Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Golem (Amos Gitaï)
Représentation du 08 mars 2025
Théâtre national de La Colline
Acteurs Bahira Ablassi, Irène Jacob, Micha Lescot, Laurent Naouri, Menashe Noy, Minas Qarawany, Anne-Laure Ségla
Chanteuses Dima Bawab, Zoé Fouray, Marie Picaut
Voix et harpe Sophie Leleu
Musiciens Alexey Kochetkov (violon et synthétiseurs), Kioomars Musayyebi (santour) et Florian Pichlbauer (piano)
Texte Amos Gitaï et Marie-José Sanselme
Mise en scène Amos Gitaï (2025)
Scénographie Amos Gitaï, assisté de Sara Arenberg Gitaï Minas Qarawany et Laurent Naouri Lumières Jean Kalman, assisté de Juliette de Charnacé
A travers le mythe du Golem né, selon la légende, par la magie de Rabbi Loew, grand Rabin de Prague au XVIe siècle, Amos Gitaï présente au Théâtre de la Colline une composition théâtrale qui croise plusieurs formes artistiques, le cinéma, le chant, la musique, avec une approche plastique qui vise à plonger le spectateur au plus profond du cœur humain de la culture Yiddish.
Golem (Amos Gitaï) - Photo Simon Gosselin
Langue poétique apparue il y a un millénaire dans l’espace du Saint-Empire germanique, elle s’est étendue à travers l'Europe pour atteindre aussi bien les actuels Pays-Bas et l’Est de la France, que les actuels Etats-Baltes, la Roumanie et l’intégralité du territoire ukrainien.
Cette forte influence de la langue germanique est très frappante au cours du spectacle lorsque l’on entend, par exemple, le baryton Laurent Naouri s’exprimer et chanter dans sa langue d’origine.
Mais il s’agit surtout pour le réalisateur israélien de confronter une communauté, perpétuellement persécutée, à sa plus grande tragédie qui, à partir de la Seconde Guerre mondiale, l’a menée sur la voie de l’extinction au point de passer de 11 millions de locuteurs à moins de 2 millions aujourd’hui.
Tsili (2015) - Amos Gitaï
Le contact avec l’âme Yiddish se fait dès l’ouverture de la pièce à l’écoute de Sophie Leleu chantant de sa voix chaude une émouvante lamentation judéo-espagnole,‘¿Porke Llorax Blanca Niña?', tout en jouant de la harpe avec infiniment de délicatesse.
Puis, une fois le noir totalement installé, débute une projection d’images d’archives de jeunes juifs n’ayant pas encore conscience du drame qui se prépare, et d’un extrait de ‘Tsili’ (2015), film d’Amos Gitaï inspiré du roman éponyme d’Aharon Appelfeld (1983), qui montre une jeune femme déambulant dans un hangar délabré au milieu de morts et de survivants de pogroms.
Des restes de vêtements chutent des cintres, d'une évidente signification.
Golem - Photo Simon Gosselin
A travers un mélange d’actions théâtrales et d’interprétations musicales – le dispositif comprend un piano flanqué côté cour d’un synthétiseur et d’un violon, et côté jardin d’un orientalisant santour -, le Golem apparaît comme un moyen imaginaire de défense face à l’oppression et les préjugés – une scène de tribunal parodique censée se dérouler à Prague au temps de Rodolphe II, avec Micha Lescot en juge chrétien débridé, s’inspire de la pièce ‘Golem’ (1969) d’Isaac Bashevis Singer pour lancer une accusation mensongère et monstrueuse contre un banquier juif -.
Alexey Kochetkov
Le Golem naît en lançant un cri de souffrance; l’acteur israélien Minas Qarawany incarne la créature d’argile à travers une attitude courbée qui évoque autant le poids de sa condition que son rapport humble à la vie. Les autres acteurs se recouvriront également de glaise à l’approche du climax de la représentation qui décrira les tortures insoutenables que subiront des victimes livrées aux barbares.
Minas Qarawany et Marie Picaut
Les textes, d’une dureté inouïe, sont mis en scène à travers une scénographie d’une esthétique stupéfiante montrant les corps se déformant devant sept stèles magnifiées par des lumières vivantes et colorées et des jeux d’ombres irréels fortement contrastés. La musique et les chants traditionnels omniprésents ajoutent une dimension poétique qui aide l’auditeur à supporter l’insupportable, et à surmonter la crainte que les témoignages n’aillent encore plus loin dans l’horreur.
La figure du Golem ainsi dessinée devient un moyen de résistance à la destruction, une force qui permette au corps d’endurer le pire, tout en étant également un agrégat des tortures infligées à l’être humain. De par sa résilience, le Golem prend ici une dimension christique.
La capacité de tous ces artistes à travailler eux-mêmes sur les torsions de leurs corps et à les exposer sur scène, tout en montrant des qualités musicales magnifiques que ce soit tant la luminosité du quatuor féminin que l’impressionnante résonance de Laurent Naouri, ajoute un sentiment d’admiration devant la beauté fragile qu’ils induisent ainsi.
Sophie Leleu, Laurent Naouri et Dima Bawab
Puis, en dernière partie, nous quittons la dimension théâtrale pour laisser les acteurs et chanteurs se présenter et raconter, avec détachement et humour, leurs liens avec la judaïté, mais aussi la diversité de leurs origines qui rend ainsi la catégorisation des personnalités impossible. Le discours s’élargit ainsi aux questions de sociétés d’aujourd’hui en cherchant à montrer que l’intolérance ne peut se combattre que par une prise de conscience de la complexité humaine. Cependant, sur ce dernier point, l’évolution de nos sociétés laisse planer quelques craintes.
L’Odyssée. Scénario pour Hollywood (Homère -VIIIe, Hanna Krall 2006)
Représentations du 17 et 18 mars 2022
La Comédie de Clermont Ferrand – Scène nationale
Et représentation du 12 mai 2022
La Colline – Théâtre national
Shayek Mariusz Bonaszewski
Ulysse Stanisław Brudny
Martin Heidegger Roman Gancarczyk (mars) / Andrzej Chyra (mai)
Elizabeth Taylor Magdalena Cielecka
Izolda, Le Dibbouk Ewa Dałkowska
L’Officier SS, Télégonos, l’Homme dans le train, le client du magasin des pantalons Bartosz Gelner
Roma, Hannah Arendt Małgorzata Hajewska-Krzysztofik
Pénélope Jadwiga Jankowska-Cieślak
Claude Lanzmann Wojciech Kalarus
Robert Evans Marek Kalita
Moine Bouddhiste, Coiffeur Hiroaki Murakami
Izolda Jeune Maja Ostaszewska
La traductrice, Frau Ruth, Calypso Jaśmina Polak Barbara Walters Jaśmina Polak (mars) / Magdalena Poplawska (mai) Roman Polanski Piotr Polak (mars) / Pawel Tomaszewski (mai) Krzysztof Warlikowski Marek Hłasko, Télémaque Jacek Poniedziałek Et en vidéo :
La sœur Maja Komorowska
La mère Krystyna Zachwatowicz-Wajda
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2021) Dramaturgie Piotr Gruszczynski
Décors, Costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak
Collaboration artistique Claude Bardouil
Production Nowy Teatr
Coproduction Athens and Epidaurs Festival – Athènes, La Comédie de Clermont-Ferrand – SN, La Colline – Paris, Printemps des Comédiens – Montpellier, Schauspiel Stuttgart
Avec le soutien du programme Europe créative de l’Union européenne
Mise à jour le 17 mai 2022
Née à Varsovie le 20 mai 1935, Hanna Krall est connue pour ses écrits dédiés à la mémoire des Juifs de Pologne et à ce qu’ils ont enduré. Elle fut journaliste dans les années 70 et reporter pour ‘Gazeta Wyborcza’ après la chute du mur de Berlin.
Magdalena Cielecka (Elizabeth Taylor incarnant Izolda Regensberg)
A l’été 2009, Krzysztof Warlikowski impressionna fortement le public du Festival d’Avignon avec '(A)pollonia' qui, à travers un assemblage de textes, évoquait notamment l’histoire d’une mère, Apolonia Machczynska, qui cacha vingt cinq enfants au cours de la Seconde Guerre mondiale pour les épargner de la barbarie nazie. Il s’inspirait d’un documentaire rapporté par Hanna Krall dans ‘There is No River There Anymore’ – 1998.
Ewa Dałkowska (Izolda)
Dans ‘L’Odyssée. Scénario pour Hollywood’, le metteur en scène polonais place à nouveau un récit d’ Hanna Krall au cœur de son histoire en faisant revivre le destin d’Izolda Regensberg qu'a relaté l’écrivaine dans ‘Le Roi de cœur’ – 2006.
Izolda s’est en effet battue pour aller sauver directement son mari, Shayek, enfermé dans un camp de concentration, avec la même détermination que celle d’une Léonore qui se rendrait en prison pour retrouver son Fidelio. Ce livre fut écrit plus d’une décennie après d’autres tentatives insatisfaisantes de rendre compte de cette aventure extrêmement dangereuse.
Maja Ostaszewska (Izolda Jeune)
A travers une image très forte de Claude Bardouil poussant nu, et lentement, une immense cage à travers la scène – cage qui comprend en son centre des bancs de déshabillage pour chambres à gaz -, s’allient d’emblée la beauté classique d’une puissance sisyphéenne au poids d’un destin intemporel qui pèse sur toute une communauté.
Małgorzata Hajewska-Krzysztofik (Roma), Stanisław Brudny (Ulysse), Bartosz Gelner (Télégonos) et Jacek Poniedziałek (Télémaque)
Izolda est incarnée avec humour et détachement par Ewa Dałkowska, malgré ce qu’a vécu son personnage dans sa jeunesse, et, en arrière scène, la mémoire d’un épisode d’humiliation par un officier nazi décrit dans le livre est ravivé sous forme d’une vidéo aux teintes vertes fantomatiques sous les traits plus jeunes de Maja Ostaszewska qui joue cette scène hystérique en temps réel.
Piotr Polak (Roman Polanski) et Magdalena Cielecka (Elizabeth Taylor)
Puis, débute l’entrecroisement avec un personnage imaginaire, l’Ulysse de l’’Odyssée’ d’Homère, qui prend les traits d’un vagabond débonnaire dont Stanisław Brudny traduit avec poésie lunaire la simplicité un peu mystérieuse. On ne sait pas ce qu’il a vécu, de quelle guerre il parle, mais la scène de reconnaissance avec sa femme, Pénélope (Jadwiga Jankowska-Cieślak), est profondément touchante car elle initie un thème qui va traverser toute la pièce : la permanence des sentiments au long du temps.
Bartosz Gelner (L'officier SS) et Magdalena Cielecka (Elizabeth Taylor incarnant Izolda Regensberg)
Et la petite scène de reconstitution d’une famille qui écoute ce que le voyageur a à dire autour de la table rappelle d’autres images des productions de Krzysztof Warlikowski (‘Parsifal’ - 2008, ‘La femme sans ombre’ – 2013). Mais cette famille ne sait quoi en penser.
Maja Ostaszewska (Izolda Jeune)
Nous basculons précipitamment dans le temps, probablement dans les années 60, et nous nous retrouvons dans un studio hollywoodien où le producteur Robert Evans – formidable Marek Kalita en rouleur de mécaniques – a réuni Liz Taylor, Roman Polanski et Izolda Regensberg pour imaginer comment produire un film qui retracerait le parcours de cette héroïne selon les standards hollywoodiens.
Roman Gancarczyk (Martin Heidegger) et Małgorzata Hajewska-Krzysztofik (Hannah Arendt)
Cette extraordinaire séquence illuminée par le jeu de Magdalena Cielecka rompue aux rôles d’américaines maniérées crée un moment d’allègement avant que ne soit proposé aux participants de visionner un extrait du film en cours de production. Magdalena Cielecka, métamorphosée en Izolda après une séance de tabassage, se retrouve face à un officier nazi, bien troublant Bartosz Gelner de par la jeunesse et la froideur de son rôle. Il s’agit d’un autre passage du livre qui est ici restitué, et la transformation dramatique de l’actrice polonaise qui encaisse le fait qu'elle va mourrir à cause de ses origines juives est une leçon d’interprétation cinématographique saisissante.
Claude Bardouil
Et, comme c'était déja le cas dans la scène d’introduction, Krzysztof Warlikowski fait entendre les réminiscences du prélude de ‘Tristan und Isolde’ de Richard Wagner, mais joué cette fois au piano sous les doigts de l’officier SS.
A nouveau, en filigrane, l’amour éternel et mortifère hante la mémoire de l'auditeur qui assiste à cette scène irréelle.
Puis, changement de temporalité dans la zone d’occupation soviétique, lorsque Izolda, jeune et à nouveau habitée par Maja Ostaszewska, retrouve enfin son mari.
Mariusz Bonaszewski (Shayek)
Mariusz Bonaszewski imprime une force sensible à Shayek comme s’il s’agissait de quelqu’un qui résiste à une envie de dislocation intérieure. Mais les sentiments ne sont plus ceux d’avant, et le couple se séparera plus tard.
En guise de transition vers le tableau final de cette première partie, Ulysse et Pénélope se retrouvent sur une plage, très joliment et très simplement stylisée par les éclairages, toujours à évoquer des aventures imaginaires. Puis, survient une rencontre majeure de la pièce, celle des retrouvailles d’Hanna Arendt et Martin Heidegger, réunis après la guerre et après un quart de siècle de séparation, sur fond de paysage pastoral bucolique et au son de la 6e symphonie de Beethoven. Le bruit de fond des vagues que l'on entend à certains moments s'échouer, a le tranchant d'une lame qui coupe.
Bartosz Gelner (Le client du magasin des pantalons)
Il s’agit ici à nouveau d’évoquer une relation qui dure, mais surtout de se confronter à une problématique. Comment cette relation entre une philosophe allemande juive et un philosophe allemand ayant adhéré au parti nazi a pu exister?
A travers une simple scène de pique-nique, Małgorzata Hajewska-Krzysztofik dépeint une femme intellectuelle très forte pour qui seuls ses amis comptent et qui se détache de toutes les étiquettes et catégorisations sociales.
A l’inverse, Roman Gancarczyk laisse entrevoir un homme qui s’effondre petit à petit sur ses convictions dans une sorte de panique dure et désespérée.
Le moine Bouddhiste d’ Hiroaki Murakami s’immisce dans leur relation comme une sorte de contrepoint beaucoup plus simple – trop simple ? - pour apporter sourire et recul à cette confrontation monumentale que le temps finit par figer sous une tempête de neige poétique.
Krystyna Zachwatowicz-Wajda (La mère d'Ulysse) et Mariusz Bonaszewski (Shayek)
La seconde partie débute avec l’image d’un minotaure géant avançant aux portes d’Hadès alors que Claude Bardouil se dirige nu vers lui, le pas appliqué et fragile, au cours d’une séquence esthétique et mythologique spectaculaire qui symbolise le passage vers le mal absolu, et prépare à l’analyse post-Shoah.
Une autre séquence du livre d’Hanna Krall est mise en scène, celle du jeune homme qui essaye dix-sept jeans dans un magasin. Mais la disposition de ces pantalons dans la cage suggère qu’ils auraient pu appartenir à ceux qui ont disparu dans les camps.
Magdalena Cielecka (Elizabeth Taylor)
Ulysse réapparaît au moment où Shayek et Izolda se séparent, et le souvenir de sa mère vient lui rappeler comment il l’a déçue, et comment en partant vers des horizons sans but il a perdu tous les sentiments de ses proches.
Une séquence avec Calypso laisse penser qu’il a enjolivé la nature de ses aventures, ce qui le rend plus misérable. Sur ces sentiments de culpabilité, l’image de la mère (Krystyna Zachwatowicz-Wajda) se dissipe, un livre de Simone Weil à la main, le renouveau d’une pensée philosophique qui s’amorce.
Ewa Dałkowska (Izolda) et Hiroaki Murakami (Le coiffeur)
Un extrait de ‘Doktor Faustus’ – 1967 fait revivre l’amour de Richard Burton et de Liz Taylor jouant Pâris et Hélène de Troie, puis Magdalena Cielecka réapparaît sur un lit d’hôpital à un moment où l’actrice américaine était sur la fin de sa vie. A nouveau, une superbe incarnation, la voix étant nettement modulée, et ces adieux émouvants arrivent après une projection des derniers instants filmés de l’enterrement de l’ancien amant de Liz Taylor.
Autre moment fort, celui de cette femme (Maja Komorowska) qui a retrouvé Shayek pour lui transmettre la mémoire de sa sœur, la mémoire d’une souffrance, et qui, simplement en en parlant par une conversation téléphonique, semble lui transmettre quelque chose de son âme en ressentant une forme de soulagement salutaire. L’échange est très dense, et nimbé d’une force métaphysique sourde.
Mariusz Bonaszewski (Shayek), Ewa Dałkowska (un Dibbouk) et Maja Ostaszewska (Izolda Jeune)
Puis, à l'arrivée de Claude Lanzmann (Wojciech Kalarus), le réalisateur de ‘Shoah’ – 1985, s’imprime fortement l’idée que l’Holocauste est un train qui ne s’arrête jamais. S’en suit un extrait du film qui présente l’interview difficile d’Abraham Bomba, un coiffeur qui a survécu au camp de Treblinka et qui œuvrait dans les bâtiments de déshabillage. Les couleurs du film, jaune pour la blouse et bleue pour la serviette, résonnent par une étrange coïncidence avec la réalité du moment.
Krzysztof Warlikowski, Bartosz Gelner et Magdalena Cielecka
Mais la scène finale, située en plein hiver polonais, qui reconstitue un moment de la vie de couple d’Izolda et Shayek quand ils étaient jeunes, est agrémentée par la venue à leur table d’un Dibbouk malicieux, ce qui permet d’achever ce voyage sur une forme d’exorcisme riant et libérateur.
Les couleurs de l’Ukraine se joignent alors au salut des artistes.
Pour la première jouée au Théâtre de La Colline le 12 mai 2022, quelques changements de distribution sont opérés mais sans que cela n'altère la force de l'interprétation, à nouveau exceptionnelle. Andrzej Chyra incarne un Martin Heidegger fin et affable qui rend encore plus stupéfiant son monologue ombrageux où l'ombre d'Hitler semble encore plus prégnante.
Et dans la scène de discussion avec Liz Taylor sur la forme du film censé relater la vie d'Izolda, Pawel Tomaszewski apporte encore plus de désinvolture au jeune portrait de Roman Polanski.
Revoir ce spectacle c'est à nouveau admirer sans limite le talent d'artistes éblouissants, en saisir les touches subtiles qui rendent chacun de leurs personnages uniques et si vrais, et se confronter, à travers les couples qui sont ainsi ravivés, au mystère des liens qui durent ou qui rapprochent des personnes qui évoluent pourtant au fil du temps, et ce malgré les épreuves indicibles de l'Histoire qui sont ici si bien suggérées.
Maja Komorowska (La Soeur) et Mariusz Bonaszewski (Shayek)
Il y a donc toujours un effet miroir avec le spectateur qui, en reconnaissant certains thèmes, peut presque malgré lui entrecroiser sa vie personnelle pendant le déroulement de la pièce, tout en gardant pour lui seul le mystère de ses propres réflexions. La puissance évocatrice du prélude de 'Tristan und Isolde' et de tout ce qu'il peut engendrer chez l'auditeur en images et souvenirs dans un tel contexte en est un exemple.
Krzysztof Warlikowski, Pawel Tomaszewski et Claude Bardouil
Et les nombreuses références aux démons et dibbouks mythologiques dans 'L'odyssée. Scénario pour Hollywood' font regretter de ne pas avoir vu 'Dibbouk', pièce que Krzysztof Warlikowski monta au Théâtre des Bouffes du Nord en avril 2004, quelques jours seulement avant l'entrée officielle de la Pologne dans l'Union européenne, car elle est nécessairement un élément de compréhension et de connaissance supplémentaire pour reconstituer l'univers du metteur en scène.
Lorsqu'il s'empare de classiques, Krzysztof Warlikowski ne se contente pas de "mettre en scène". Il est l'invité de l'Heure Bleue pour nous présenter, nous raconter son "Odyssée. Une histoire p...
Inspiré de Catégorie 3.1 de Lars Norén Représentation du 14 janvier 2012 Théâtre National de la Colline
Avec Anthony Boullonnois, Audrey Cavelius, Claire Deutsch,Thibaut Evrard, Pierre-François Garel, Adeline Guillot,David Houri, Aurore Jecker, Charlotte Krenz,Lucas Partensky, Guillaume Ravoire, Lola Riccaboni,Mélodie Richard, Alexandre Ruby, Matthieu SampeurMatthieu Sampeur Avec Salle d’attente, Krystian Lupa cherche à attirer le spectateur dans une zone où il n’irait pas de lui-même, et lui faire ressentir une empathie avec des personnages paumés, tous tombés en marge d’une société dont le réflexe de peur et d’exclusion n’a fait que précipiter leur chute.
Tout se passe dans un sous-sol éclairé artificiellement, quelques colonnes soutiennent des murs tagués de toutes les couleurs, de tous les propos les plus crus, avec une surcharge telle qu’au fil du temps le premier degré s’efface devant l’effet d’un tableau qui contient sa propre esthétique fascinante.
On découvre au fur et à mesure les quinze hommes et femmes qui se retrouvent là, marqués par leurs expériences traumatiques, la culture de l’un ou l’optimisme de l’autre ne les aura pourtant pas sauvés. Deux écrans situés au dessus de la scène projettent, aux moments clés, des monologues de chacun dans un passé où ils appartenaient encore à la société.
Et chacun exprime avec son corps, à sa manière, le choc du mal être, le regard qui refuse de voir le malheur, les contorsions d’un corps difficile à soutenir, la perte de dignité qui atteint son paroxysme à travers le tournage d’un film pornographique vécu comme une ultime solution pour trouver un peu de bonheur, mais en vain. L’exhibitionnisme des chairs, dans ce contexte misérabiliste, est d’un pathétique qui fait tomber les réflexes pudiques très rapidement. Charlotte Krenz
Les nombreuses scènes de prises de drogue, et les inévitables mutilations qu’elles engendrent, sont les plus dures à soutenir, surtout que ce sont des jeunes qui s’y livrent.
Dans cet univers, les relations entre les individus pulvérisent également toutes les conventions habituelles du monde social, sans détour.
Parfois, le public est lui aussi directement interpelé quand les acteurs s’adressent à lui depuis le devant de la scène, avec une certaine sincérité humoristique lorsque Thibaut Evrad fait un clin d’œil à sa nature (supposée) intellectuelle, et même avec l’inévitable provocation du corps nu exposé très naturellement par Alexandre Ruby, ce qui ne fait qu’enclencher certains rires nerveux. Le temps s’écoule, les propos et les gestes se répètent, il n’y a aucune action continue, seulement une atmosphère de vie sans espoir dans laquelle chacun se laisse immerger.
Mélodie Richard
Et Mélodie Richard, le regard hors du temps et plein d’une immuable candeur humaine, aura laissé le souvenir des moments simples les plus poétiques de cette soirée théâtrale hors du commun. Malgré la dureté du sujet la salle était pleine, et cela compte de voir qu’il y a un public pour un théâtre si éloigné des convenances bourgeoises.
Rosmersholm / Une maison de poupée (Henrik Ibsen)
Représentations du 16 janvier 2010 au Théâtre National de la Colline
RosmersholmUne maison de poupée
Rosmer Claude Duparfait Nora Chloé Réjon
Rebekka West Maud Le Grevellec Helmer Eric Caruso
Kroll Christophe Brault Madame Linde Bénédicte Cerutti
Madame Helseth Annie Mercier Krogstad Thierry Paret
Brendel Jean-Marie Winling Docteur Rank Philippe Girard
Mortensgard Marc Susini Anne-Marie Annie Mercier
Mises en scèneStéphane Braunschweig
Pour son arrivée à la direction du Théâtre de la Colline début janvier 2010, Stéphane Braunschweig met en scène deux pièces d’Henrik Ibsen, jouées dans la même journée.
Rosmersholm (1886) est une véritable réflexion sur l’impossibilité, pour l’individu, d'échapper au poids de son histoire familiale, et aux valeurs transmises.
Pourtant, la manière dont Rosmer et Rebekka tentent de vivre librement, après le décès de la femme de l’ancien pasteur, rappelle ce que fût la vie de Verdi et de la Strepponi devant affronter les ragots, accusations, médisances et leçons de morales de leur entourage à Busseto. Au point qu’ils durent déménager à quelques kilomètres du village.
La comparaison s’arrête là, car l’intrigue révèle que la défunte s’est suicidée en connaissance des sentiments amoureux de Rebekka pour son mari.
Un univers de culpabilité s’ouvre devant nous, puisque l’on prend conscience que chaque protagoniste s’est retrouvé à devoir concilier ses valeurs propres avec la réalité de ses émotions. La vie peut entraîner inconsciemment la perte de l’autre, lorsque l’esprit de ce dernier n’est pas suffisamment fort.
Et c’est ce qu’a fait Rebekka avec sa rivale.
On peut ainsi faire le rapprochement avec le très beau film de Michael Haneke, le Ruban blanc, où un pasteur protestant, croyant à la justesse de ses valeurs, et les reportant sur ses enfants, va faire d'eux des monstres, de la même manière que le poids de la tradition a une responsabilité dans la déshumanisation progressive de Rebekka et Rosmer.
Ainsi, la culpabilité persiste et se renforce même. Le mécanisme de construction mentale poursuit ses ravages, et l’on voit comment Rebekka se persuade que la manière avec laquelle elle s'est débarrassée de ses désirs est une victoire de son idéal d’amour.
Cette paix, c’est en fait la mort. Elle n’a réussi qu’à éteindre toute vie en elle.
Point d’amour ici, et chez Rosmer également, qui ne lui propose pas moins de mettre fin à ses jours, pour qu'elle prouve son amour…
Ce dernier acte, qui ne mérite qu’un climat d’attention totale, est assez étrangement traité par Stéphane Braunschweig. Le ton solennel, employé tout au long de la pièce, est encore plus appuyé, et les exclamations pressantes de Claude Parfait (Rosmer) tournent en ridicule ce passage qui finit sur le suicide du couple. Pourquoi ne pas avoir plutôt figuré les deux amants comme fous, ou hallucinés, et tourné les déclamations de Rosmer vers le public, sans urgence, ce qui aurait rendu un effet d’extinction vitale plus adéquat avec la situation?
Au lieu de cela, le dernier acte devient risible (à moins que cela ne soit l'intention), mais l’utilisation des tableaux de famille montre comment suggérer avec beaucoup de clarté la chape qui écrase le deux personnages.
Cette simplicité efficace du dispositif scénique se retrouve dans la seconde pièce, La Maison de poupée (1879). Stéphane Braunschweig n’est pas du genre à encombrer inutilement le plateau, et il peut passer du banal quotidien aux atmosphères surréalistes, lorsque l’âme des personnages sort du confort de ses illusions.
Si le sujet de cette œuvre, étonnamment féministe pour son époque, n’a pas la même profondeur humaine que Rosmersholm, il touche un public plus large, car il met en scène un univers petit-bourgeois, attaché à ses valeurs de promotion et d’apparence sociales.
C’est la prise de conscience d’une femme, Nora, de sa propre superficialité, de l’incompréhension et de l’hypocrisie mutuelle au sein de son couple, qui finit par plaquer mari et enfants pour s’éduquer, et devenir une femme qui pourra s’engager plus tard en toute lucidité.
Très spontanée, Chloé Réjon est parfaite en femme-enfant, et il est difficile de dire si le stratagème qui a poussé Nora à falsifier une lettre au nom de son père était motivé par l’amour sincère pour son mari, ou bien par la peur de perdre sa situation sociale, ce qui ne donne pas la même portée à son geste.
L’autre personnage très touchant est le docteur incarné par Philippe Girard, avec beaucoup de naturel et d’humanité. Il est proche de la vie, mais aussi de la mort, ce qui lui permet d’exprimer très simplement ses sentiments à Nora, sans aucune honte ou bien culpabilité parce que c’est ainsi.
Nous avons là un homme totalement présent dans le vrai et la clarté d’esprit.
Finalement plus aboutie que Rosmersholm, Une maison de poupée prend avec Stéphane Braunschweig un visage moderne, qui ne laisse nullement transparaître son âge.
Représentation du 14 octobre 2008 au Théâtre National de la Colline
Avec Hermile Lebel, Damien Gabriac, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Serge Tranvouez, Véronique Nordey, Claire Ingrid Cottanceau, Raoul Fernandez
Mise en scène : Stanilas Nordey
Wajdi Mouawad n'a pas encore vu la mise en scène d'"Incendies" par Stanilas Nordey et devra attendre les deux dernières représentations pour la découvrir.
Mais l'on se demande comment avec de tels acteurs ne va t-il pas rester bouche bée à la fin du spectacle.
Une mère restée très secrète envers ses deux enfants, leur laisse en testament des indices pour remonter à l'origine de leur naissance. Le chemin remonte vers un pays en guerre, plongé dans l'horreur.
Ici le temps est pris pour laisser le spectateur saisir ce que représentent les actes barbares, l'immerger dans un univers de violence alors que rien n'est montré; tout est simplement raconté.
La prise de conscience de Julie Moreau (la fille) quand elle réalise ce que sa mère a vécu est jouée avec une progressivité dans l'émotion à laquelle l'on n'échappe pas.
De même, Véronique Nordey (Narwal à 60 ans, la mère) est d'une vérité telle dans la voix et la douleur du visage que cette expression de l'amour maternel prend au corps à la limite du blocage affectif.
Alors il y a bien sûr Raoul Fernandez en notaire dédramatisant, d'une diction vive et sensuelle comme ses gestes, dont l'humour et l'humeur légère viennent apporter l'oxygène qui permet à chacun de soutenir plus de 3 heures une vérité qui se dévoile petit à petit dans toute sa souffrance.
A un moment tout de même, Stanilas Nordey semble jouer un peu trop avec l'émotion du public, le faisant rire pour subitement le confronter à une brutalité trop soudaine pour être fortuite.
Il nous laisse également avec un certain malaise quand il met en scène le sniper (Laurent Sauvage) en cherchant à provoquer le rire à partir d'un cynisme dérangeant.
A l'issu de la représentation, Gerard Mortier rejoint alors sur scène le metteur en scène pour achever la soirée sur une conversation autour du théâtre et de l'opéra, étant bien entendu impossible de parler à chaud de la pièce. Le directeur de l'Opéra de Paris avait créé en 2006Adriana Mater sur le même thème mais ne l'évoque pas ce soir.
Wajdi Mouawad est né au Liban puis s'est déplacé en France et ensuite au Québec.
Incendies est paru aux éditions Actes Sud/Léméac Editeur en 2003.