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Publié le 12 Mai 2013

Don Giovanni (Wolfgang Amadé Mozart)
Représentation du 07 mai 2013

Théâtre des Champs Elysées


Don Giovanni Markus Werba
Il Commendatore Steven Humes
Donna Anna Sophie Marin-Degor
Don Ottavio Daniel Behle
Donna Elvira Miah Persson
Leporello Robert Gleadow
Masetto Nahuel Di Pierro
Zerlina Serena Malfi

Mise en scène Stéphane Braunschweig
Direction musicale Jérémie Rhorer
Le Cercle de l’Harmonie

                                                                                                              Markus Werba (Don Giovanni)

 

Depuis le Don Giovanni d’après guerre dirigé à Salzbourg par Wilhelm Furtwängler sous la régie d’Herbert Graf, le regard de ce personnage redoutable a pris de la noirceur dans le film de Joseph Losey. Il s’est par la suite transformé, sous l’œil acéré de Michael Haneke, en une force manipulatrice fascinante et encore plus refroidissante.

La nouvelle mise en scène que Stéphane Braunschweig vient de réaliser au Théâtre des Champs Elysées se focalise unilatéralement sur l’obsession pour le sexe que le libertin fait s’extérioriser dans notre société bourgeoise contemporaine.
Ainsi, tous les désirs humains des protagonistes finissent-ils par viser la draperie blanche du grand lit fortement illuminé, au dessus duquel un large miroir reflète le public présent dans la salle.

Mia Persson (Donna Elvira)

Mia Persson (Donna Elvira)

Même l’air du catalogue sera chanté en désignant ce grand lit, mémoire de toutes les conquêtes de Don Giovanni, grand lit dans lequel fera son entrée Donna Anna, naturellement, mais aussi Elvire, qui y sera rejointe au deuxième acte par Leporello, après l’air de charme et de travestissement qu’il jouera sous la fenêtre de la chambre.

Quant au bal, il n’est plus que le mime d’une scène d’orgie masquée aussi surnaturelle que la description qu’en a faite Stanley Kunbrick dans Eyes Wide Shut.

Ce qui fait la valeur de ce spectacle est le formidable traitement théâtral qui enchaîne les scènes sans laisser le moindre espace de temps d’ennui, et qui utilise le procédé du plateau tournant, pivot autour duquel trois unités de lieu, la chambre, un cabinet intime, et un grand salon se succèdent tout en permettant un passage de l’une à l’autre, soit par une porte, soit par une des deux fenêtres, l’une en hauteur pour accueillir l’amant, l’autre à hauteur d’homme.

Robert Gleadow (Leporello)

Robert Gleadow (Leporello)

Une scène, celle du duo entre Zerline et Leporello que Mozart a écrit pour la version de Vienne, est insérée également, par intérêt musical ou bien dramatique, en déclinant la relation des deux personnages sous forme d’un jeu sadomasochiste.

Un seul temps mort, toutefois, survient lors de la séquence du cimetière, la voix sonorisée depuis les hauteurs de la salle n’apportant rien à un commandeur simplement assis sur la planche du crématorium où finira le séducteur dans la scène finale. Avec son timbre de basse argenté, Steven Humes est d’ailleurs un très bel homme d’honneur.

Cette scène finale, Jérémie Rhorer la rend extraordinaire pas seulement en assenant les coups fatals du jugement dernier, mais en dessinant des contrastes saisissants entre les vrombissements des basses et les frémissements glaciaux et menaçants des violons.
 

Et toute sa direction vivifie la partition de traits séduisants et modernes selon un rythme qui enivre d’impertinence et de jeunesse même dans les passages les plus sombres.
Il y a également le charme des sonorités de son orchestre, comme ces cors vifs et éméchés, et la rutilance des cordes.

La distribution, elle, est dominée par Robert Gleadow, qui est un Leporello impressionnant de présence au point de devenir le personnage central, celui qui cherche à mimer et dépasser le maître.
Graves magnifiques et brillants, on entend au cours de l’air du catalogue quelques faiblesses dans des aigus à peine esquissés, sinon tout, absolument tout, aussi bien dans sa stature que son expression vocale, lui donne une dimension charismatique, mais pas forcément subtile et spirituelle.

 

                                                                                              Mia Persson (Donna Elvira)

 

Markus Werba est alors relégué à un rôle de Don Giovanni commun, un homme surfait et creux défini par sa démarche artificielle qui révèle un vide, si bien que le timbre de sa voix, qui est plus marquant dans les récitatifs que dans le chant, ne fait finalement que renforcer ce sentiment d’inexistence du personnage.
Et c’est cela qui choque dans cette mise en scène, comment un personnage aussi insignifiant peut mettre tout ce monde dans un tel état?

Des trois dames, Sophie Marin-Degor et Miah Persson se distinguent par la profondeur qu’elles insufflent à Donna Anna et Donna Elvira. On y voit une féminité bouleversée, une douleur qui ne s’explique pas, un fort réalisme, particulièrement chez la première, qui se retrouve dans leur expression vocale qui n‘est pas sensiblement pure, mais qui donne une image abîmée de ces deux femmes touchantes.

Sophie Marin-Degor (Donna Anna) et Steven Humes (Le Commandeur)

Sophie Marin-Degor (Donna Anna) et Steven Humes (Le Commandeur)

Serena Malfi, elle, est une Zerline de pétulance plutôt rossinienne. Elle est accompagnée par l’âme très assurée de Nahuel Di Pierro.

Parmi toute cette agitation, il y a une personne qui reste hors de tout ce jeu irrationnel, Don Ottavio. Daniel Behle lui rend une belle tendresse mélancolique, un peu lunaire, rarement ce personnage aura paru aussi nocturne et isolé.

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Publié le 19 Juin 2011

Idomeneo (Mozart)
Représentation du 17 juin 2011
Théâtre des Champs Elysées

Idomeneo Richard Croft
Ilia Sophie Karthäuser
Idamante Kate Lindsey
Elektra Alexandra Coku
Arbace Paolo Fanale
Le Grand Prêtre Nigel Robson
La Voix de Neptune Nahuel di Pierro

Direction Musicale Jérémie Rhorer
Le Cercle de l’Harmonie
Chœur les éléments
Mise en scène Stéphane Braunschweig

 

                                                                                                     Richard Croft (Idomeneo)

L’instant qui suit l’extinction des lumières et le rituel d’applaudissements est aussi inflammable qu’une braise, quand l’attente de l’émerveillement pèse sur les talents reconnus de l’orchestre et de son chef.

Galvanique, Jérémie Rhorer induit un courant magnifiquement fluide et tonique, alors que les couleurs dorées des cordes se fondent au souffle cuivré des cors, même les tout petits détails des flûtes et hautbois nourrissent autant de subtilités au cœur des coups de vents agités.
Le Chœur, vingt-cinq simples femmes et hommes, entrelace ses voix bienveillantes et parfois murmurées comme une aspiration pudique et bellement sereine.

Jérémie Rhorer

Jérémie Rhorer

De cet écrin véritablement émouvant, les chanteurs doivent à présent exprimer l’humanité de leurs personnages pour lesquels Mozart a réservé des pages profondément expressives.
On peut imaginer l’émotion qu’il aurait ressenti en entendant l’interprétation pathétique et pleine de souffrance retenue de Richard Croft. Sans la moindre faille, glissant un chant d’une élévation suprême, tous se souviendront de la marche solitaire du Roi de Crête, dos au public et la tête courbée, dans un abattement total quand le sacrifice de son fils apparaît inéluctable.

Kate Lindsey, une juvénilité d’enfant gâtée sous les traits d’Idamante, manifeste une nervosité nécessairement jouée, et l’habile d’une présence vocale parfois dure, mais précise, claire et focalisée.


 Sophie Karthäuser, finement dramatique et lumineusement musicale, le courage triste et tragique au fond du regard, et non plus la fragile timidité dévolue habituellement à Ilia, est un rêve attendrissant lorsqu’elle songe à son amour pour le jeune crétois. Stéphane Braunschweig en fait éclore toute la féminité essentielle au cours d’un troisième acte saisissant.

Alors que le metteur en scène entretient une continuité dans les deux premiers actes, en présentant le drame comme une histoire moderne de réfugiés ayant échoué sur une terre symbolisée par un simple décor de lattes en marron dégradé, évocation d’une cale de bateau échoué, et en caractérisant fortement le plan social sur lequel il se joue, il nous entraîne par la suite vers un troisième acte d’une force émotionnelle éblouissante de beauté.

Le cœur affectif de chacun est mis à nu.

 

Sophie Karthäuser (Ilia)

La grâce d’Ilia et d’Idamante se sublime, en arrière plan les illusions lumineuses font d’une simple ouverture une sphère céleste progressivement argentée, et une grande voie rouge sang y mène inéluctablement. Et même si Alexandra Coku évite les notes les plus périlleuses lors de sa colère finale et joue des jets de noirceur, elle offre un portrait humain qui bascule de l’exultation appuyée aux blessures visiblement sincères.

C’est aussi la magie de Stéphane Braunschweig de réussir à unifier les talents de toute l’équipe artistique, et de trouver des images simples et mémorables, comme l’émersion de Nahuel di Pierro, torse nu doré par les lumières des pupitres et le bain orchestral, quand Neptune s’adresse aux Crétois.

Vraiment du très beau travail.

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Publié le 20 Juin 2010

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy)
Représentation du 18 juin 2010
Opéra Comique

Pelléas Phillip Addis
Mélisande Karen Vourc’h
Golaud Marc Barrard
Arkel Markus Hollop
Geneviève Nathalie Stutzmann
Yniold Dima Bawab
Un médecin Luc Bertin-Hugault
Un berger Pierrick Boisseau

Direction Musicale Sir John Eliot Gardiner
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Chœur Accentus
Mise en scène Stéphane Braunschweig

                                Karen Vourc'h (Mélisande)

De la mise en scène de Pierre Médecin en 1998, le souvenir des filets d’eau qui plongeaient derrière l’orchestre, alors que Pelléas (William Dazeley) et Mélisande (Anne-Marguerite Werster) se roulaient dans ce flux continu, est resté si fort, que la peur de la déception accompagne la nouvelle production de l’Opéra Comique.

Nouvellement directeur du Théâtre de la Colline, Stéphane Braunschweig a ouvert sa première saison en dirigeant deux pièces d’Henrik Ibsen, Rosmersholm et la Maison de Poupée. Il y est notamment question du rapport de l’homme à son enfermement social.

Karen Vourc'h (Mélisande) et Phillip Addis (Pelléas)

Karen Vourc'h (Mélisande) et Phillip Addis (Pelléas)

Ce n’est donc pas une surprise de retrouver cet univers de claustration au château de Golaud. Des planches de bois recouvrent sol et murs comme si nous étions à l’intérieur d’un cercueil, même si le metteur en scène pousse un peu loin la fatalité de cette condition en allongeant l’enfant de Mélisande dans une couveuse en verre.

Les lumières sont particulièrement vives avec un souci de suivre fidèlement les descriptions des ambiances qui sont faites par les personnages, le vert des eaux stagnantes dans les souterrains, l’éclat du clair de Lune, l’allusion à l’incendie de la maison d‘un aveugle.

Hors de ce milieu maladif, la relation entre Pelléas et Mélisande est vue comme le passage du plaisir du monde imaginaire de l’enfant - le bateau, le phare qui devient une tour du château, le ballon rouge - à la découverte de l’inconnu féminin - la grotte, la fontaine, le trou noir.

C’est visuellement très évocateur sur ce plateau elliptique et incliné qui attire les corps vers le vide obscur situé à l’un de ses foyers.

Phillip Addis (Pelléas)

Phillip Addis (Pelléas)

Mais l'on arrive à une limite du spectacle qui, à force de clarifications indéniablement très réfléchies, en dissout le mystère, sans flirter un instant avec l’amour sombre et stellaire de Tristan et Iseult.
Les couleurs orchestrales sont d’ailleurs en parfaite adéquation avec le parti pris scénique. Contrastées et riches en détails, Sir John Eliot Gardiner leur donne un caractère cru qui nous maintient à terre.

Toute la poésie se concentre alors sur un personnage : Pelléas. La jeunesse et les accents clairs et mélancoliques de Phillip Addis, ses airs égarés et l’élégance sobre de son être lui donnent une présence belle par son naturel.
Petit animal blessé,  Karen Vourc’h se glisse dans le personnage fragile de Mélisande avec une diction fine, mais sans noirceur profonde.

Le monde de mort, hors duquel se situe la touchante Dima Bawab dans le personnage enfantin d’Yniold, s’articule autour de quatre voix bien particularisées; Marc Barrard imagine Golaud au fond d’un abattement vital, taciturne, plus monotone que les douleurs funestes de Nathalie Stutzmann, Luc Bertin-Hugault tient la stature digne du médecin, alors que Markus Hollop entraîne Arkel dans un chant pathétique et déclinant.

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Publié le 17 Janvier 2010

Rosmersholm / Une maison de poupée (Henrik Ibsen)
Représentations du 16 janvier 2010 au Théâtre National de la Colline

Rosmersholm                                             Une maison de poupée

Rosmer Claude Duparfait                          Nora Chloé Réjon
Rebekka West Maud Le Grevellec           Helmer Eric Caruso
Kroll Christophe Brault                             Madame Linde Bénédicte Cerutti
Madame Helseth Annie Mercier                  Krogstad Thierry Paret
Brendel Jean-Marie Winling                     Docteur Rank Philippe Girard
Mortensgard Marc Susini                          Anne-Marie Annie Mercier

Mises en scène Stéphane Braunschweig

Pour son arrivée à la direction du Théâtre de la Colline début janvier 2010, Stéphane Braunschweig met en scène deux pièces d’Henrik Ibsen, jouées dans la même journée.

Rosmersholm (1886) est une véritable réflexion sur l’impossibilité, pour l’individu, d'échapper au poids de son histoire familiale, et aux valeurs transmises.
Pourtant, la manière dont Rosmer et Rebekka tentent de vivre librement, après le décès de la femme de l’ancien pasteur, rappelle ce que fût la vie de Verdi et de la Strepponi devant affronter les ragots, accusations, médisances et leçons de morales de leur entourage à Busseto. Au point qu’ils durent déménager à quelques kilomètres du village.
La comparaison s’arrête là, car l’intrigue révèle que la défunte s’est suicidée en connaissance des sentiments amoureux de Rebekka pour son mari.

Un univers de culpabilité s’ouvre devant nous, puisque l’on prend conscience que chaque protagoniste s’est retrouvé à devoir concilier ses valeurs propres avec la réalité de ses émotions. La vie peut entraîner inconsciemment la perte de l’autre, lorsque l’esprit de ce dernier n’est pas suffisamment fort.
Et c’est ce qu’a fait Rebekka avec sa rivale.

On peut ainsi faire le rapprochement avec le très beau film de Michael Haneke, le Ruban blanc, où un pasteur protestant, croyant à la justesse de ses valeurs, et les reportant sur ses enfants, va faire d'eux des monstres, de la même manière que le poids de la tradition a une responsabilité dans la déshumanisation progressive de Rebekka et Rosmer.

Ainsi, la culpabilité persiste et se renforce même. Le mécanisme de construction mentale poursuit ses ravages, et l’on voit comment Rebekka se persuade que la manière avec laquelle elle s'est débarrassée de ses désirs est une victoire de son idéal d’amour.
Cette paix, c’est en fait la mort. Elle n’a réussi qu’à éteindre toute vie en elle.
Point d’amour ici, et chez Rosmer également, qui ne lui propose pas moins de mettre fin à ses jours, pour qu'elle prouve son amour…

Ce dernier acte, qui ne mérite qu’un climat d’attention totale, est assez étrangement traité par Stéphane Braunschweig. Le ton solennel, employé tout au long de la pièce, est encore plus appuyé, et les exclamations pressantes de Claude Parfait (Rosmer) tournent en ridicule ce passage qui finit sur le suicide du couple. Pourquoi ne pas avoir plutôt figuré les deux amants comme fous, ou hallucinés, et tourné les déclamations de Rosmer vers le public, sans urgence, ce qui aurait rendu un effet d’extinction vitale plus adéquat avec la situation?

Au lieu de cela, le dernier acte devient risible (à moins que cela ne soit l'intention), mais l’utilisation des tableaux de famille montre comment suggérer avec beaucoup de clarté la chape qui écrase le deux personnages.

Cette simplicité efficace du dispositif scénique se retrouve dans la seconde pièce, La Maison de poupée (1879).
Stéphane Braunschweig n’est pas du genre à encombrer inutilement le plateau, et il peut passer du banal quotidien aux atmosphères surréalistes, lorsque l’âme des personnages sort du confort de ses illusions.

Si le sujet de cette œuvre, étonnamment féministe pour son époque, n’a pas la même profondeur humaine que Rosmersholm, il touche un public plus large, car il met en scène un univers petit-bourgeois, attaché à ses valeurs de promotion et d’apparence sociales.

C’est la prise de conscience d’une femme, Nora, de sa propre superficialité, de l’incompréhension et de l’hypocrisie mutuelle au sein de son couple, qui finit par plaquer mari et enfants pour s’éduquer, et devenir une femme qui pourra s’engager plus tard en toute lucidité.

Très spontanée, Chloé Réjon est parfaite en femme-enfant, et il est difficile de dire si le stratagème qui a poussé Nora à falsifier une lettre au nom de son père était motivé par l’amour sincère pour son mari, ou bien par la peur de perdre sa situation sociale, ce qui ne donne pas la même portée à son geste.

L’autre personnage très touchant est le docteur incarné par Philippe Girard, avec beaucoup de naturel et d’humanité. Il est proche de la vie, mais aussi de la mort, ce qui lui permet d’exprimer très simplement ses sentiments à Nora, sans aucune honte ou bien culpabilité parce que c’est ainsi.
Nous avons là un homme totalement présent dans le vrai et la clarté d’esprit.

Finalement plus aboutie que Rosmersholm, Une maison de poupée prend avec Stéphane Braunschweig un visage moderne, qui ne laisse nullement transparaître son âge.

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