Publié le 16 Février 2010
« Un Tramway » nommé désir (mise en scène Krzysztof Warlikowski)
Représentation du 13 février 2010
Théâtre de l’Odéon
Texte français : Wajdi Mouawad
Adaptation : Krzysztof Warlikowski
Blanche Isabelle Huppert Stanley Andrzej Chyra Stella Florence Thomassin
Mitch Yann Collette Eunice Renate Jett Un jeune homme Cristián Soto
Entrer dans le théâtre de Krzysztof Warlikowski, c’est reconnaître d’avance que dans la tête de chacun peut régner un bordel inextricable. En tout cas, il s’agit d’aimer cette approche confuse et intuitive de la vie, qui est comme un grand bol d’air afin d’échapper à la bien-pensance et au conformisme sociaux avec lesquels il faut pourtant vivre, et pire, parfois participer.
En partant de la pièce de Tennessee Williams, et tel un explorateur de l’âme en souffrance, le réalisateur polonais aborde le thème de l’attirance vers ce qui peut nous être néfaste.
De l’univers mental de Blanche Du Bois, devenue folle, Krzysztof Warlikowski en dissèque les plaintes, les violences subies, les réactions d’orgueil, et mélange, sans respecter une chronologie linéaire, tous les évènements et les personnages de sa vie, le choc du suicide de son mari homosexuel, l’attachement à Stanley Kowalski, malgré le viol.
Sur la forme, l'utilisation de la vidéo est à nouveau forte pour magnifier l'humanité des personnages (Blanche Du Bois et Stella principalement), les poses peuvent être très expressives (voir d'entrée Isabelle Huppert, assise jambes écartées, réduite à la prostitution et à un corps sensuel en attente), et l'on retrouve le fond musical feutré qui met le spectateur en état de réceptivité et de détente, avant le passage au grill.
Warlikowski n'évite pas certaines lourdeurs, l'étudiant avec lequel Blanche eut une liaison se transforme en boxeur, et le texte d'Oscar Wilde, Salomé désirant baiser la bouche de Jochanaan, souligne de manière appuyée et étrangement douce la perversité de Blanche.
Si les choix musicaux interprétés par Renate Jett paraissent trop tape-à-l'œil (le très populaire « All by myself! » par exemple), le défilement du texte du Combat de Tancrède et Clorinde, sur un fond noir musicalement violent en lieu et place de la musique délicate de Monteverdi, prend une puissance décapante, surtout lorsque la traduction de "darsi volse vita con l'acqua" devient "il se leva pour donner la vie avec son onde".
Blanche est une idéaliste, par conséquent le metteur en scène en profite pour laisser transparaître ses propres idéaux. D'où des réflexions sur le couple, "what is compromising?", qui montrent bien son attachement à la relation humaine du moment qu'elle n'induit pas de marchandage avec l'autre.
Reste à savoir dans quelle mesure cet idéalisme n’est pas à l’origine de tant de souffrance…
Dans "Un Tramway", la langue française ne remplace pas le charme de la langue polonaise, et si Isabelle Huppert joue avec une aisance passionnante, le plaisir démonstratif qu'elle prend crée parfois un détachement émotionnel, ce qui ne permet plus de retrouver la profondeur d'âme des acteurs si poignante dans les précédentes pièces de Krzysztof Warlikowski.
Avec cinquante et une représentations en deux mois, et cela se perçoit dans la salle, le public parisien vient en grande majorité pour voir Isabelle Huppert.
C'est une bonne chose pour la notoriété de l'élève du nouveau théâtre polonais, pourvu que cela ne se fasse pas au détriment de l'authenticité.
Mais pour l‘instant, Krzysztof Warlikowski est un artiste indispensable dont il est hors de question de passer à côté.
Prochain arrêt : Macbeth de Verdi au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles.