Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Tosca (Giacomo Puccini) Répétition générale du 20 octobre 2012
Opéra Bastille
Floria Tosca Martina Serafin Mario Cavaradossi Marco Berti Le Baron Scarpia Sergey Murzaev Cesare Angelotti Nicolas Testé Un Sacristain Lucianio di Pasquale Spoletta Simeon Esper
Mise en scène Werner Schroeder (1994) Direction musicale Paolo Carignani
Martina Serafin (Tosca) et Marco Berti (Mario)
Il n’est plus nécessaire de commenter les détails de la mise en scène de Tosca à l’Opéra Bastille, elle a fait l’objet de nombreuses reprises et a considérablement contribué à l’équilibre financier de la Maison.
Mais son interprétation, cette saison, comporte une originalité musicale, car la direction de l’orchestre est confiée à Paolo Carignani.
Martina Serafin (Tosca)
Le chef italien dispense un soin presque précieux à l’ornementation des motifs, signant d’un geste en torsade, féminin et oriental les moindres drapés fluctuants. Sur de telles ondoyances, les flottements des voiles de Tosca estampent même des sensations visuelles caressantes à fleur de peau.
Plus fabuleux encore, les dispersions argentées du gong, au lever du soleil sur le Château Saint-Ange, se fondent dans la majestueuse lenteur vaporeuse des cordes, une évocation impressionniste des brumes éclairées par les premières lueurs de l’aube inoubliable
La théâtralité perd de sa violence, mais il s‘agit d‘une vision qui veut croire à une grâce toujours présente malgré la nature sordide du drame.
Sergey Murzaev (Scarpia)
Autre tableau moins conventionnel, le duo du second acte entre Scarpia et Tosca, pourtant pervers, prend une dimension amoureuse tant Sergey Murzaev imprime une noblesse et un cœur troublant, car jamais le Baron n’a paru aussi sincèrement épris, et séducteur.
Très fine musicienne au timbre un peu suranné, Martina Serafin maintient une ligne aristocratique et mesure ses affects au point de perdre un peu de pouvoir émotionnel. Il en résulte un « Vissi d’Arte » très bien chanté, mais trop distancié.
Elle a en revanche l’art du mouvement magnifique, quand la musique s’étire dans le temps.
Le berger (Acte III)
Surdimensionné à cet univers réaliste mais sensible, Marco Berti ne fait qu'esquisser la légèreté artistique de Mario. Son chant puissant et les changements soudains de couleur de grain séduisent peu, mais « E Lucevan le stelle », accompagné par un orchestre sublime, révèle pourtant une subtilité absente depuis la rencontre à l'église Sant'Andrea della Valle.
Il Trittico (Giacomo Puccini) Créé au New York, Metropolitan Opera le 14 décembre 1918 Répétition générale du 02 octobre 2010 Opéra Bastille
Il Tabarro Michele Juan Pons Luigi Marco Berti Giorgetta Oksana Dyka Il Tinca Eric Huchet La Frugola Marta Moretto Il Talpa Mario Luperi
Suor Angelica Suor Angelica Tamar Iveri La Zia Principessa Luciana D’Intino La Badessa Barbara Callinan La Maestra delle Novize Marie-Thérèse Keller Suor Genovieffa Amel Brahim-Djelloul Suor Osmina Claudi Galli La Suor Infirmiera Cornelia Oncioiu
Gianni Schicchi Gianni Schicchi Juan Pons Lauretta Ekaterina Syurina Zita Marta Moretto Rinuccio Saimir Pirgu Gherardo Eric Huchet Betto Alain Vernhes Simone Mario Luperi Oksana Dyka (Giorgetta) La Ciesca Marie-Thérèse Keller
Mise en scène Luca Ronconi
Direction musicale Philippe Jordan
Production de la Scala de Milan (2008) et du Teatro Real de Madrid
Les apparitions parisiennes du Triptyque, dans son intégralité, étaient jusqu’à présent limitées à la salle Favart d’abord en 1967, en version française et lorsque l‘Opéra Comique était réuni à l‘Opéra de Paris sous l’égide de la Réunion des théâtres lyriques nationaux , puis en 1987, dans la version originale italienne quand la salle fut directement administrée par l’Opéra National.
Son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, par la grande porte de Bastille, constitue donc un petit évènement, Nicolas Joel ayant déjà représenté Il Trittico au Capitole de Toulouse en 1997, puis en 2006.
Face à trois œuvres différentes, dramatiquement, musicalement et interprétativement, la question est de savoir comment chacun de nous va vivre leur enchaînement.
Tamar Iveri (Suor Angelica)
Gianni Schicchi est sans conteste l’ouvrage qui fonctionne le mieux car il s’agit d’une satire sociale toujours contemporaine, et très bien construite.
Cependant, avec son atmosphère lourde, grise et sombre, sans espoir, Il Tabarro a laissé ce soir une forte impression.
Oksana Dyka, interprète d’une Giorgetta féminine, sûre d‘elle même, et avec une démarche séductrice, presque provocatrice, est saisissante par l’aplomb avec lequel elle tient tête à son mari, Michele.
Le phrasé est précis, incisif, les nuances restent toujours dans une tonalité assez claire, sans trop de chaleur, et quand vient le moment où la musique exige d’elle qu’elle sorte la douleur rivée au plus profond du cœur, qu'elle sorte les aigus les plus perçants, l’effet dans la salle est dévastateur.
Luciana d'Intino (La Zia Principessa)
On connaît la vaillance et la puissance de Marco Berti. Elles ne sont pas les qualités les plus adéquates pour exprimer la sentimentalité d’un homme, mais elles lui permettent de brosser un Luigi rageur, « Hai ben ragione; meglio non pensare », violent dans ses expressions les plus amères.
Juan Pons, réduisant Michele à une loque humaine, et vocalement très usé, ne peut avoir l’impact vocal de ses deux partenaires. Néanmoins, la pitié que suscite son personnage fait qu’on ne lui en veut même pas de son geste final.
Sous les éclairages livides, la brillance de cristal et la finesse de détail des lignes orchestrales, les frémissements froids des cordes, se fondent avec la tonalité d’ensemble qui nous fait même oublier les limites visibles du décor de Luca Ronconi.
Philippe Jordan
Le second volet du Triptyque, Suor Angelica, ne possède pas la même force, d’autant plus que cette histoire de femmes oppressées par la religion renvoie à un passé chrétien peu glorieux.
La visite de la Zia Principessa est véritablement le grand moment de l’ouvrage, car elle met en scène une confrontation avec Sœur Angelique qui évoque celle de l’inquisiteur et de Philippe II dans Don Carlo.
Toutes les intentions les plus malsaines s’entendent dans la musique, et Luciana d’Intino, qui fut Eboli la saison passée, joue à nouveau sur son double registre, prodigieusement grave comme pour engloutir toute velléité de contestation, et flouté dans les hauteurs.
L’authenticité de Tamar Iveri, ses accents touchants et son engagement sincère sont sa force, même si elle donne le sentiment, ce soir, de trop limiter son rayonnement vocal.
Ekaterina Syurina (Lauretta)
Et si l’intrigue ne passionne pas, alors ne reste plus qu’à suivre la direction de Philippe Jordan, toute en souplesse et d’attention pour les chanteurs. Il est l’expression même de la gentillesse qui guide d'une main ferme, une forme d’humanisme inspirant.
Enfin, riche en actions théâtrales, Gianni Schicchi oppose à la lourdeur des deux premiers volets, une forme de détente pour l’auditeur, ramené à une vie plus concrète avec une de ses obsessions les plus fondamentales : l’argent.
Tamar Iveri, Alain Vernhes, Philippe Jordan, Luciana d'Intino
Juan Pons y est mieux mis en valeur car son mimétisme s’accommode de ses tripatouillages vocaux, et si la lumineuse Ekaterina Syurina ne peut faire oublier les nuances si particulièrement fraîches et naïves de Maria Callas, Saimir Pirgu, brillant acteur, se montre sensible avec son physique de fils idéal.
Il fallait que je revoie une dernière fois l’interprétation de celle qui fût choisie au dernier moment pour faire la première de la reprise de Madame Butterfly.
Liping Zhang est d’une aisance indéniable dans ce rôle. Sa gestuelle souple et gracieuse a du vraiment subjuguer Bob Wilson. Son chant fluide atteint un niveau de projection appréciable pourtant sans puissance exceptionnelle. Et le tout s’allie admirablement dans cette mise en scène épurée.
L’intelligence de cette chanteuse s’admire de bout en bout avec cette préférence pour la musicalité à la tentation d’atteindre toutes les notes.
Dés son entrée elle ne risque aucun aigu qui trop forcé pourrait créer une rupture des lignes.
Ainsi rarement l’intention vocale ne se tourne vers une expressivité affirmée et encore moins vériste.
L’émotion surgit donc plus d’une certaine beauté et d’une certaine dignité qui rendent les larmes indésirables.
Je suis sans illusion devant les réactions instantanées. Mais il est possible que nous ayons assisté à un sommet de l’interprétation pour cette mise en scène dont cette artiste a transcendé l’esthétique.
Marco Berti s’est encore révélé ce soir d’une puissance et d’une solidité sereines.