Publié le 9 Mars 2025
Golem (Amos Gitaï)
Représentation du 08 mars 2025
Théâtre national de La Colline
Acteurs Bahira Ablassi, Irène Jacob, Micha Lescot, Laurent Naouri, Menashe Noy, Minas Qarawany, Anne-Laure Ségla
Chanteuses Dima Bawab, Zoé Fouray, Marie Picaut
Voix et harpe Sophie Leleu
Musiciens Alexey Kochetkov (violon et synthétiseurs), Kioomars Musayyebi (santour) et Florian Pichlbauer (piano)
Texte Amos Gitaï et Marie-José Sanselme
Mise en scène Amos Gitaï (2025)
Scénographie Amos Gitaï, assisté de Sara Arenberg Gitaï Minas Qarawany et Laurent Naouri
Lumières Jean Kalman, assisté de Juliette de Charnacé
A travers le mythe du Golem né, selon la légende, par la magie de Rabbi Loew, grand Rabin de Prague au XVIe siècle, Amos Gitaï présente au Théâtre de la Colline une composition théâtrale qui croise plusieurs formes artistiques, le cinéma, le chant, la musique, avec une approche plastique qui vise à plonger le spectateur au plus profond du cœur humain de la culture Yiddish.
Langue poétique apparue il y a un millénaire dans l’espace du Saint-Empire germanique, elle s’est étendue à travers l'Europe pour atteindre aussi bien les actuels Pays-Bas et l’Est de la France, que les actuels Etats-Baltes, la Roumanie et l’intégralité du territoire ukrainien.
Cette forte influence de la langue germanique est très frappante au cours du spectacle lorsque l’on entend, par exemple, le baryton Laurent Naouri s’exprimer et chanter dans sa langue d’origine.
Mais il s’agit surtout pour le réalisateur israélien de confronter une communauté, perpétuellement persécutée, à sa plus grande tragédie qui, à partir de la Seconde Guerre mondiale, l’a menée sur la voie de l’extinction au point de passer de 11 millions de locuteurs à moins de 2 millions aujourd’hui.
Le contact avec l’âme Yiddish se fait dès l’ouverture de la pièce à l’écoute de Sophie Leleu chantant de sa voix chaude une émouvante lamentation judéo-espagnole, ‘¿Porke Llorax Blanca Niña?', tout en jouant de la harpe avec infiniment de délicatesse.
Puis, une fois le noir totalement installé, débute une projection d’images d’archives de jeunes juifs n’ayant pas encore conscience du drame qui se prépare, et d’un extrait de ‘Tsili’ (2015), film d’Amos Gitaï inspiré du roman éponyme d’Aharon Appelfeld (1983), qui montre une jeune femme déambulant dans un hangar délabré au milieu de morts et de survivants de pogroms.
Des restes de vêtements chutent des cintres, d'une évidente signification.
A travers un mélange d’actions théâtrales et d’interprétations musicales – le dispositif comprend un piano flanqué côté cour d’un synthétiseur et d’un violon, et côté jardin d’un orientalisant santour -, le Golem apparaît comme un moyen imaginaire de défense face à l’oppression et les préjugés – une scène de tribunal parodique censée se dérouler à Prague au temps de Rodolphe II, avec Micha Lescot en juge chrétien débridé, s’inspire de la pièce ‘Golem’ (1969) d’Isaac Bashevis Singer pour lancer une accusation mensongère et monstrueuse contre un banquier juif -.
Le Golem naît en lançant un cri de souffrance; l’acteur israélien Minas Qarawany incarne la créature d’argile à travers une attitude courbée qui évoque autant le poids de sa condition que son rapport humble à la vie. Les autres acteurs se recouvriront également de glaise à l’approche du climax de la représentation qui décrira les tortures insoutenables que subiront des victimes livrées aux barbares.
Les textes, d’une dureté inouïe, sont mis en scène à travers une scénographie d’une esthétique stupéfiante montrant les corps se déformant devant sept stèles magnifiées par des lumières vivantes et colorées et des jeux d’ombres irréels fortement contrastés. La musique et les chants traditionnels omniprésents ajoutent une dimension poétique qui aide l’auditeur à supporter l’insupportable, et à surmonter la crainte que les témoignages n’aillent encore plus loin dans l’horreur.
La figure du Golem ainsi dessinée devient un moyen de résistance à la destruction, une force qui permette au corps d’endurer le pire, tout en étant également un agrégat des tortures infligées à l’être humain. De par sa résilience, le Golem prend ici une dimension christique.
La capacité de tous ces artistes à travailler eux-mêmes sur les torsions de leurs corps et à les exposer sur scène, tout en montrant des qualités musicales magnifiques que ce soit tant la luminosité du quatuor féminin que l’impressionnante résonance de Laurent Naouri, ajoute un sentiment d’admiration devant la beauté fragile qu’ils induisent ainsi.
Puis, en dernière partie, nous quittons la dimension théâtrale pour laisser les acteurs et chanteurs se présenter et raconter, avec détachement et humour, leurs liens avec la judaïté, mais aussi la diversité de leurs origines qui rend ainsi la catégorisation des personnalités impossible. Le discours s’élargit ainsi aux questions de sociétés d’aujourd’hui en cherchant à montrer que l’intolérance ne peut se combattre que par une prise de conscience de la complexité humaine. Cependant, sur ce dernier point, l’évolution de nos sociétés laisse planer quelques craintes.