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Publié le 1 Octobre 2018

Bérénice (Michael Jarrell)
Livret de Michael Jarrell d’après Jean Racine
Répétition générale du 24 septembre et représentation du 29 septembre 2018
Palais Garnier

Titus Bo Skovhus
Bérénice Barbara Hannigan
Antiochus Ivan Ludlow
Paulin Alastair Mile
Arsace Julien Behr
Phénice Rina Schenfeld

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Claus Guth (2018)                                 
Barbara Hannigan (Bérénice)
Création mondiale

A la découverte de cette version musicale de Bérénice de Jean Racine – la pièce originale, totalement écrite en alexandrins, fut créée à l’Hôtel de Bourgogne, rue Mauconseil, le 21 novembre 1670 – on rêve d’une soirée intégrale dédiée à Titus, avec en première partie la composition de Michael Jarrell suivie en seconde partie de La Clémence de Titus de Mozart. Un enchaînement dramaturgique qui ferait sens, doublé du choc esthétique provoqué par le passage du contemporain à l’univers classique de la fin du XVIIIe siècle.

Barbara Hannigan (Bérénice)

Barbara Hannigan (Bérénice)

Le spectacle proposé ce soir sépare la scène en trois parties frontales, côté cour la chambre de Titus, côté jardin celle de Bérénice, et au centre un salon de passage. On pourrait se croire dans de petits appartements du Château de Versailles, teintes orangées d’un coucher de Soleil pour Bérénice, froid bleuté d’une nuit de clair de Lune pour Titus. Antiochus est quant à lui ballotté entre les forces qui attirent autant qu’elles ne repoussent les deux amants liés par un amour impossible. 

Bo Skovhus (Titus)

Bo Skovhus (Titus)

Le travail de Claus Guth et de son équipe artistique est visuellement impressif et forme un tout avec les qualités théâtrales des deux protagonistes principaux et les images mentales qui viennent submerger le décor sous forme de vidéographies fantomatiques. Antiochus se débat pour atteindre l’ombre de Bérénice, elle-même affronte les hallucinations provoquées par son désespoir, et la confrontation entre elle et l’Empereur prend même une tournure physique d’une violence sans retenue.

Barbara Hannigan (Bérénice) et Rina Schenfeld (Phénice)

Barbara Hannigan (Bérénice) et Rina Schenfeld (Phénice)

La musique de Michael Jarrell, interprétée par un Philippe Jordan sensible à la douceur des lignes qu’il caresse minutieusement, mais également épris de fulgurances et d’ampleur sonore, rythme à coups d’archets la frénésie qui s’empare des chanteurs, et réussit à créer à plusieurs reprises des climats mystérieux aux pulsations prenantes dont percussions et synthétiseur modifient la sensation temporelle. On se sent pris dans l’onde impalpable d’un bleu nuit profond, mais une fois les différents effets et textures assimilés par l’auditeur, ceux-ci évoluent peu dans le temps. 

L’écriture vocale exige surtout des variations tendues et cristallines de la part de Bérénice, et consiste principalement à chanter le texte sur une même note avec une puissante longueur de souffle, tout en s’achevant à certains moments par un retour à la langue parlée, comme une coda ornementale. 

Barbara Hannigan (Bérénice)

Barbara Hannigan (Bérénice)

Le texte inspiré de celui de Racine n’est donc plus qu’un matériau musical, et l’on assiste surtout à une impressionnante confrontation frisant l’hystérie entre la souplesse féline de Barbara Hannigan et la stature monumentale de Bo Skovhus, à la mesure de l’image surhumaine que l’on peut avoir de Titus et de la fragilité de la princesse de Judée.

On se remémore alors les images de la mise en scène de La Clémence de Titus par Willy Decker, jouée régulièrement au Palais Garnier depuis 20 ans, qui s’ouvre par l'inévitable séparation du jeune couple.

Et le timbre de Bo Skovhus fait beaucoup penser à celui diffus de Stéphane Degout que l’on aurait bien vu également dans ce rôle empli de mélancolie et de déchirements.

Barbara Hannigan (Bérénice) et Bo Skovhus (Titus)

Barbara Hannigan (Bérénice) et Bo Skovhus (Titus)

Les personnages secondaires, Paulin (Alastair Mile), Arsace (Julien Behr) et Phénice (Rina Schenfeld) interviennent comme des confidents qui aident les protagonistes à ne pas totalement sombrer dans la folie, et Ivan Ludlow, pris entre ces deux monstres scéniques, parvient à faire exister Antiochus et lui donner sans doute le rôle le plus attachant. Car la passion décrite ici ressemble surtout à une force violente dont deux êtres semblent vouloir s’échapper par une lutte qui ne fait que les lier encore plus.

Barbara Hannigan, Philippe Jordan et Bo Skovhus - Répétition générale

Barbara Hannigan, Philippe Jordan et Bo Skovhus - Répétition générale

Réception enthousiaste mêlée de méfiance, car une véritable énergie animale et luxueuse est renvoyée au public tout le long de la soirée, pour un spectacle démonstratif et non sentimental qui montre ainsi, le soir de la première, l’excellente entente entre tous les artistes de la production. Et le vibrant accueil de Michael Jarrell par Philippe Jordan fait plaisir à admirer dans cette ambiance chaleureuse.

Barbara Hannigan, Philippe Jordan et Bo Skovhus - Première représentation

Barbara Hannigan, Philippe Jordan et Bo Skovhus - Première représentation

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