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Publié le 16 Novembre 2016

The Fountainhead (Ayn Rand)
Représentation du 13 novembre 2016
Théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier

Howard Roark Ramsey Nasr
Henry Cameron Hugo Koolschijn
Peter Keating Aus Greidanus jr.
Mrs. Keating Frieda Pittoors
Guy Francon Hugo Koolschijn
Dominique Francon Halina Reijn
Ellsworth M. Toohey Bart Slegers
Gail Wynand Hans Kesting
Catherine Halsey Janni Goslinga
Steve Mallory Robert de Hoog,
Alvah Scarett Robert de Hoog,

Mise en scène Ivo van Hove
Les musiciens de Bl!ndman [percussions]               Ivo van Hove - photo Valerio Vincenzo

Ayn Rand est une écrivaine russo-américaine née en 1905 dans une famille bourgeoise juive de Saint-Peterbourg sous le nom d’Alisa Zino’yevna Rosenbaum.

Attirée par les valeurs individualistes de l’Amérique, elle migre aux Etats-Unis en 1926 où elle devient scénariste sous la direction de Cecil B. DeMille. Elle épouse alors l’acteur Franck O’Connor.

Ecrite sur une période de sept ans, The Fountainhead est une nouvelle philosophique qui sera son premier grand succès littéraire en 1943. Elle oppose, dans l’univers de l’architecture, Howard Roark - inspiré de l’architecte Frank Lloyd Wright -, le symbole de l’artiste idéaliste et individualiste qui place la matière, l’environnement et son sens créatif au service d’une œuvre, à plusieurs personnalités ayant préféré le compromis de leurs valeurs avec la société afin de s’assurer reconnaissance et réussite matérielle.

Ramsey Nasr (Howard Roark) et Halina Reijn (Dominique Francon) - Photo Jan Versweyveld

Ramsey Nasr (Howard Roark) et Halina Reijn (Dominique Francon) - Photo Jan Versweyveld

Quelques années plus tard, en 1949, ce roman sera adapté au cinéma par King Vidor avec Gary Cooper et Patricia Neal.

Des plus de 700 pages de l’ouvrage, Ivo van Hove n’en a adapté qu’un quart pour en faire un spectacle de 4 heures.

Le décor reproduit l’immense pièce d’un atelier de création, lieu unique qui sert de bureau d’études d’architecture, de chambre à coucher, de salle à manger ou de salle d’édition d’un journal. Des ordinateurs et machines industrielles sont agencés tout autour, renvoyant une image moderne et sans âme d’un lieu de production de masse.

Mais ce n’est pas le point le plus important, car ce qui captive le spectateur tout le long de la représentation est la crédibilité presque viscérale des acteurs qui, pour certains, tels Ramsey Nasr, Halina Reijn, Hans Kesting et surtout Aus Greidanus jr. jouent avec l’énergie animale que leurs corps dégagent.

Halina Reijn (Dominique Francon), Aus Greidanus jr. (Peter Keating), Hugo Koolschijn (Henry Cameron) et Frieda Pittoors (Mrs.Keating) - Photo Christophe Raynaud de lage

Halina Reijn (Dominique Francon), Aus Greidanus jr. (Peter Keating), Hugo Koolschijn (Henry Cameron) et Frieda Pittoors (Mrs.Keating) - Photo Christophe Raynaud de lage

Et même si la fameuse scène de sexe entre Dominique et Howard est poussée presque à son extrême - Ramsey Nasr et Halina Reijn mêlent exhibitionnisme et pudeur d’une façon nonchalamment osée - bien qu’elle soit esthétisée par la médiation d’un écran sur lequel est projeté le champ de la caméra qui les surplombe -, Aus Greidanus jr. dépeint un Peter bouillonnant et débordant de chair et de coups de sang, un regard d’aigle qui le rend plus vivant que ses deux partenaires principaux.

Car il y a une certaine froideur chez Ramsey Nasr et Halina Reijn, une maîtrise physique qui peut faire un peu peur, notamment chez celui qui incarne l’artiste intègre et serein dans l’isolement. L’importance de l’acte sexuel, central dans la pièce, peut être compris comme la manifestation de l’énergie créatrice de celui-ci, ou bien comme l’expression d’une violence intérieure qui va s'exprimer spectaculairement par la destruction des immeubles du Cortlandt project, acte mis en scène avec une force impressionnante qui expulse souffle et poussières sur la scène et sur les premiers rangs de la salle. Mais la nudité est aussi le signe des êtres qui veulent exister par eux-mêmes sans avoir recours aux costumes de la représentation sociale.

Aus Greidanus jr. (Peter Keating) - Photo Toneelgroep Amsterdam

Aus Greidanus jr. (Peter Keating) - Photo Toneelgroep Amsterdam

Le tout sur un fond visuel de tours d’affaires d’une grande citée baignée par le crépuscule lumineux et opératique du Götterdämmerung de Richard Wagner, l’atmosphère de fin de monde qui entoure Gail Wyland est ici rendue avec une force cinématographique qui s’impose subversivement. Hans Kesting est véritablement l’image d’une stature supérieure construite sur une sensibilité qui jaillit d’un regard bienveillant rongé par le doute.

Et alors que l’on assiste à la vacuité grandissante de Peter Keating au fur et à mesure que Aus Greidanus jr. , plutôt débraillé dans sa phase d’ascension, se construit une image de respectabilité structurante, on assiste au contraire à la prise de distance et de liberté de Catherine, sa fiancée, dont il néglige les aspirations à son bonheur privé.

Ivo van Hove, après avoir montré les mécanismes de pression sociale qui l’ont conduite à s’oublier elle-même pour son ami, fait partir de la scène Janni Goslinga avec un éclat et une assurance dénués de toute rancœur mais aussi de toute illusion, dans un grand sourire tourné vers lui. L’image paraît simple, mais elle a une grande valeur suggestive.

Halina Reijn (Dominique Francon) - Photo Christophe Raynaud de lage

Halina Reijn (Dominique Francon) - Photo Christophe Raynaud de lage

Et tout le long du spectacle, les textes choisis résonnent en nous, surtout lorsqu’ils sont déclamés par Ramsey Nasr, car ils révèlent puissamment l’âme de l’artiste qui juge une société, et confirment que ces réflexions écrites dans les années 40 restent toujours actuelles.

Mais il n’y a pas de réponse, ici, à la question de la violence. Est-elle intrinsèque à l’artiste, qui peut avoir un comportement anti-citoyen en détruisant ce qui lui paraît laid sans prendre en considération l’utilité sociale, ou bien provient-elle d’une société qui tend à étouffer l’individualité?

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