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Publié le 20 Novembre 2016

Les Damnés (Luchino Visconti, Nicola Badalucco, Enrico Medioli)
Représentation du 19 novembre 2016
Comédie Française - salle Richelieu

La mère de Lisa Amaranta Kun
Wolf von Aschenbach Éric Génovèse
Baron Konstantin von Essenbeck Denis Podalydès
Le Commissaire et le Recteur Alexandre Pavloff
Friedrich Bruckmann Guillaume Gallienne
Baronne Sophie von Essenbeck Elsa Lepoivre
Herbert Thallman Loïc Corbery
Elisabeth Thallman Adeline d'Hermy
Günther von Essenbeck Clément Hervieu-Léger
Olga Jennifer Decker
Baron Joachim von Essenbeck Didier Sandre
Martin von Essenbeck Christophe Montenez
Janek Sébastien Baulain

Mise en scène Ivo van Hove       Christophe Montenez (Martin) - Photo : Anne-Christine Poujoulat
Festival d’Avignon 2016

Les Damnés (1969) est l’œuvre de Luchino Visconti qui réunit deux de ses acteurs fétiches, Dirk Bogarde, engagé depuis le début des années 60 dans des films risqués, Victim, The Servant, et Helmut Berger, le partenaire dans la vie du réalisateur italien. Suivront Mort à Venise (1971) et Ludwig ou Le Crépuscule des Dieux (1972) qui sublimeront le lien entre la montée du nazisme et la résurgence du romantisme allemand, portée par un désir de perfection artistique absolu.

L’adaptation théâtrale d’Ivo van Hove suit exactement le scénario et le script du film, mais, ne pouvant reconstituer l’esthétique baroque et raffinée de Visconti, il se concentre sur le huis clos qui enserre la riche famille industrielle de la Ruhr, les Essenbeck, devant l’ascension de l’ambitieux Friedrich Bruckmann, soutenu par Wolf von Aschenbach. 

Christophe Montenez (Martin) - Photo Juliette Parisot

Christophe Montenez (Martin) - Photo Juliette Parisot

A gauche de la scène, les loges intimes où se préparent les acteurs, à droite, les cercueils où la plupart finiront, au centre, un écran qui permet de voir ce qui se déroule dans les moindres recoins. Cet écran cerne également la vérité des visages, comme dans le film original, et amplifie le sordide de ces exécutions en dévoilant la panique de chacun à l’approche de la mort.

Chaque assassinat est également surligné par un éclairage brusque de la salle au son strident d’une cheminée à vapeur placée à l’avant-scène, allusion évidente aux déportations, mais qui peut être brutale pour les spectateurs situés au plus près du plateau.

Par ce procédé, Ivo van Hove prend le risque de réduire l’enjeu politique de la pièce à une intrigue policière digne des Dix petits nègres d’Agatha Christie.

Loïc Corbery (Herbert Thallman) - Adeline d'Hermy (Elisabeth Thallman) - Denis Podalydès (Konstantin) - Photo Juliette Parisot

Loïc Corbery (Herbert Thallman) - Adeline d'Hermy (Elisabeth Thallman) - Denis Podalydès (Konstantin) - Photo Juliette Parisot

Mais lorsque l’on connait bien le film, on ne peut s’empêcher de le croiser, en filigrane et en continu, avec le réel de la pièce, si bien qu’il devient impossible d’apprécier cette dernière sans cette connexion permanente.

Les acteurs, eux, ont tous un peu de cette monotone solennité initiale qui bride leur spontanéité, un trait caractéristique de la Comédie Française, qui peut cependant traduire, dans ce contexte, le corsetage de l’éducation aristocratique des Essenbecks.

Ainsi, c’est Eric Génovèse, en Wolf von Aschenbach manipulateur, narquois et cynique, qui tire le meilleur parti de ce style déclamatoire contrôlé qui renforce l’impression de froide maîtrise inhérente à son rôle de défenseur des intérêts du parti Nazi.

Denis Podalydès (Konstantin) et Sébastien Baulain (Janek) - Photo Audrey Scotto

Denis Podalydès (Konstantin) et Sébastien Baulain (Janek) - Photo Audrey Scotto

A l’opposé, Denis Podalydès est tout sauf bridé, et peu oublieront son impudeur sidérante à vivre l’exaltation dépravée du Baron Konstantin von Essenbeck, avant que les SS ne viennent exterminer les SA et leur volonté d’indépendance. 

Cette scène, qui, dans le film, se déroule à Bad Wiessee, au bord du lac de montagne Tegernsee, se joue sur un sol orangé inondé de bière au son du chant militaire « Wir werden weiter marchieren ». Ivo van Hove n’élude rien de l’homo-érotisme de ce tableau très fort qui repose sur les pitreries de Denis Podalydès et de son partenaire, Sébastien Baulain, dont la fabuleuse sculpture du corps prend une dernière pose d’ange une fois sa vie éteinte.

Et Christophe Montenez, étrangement ressemblant à Helmut Berger, accentue les travers pervers de Martin, sans toutefois reproduire les ambiguïtés de ses faiblesses et de ses doutes, particulièrement visibles dans la première partie du film de Visconti.

Guillaume Gallienne (Friedrich Bruckmann) - Photo Juliette Parisot

Guillaume Gallienne (Friedrich Bruckmann) - Photo Juliette Parisot

Le jeune acteur est fascinant, et après s’être recouvert des cendres des victimes, précautionneusement recueillies dans une urne familiale, ce n’est pas du salut nazi qu’il conclut la pièce, mais d'une tonitruante fusillade tournée vers le public. 

L’insistance à prendre celui-ci à partie est peut-être le point faible de ce spectacle, car le directeur donne le sentiment d’insister et de forcer le trait, au lieu de laisser le spectateur s’imprégner de la violence de la pièce naturellement.

Mais l’on trouve aussi une très belle idée qui nous rapproche de Visconti quand il fait courir Sophie von Essenbeck (Elsa Lepoivre) à travers le théâtre de la Comédie Française, suivie en direct jusque dans la rue Richelieu sur l'écran de scène.

Christophe Montenez (Martin) - Photo Anne Christine Poujoulat

Christophe Montenez (Martin) - Photo Anne Christine Poujoulat

Finalement, la conversion progressive des esprits au nazisme se traduit à la fois par la disparition des êtres et par l'unicité de la couleur vestimentaire de chacun, le noir.

Plus de 40 000 spectateurs vont assister à ces Damnés rien qu'à Paris. La gravité, qui pouvait parfois se lire sur de très jeunes visages, montre en tout cas la force de la pièce et de son texte qui fait prendre conscience à quel point la culture peut craindre, elle aussi, d’un pouvoir bâti sur la puissance de l’argent et de l’obsession sécuritaire.

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Publié le 18 Novembre 2008

Cosi fan tutte (Mozart)
Représentation du 16 novembre 2008

Théâtre des Champs Elysées

Mise en scène Eric Génovèse

(Sociétaire de la Comédie Française)
Direction musicale Jean-Christophe Spinosi

Fiordiligi Veronica Cangemi

Dorabella Rinat Shaham
Despina Jaël Azzaretti

Ferrando Paolo Fanale
Guglielmo Luca Pisaroni

Don Alfonso Pietro Spagnoli

                                                                                    Paolo Fanale (Ferrando)

Cette nouvelle production de Cosi fan lutte au Théâtre des Champs Elysées est un spectacle parfaitement conventionnel, sans innovation flagrante, qui pourrait passer sans que l’on s’y attarde plus longtemps.

Et pourtant il faut en parler.

Veronica Cangemi (Fiordiligi), Jaël Azzaretti (Despina) et Rinat Shaham (Dorabella)

Veronica Cangemi (Fiordiligi), Jaël Azzaretti (Despina) et Rinat Shaham (Dorabella)

Il faut reconnaître à Eric Génovèse d’avoir réussi à faire quelque chose de classique mais pas kitch (pour ceux qui ont vu la production de Toffolutti à Garnier) avec un décor simple et très fonctionnel, permettant de multiples plans très distincts et habilement illuminés, des tons clairs, marbrés de verts, quelques volumes de ci de là, aptes à obtenir un consensus général parmi le public.

Seulement, bien évidemment sur le plan scénique, nous en restons au stade de la comédie légère, vivante et ironique à la Jane Austen.   

Après la version de Chéreau à Garnier il est difficile de revenir à une Despine dont ne ressort plus toute la noirceur de son aversion aux hommes, ou bien à un Don Alfonso simple donneur de leçon, ou bien encore à ces deux femmes nettement moins tenaillées.

A ce niveau là, Jaël Azzaretti fait preuve d’abattage sans que surviennent toutefois de véritables moments d’intensité, Pietro Spagnoli assure une ligne de chant ferme aux couleurs cuivrées, Veronica Cangemi maîtrise son personnage touchant et digne, manie les vocalises et les nuances toujours avec un certain suspens, mais perd toute musicalité dans les aigus forte, et si Rinat Shaham est d’un tempérament certain et d’une présence vocale adéquate, l’on est plus difficilement séduit de volupté.

                                                                                          Veronica Cangemi (Fiordiligi)

Quand aux amants, d’une part ils ont de la gueule, mais d'autre part ils nous gâtent aussi vocalement.

A un indiscutable Luca Pisaroni solide et séducteur répond un Paolo Fanale bien plus complexe : timbre ingrat dans les aigus, volume très variable, en dehors de cela ses airs largo sont une démonstration technique et accrocheuse, et le rendent très sensible.

Paolo Fanale (Ferrando)

Paolo Fanale (Ferrando)

En fait, la nouveauté est dans la fosse : Jean-Christophe Spinosi ne s’embarrasse surtout pas d' académisme convenu, se lance dans un rythme alerte avec le souci de transmettre la jeunesse des sentiments en jeu, de ralentir le temps quand les êtres se retrouvent, d'exalter la sensualité des cordes, ce qui sera le plus grand plaisir de cette représentation.

Il doit cependant gérer des cors ne sachant toujours pas négocier le rondo de Fiordiligi, et des timbales trop lourdes.

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