Elektra (Urmana Pankratova Miknevičiūtė Wernicke Jurowski) Munich
Publié le 2 Juillet 2024
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Elektra (Richard Strauss – Dresde, le 25 janvier 1909)
Représentation du 30 juin 2024
Münchner Opernfestspiele 2024
Bayerische Staatsoper
Klytämnestra Violeta Urmana
Elektra Elena Pankratova
Chrysothemis Vida Miknevičiūtė
Aegisth John Daszak
Orest Károly Szemerédy
Der Pfleger des Orest Bálint Szabó
Die Vertraute Natalie Lewis
Die Schleppträgerin Seonwoo Lee
Ein junger Diener Kevin Conners
Ein alter Diener Martin Snell
Direction musicale Vladimir Jurowski
Mise en scène Herbert Wernicke (1997)
Créée le 27 octobre 1997 au Bayerische Staatsoper, et reprise plusieurs fois au Festival de Baden-Baden où fut enregistré un DVD en 2010, la production d'’Elektra’ dans la mise en scène d’Herbert Wernicke (1946-2002) est un très bel exemple de lecture universelle d’une œuvre qui marque la première collaboration entre Richard Strauss et le dramaturge Hugo von Hofmannsthal.
Le décor sépare en deux l’espace d’avant scène de la scène centrale par un immense panneau rectangulaire frontal et incliné pouvant pivoter sur lui même pour révéler le grand escalier du palais mycénien édifié en arrière plan.
La symbolique des couleurs des costumes est très explicite également, le blanc pour la virginité et l’aspiration au mariage de Chrysothemis, le noir pour la nature dépressive et vindicative d’Elektra, le rouge pour la puissance sexuelle et la nature criminelle de Klytämnestra.
Les lumières qui filtrent le long des arêtes du mur mobile central prennent également des teintes qui s’alignent sur les intentions en jeu, le tout dégageant une épure fort lisible.
Elektra rumine ses pensées sur une estrade en bois où elle pourra planter sa hache au moment du meurtre du couple royal, et lorsque Orest apparaît depuis la loge située côté jardin pour rejoindre ensuite sa sœur, le temps qu’il prend à ajuster le manteau royal abandonné par sa mère, et que Chrysothemis avait refusé de porter au grand dam d’Elektra, laisse transparaître le conflit intérieur du jeune homme entre lien de parenté, envie de vengeance, conscience du mal et ambition personnelle.
Les meurtres respectifs des amants se dérouleront derrière les murs, et alors que nous assistons à l’avènement d’Orest, Elektra met fin à ses jours. Un nouvel ordre est établi.
Le jeu d’acteur reste très sobre, mais Vida Miknevičiūtė offre une jeunesse irradiante à Chrysothémis qui lui vaudra un immense succès au rideau final. La soprano lituanienne possède en effet une projection perçante mais sans dureté avec une très grande solidité de moyen qui exprime une forme d’idéalisme adolescent qui gagne facilement les cœurs.
Sa compatriote, Violeta Urmana, dresse une stature impériale de Klytämnestra, pouvant compter sur une opulence de timbre fascinante, un galbe des graves d’un luxe d’ébène, et un profil des aigus vrillé et très maîtrisé. Son visage et sa gestuelle très expressifs lui donnent dorénavant une force théâtrale saisissante, et ses inflexions vocales tranchées taillent les moindres reliefs de ce caractère prêt à s’effondrer aux pieds de sa fille sous le poids de la culpabilité, avant que la fausse nouvelle de la mort d’Orest ne lui redonne l’espoir de croire qu’elle ne subira aucun châtiment.
C’est toujours un émerveillement de voir comment le talent de cette grande artiste traverse le temps avec une telle densité.
L’ensemble de la distribution présente ce soir ayant déjà été réunie dans cette même production en novembre 2022, Elena Pankratova reprend donc le rôle d’Elektra, et si la puissance de ses aigus et sa longueur de souffle restent mesurées, son chant offre un lyrisme travaillé de fines nuances assez rare dans ce rôle où nombre d’interprètes chargent habituellement l’héroïne de raucités pour en traduire l’animalité blessée. Rien de tout cela ici, c’est la dignité dans la douleur qui est dépeinte avec une certaine douceur, pourrait on dire.
Impressionnant par sa stature inaltérable, Károly Szemerédy est un formidable Orest, doué d’une ligne vocale bellement homogène et de grande classe, et John Daszak décrit un Aegisth avec de l’éclat mais aussi une certaine mesure attendrissante.
Mais quel plaisir d'entendre dans cette salle la violence feutrée et la noirceur tristanesque de l’orchestre de l’Opéra de Bavière sous la conduite de Vladimir Jurowski! Ce son fantastiquement noir, d'une noblesse dispendieuse, enveloppe l’auditeur d’une plénitude fabuleuse, et de la fusion des timbres des cordes et des cuivres découle une lave d’une malléabilité fluide et sidérante par la manière dont des traits ardents, des lames rutilantes et clinquantes se cristallisent d’un coup sans altération de leur éclat. L’agilité des musiciens permet de maintenir un excellent rythme théâtralisant avec toutefois un niveau de contrôle qui évite les débordements excessifs, y compris dans les attaques sauvages toujours d’une nette précision.
Vida Miknevičiūtė, Elena Pankratova, Károly Szemerédy, Violeta Urmana, John Daszak et Vladimir Jurowski
Une interprétation magnifique à tous les niveaux, qui laisse de côté une vision par trop horrifique, pour raconter cette histoire de vengeance familiale à travers une intense somptuosité narrative.