Salomé (Denoke-Uusitalo-Soffel-Andersen) Opéra Bastille
Publié le 8 Septembre 2011
Salomé (Richard Strauss)
Répétition générale du 05 septembre 2011 et
Représentations du 17 et 23 septembre 2011
Opéra Bastille
Salomé Angela Denoke
Herodes Stig Andersen
Herodias Doris Soffel
Jochanaan Juha Uusitalo
Narraboth Stanislas de Barbeyrac
Page der Herodias Isabelle Druet
Direction Musicale Pinchas Steinberg
Mise en scène André Engel (1994)
Décors Nicky Rieti
Doris Soffel (Hérodias)
Cela fait quinze ans que le monumental décor oriental conçu par Nicky Rieti pour Salomé n’avait pas été remonté sur la scène de l’Opéra Bastille, puisque la mise en scène de Lev Dodin était régulièrement à l’affiche depuis 2003.
On peut imaginer plusieurs raisons qui ont poussé Nicolas Joel à l’exhumer aujourd’hui, le goût pour les architectures évocatrices et fantaisistes, la capacité de cet ensemble refermé à soutenir les voix, le court intervalle de temps (moins de deux ans) qui sépare cette reprise de la précédente, peut être l’envie de rattraper la relative neutralité musicale de cette dernière, ou tout simplement l’idée de donner l’illusion au spectateur qu’il en a pour son argent.
Quoi qu’il en soit, la surprise vient de la mise en scène sage d’André Engel, théâtralement mesurée, en décalage avec la musique monstrueusement fantastique de Strauss.
Néanmoins, elle comprend des détails visuels qui interrogent le spectateur, comme les codes vestimentaires juifs, ou bien les inscriptions hébraïques marquées sur le front de Jochanaan « Shaddai - Le gardien de la porte d’Israël», un des noms de Dieu, sauf erreur d‘interprétation.
On reste cependant plus proche d’une évocation exotique à la Flaubert, plutôt que de la fidélité historique. Et s'il on souhaite retrouver une certaine proximité avec le texte d'Oscar Wilde, mieux vaut être à gauche de la salle, et pas trop haut, pour profiter des effets visuels de la Lune.
Le premier à pâtir de la scénographie est Stanislas de Barbeyrac, élève de l’Atelier Lyrique auquel fut remis le prix de l’AROP l’année dernière, dont la voix magnifiquement projetée évoque sincèrement les sentiments éplorés du jeune Syrien.
Mais il est constamment maintenu dans une pénombre qui ne permet de le reconnaître que très difficilement.
Cette faible ambiance lumineuse est une constante de toute la représentation, à quelques exceptions près. On n’en sort totalement qu’à la fin, lorsque l’extérieur du palais de Machaerous s’illumine intensément, un lever de soleil qui se révèle être l’approche du Dieu tant invoqué par Iochanaan, sous des rayons de lumière qui se diffusent à travers les multiples interstices décoratifs.
Pris d’une peur soudaine devant l’inéluctable jugement qui s’annonce, Hérodes réagit en faisant tuer Salomé.
Pour en revenir aux premières scènes, Isabelle Druet fait impression, et ses expressions dramatiques arrivent à rendre le Page aussi fortement désespéré que Narraboth, bien que son visage, lui aussi, soit peu visible.
Ensuite, nous assistons à l’affrontement de quatre mastodontes vocaux, nullement dépassés par l’opulence orchestrale.
En vieux tétrarque paré d‘une imposante toge rouge, Stig Andersen a dans sa voix solide comme une douceur touchante, sans inflexions cassantes, ce qui en fait un homme épris d’un désir essentiellement amoureux, et non plus d’un désir libidineux, pour sa belle fille. Il est ici victime d’une jeunesse éblouissante.
Bien que le couple ne soit souverain que de deux territoires de la Palestine, la Galilée et la Pérée, son ambition sous-jacente se cristallise sur la stature royale d’Hérodias, tenue par une Doris Soffel spectaculaire à l’aigu sauvage et dominant. On croirait retrouver sur scène l’empreinte nostalgique d’une Lady Macbeth autoritaire telle que Callas nous l’a léguée.
A chaque interprétation de Salomé ces dernières années, les échos de l’implication extrême d’Angela Denoke ont été relayés par tous les médias professionnels ou amateurs.
Le faible impact théâtral de la mise en scène ne lui permet manifestement pas d’exprimer toute la complexité psychologique de l‘héroïne, mais elle s’implique sur chaque geste, chaque état d’âme, pour leur donner une vérité humaine.
Son attention à tout ce qui se passe, son effondrement quand Jochanaan s’éloigne, sa gestuelle vive et souple, et l’expressivité de ses regards sont les révélateurs visuels de ses entrechocs intérieurs. Et surtout il y a cette voix, plus sensuelle qu’acerbe, qui peut être d’une lumière angélique, pour brusquement se muer en exclamation névrosée.
A la rigueur, on peut dire que le Jochanaan de Juha Uusitalo est des quatre personnages principaux le plus brutal. Son envergure naturelle et son timbre un rien primitif sont à même de réveiller les craintes frémissantes qui rongent Hérodes, ce qui est d’autant plus important ici que la vision d’André Engel repose en partie sur son rôle annonciateur.
Mais le clivage le plus fort se manifeste entre le jeux scénique et l’exubérance musicale, avec des variations selon les représentations.
Ainsi, à l’opposé de son approche chambriste au Théâtre du Capitole en 2009, Pinchas Steinberg ouvre cette saison, lors de la répétition générale, en déchainant l’orchestre à une allure soutenue.
Sa direction extériorisée inonde la salle d’un flot lyrique majestueux, sans lâcher sur la violence théâtrale, quitte à laisser l’agressivité des cuivres hors de contrôle.
C’est une interprétation moins mystérieuse que celle d’ Harmut Haenchen, mais qui recèle le même pouvoir d’exaltation.
Quelques jours plus tard, lors de la représentation du 17, le style devient beaucoup plus sensuel, lent, ralentissant et atténuant d'avantage le peu d'intention scènique.