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Publié le 6 Octobre 2022

Eden (de Marini et Valentini à Copland et Portman)
Récital du 05 octobre 2022
Théâtre des Champs-Elysées

Charles Ives The Unanswered Question (1908 – version révisée 1930-1935)
Rachel Portman The First Morning of the World (2021 - Première Française)
Gustav Mahler ‘Ich atmet’ einen linden Duft’ (Rückert-Lieder - 1901)
Biagio Marini ‘Con le stelle in ciel che mai’ (Scherzi e canzonette - 1623)
Josef Myslivecek ‘Toglierò le sponde al mare’ (Adamo ed Eva - 1771)
Aaron Copland ‘Nature, the Gentlest Mother’ (Eight Poems of Emily Dickinson - 1970)
Giovanni Valentini Sonata enharmonica (1619)
Francesco Cavalli ‘Piante ombrose’ ( La Calisto - 1651)
Christoph Willibald Gluck 'Danza degli spettri e delle furie: Allegro non troppo’ (Orfeo ed Euridice - 1764)
Christoph Willibald Gluck ‘Misera, dove son… Ah! non son io che parlo’ (Ezio - 1750)
Georg Friedrich Haendel ‘As with rosy steps the morn’ (Theodora - 1750)
Gustav Mahler 'Ich bin der Welt abhanden gekommen’ (Rückert-Lieder - 1901)

Mise en espace Marie Lambert-Le Bihan
Lumières John Torres

Mezzo-Soprano Joyce DiDonato
Direction et violon Zefira Valova
Ensemble Il Pomo d’Oro
Chœur d’enfants Sotto Voce

C’est au lendemain du concert donné à l’Hôtel de Ville de Paris, le 06 janvier 2003, que Joyce DiDonato fit ses débuts au Théâtre des Champs-Elysées en reprenant le même programme dédié à Henri Dutilleux, Hector Berlioz et Georges Bizet, sous la direction de John Nelson.

Joyce DiDonato - Eden

Joyce DiDonato - Eden

Deux décennies plus tard, et après nombre de récitals et d’opéras en version de concert (Ariodante, Alcina, Agrippina, Theodora, Maria Stuada, Werther) joués sur cette scène, Joyce DiDonato est de retour avenue Montaigne pour interpréter devant le public parisien un spectacle créé sur la base de son dernier album ‘Eden’ (Erato) sorti le 25 février 2022 au lendemain du déclenchement de l’agression russe en Ukraine.

La conception musicale de ce programme mêle des airs italiens, baroques et classiques, au panthéisme mahlérien et à la composition américaine du XXe siècle, et intègre même une création contemporaine.

Mais loin d’être liés chronologiquement, ces différents morceaux sont agencés de manière à dépeindre une évolution spirituelle qui suit une dramaturgie, si l’on peut parler ainsi, bien précise.

Joyce DiDonato - Eden

Joyce DiDonato - Eden

‘The Unanswered Question’ de Charles Ives est un hymne à la contemplation et au mystère de la vie que prolonge, dans le même esprit, ‘The First Morning of the World’ composé en 2021 pour Joyce DiDonato par Rachel Portman, sur un texte de Gene Scheer.

Avant que ne commence cette première séquence, on pouvait entrevoir la cantatrice américaine monter les marches intérieures du Théâtre pour débuter un long appel depuis les hauteurs des balcons, puis revenir à l’orchestre reprendre cet ode au temps, et enfin, rejoindre la scène.

Joyce DiDonato - Eden

Joyce DiDonato - Eden

L’évocation des parfums dans ‘Ich atmet’ einen linden Duft’, extrait des Rückert-Lieder, vient apporter une évocation de l’être aimé qui s’immisce doucereusement dans le charme hypnotique de cet état de grâce.

Puis, afin d'imprégner le spectateur de cet état évanescent, une fine brume baigne la salle en la tamisant de multiples jeux de lumières aux teintes or ou fuchsia dirigés dans tout l’espace, procédé qui fera merveille à plusieurs reprises au cours de la soirée, comme si Joyce DiDonato utilisait le magnifique cadre des fresques de Maurice Denis pour se créer un espace intérieur profondément inspirant.

Et si ‘Con le stelle in Ciel che mai’ de Biagio Marini commence à laisser entrevoir que le Soleil peut soigner les horreurs et les souffrance sur la Terre, alors que la scénographie s'enflamme d'un feu rougissant, ‘Nature, the gentlest mother’ d’Aaron Copland verse à nouveau dans l’ode à la nature.

Joyce DiDonato - Eden

Joyce DiDonato - Eden

Cependant, ‘Toglierò le sponde al mare’ de Josef Myslivecek évoque dorénavant un Dieu destructeur. Les pensées et les expressions du visage de Joyce DiDonato deviennent plus sombres, et nous sommes entraînés dans les ravages de la guerre et de la mort.

‘Piante ombrose’ de Cavalli fait ainsi apparaitre des paysages de destruction, la célèbre danse des spectres et des furies d’’Orphée et Eurydice’ de Gluck nous accompagne dans la folie à l’approche des enfers – l’allant et la vivacité d’ 'Il Pomo d’Oro’ sont absolument splendides -, et les lamentations après un tel désastre s’élèvent avec le ‘Misera, dove son! Ah! Non son io che parlo’ extrait d’’Ezio’.

Joyce DiDonato - Eden

Joyce DiDonato - Eden

Puis vient le moment du retour à l’espoir avec ‘As with rosy stepts the morn’ issu de ‘Theodora’ de Haendel, et un avenir possible se profile à travers 'Ich bin der Welt abhanden gekommen’, à nouveau repris des Rückert Lieder, qui invite à un détachement vis-à-vis du monde afin de trouver refuge en un nouveau Paradis.

Cette narration n’est pas sans rappeler l’esprit new-âge de notre époque récente, mais elle est cette fois développée sur la base d’un matériau musical qui couvre quatre siècles de création lyrique.

Joyce DiDonato et Zefira Valova

Joyce DiDonato et Zefira Valova

La voix de Joyce DiDonato, caractérisée par une vibration bien connue qui s’assouplit pour former de magnifiques effets diaphanes – quelle merveille que se ‘Ombra mai fu’ qu’elle chantera en bis -, et qui se charge en couleurs boisées somptueuses au corps puissant, est idéale pour restituer ce mélange de craintes, de flammes, d’amour profond et d’aspiration à la paix.

La scénographie, qui joue avec les symboles circulaires de l’harmonie et de la Terre, a également juste ce qu’il faut d’épure pour illustrer tous ces airs.

Nous restons tout autant admiratif pour l’ensemble orchestral dont Zefira Valova, au violon, arrive à coordonner tous les musiciens disposés de manière circulaire autour de la si attachante mezzo-soprano.

De par ses timbres chaleureux, ‘Il Pomo d’Oro’ arrive ainsi à lier en une même unité des compositeurs très différents, et à mixer mystère et ambiance intime avec talent.

Joyce DiDonato et les artistes du chœur Sotto Voce

Joyce DiDonato et les artistes du chœur Sotto Voce

Et pour finir, comme elle le fait à chaque étape de sa tournée internationale, Joyce DiDonato invite un chœur d’enfant résidant dans la ville où elle se produit à la rejoindre – Paris est la dix-neuvième étape du récital ‘Eden’ -.

Il s’agit ce soir du chœur 'Sotto Voce', en résidence au Théâtre du Châtelet, qui, de tout son enthousiasme, vient chanter ‘Seeds of Hope’, puis un air surprise, dans le même esprit d’optimisme qui fait la force d’une des grandes artistes lyriques de notre temps.

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Publié le 16 Septembre 2016

Eliogabalo (Francesco Cavalli) 
Répétition générale du 12 septembre 2016 et représentations du 19 septembre et du 07 octobre
Palais Garnier

Eliogabalo Franco Fagioli 
Alessandro Cesare Paul Groves 
Flavia Gemmira Nadine Sierra 
Giuliano Gordio Valer Sabadus 
Anicia Eritea Elin Rombo 
Atilia Macrina Mariana Flores 
Zotico Matthew Newlin 
Lenia Emiliano Gonzalez Toro 
Nerbulone, Tiferne Scott Conner 

Mise en scène Thomas Jolly 
Direction musicale Leonardo García Alarcón          Franco Fagioli (Eliogabalo)

Orchestre Capella Mediterranea
Chœur de Chambre de Namur
Coproduction avec De Nationale Opera, Amsterdam

Retransmission en direct sur le site de France Télévisions Culturebox le vendredi 07 octobre.

Avec ’Eliogabalo’, l’entrée de Francesco Cavalli au répertoire de l’Opéra National de Paris est un évènement majeur de la vie de l’institution parisienne, puisque le successeur de Claudio Monteverdi n’y a jamais été joué depuis la création de l’Académie Royale de Musique en 1669.

C’est d’autant plus surprenant que ce compositeur italien créa, en 1662, un opéra dédié aux noces de Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche, ‘L’Ercole Amante’

La salle des Machines des Tuileries fut construite à cette occasion, salle qui deviendra au XVIIIème siècle une des salles de l’Académie après l’incendie du Théâtre du Palais Royal.

Franco Fagioli (Eliogabalo)

Franco Fagioli (Eliogabalo)

Si l’on devait rapprocher Heliogabale, empereur romain assassiné en 222 à l’âge de 19 ans, de souverains plus connus, on pourrait y reconnaître les traits de Louis II de Bavière ou d’Akhenaton par sa nature à la fois fantasque, ambigüe, et par sa recherche d’un dieu unique, fédérateur, Wagner pour l’un, Aton pour l’autre.

Profil différent du sanguinaire Caligula, ou même de Don Giovanni, donc.

Entre les mains du tout jeune metteur en scène de théâtre Thomas Jolly – qui, cette saison, se voit confier pour la première fois deux mises en scène d’opéras, l’une à Garnier, l’autre à l’Opéra-Comique avec ‘Fantasio’ -, ce personnage se dilue dans une fantaisie en premier lieu costumière. 

Nadine Sierra (Flavia Gemmira )

Nadine Sierra (Flavia Gemmira )

Large toge pourpre parcellée de pointes d’or, puis, travestissement d’une robe rouge aux mêmes motifs auréolaires et solaires, cet empereur surgit comme une ombre inquiétante surplombant la scène – silhouette qui évoque le Comte Dracula -, pour se révéler plus illuminé que dangereux, et sans profondeur.

Thomas Jolly crée pourtant un climat sombre, un véritable théâtre de l’intériorité, mais qu’il colore sans doute plus que la musique ne le suggère.

Matthew Newlin (Zotico)

Matthew Newlin (Zotico)

Une estrade centrale creusée par un  passage, un soleil de lumières rouges en arrière scène, dix-huit faisceaux lumineux provenant du plafond et s’orientant dans toutes les directions pour créer l’illusion d’un mur de scène, de symboles religieux, ou encore de structures qui se prolongent dans la salle sous de magiques effets étoilés, le spectacle repose en grande partie sur l’inventivité de ce travail épatant  sur les éclairages.

Le livret pose une difficulté en soi de par sa dramaturgie, qui enchaine des actions qui s’interrompent dans leur élan, ou, plus simplement, de par son édulcoration du caractère de l’empereur.

Mariana Flores (Atilia Macrina) et Paul Groves (Alessandro Cesare)

Mariana Flores (Atilia Macrina) et Paul Groves (Alessandro Cesare)

​Ses passions homosexuelles n’y transparaissent pas, mais le metteur en scène dispose, de ci, de là, quelques images qui s’y réfèrent.

Tout est dans la pose esthétique des figurants, jamais totalement nus, ou bien dans l’affection portée par Eliogabale à Zotico, mâle jeune et bien plus massif.

Les trois personnages féminins, Gemmira, Atilia et Eritea se distinguent par des costumes et maquillages très différents.

Ceux de Gemmira sont les plus purs et d’un bleu pâle aux lignes sophistiquées, alors que ceux d’Eritea, sous l’emprise d’un viol, lui donne une allure de martyre recouverte d’une blancheur calcifiée.

Et il n’y a pas personnages plus opposés qu’Alessandro Cesare, vétu d'une toge noble et bleue imprégnée de sagesse, et Lenia, version gothique et vénéneuse d’Eliogabale.

Franco Fagioli (Eliogabalo)

Franco Fagioli (Eliogabalo)

Nombre de metteurs en scène dits ‘professionnels’ de l’opéra auraient laissé les interprètes répandre leurs états d’âme sans grande force expressive, Thomas Jolly, lui, obtient d’eux une richesse d’expressions qui ajoute de la vérité à leurs airs, à défaut d’entretenir un intérêt dramaturgique infaillible.

C’est déjà beaucoup, et il suffit de se rappeler les récentes mises en scène d’opéras baroques au Théâtre des Champs Elysées pour mesurer l’originalité et la vitalité d'’Eliogabale’.

Il ne souffre que de quelques temps morts quand la baisse de luminosité crépusculaire devient trop prégnante pour soutenir les dialogues scéniques.

Valer Sabadus (Giuliano Gordio)

Valer Sabadus (Giuliano Gordio)

Et l'oeuvre bénéficie d’une distribution vocale généreuse.

Franco Fagioli, en Eliogabale, n’est certes pas dans un répertoire qui met le mieux en valeur ses affinités avec l’art volubile de Cecilia Bartoli, mais la tessiture crémeuse de sa vocalité lui cède une séduction apaisante qui sauverait presque l’âme de son personnage.

A ses côtés, Paul Groves est beaucoup plus surprenant, car sa voix a gagné en densité et maturité, ce qui lui donne une stature très affirmée et nobiliaire, si éloignée du Nemorino plus léger que nous avons entendu à Bastille il y a déja dix ans. Il est la surprise de la soirée.

Eliogabalo (Fagioli-Groves-Sierra-Sabadus-Garcia Alarcon-Jolly) Garnier

Nadine Sierra, elle, est la révélation de la soirée. Quand on l'admire jouer et chanter, on ne peut s’empêcher d’y voir une Anna Netrebko du baroque par la force de son incarnation. Elle a de la puissance, de la détermination, et un lyrisme sensible qui renforcent sa présence.

Dans un registre plus tragique, Elin Rombo porte en elle une théâtralité qui révèle des abysses intérieurs et un insondable désarroi.  Eritea en devient une femme très inquiétante, fantomatique, une âme torturée dépourvue de son corps. 

Mariana Flores, interprète d’Atilia, celle qui ne trouvera aucun amant au moment de la résolution du drame, est la plus claire des trois chanteuses. Elle montre le tempérament d’une femme pleinement démonstrative, et une tendresse qui touche par la pureté de coeur qu'elle exprime.

Nadine Sierra (Flavia Gemmira )

Nadine Sierra (Flavia Gemmira )

Ces trois chanteuses représentent ainsi trois pôles féminins très distincts qui forment à eux seuls l’architecture vocale de cet opéra.

Et le Giuliano de Valer Sabadus représente la véritable touche mélodramatique de l’œuvre, profondément sensible, une voix de sopraniste vouée au lamento dont on a de cesse de mesurer la contradiction qu’il porte, lui qui incarne le cœur du commandant de la garde prétorienne.

Très beau Matthew Newlin en Zotico, doux et viril à la fois.

Valer Sabadus (Giuliano Gordio)

Valer Sabadus (Giuliano Gordio)

Cet ensemble d’artistes qui se cherche dans un univers esthétiquement très travaillé est ainsi naturellement baigné par le flot de basses continu de l’orchestre, qui émerge de la fosse relevée à son maximum pour cette occasion.

La musique conserve une certaine épaisseur et beaucoup de chaleur, les détails des cuivres, la brillance des cordes et les scintillements du clavecin du Capella Mediterranea ont un charme prenant, et Leonardo García Alarcón, lors de cette dernière répétition, pétrit et entretient cette massivité coulante qui n’allège pas forcément l'humeur orchestrale.

Chœur de Chambre de Namur prodigue en nuances inédites dès l’ouverture.

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