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Publié le 20 Janvier 2014

Platonov (Anton Tchekhov) Le Fléau de l’absence des pères
Représentation du 09 janvier 2014
Odéon Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier

Mikhail Platonov Joseph Fourez
Sophia Iegorovna Sophie Dumont
Anna Petrovna Elsa Granat
Sacha Macha Dussart
Serguei Voinitsev Valentin Boraud
Ivan Triletski Guillaume Compiano
Nikolai Triletski Tristan Gonzales
Ossip Arnaud Charin

Scénographie & Mise en scène Benjamin Porée

Production Compagnie La Musicienne du Silence
Coproduction Odéon - Théâtre de l’Europe, Théâtre de Vanves
Créé le 11 mai 2012 au Théâtre de Vanves

                                                                                                              Joseph Fourez (Mikhail Platonov)

 

Le hasard des circonstances a du bon, parfois, surtout s’il permet de découvrir le travail d’un jeune metteur en scène, Benjamin Porée, qui n’était pas forcément attendu au cours de la saison bien avancée du Théâtre de l’Europe.

Dès le début de ce spectacle qui s’étend sur quatre heures trente, on sent tout de même un certain académisme qui rappelle celui de la Comédie Française, c’est-à-dire une façon de déclamer qui ne sonne pas tout à fait naturelle.

Joseph Fourez (Mikhail Platonov) et Sophie Dumont (Sophia Iegorovna)

Joseph Fourez (Mikhail Platonov) et Sophie Dumont (Sophia Iegorovna)

Mais les expressions corporelles des personnages vivent et interagissent avec célérité, et l’ensemble de la troupe, une vingtaine d’acteurs, est lié par une énergie de vie qui se ressent très rapidement.

Ce jeu se construit alors pour aboutir à un premier grand tableau réussi, le tableau des jardins de la maison des Voinitsev qui couvre toute la deuxième partie du premier acte.

Il y règne un foisonnement étourdissant entre la scène centrale et l’arrière scène, où les invités mènent la grande vie autour de la table conviviale, jusqu’à la scène de bal entrainante. On y distingue les mauvais et les bons danseurs, et tout ce petit monde semble heureux. Mais, par la suite, les relations malheureuses entre Platonov et les héroïnes principales, Sophia, Anna et Sacha mettent sous tension toute la fin de cet acte.

Joseph Fourez (Mikhail Platonov) et Sophie Dumont (Sophia Iegorovna)

Joseph Fourez (Mikhail Platonov) et Sophie Dumont (Sophia Iegorovna)

Le second, à la lisière d’une forêt, se déroule dans l’ombre, et les poteaux télégraphiques originels sont remplacés par des balançoires vides, comme le souvenir d’une enfance heureuse perdue à laquelle se sont substitués le noir et le silence d’une absence.

C’est pourtant véritablement le troisième acte qui signe un grand moment de théâtre, car le lieu est resserré vers l’avant scène, elle-même jonchée d’un mur de bouteilles de vin - on se souvient également du tapis de bouteilles qui irisait la chambre de Petra von Kant dans la mise en scène de Martin Kusej - qui dit tout de la spirale de problèmes irrésolus qui entraîne Platonov vers le néant.

Dans cet acte, Benjamin Porée reconstitue une pièce sale et décrépie, mais représente Platonov, contrairement aux descriptions sordides du texte, dans l’entière nudité de son corps splendide. Il se crée alors un contraste saisissant entre la fraicheur de l’apparence physique de Joseph Fourez et la déliquescence mentale et lucide qu’il confronte à ses protagonistes.

Joseph Fourez (Mikhail Platonov) et Sophie Dumont (Sophia Iegorovna)

Joseph Fourez (Mikhail Platonov) et Sophie Dumont (Sophia Iegorovna)

C’est d’ailleurs dans cet acte que l’on comprend réellement ce qui le lie à sa femme Sacha, la bourgeoise protectrice, à Sophia, qui voit en lui une inspiration spirituelle que ne peut lui apporter son mari figé dans son statut social, et Anna Petrovna, sa mère intime. Elsa Granat est sans doute l’actrice qui dégage une profondeur viscérale la plus marquante parmi ces jeunes artistes pleins de vie. Sophie Dumont (Sophia), elle, fait considérablement penser au personnage d'Elvire de par la sensibilité digne qu'elle dégage.

En trainant ainsi sa nudité jusque dans sa baignoire, Benjamin Porée assimile Platonov à Hamlet, perdus qu’ils sont, tous deux, sans figure paternelle solide et fiable proche d’eux. Mais le plus inexplicable est de voir comment un être qui se détruit s’attire en même temps l’amour de ces trois femmes. Bien entendu, on voudrait rapprocher Platonov de Don Giovanni, mais le personnage que l’on voit ici a une conscience tellement négative de lui-même que l’on ne peut même plus l’assimiler au héros mythique.

Valentin Boraud (Serguei Voinitsev)

Valentin Boraud (Serguei Voinitsev)

Le dernier acte s’achève alors dans un immense salon presque vide. Ne trainent plus que deux vieux canapés, deux lustres, quelques chaises et un gramophone. L’ambiance dépressive plate contamine tous les survivants de ce désastre psychologique.

Anton Tchekhov avait 18 ans quand il écrivit cette pièce qui est sa première œuvre. Le texte, si rythmé et si révélateur des âmes, paraît cependant trop dense pour que la représentation théâtrale suffise à tout en saisir, ce qui invite, ainsi, à le relire dans les jours qui suivent.

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