Die Meistersinger von Nürnberg (Volle-Vogt-Schwanewilms-Martin Kränzle-Jordan-Kosky) Bayreuth 2017
Publié le 3 Août 2017

Die Meistersinger von Nürnberg (Richard Wagner)
Représentation du 31 juillet 2017
Bayreuth Festspiele
Hans Sachs Michael Volle
Veit Pogner Günther Groissböck
Kunz Vogelgesang Tansel Akzeybek
Konrad Nachtigal Armin Kolarczyk
Sixtus Beckmesser Johannes Martin Kränzle
Fritz Kothner Daniel Schmutzhard
Balthasar Zorn Paul Kaufmann
Ulrich Eisslinger Christopher Kaplan
Augustin Moser Stefan Heibach
Hermann Ortel Raimund Nolte
Hans Schwarz Andreas Hörl
Hans Foltz Timo Riihonen
Walther von Stolzing Klaus Florian Vogt
David Daniel Behle
Eva Anne Schwanewilms
Magdalene Wiebke Lehmkuhl
Un veilleur de nuit Karl –Heinz Lehner Klaus Florian Vogt (Walther)
Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Barrie Kosky (2017)
La nouvelle production des Maîtres Chanteurs de Nuremberg qui inaugure l’édition 2017 du festival de Bayreuth est un marqueur majeur car elle convoque pour la première fois un metteur en scène juif, Barrie Kosky, le directeur artistique du Komische Oper de Berlin, pour réinterpréter l’opéra de Richard Wagner qui touche fondamentalement au cœur de l’identité allemande.
En effet, alors qu’en 1866 la troisième guerre d’indépendance italienne aboutit à l’expulsion des derniers Autrichiens d’Italie et, qu'au même moment, les Prussiens protestants battirent l’Autriche catholique et la confédération germanique, la Bavière de Louis II resta, elle, indépendante.
Pour Richard Wagner, la Bavière ‘devait sauver l’Allemagne’.
Lorsqu’ils furent joués pour la première fois à Munich, le 21 juin 1868, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg célébraient, en partie sur le mode de la dérision, le retour à l’art romantique allemand comme fondement d’une nouvelle nation identitaire.
Le public fut subjugué, mais un critique musical juif viennois, Eduard Hanslick, démolit l’esthétique et l’idéologie de l’ouvrage.
Avait-il compris que le personnage de Beckmesser était originellement inspiré par lui même?
Indéniablement, Les Meistersinger contiennent une part autobiographique et drainent les sentiments antisémites du compositeur.
Barrie Kosky est le premier artiste juif et non allemand à les mettre en scène au Palais des festival de Bayreuth, et sa manière d’aborder l’œuvre est un formidable spectacle qui permet au spectateur de comprendre l’influence du milieu familial de Richard Wagner, de voir en chaque protagoniste une part de celui-ci, de réfléchir sur Nuremberg en tant que symbole du pouvoir Nazi, dans une ambiance malgré tout déjantée qui évacue tout ressentiment émotionnel.
Richard Wagner, Cosima Wagner, Hans von Wolzogen and the elderly Franz Liszt at Haus Wahnfried Bayreuth circa 1880 (Photogravure by Franz Hafnstaengl after an oil painting by Wihelm Beckman, Liszt Museum, Bayreuth)
Le premier acte reconstitue brillamment l’atmosphère bourgeoise, richement dotée de bibliothèques et de tissus précieux, de la villa Wanfried où Wagner, grâce au soutien financier de Louis II, pu s’installer en 1874 pour laisser libre cours à ses illusions artistiques.
Le décor est confiné, ce qui renforce l’impression d’imagerie d’Epinal du dispositif scénique.
Par un jeu de correspondance rendu le plus clair possible en employant les portraits réalisés par des peintres contemporains de leur époque, Hans Sachs prend les traits de Richard Wagner, Eva celui de sa femme, Cosima, inspiratrice active de sa philosophie, Pogner, le père d’Eva, incarne Franz Liszt, et Beckmesser s'identifie au chef d’orchestre juif Hermann Levi qui dirigea Parsifal lors de sa création à Bayreuth.
Mais Walther et, plus surprenant, David affichent, eux aussi, des caractères physiques propres à Richard Wagner afin de représenter la fragmentation du compositeur dans l’ouvrage.
L’ensemble prend la forme d’une représentation traditionnelle, ce qu’elle n’est pas, car le jeu des acteurs est d’une virtuosité poussée, laquelle est renforcée par le chœur tout fou – mais invisible et en retrait lors de l’ouverture - qui réalise des entrées et sorties constamment loufoques. Quant aux maîtres chanteurs, ils sont désacralisés à travers toutes sortes de mimiques humaines drôles et vivantes.
Sur la forme, on se croirait dans la première partie du Capriccio de Richard Strauss tissé de conversations philosophiques sur la musique et la poésie. Mais lorsque le salon se retire en arrière-plan, il laisse apparaître la salle de jugement du tribunal de Nuremberg flanquée des quatre drapeaux soviétique, américain, britannique et français. Le jugement de l’Allemagne et de Richard Wagner s’impose comme une question lancinante dans la suite de l’opéra.
Le second acte, qui mélange architecture du tribunal et prairie bucolique, ne fait pas allusion au métier de cordonnier de Hans Sachs, mais développe l’ambiguïté entre relation des personnages du livret et celle de Cosima et Richard Wagner.
Il fait intervenir le chœur, c'est-à-dire le peuple, de façon intempestive et divertissante comme s’il était joué par des acteurs libres, ce qui donne un sentiment d’anachronisme aux tableaux où il intervient.
Le point central de cet acte est bien entendu l’échange entre Hans Sachs et Beckmesser autour de la scène de séduction d’Eva – sans réel enjeu apparent - qui décuple le ressentiment antisémite de Wagner caché dans la partition.
Les coups de marteau deviennent les coups de maillet d'un juge.
La gestuelle Yiddish du marqueur, subtilement caricaturée, les entrelacs de motifs subliminaux exacerbés par Philippe Jordan, la tonalité joyeuse de l’ensemble, tout est fait pour que l’attention soit intelligemment maintenue, jusqu’au basculement vers la scène de bastonnade qui s’assombrit soudainement et laisse apparaître un visage géant fidèle à l’image fantasmée du juif satanique, visage qui se déploie lentement et progressivement.
L’effet saisissant laisse coi et ne manque pas de provoquer l’exaspération de quelques spectateurs.
Le troisième acte se déroule entièrement dans la scène de tribunal. David, puis Hans Sachs, sont jugés – mais il s’agit bien de juger Wagner -, et les relents antisémites du peuple s’expriment avec évidence à l’accueil des maîtres chanteurs, tous applaudis sauf le marqueur.
Les scènes de foule sont toujours aussi formidables de verve et d’invention, et l’ouvrage s’achève sur l’apparition d’un orchestre sur scène, dirigé par Hans Sachs / Richard Wagner, qui disparaît dans les arrière-fonds du théâtre, afin de créer un effet de distanciation entre la musique du compositeur et la pensée de l'homme.
Pour son retour dans la fosse de Bayreuth, cinq ans après sa première interprétation de Parsifal en ce même lieu, Philippe Jordan reprend en main un orchestre dont la nature germanique modifie le rendu des couleurs par rapport à la version qu’il a dirigé l’année dernière avec l’orchestre de l’Opéra National de Paris.
Sans tonitruance, l’ouverture fait la part belle au déploiement fluide et sculptural des cordes, et sa direction, exempte d’effets nets et coupants, délie et démultiplie les motifs subjacents de la partition pour les lier fortement à la caractérisation vocale des personnages.
Car, non seulement le chef d’orchestre épouse parfaitement la construction scénique et les silences, ce qui, paradoxalement, accentue l’impression d’osmose entre direction musicale et direction d’acteur, mais il enrichit également les dialogues avec une expressivité qui prend le dessus sur le texte dans une effervescence étourdissante.
Et en grand plasticien musical qu’il est, il excelle naturellement à induire des ondes intemporelles magnifiquement évanescentes et ombrées qui semblent totalement dématérialiser l’orchestre.
C’est en tout premier lieu Michael Volle, véritable bête de scène, qui bénéficie de la force délicate d’une telle direction.
Probablement insurpassable dans le rôle d’Hans Sachs, symbole, ici, de l’esprit de Wagner, sa présence vocale décline toutes sortes d’états d’âme, de l’amertume à la colère en passant par l’impétuosité et la mélancolie, et son jeu nerveux et violent rend son personnage pleinement abouti.
L’auditeur est alors capté par l’énergie animale qu’il dégage, si bien que l’on ne voit plus le musicien, sinon l’incarnation nue et totale de l’être qu’il représente.
Klaus Florian Vogt, lui aussi parabole, dans cette production, du jeune Wagner révolté, un timbre constamment immaculé, une puissance splendide, est un Walther von Stolzing intemporel et un délice de sincérité. L’expression de ses élans clairs et vaillants, où la douceur l’emporte sur la force brute, et les langueurs onctueuses ont un tel impact émotionnel, que son timbre extraordinaire semble comme inaltérable au temps. Il est véritablement une très grande figure du Festival, et son attitude digne et touchante face à l’accueil dithyrambique du public est inoubliable.
Günther Groissböck, en Pogner / Franz Liszt, a un rôle plus court, mais ses expressions enjouées, doublées de belles couleurs naturelles et humaines, rendent entièrement sympathique son personnage bienveillant.
Et pour faire vivre l’impulsivité de David, Daniel Behle lui transmet un timbre dense et une émission percutante qui rend son personnage plus terrestre et mature que celui de Walther.
Mais on se souviendra longtemps du Beckmesser vécu par Johannes Martin Kränzle - artiste allemand qui interprétait Wozzeck à l'opéra Bastille, cette saison - sous les traits barbus d’Hermann Levi. La démarche esthétique, les variations fines et expressives qui traduisent l’ambiguïté et l’insaisissable du personnage, le timbre qui révèle une texture doucereuse, il est incarnation totale du marqueur si détesté par Richard Wagner.
Et de plus, il semble prendre un malin plaisir narquois à jouer de cette figure provocante sans la moindre inhibition.
Quant à Anne Schwanewilms, elle n’a plus la rondeur qui pourrait restituer au mieux la symbolique idéale que représente Eva. Totalement surprenante dans un rôle comique, alors qu’elle incarne habituellement des personnages sensibles et intimistes, elle dégage surtout une personnalité qui pourrait être celle de Cosima Wagner.
Sa compagne, Wiebke Lehmkuhl, de sa voix bien timbrée, donne enfin beaucoup de vie à Magdalene.
Le chœur, un grand sentiment d’allégresse, s’en donne pleinement à cœur joie, et contribue ainsi à la réussite d’une production qui allie mémoire historique et familiale, réflexion psychologique, vitalité exubérante, bref, une richesse stimulante pour chacun de nous qui amorce peut-être une reprise de la créativité théâtrale du Festival.