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Publié le 13 Avril 2014

Tristan et Iseult (Richard Wagner)
Répétition générale du 05 avril &
Représentations du 08 et 12 avril 2014
Opéra Bastille

Isolde Violeta Urmana
Tristan Robert Dean Smith
Le roi Marke Franz-Josef Selig
Brangäne Janina Baechle
Kurwenal Jochen Schmeckenbecker
Melot Raimund Nolte
Un marin, un berger Pavol Breslik

Mise en scène Peter Sellars (2005)
Artiste Vidéo Bill Viola

Direction musicale Philippe Jordan

 

                                                                                          Violeta Urmana (Isolde)

On le sait en y allant, la série de représentations de Tristan et Isolde interprétée à l’Opéra Bastille est une reprise dédiée à l’homme qui eut l’intuition de faire confiance à ceux qui en sont les artisans scéniques, Bill Viola et Peter Sellars.
En apparaissant de façon spectaculaire sur le côté de la scène entouré du personnel qui souhaitait rendre hommage à Gerard Mortier, Nicolas Joel a donc simplement demandé une minute de silence de la part du public en l’honneur du directeur disparu.

Ce silence, dans l’immensité de la salle, fit ressentir toute la froideur du vide après la vie, si bien que ne se perçut plus que le granite gris des murs et l’impression d’être à l’intérieur d’un ensemble tombal.

Robert Dean Smith (Tristan) & Violeta Urmana (Isolde)

Robert Dean Smith (Tristan) & Violeta Urmana (Isolde)

Après un tel sentiment d’irréalité, l’ouverture insufflée par Philippe Jordan n’en apparait que plus onirique. L’entière direction s’évertue à tisser d’infinies structures d’une finesse irrésistible et sillonnées d’un dynamisme fuyant. Le rendu des cuivres sert ainsi moins la noirceur violente et la tension de l’oeuvre que l’esthétisme de ces longs et magnifiques élans emplis de couleurs qui dominent totalement l’orchestre en se déployant dans une lenteur majestueuse.
Parfois, il arrive que le son des cordes reste sensiblement atténué quand, au début du second acte, Isolde écoute l’onde de la source qui s’écoule, légère et murmure. Là, l’enchantement de ces murmures pourrait être plus prenant.

Video Bill Viola Acte II

Video Bill Viola Acte II

Mais Philippe Jordan est un prodigieux enlumineur. Il enrichit d’une profusion de détails aussi bien le tissu musical dans sa discrétion la plus extrême que les grands mouvements lyriques, comme s’il peignait une fresque aux mille reflets. L’alliage à la vidéographie de Bill Viola prend ainsi une tonalité Art-nouveau sans aucune superficialité.
En outre, lors de la seconde représentation, il draine un mouvement de fond grandiose d’où, à tout moment, peuvent surgir des éruptions dramatiques, ou de larges entailles sombres à coup de contrebasses. Et personne ne peut oublier le chagrin des inflexions des cordes au cours de l’intervention du Roi Marke.
Cette inspiration inouïe rappelle comment ce chef avait trouvé, lors des représentations d’ Aïda, et de la même manière, une expression musicale forte par un travail de mise au point qui s’était développé sur trois représentations depuis la dernière répétition.

Violeta Urmana (Isolde) et Janina Baechle (Brangäne)

Violeta Urmana (Isolde) et Janina Baechle (Brangäne)

Et une autre surprise attend le spectateur au cours de cette seconde représentation. Violeta Urmana, grande artiste au tempérament de feu et souvent pourfendue dans le répertoire italien – qu’elle adore pourtant – est dans un état de grâce éblouissant. Son chant déclamé est paré d'une variété de couleurs depuis les graves torturés aux aigus piqués et vaillants, et d’une véhémence extraordinaire lorsqu’elle s’en prend à Tristan, au premier acte. Il y a de l’insolence et du défi, de la compassion également.

Violeta Urmana (Isolde), Raimund Nolte (Melot), Robert Dean Smith (Tristan), Franz-Josef Selig (Marke)

Violeta Urmana (Isolde), Raimund Nolte (Melot), Robert Dean Smith (Tristan), Franz-Josef Selig (Marke)

Robert Dean Smith était souffrant lors des représentations de Madrid deux mois plutôt. La différence s’entend maintenant, car sa voix est beaucoup plus sombre et pleine, ce qui lui permet de composer un très beau Tristan pendant les deux premiers actes. Dans le troisième, la concurrence avec le volume sonore de l’orchestre est rude – Jordan est d’une luxuriance telle que les images de l’artiste américain prennent le dessus sur le chanteur – si bien que son jeu scénique inutilement démonstratif nuit plus qu’autre chose à la crédibilité de son incarnation.

Et cela est d'autant plus sensible que nous avions quitté le second acte sur la présence immanente de Franz-Josef Selig. Il est le Roi Marke de la décennie à l’Opéra Bastille, magnifié par la mise en scène de Sellars qui montre un roi dépouillé de tout, affligé par sa propre peine intérieure qui le fait fléchir sans qu’il ne chute pour autant, et ce rapport de force s’exprime par la justesse du geste et par son accord avec l’expression du visage. La voix est immense, saisissante d’humanité.

Violeta Urmana (Isolde)

Violeta Urmana (Isolde)

Janina Baechle, elle, est une Brangäne à cœur perdu. Présente et lucide, elle est celle qui voit tout, celle qui ressent tout. La maturité du timbre n’en fait pas un personnage idéalisé sinon théâtralement aussi fort qu’Isolde, et c’est dans les appels qu’elle trouve une amplitude bienveillante qui se répand, depuis l’une des galeries, dans la grandeur de la salle.

Et Jochen Schmeckenbecker, avec ses inflexions complexes de clarté émergées d’une tessiture sombre, est un fort touchant Kurwenal. Il y a aussi l’allure racée de Raimund Nolte, en Melot, et la voix chaude de Pavol Breslik, le jeune marin.

Violeta Urmana (Isolde) Philippe Jordan et Janina Baechle (Brangäne)

Violeta Urmana (Isolde) Philippe Jordan et Janina Baechle (Brangäne)

Cette très grande soirée se conclut non seulement sur une impressionnante standing ovation, un hommage tonitruant à Violeta Urmana, tant émue, mais aussi, par une formidable clameur projetée depuis les balcons à l'arrivée de Philippe Jordan qui, à la direction de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, a réalisé une interprétation qui aura atteint les plus ardents wagnériens.

 

Lire également :

Tristan & Isolde au Teatro Real de Madrid (Urmana-Dean Smith-Piollet-02/2014)

Tristan & Isolde à l'Opéra Bastille (Meier-Forbis-Bychkov-11/2008)

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Publié le 28 Mars 2011

Akhmatova (Bruno Mantovani)
Création Mondiale
Livret Christophe Ghristi
Répétition générale du 25 mars 2011
Opéra Bastille

Anna Akhmatova Janina Baechle
Lev Goumilev Atilla Kiss-B
Nikolai Pounine Lionel Peintre
Lydia Tchoukovskaia Varduhi Abrahamyan
Faina Ranevskaia Valérie Condoluci
Le Représentant de l’Union des écrivains
                                     Christophe Dumaux 

Un sculpteur Fabrice Dalis
Olga Marie-Adeline Henry

Mise en scène Nicolas Joel
Décors et costumes Wolfgang Gussmann
Direction musicale Pascal Rophé 

                                                                                                            Janina Baechle (Anna Akhmatova)

Sans même savoir ce que sera l’impression scénique et musicale de la nouvelle création lyrique, le fait de choisir une poétesse russe emblématique du XXème siècle, comme sujet d’une œuvre lyrique, assure une ouverture sur un monde littéraire et sensible, et laisse à chacun la liberté de s’y immerger par ailleurs.

Christophe Ghristi, actuel dramaturge de l’Opéra de Paris, a composé un livret en trois actes, en axant chacun d’eux sur une époque précise, tout en accélérant l’échelle du temps.

Le premier acte se situe en 1935 à Leningrad, après l’assassinat de Kirov, et se conclut sur l’arrestation de Pounine et Lev, mari et fils respectifs d’Akhmatova.
Le second se situe en 1941 et 1942, pendant le blocus de Leningrad, et se divise en trois scènes de la capitale à Tachkent, qui sera un lieu de repli où la poétesse rencontrera plusieurs artistes.
Le troisième se décompose en cinq scènes, l’après guerre à Leningrad en 1946, la nouvelle arrestation de Pounine et Lev en 1949, la mort de Staline en 1953, le retour de Lev en 1956, et la mort d’Akhmatova en 1966.

La rencontre avec Modigliani, à Paris, appartient à un lointain passé, et l’interdiction de publication levée par le comité central envers Akhmatova est toujours en vigueur lorsque l’opéra débute.

Varduhi Abrahamyan (Lydia Tchoukovskaia) et Christophe Dumaux (Représentant de l’Union des écrivains)

Varduhi Abrahamyan (Lydia Tchoukovskaia) et Christophe Dumaux (Représentant de l’Union des écrivains)

Nous avions tellement l’habitude d’associer Nicolas Joel aux décors d’Ezio Frigerio et aux costumes de Franca Squarciapino, que l’épure stylisée en noir, blanc et gris est passée, en premier temps, pour un signe de modernité.
C’est à Wolfgang Gussmann, décorateur de Willy Decker, que l’on doit un tel symbolisme, essentiel, construit sur quelques cadres, plans et simples mobilier.
Akhmatova, face à son portrait peint par Modigliani, ressemble étonnamment à Senta perdue dans une peinture marine, telle que présentée par Decker dans Le Vaisseau Fantôme, et le comportement de Lev, plein de reproches envers elle, nous rappelle assez facilement Erik.

Fatalisme, lucidité et détachement imprègnent tout le texte, avec cependant une constance de ton que l’on retrouve dans la musique. Bruno Mantovani recherche des effets de grands ensembles, mais souligne chaque point et chaque virgule des phrases par des motifs percutants, et soutenus par des coups de percussions soudains.

La musique n’accentue plus les mots en s‘y superposant, elle les marque une fois qu’ils ont été prononcés, de manière systématique et ainsi prévisible, ce qui entraine une sentiment d’artifice, malgré la complexité des motifs que Pascal Rophé doit restituer.

De l’écriture vocale, Christophe Dumaux en tire le mieux parti, car son rôle fait entendre pour la première fois un contre ténor à l’Opéra Bastille. Naturellement vif, il fait du Représentant de l’Union des écrivains un harceleur impétueux, et passe de tessitures de voix tête à des intonations de ténor absolument fascinantes.

   Janina Baechle (Anna Akhmatova) et Valérie Condoluci (Faina Ranevskaia)

   Janina Baechle (Anna Akhmatova) et Valérie Condoluci (Faina Ranevskaia)

Les voix sont effectivement bien mises en valeur par le temps laissé pour qu’elles s’épanouissent. L’endurance, plus que la puissance, est du côté de Janina Baechle, les plus belles couleurs pathétiques, mais ce n’est pas une surprise, sont offertes par Varduhi Abrahamyan, et la frivole Faina Ranevskaia permet à Valérie Condoluci de théâtraliser ses éclats de stupeurs.

Remarquablement fluidifiée par un jeu de panneaux coulissants, la mise en scène laisse une très belle image, car tellement simple et dynamique, lors de la fuite en train de Moscou vers Tasckent, avec le défilement de la lumière extérieure à travers les fenêtres.
Il est quand même un peu surprenant, en parcourant à nouveau le texte, de lire l’émoi des voyageurs à la vue du Syr-Daria, fleuve majeur du Kazakhstan, quand Akhmatova se réjouit de voir tant de Russie…

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