rumyantsev
Angelo Andrei Kuzichev
Lucio Alexander Feklistov
Claudio Peter Rykov
Le Prévôt Alexander Matrosov
Le Bourreau Ivan Litvinenko
Le Coude Nikolay Kislichenko
Barnardine Igor Teplov
Pompey / Frère Pier Alexey Rakhmanov
Isabella Anna Khalilulina
Mariana Elmira Mirel
Juliette / Francesca Anastasia Lebedeva
Mise en scène Declan Donnellan (1994)
Scénographie Nick Ormerod
Londres-Moscou
Production Cie Cheek by Jowl, Théâtre Pouchkine
Coproduction Barbican Londres, Centro Dramatico Nacional Madrid
L’imposture du pouvoir est un danger de tous les instants en démocratie, et une pièce comme Mesure pour Mesure, qui confronte les figures dominantes de la société entre elles et à leur propre humanité, est d’une irrésistible contemporanéité.
Il y a à peine deux ans, Thomas Ostermeier en avait monté une interprétation radicale au Théâtre de l’Europe, en brouillant les caractères de façon à évacuer tout manichéisme. Chaque personnage avait donc sa face sombre, mais également son aspiration à la vie.
La version que remonte Declan Donnellan, 20 ans après sa création au Théâtre d’art de Moscou, renoue, elle, avec des repères plus facilement reconnaissables par le public d’aujourd’hui : costumes deux pièces anthracites pour habiller les politiques, tenue blanche et unie pour la religion, chemises bleues pour les forces de l’ordre, guenilles pour les pauvres, cuir latex pour les prostituées, l’ensemble des composantes sociales est donc représenté sur scène. Et ces composantes s‘opposent dans un contexte de répression hypocrite des libertés amoureuses et sexuelles.
Ainsi, la scène de chantage entre Sœur Isabella et le despote Angelo évoque inévitablement le conflit entre foi et sentiments humains que l’on retrouve à l’opéra dans Tosca, avec une montée lente et pénible de l’expression des intentions et de la prise de conscience de chacun des protagonistes.
Le metteur en scène n’hésite d’ailleurs pas à surligner à gros traits le comportement de ce petit peuple qui vit à la merci de ses tyrans, en le faisant courir et tourner en rond au moindre changement de scène.
Cette scène, justement, paraît bien vide et immobile pendant la moitié du temps, avant que trois des cinq cubes rouges sang ne s’animent pour ouvrir un espace qui accueillera l’arrivée triomphale du Duc au déroulé grandiloquent d’un tapis rouge protocolaire.
Declan Donnellan parodie avec humour la tendance des citoyens à acclamer le Duc - incarné par le génial et charismatique Alexander Arsentyev - simplement parce qu’il a l’apparat des hommes justes et responsables. Ce Duc s’adresse directement au public comme en campagne politique, et le public de la salle se trouve contraint à rire de son propre goût pour les grands shows devant lesquels s’efface son propre esprit critique.
Et quand sœur Isabelle témoigne chaussée de ses baskets ridicules, Angelo n’a aucun mal à paraître comme un homme modèle au-dessus de tout soupçon.
Pourtant, les cubes de l’arrière scène révèlent les coulisses de la société où l’on torture, fornique, et où la spiritualité des religieux n’est qu’une icône sans crédibilité.
Tout finit par le bonheur d’une naissance, celle du fils de Lucio, le frère d’Isabella, et sur la victoire de son amour entier et charnel que Peter Rykov aura incarné de tout son corps. Et cette troupe d’excellents acteurs est à nouveau un exemple, pour des acteurs français souvent trop conventionnels, d'un théâtre proche des entrailles de la vie.