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Publié le 18 Juillet 2016

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy)
Représentation du 16 juillet 2016
Grand Théâtre de Provence
Festival d'Aix-en-Provence

Pelléas Stéphane Degout
Mélisande Barbara Hannigan
Golaud Laurent Naouri
Arkel Franz-Josef Selig
Geneviève Sylvie Brunet-Grupposo
Yniold Chloé Briot
Le Médecin Thomas Dear

Direction Musicale Esa-Pekka Salonen
Mise en scène Katie Mitchell                 Barbara Hannigan (Mélisande) et Laurent Naouri (Golaud)
Cape Town Opera Chorus                      
© Patrick Berger/ArtComArt
Philharmonia Orchestra

En coproduction avec Teater Wielki - Opera Narodowa / Polish National Opera, Beijing Music Festival

Au lendemain d'une puissante interprétation d''Oedipe Rex' et de la 'Symphonie de Psaumes', le Grand Théâtre accueille à nouveau dans sa fosse Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra.

Leur lecture de 'Pelléas et Mélisande' est, comme on peut s'y attendre, d'une très grande intensité. Une coulée vivante et mystérieuse prend forme, envahit l'espace sonore en donnant de l'ampleur aux nappes des cordes et des vents sombres, des accents de cuivres menaçants suggèrent un environnement hostile, ou, du moins, énigmatique, et la musique s'irise de frémissements straussiens qui nous rapprochent de l'univers majestueux de 'La Femme sans ombre'.

Cette pâte noble, noire et épurée, que les violons peuvent soudainement illuminer, développe les dimensions symphoniques de l'oeuvre à un tel point que la version raffinée de 'Tristan et Isolde', que nous avait fait entendre Daniele Gatti au Théâtre des Champs-Elysées récemment, ferait passer Richard Wagner pour un grand compositeur classique aux intentions mesurées.

Le Poème de Maeterlinck et de Debussy est ainsi somptueusement immergé dans un flot suave et ténébreux sous lequel couve une tension qui, à tout moment, se détend d'imparables coups de théâtre. La scène de délire de Golaud tentant de savoir, en manipulant le petit Yniold, ce qui se passe entre Pelléas et Mélisande est, musicalement, particulièrement saisissante.

Barbara Hannigan (Mélisande) et Laurent Naouri (Golaud)  © Patrick Berger/ArtComArt

Barbara Hannigan (Mélisande) et Laurent Naouri (Golaud) © Patrick Berger/ArtComArt

Et l'ensemble de la distribution est exceptionnel. Barbara Hannigan, actrice incontestablement fantastique, incarne une inhabituelle Mélisande. Séductrice, d'une diction claire et incisive, et un peu sauvage, elle exprime moins de mélancolie que de sophistication, chant et expressions du corps ne faisant qu'un. Elle capte ainsi une irrésistible fascination physique, d'autant plus qu'elle se plie volontiers aux provocations très féminines que lui impose Katie Mitchell, aux limites du fantasme.

Elle éblouie, certes, mais le champ ne lui est pas laissé pour émouvoir durablement.

Stéphane Degout, pour sa dernière interprétation de Pelléas, l'imprègne d'une poétique virile bien personnelle. Timbre dense, doux et lunaire, mais d'une réelle noirceur, sa force expressive le place sur le même plan que Barbara Hannigan, avec laquelle il partage une sensualité physique pour former ce couple si proche du scandale.

Futur Golaud est-il en devenir ? En toute évidence, rarement Pelléas n'aura autant semblé le frère jumeau de celui-ci qu'à travers ce spectacle.
La ressemblance physique entre Stéphane Degout et Laurent Naouri est accentuée, mais leurs particularités de timbre aussi.

Ce dernier est clairement le Golaud le plus idiomatique de sa génération.
Noirceur et netteté d’élocution, splendides ports de voix subtilement fins, une caractérisation bien ancrée sur la scène où les zones d’ombre ne sont pas sans susciter la sympathie, il affiche une stabilité de tempérament qui ne bascule que dans le dernier acte.

Barbara Hannigan (Mélisande) et Laurent Naouri (Golaud)  © Patrick Berger/ArtComArt

Barbara Hannigan (Mélisande) et Laurent Naouri (Golaud) © Patrick Berger/ArtComArt

Les partenaires de ces trois chanteurs charismatiques peignent eux-aussi des portraits forts sur la scène du Grand Théâtre. Franz-Josef Selig est naturellement un Arkel pathétique, mais, surtout, Sylvie Brunet-Grupposo confirme à nouveau à quel point la beauté de sa diction mêlée d’une profonde tristesse humanise le personnage de Geneviève,

Et Chloé Briot et Thomas Dear dessinent leurs deux brefs rôles dans la même ligne présente et théâtrale.

Au théâtre (comme dans 'Christine' ou 'Mademoiselle Julie'), Katie Mitchell utilise des techniques cinématographiques pour, sur scène, montrer la pièce qui se joue en faisant apparaître tous les trucages et techniciens qui filment les scènes selon différents points de vue, et en reconstituer, en temps réel, le résultat vidéo sur un grand écran qui surplombe la scène.

On retrouve ce goût de la perfection technique dans la mise en scène foisonnante de 'Pelléas et Mélisande', mais on remarque aussi que le prétexte du rêve lui permet d'insérer des scènes sans grande signification juste pour permettre l'enchaînement avec les scènes suivantes.

Ce rêve permet également de privilégier l'esthétique au détriment de la dramaturgie. Quand, par exemple, Golaud surprend Pelléas et Mélisande dans la piscine - scène charnelle d'une très grande force, comme il y en a à plusieurs reprises ici - sans qu'il n'y ait aucune d'ambigüité sur leur relation, on comprend difficilement comment Golaud peut, par la suite, harceler de questions Mélisande, pour savoir ce qu'il s’est réellement passé.

Barbara Hannigan (Mélisande) et Stéphane Degout (Pelléas)  © Patrick Berger/ArtComArt

Barbara Hannigan (Mélisande) et Stéphane Degout (Pelléas) © Patrick Berger/ArtComArt

L’univers qu’elle recrée dans cette vaste demeure où s’enchaînent scènes de salon, vestibule, chambre, escalier de service et piscine d’intérieur, est articulé avec une fluidité magnifiquement réglée sur le cours de la musique, dans un décor aux tonalités verdâtres qui évoquent la verdeur des tableaux de John Constable.

Elle exploite ainsi entièrement la souplesse théâtrale de Barbara Hannigan pour jouer sur des effets de ralenti à laquelle se joint le double muet de Mélisande interprété par une comédienne qui lui ressemble.

L’érotique sous-jacente inspire ainsi fortement Katie Mitchell, qui a bien raison de profiter de deux chanteurs, Barbara Hannigan et Stéphane Degout, qui aiment valoriser leur corps autant que leur voix dans tous les rôles profondément vivants qu’ils portent sur les scènes lyriques du monde.

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